Les dimanches étaient monotones : on ne recevait jamais personne.  
 
 Il faut dire que l'endroit n'était guère accueillant.
 
 Au pied d'un monstrueux terril, mes grands-parents avaient bâti de leurs propres mains notre chère maison. Mon grand père était alors le patron du plus grand site d'extraction de charbon de la région, avec les pompes hydrauliques les plus chères du marché. Nous exportions même aux Anglais, tandis que les Américains faisaient maintes réclames de leur fameux Corned-Beef. Il détestait ces 'ricains', or il avait un point commun avec eux, et pas des moindres justement, car il cultivait lui aussi l'amour désinteressé de Jésus Christ.
 
 Je suis là, installé dans mon bureau, sirotant mon caïpirinha, à écrire tout cela, je ne sais même pas pourquoi, j'en ressens juste le besoin, je crois. Nous avons naturellement hérité de cette magnifique et inquiétante bâtisse, où nous vivons depuis cinq années déjà. Karen est partie chercher des provisions, et les gosses sont hypnotisés par les images floutées de notre bon vieux poste de télévision. Pam est sage comme une image, vêtue de son kimono blanc, fixant attentivement le petit écran, tandis que son frère aîné Tommy trouve ce programme tellement rigolo qu'il en est devenu tout écarlate.
 
 Cette couleur evoque en moi une horreur incommensurable, que je ne peux hélas partager qu'avec ma plume.
 
 Un jour, mon grand-père fut porté disparu et personne ne fut capable de le retrouver. Dès lors, son site d'exploitation devint le théatre d'un énorme bain de sang; les ouvriers furent, uns à uns, passés par les armes, sous pretexte que mon grand-père était en fait hérétique, et avait pactisé avec le diable. J'ai assisté à tout le drame, j'avais alors treize ans. La scène m'évoqua vaguement l'histoire de la destruction de Sodome et gomorrhe, que ma mère me racontait cérémonieusement tous les dimanches.
 
 Aujourd'hui, Karen a décidé que nous allions pique-niquer. Je crois qu'elle s'inquiète pour moi, elle s'imagine que je suis malade... Depuis qu'elle a obtenu son diplôme supérieur de médecine, je n'ai qu'à bien me tenir, quand elle sort son stéthoscope , pour le faire glisser sous ma chemise, m'encourageant de ses "s'il te plaît, chéri". Et moi, ruminant ma colère d'être incapable de lui crier la vérité.
- J'en conclues que tu devrais consulter, me dit-t-elle un jour.
- La bêtise consiste à vouloir conclure, lui rétorquais-je
 
 Mais elle n'imaginait pas le sens profond que cette phrase avait pour moi.
 
 Ce jour maudit, j'en étais arrivé à la conclusion, avec ma cervelle de moineau, que les Américains, jaloux, étaient responsables de cette boucherie. Aveuglé par cette soif de vengeance, et malgré mon jeune âge, je décidais de jouer au justicier. Tout ce qui me restait de mon grand père était sa lame de rasoir porte bonheur, qu'il m'avait donné un jour en m'intimant de ne le répeter à personne, car cette lame était magique, d'après lui.
- Tu ne l'utiliseras jamais pour lacérer quoi que ce soit, m'ordonna-t-il.
 
 Ces mots résonnent encore dans mon esprit, et me font trembler. Je n'arrive plus à écrire droit. Je m'efforce de croire que ceci est dû à cet onctueux cocktail qui accompagne depuis si longtemps mes nuits blanches d'écrivain raté et alcoolique.
 Je ne me suis jamais considéré comme un écrivain, j'ai commencé par faire des articles de vingt lignes dans l'hebdomadaire comico-centriste 'Are you Fruit?', dont la citation du redacteur en chef était le sempiternel "Et surtout, ne pas avaler une pastèque par le mauvais trou", clin d'oeil de son aversion pour le régime capitaliste en plein essor...
 Entretemps, je me suis maintes fois fait rouler dans la farine par des éditeurs peu scrupuleux, qui me laissaient mariner pendant des mois, pour m'annoncer en fin de compte, assis sur leurs fauteuils de luxe, derrière leurs bureaux en marbre, un gobelet d'expresso soluble à la main, que mes textes n'étaient pas viables, mais qu'ils s'en octroyaient les droits exclusifs, conformement au contrat que j'avais signé auparavant. Je ne pouvais évidemment que montrer mes canines, tout au plus.
 
- Papa, papa !!!
 Les appels de mes enfants me sortent brusquement de mon soliloque intérieur, et je sens la peur et la rage me monter droit au coeur.
- Prenez un Pépito, et allez vous-en!, leur dis-je en m'efforçant de ne rien laisser transparaitre de mon malaise. Mais ils n'y font pas attention, et se ruent sur les biscuits.
 
