attentat La police scientifique a relevé des traces de peroxyde de tricycloacétone, ou TATP, un produit facile à fabriquer prisé des organisations violentes
Une troisième explosion vise le préfet Dermouche
Une explosion de faible intensité s'est produite ce matin avant l'aube dans la boîte aux lettres d'un lycée fréquenté à Nantes par un fils du préfet du Jura Aïssa Dermouche, a-t-on appris auprès du conseil général de Loire-Atlantique. Les dégâts au lycée Guist'hau, voisin du domicile nantais de M. Dermouche, sont «minimes» selon une source policière. Le parquet de Nantes s'est refusé à faire le moindre commentaire. Il s'agit du troisième attentat visant symboliquement le préfet issu de l'immigration, après celui contre sa voiture le 18 janvier et l'explosion qui a visé dimanche l'entrée d'Audencia, l'école de commerce qu'il a dirigée. L'enquête concernant ces deux explosions avance à pas comptés. Dernier épisode en date : l'identification du produit utilisé.
Jean Chichizola
[29 janvier 2004]
Péroxyde de tricycloacétone : derrière cette formule, quelque peu barbare pour les non-initiés aux délices de la chimie, se cache peut-être le nouveau mystère de l'attentat qui visait le 18 janvier, à Nantes, la voiture du nouveau préfet du Jura, Aïssa Dermouche. Attendues depuis dix jours par les policiers et les magistrats nantais, les analyses de la police scientifique ont en partie contredit les premières impressions des enquêteurs. Si le ou les saboteurs ont bien activé leur engin à l'aide d'une simple mèche lente, les traces de poudre noire, explosif de faible puissance, ne seraient finalement qu'un résidu né de l'incendie qui a ravagé le véhicule. Les policiers du laboratoire de police scientifique de la préfecture de police de Paris auraient en revanche retrouvé plusieurs éléments chimiques bien connus des spécialistes et dont le mélange donne naissance à un explosif très apprécié des organisations violentes de tout poil : le peroxyde de tricycloacétone, généralement désigné sous son sigle anglais TATP.
Cette découverte, loin d'aider la PJ nantaise, ajoute plutôt à la difficulté de son enquête. «Si nous avions retrouvé des traces d'explosif militaire ou industriel, remarquait ainsi hier un policier, la piste aurait été plus facile à suivre. Si l'hypothèse du TATP se confirme, le poseur de bombe peut être un internaute n'ayant pas froid aux yeux.» Pour se procurer la formule du TATP, rien de plus facile : elle figure sur plus d'une cinquantaine de sites Internet, certains d'entre eux expliquant méticuleusement comment réaliser le mélange explosif avant de faire sécher le tout «sur du papier absorbant». Certains utilisateurs de sites de «chat» (dialogues sur Internet) discutent calmement des qualités de ce produit, «facile à faire et prompt à exploser», dont les composants se trouvent dans toute bonne pharmacie ou droguerie. Pour le confectionner, l'artificier amateur n'a besoin que de vingt-quatre à soixante-douze heures, d'un simple coin de table et de quelques ustensiles ménagers.
Le TATP n'a qu'un défaut, souligné sur tous les sites qui en traitent : ne nécessitant pas de détonateur pour exploser, il est extrêmement instable et dangereux à fabriquer et à utiliser. Le ou les plastiqueurs de Nantes, s'ils ne sont pas forcément des artificiers professionnels, ont donc fait preuve d'une réelle motivation et d'une prise de risque certaine. Ces dernières années le TATP a d'ailleurs été retrouvé dans les mains expertes du Hamas palestinien ou de certains islamistes marocains. Le terroriste Richard Reid, qui a tenté de se faire sauter en décembre 2000 à bord d'un vol Paris-Miami, a été arrêté alors qu'il essayait de mettre le feu à une petite quantité de TATP dont l'explosion aurait déclenché celle de ses semelles bourrées d'explosif.
Autant de précédents qui paraissent cependant très loin de l'action qui a visé le préfet Dermouche. Pour l'heure, les enquêteurs de la PJ nantaise n'écartent toujours aucune piste, qu'elle soit privée ou politique. La région nantaise compterait parmi ses groupuscules au moins un groupe islamiste d'obédience salafiste, un cercle fascisant et un parti nationaliste d'extrême droite, réunissant quelques dizaines d'individus. Des milieux que les enquêteurs ont entrepris de «tamiser», pour reprendre l'expression d'un policier. Les résultats des analyses de police scientifique relatives au second attentat, perpétré le 25 janvier contre l'école de commerce que dirigeait le nouveau préfet, sont par ailleurs attendus dans les jours à venir. Des traces de mèches ont été retrouvées sur place, ce qui pourrait indiquer qu'il s'agit d'un engin proche de celui utilisé le 18 janvier.