 La première fois que j'ai tué, et toutes les fois d'après, d'ailleurs, ce fut avec le cadeau de mon grand père. A ceci près que la toute première fois je n'eus pas le choix...
 "Quand on te frappe une joue, il faut tendre l'autre joue", me répétait machinalement ma mère quand je lui rapportait mes infortunes d'adolescent.
 Mais quand je serrais le couteau, que je m'étais bricolé avec de l'adhésif et la lame de mon grand-père, la magie opérait et je me sentais invincible.Bref...
 
 Mon père avait domestiqué un albatros authentique, et tous les samedis avec mon cousin Sean, nous nous déguisions en pirates, et nous desendions à la rivière.
C'est à coup de "Sus à l'ennemi" et de "Branle-bas de combat" que nous essayions d'aborder la barque familliale transformée en navire de guerre et protégé par mon père et son animal volant, dressé pour la défense. Le combat était gratiné à souhait, mais nous n'arrivions jamais à venir à bout de cet oiseau de malheur.
"La turlute est une dure lutte!", clamait toujours Sean, et nous nous enfuyions en riant, joyeux d'être mauvais perdants.
 
 Quoi qu'il en soit, une nuit je me suis reveillé en sursaut, et, effrayé comme jamais, je vis cette masse noire flottante se diriger droit sur moi, en emmetant des cris glaçants. J'étais alors nu, seulement je tenais serré dans ma main mon couteau, que j'enfermais d'habitude à double tour. Je ne pus alors contrôler mon bras qui exerçat un mouvement de rotation en direction de l'intrus. Ce que je ressentis sur le moment est indescriptible avec des mots, et aucune des drogues qu'on m'a administrées pour essayer de me soigner n'atteint le dixième de cette sensation.
 
- Il est bien court, le temps des cerises...
 Karen vient de rentrer. Elle porte son long manteau marron et tient d'une main un panier rempli à profusion, de l'autre un élégant bouquet de fleurs. Elle me regarde d'un air accusateur, je me suis encore endormi, ivre, laissant les enfants sans surveillance...
- J’ai apporté des lilas, dit-t-elle en remarquant que je la dévisage.
 Elle détourne alors son regard sur ma main droite et son visage se décompose soudainement.
 
 Je me rend compte alors que je suis en train de serrer mon couteau.
 

"Les dimanches étaient monotones : on ne recevait jamais personne." Tu parles d'une phrase d'introduction. Tout de suite on voit la maison au bord de la côte normande qui n'a pas bougé depuis que les anglais ont débarqué pour l'opération Corned-Beef... En voyant les autres mots et phrases à ma disposition pour ce merveilleux concours, j'imagine quelque chose à la Stephen King. Une ambiance feutrée d'un dimanche après-midi à la campagne, un coup de sonnette, le facteur (un dimanche?) et ça vire à la boucherie propre et ordonnée de la petite famille sans que personne ne s'apperçoive de rien si ce n'est une bande de ruminants un peu plus loin à côté de la rivière, tout ça finissant sur la vue d'un albatros partant au loin dans le soleil en train de réciter du Baudelaire; pour faire bonne mesure et faire comprendre au lecteur un peu benet qu'un albatros qui a de la culture c'est forcement un suppôt de Satan ou un zombi mutant pilleur de tombe de l'espace.  
 
Oui j'aurais pu mais j'ai pas le talent de Stephen King à faire frisonner la ménagère de moins de cinquante ans et d'autres auront sûrement l'idée avant moi, autant faire dans l' original.  
 
Bon prenons un peu ce qui reste (de toute façon ce texte ne sert à rien qu'à démontrer qu'on peut très bien contourner les règles d'un concours avec autant d'inspiration que de fainéantise réquises). Adhésif, nu, écarlate, kimono... Comment voulez-vous que j'arrive à intégrer une geisha à moitié nue aux joues écarlates et dont le kimono découvre - plus qu'il ne couvre - des morceaux appétissants, tenu par quelque miraculeux adhésif ancestral. Je pourrais remplacer le facteur par une geisha, mais comme j'ai un peu de respect envers mon lecteur (si, si, c'est vrai), il sait très bien comme moi qu'une geisha à moitié poil dans la lande anglaise, ça va se finir - au mieux - en gros rhume et on risque plus de la voir chez le docteur à faire des choses hérétiques et érotiques avec le stéthoscope du médecin en chantant (la bouche pleine) "La turlute est une dure lutte".
 
Mais là on vire  de la catégorie roman pour ménagère à rocco se tape la ménagère et je vais être obligé de flouter la moitié du texte pour épargner les âmes sensibles dont les yeux chastes se poserait par ici. Revenons donc à nos moutons sur la côté anglaise...  
 
Je pourrais en faire un scénario de série Z type Slasher avec un facteur-garou qui passe son temps à lacérer tout ce qui bouge à grand coup de canine tranchante comme des lames de rasoirs en commençant par les mômes de la famille qui seraient parti en pique-nique pour le goûter et à qui on aurait fait avaler la pasteque par le mauvais trou. Peut-être un peu trop violent et anatomiquement impossible.  
 
Ou alors façon chronique sociale. La grand mère débarque tout sourire pour faire chier le beau-fils ce qui occasionne des dialogues de qualité:
- J'ai apporté des lilas, ma chérie... je sais bien que ton mari ne les aime pas, mais une maison sans fleur c'est une comme une maison sans enfants. Tiens d'ailleurs où sont-ils les petits chenapants ?
- Bonjour Maman...S'il te plait, chéri tu peux aller chercher les enfants ?
- Bien sûr une fois que j'aurais fini mon Caïpirinha et que j'aurais vérifié que ta mère est soluble est dans l'air.
- Voyons chéri, tu ne vas pas nous faire mariner... Tu sais bien que les enfants sont parti jouer sur le terril.  
Eux qui sont toujours sage comme une image, ça leur fera plaisir de voir Maman.
- Mais il est bien court le temps des cerises...où l'on s'en va à deux cueillir en rêvant des pendants d'oreille
- Pardon, chéri ?
- Non rien.. je me disais juste que le mariage était une belle connerie.
- Tu ne devrais pas rester au soleil trop longtemps tu vas finir par aveugler le soleil de par ton esprit brillant mon cher beau-fils.
- Ta gueule la vieille.
- ?! Voyons chéri ! Tu as encore bu!
- Pas assez pour oublier apperement.
- Je te l'avais dit ma fille, les chiens font pas des chats!
- Je te l'avais dit ma chérie, les coincés du cul font pas des grosses bouses.
- Et tu te trouve ça rigolo, chéri ?
- Pas autant que l'idée de ta mère dans une presse hydraulique pour en faire un onctueux tas de boue, mais, globalement...oui
- S'en est trop, je te quitte !
- Voilà qui est mieux ma fille. Et ça va lui coûter cher à cet imbécile.
- Branles-bas de combat, tous au front, la beldoch' a décidé de passer mon compte en banque par les armes.
- Tel Sodome et Gomorrhe te voilà face à la justice divine, cher beau-fils.
- Tant mieux, si je me souviens bien de ce que racontait Loth le combat était gratiné à souhait, ça fera un bon film.
- Viens ma fille et laissons cet alcoolique finir son soliloque.
- Mais Maman...
- Y'a pas de mais, tu viens on s'en va.
- Wouhou ! Moi 2, famille de tarés 0 ! Et oublies pas les mômes !
*Baffe de la belle-mère envers le pauvre beau-fils*
- Et tâcher de ne pas vous approchez une nouvelle fois de ma fille ou je vous apprends à tendre l'autre joue.
 
Et comme vous le savez, dans un texte sans queue ni tête, la bêtise consite à vouloir conclure quelque chose qui n'a pas de fin. Donc si vous avez tenu jusqu'ici, prenez donc un pépito et allez-vous en.

Les dimanches étaient monotones : on ne recevait jamais personne. La communauté considérait que ceux qui s’amusaient le jour du Seigneur n’étaient que des hérétiques, aveuglés par leurs besoins terrestres et bien partis pour subir le même châtiment que les habitants de Sodome. Non, le dimanche était consacré à la prière silencieuse, aux grâces et à la purification.
 
Les adolescents étaient particulièrement purifiés. Leurs seins bourgeonnants, leurs pénis frémissants, leurs monts de Vénus duveteux étaient consciencieusement lacérés à l’aide d’une lame de rasoir individuelle et parfaitement désinfectée entre chaque usage, pour purger ces zones impures du démon qui résidait –évidemment- en elles. Puis, enroulés dans une sorte de kimono de bure, ils allaient baigner leur corps efflanqué dans la rivière, été comme hiver, encombrés de leurs longues manches lestées d’eau comme des albatros de leurs ailes.
 
Les aînés passaient ensuite un onguent qui était à la fois adhésif et corrosif, qui permettait que chaque coupure soit à la fois tenue fermée pour éviter les infections, et enflammée, ce qui garantissait des cicatrices écarlates qui rappelleraient à chacun sa mauvaise nature. Puis ils allaient escalader l’espèce de terril qui surplombait le village, jusqu’à en tomber d’épuisement. Ils ne s’ennuyaient pas, remarquez bien.
 
Ils ne parlaient quasiment pas un mot d’anglais avant l’âge de 16 ans, où en vue de leur nécessaire sortie future dans le monde, à l’âge de 18 ans, on leur donnait quelques cours qui leur permettaient à peine de travailler dans un fast-food. Leur salaire était bien évidemment reversé à la communauté dans son intégralité. Avant ils étaient domestiques, mais ce métier se perdait, et il fallait bien que la communauté survive, même si c’était au prix d’envoyer les jeunes au contact de ce monde tant abhorré.