l'Antichrist | fennecfou a écrit :
L'antichrist> Citation :
Cest donc par le travail que se fait le passage de la nature à la culture. Le travail ne laisse pas les choses en létat mais, en bouleversant un ordre donné, il permet lémergence et le développement de ce qui était seulement virtuel et qui peut alors se penser comme une "seconde nature".
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Tu confonds travail et activité
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fennecfou a écrit :
Ca c'est méchant Je vais tâcher d'être moins lapidaire. En fait je me contente d'être lecteur occasionnel du taupehic (cherchez la signification), donner mon point de vue avec force de référents philosophiques est peu aisé, fastidieux et un peu vain On donne trop rapidement un aspect universel, inaliénable et socialisant par excellence au travail ce qui le biaise. Biaise car étymologiquement parlant la notion de travail est castratrice, liberticide, contraignante. Travail a comme racine latine Tripallium (torture), admettez qu'il ya postulat plus réjouissant. En fait c'est une remarque générale quand à la manière avec laquelle la philosophie aborde le travail, mettant radicalement en aparté toute portée économique et surtout toute notion d'interdépendance comme de bénéfice disproportionnés entre exécutant d'un travail et bénéficiaire, au profit d'une étonnante phénoménologie postitiviste et un brin béate.
Le travail est une activité rationnelle par rapport à une fin. Par activité, il s'agit de désigner la somme de la sélection des savoirs empiriques. En cela que l'homme est en recherche constante de fins, le travail est nécessairement obligatoire mais lié à la destinée et la définition même de l'homme. Partout où je pose le regard le travail m'observe tout comme je suis censé le contempler.
De Job dans la Bible à Marx en passant par Confucius, tous mettent le travail dans une exergue sublime.
Mais pourquoi usiter le terme de «travail » alors que celui d'activité (finalisme) ou de tâche (moyen) serait plus adapté car absent de la subordination moderne qu'il évoque. Le travail et la valeur travail sont plus idéologisés à des fins de domination plutôt que d'accomplissement, de libération ou plus bassement de transformation incontournable de la nature pour subvenir à nos besoins. On ne peut même donner ontologiquement de valeur d'usage ou d'échange (d'un point de vue économique) au travail au vu de la notion socialement et personnellement subjective de la valeur.
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Bon, sur le fond, je nai pas grand-chose à ajouter à la réponse de Rahsaan. Mais puisque la remarque métait adressée, allons-y dun petit commentaire supplémentaire dans le but de faire encore mieux apparaître la véritable nature du travail humain (qui na rien à voir avec une simple activité... animale, privée des significations qui constituent lessence même de cette forme dactivité proprement humaine que lon nomme « travail »), comme culture et comme travail de soi sur soi (praxis), ce que semble navoir pas du tout compris notre jeune prosélyte, trop rapidement concentré sur le problème, bien réel néanmoins, des formes sociales du travail. Cest une difficulté que vivent souvent les profs de philo de lycée (pervertis par les conditions idéologiques dexercice de leur métier), ce qui suggère que la réaction de fennecfou relève du souvenir mal digéré (et surtout jamais questionné
) dun mauvais cours de terminale. Ce matin je nai pas le temps daller jusquau bout de la réflexion, je ne vous livre donc que ce qui pourra servir dintroduction...
Le travail est rendu nécessaire par les besoins de la survie. Si lhomme travaille, cest parce que la vie, livrée à elle-même dans une nature indifférente, doit sans cesse lutter, cest-à-dire reconquérir son droit contre limpérieuse nécessité de la mort. Une réflexion en forme de rappel à lordre à ladresse de tout « idéalisme » peut nous guider ici, celle que font Marx et Engels dans Lidéologie allemande, en soulignant que « la production de la vie matérielle est une condition fondamentale de lhistoire, que lon doit aujourdhui encore, comme il y a des milliers dannées, remplir jour après jour, heure après heure, simplement pour maintenir les hommes en vie ». Ce nest pas sans raison que le texte biblique lie travail et mort en disant que lhomme mangera son pain à la sueur de son front jusquà ce quil retourne lui-même à la terre dont il fut tiré : le travail est un effort pour résister à lattraction de la terre ; lhomme ne se maintient sur terre, hors de la terre que par son travail, par une lutte incessante où du reste il finit toujours, comme individu en tous cas, par être vaincu.
Car la vie ne vit pas un pays de cocagne en cet âge dor béni des mythes : notre vie souffre de la faim, du froid, du danger, bref de multiples incommodités. La distance entre le besoin et sa satisfaction ne peut être annihilée, exceptée dans nos rêves dabondance qui nous font oublier quil nest pas de vie sans effort. En somme, cest le besoin qui fait lhomme besogneux et la nécessité comme indispensabilité du travail vient de la nécessité comme privation du nécessaire, dénuement et détresse : « nécessité est mère dindustrie » a-t-on dit. Lhomme ne vit pas dans un monde harmonieux où il y aurait accord spontané entre besoin et possibilité de satisfaction. Cest rarissimement quil vit dans une nature prodigue qui le dispense de lutter contre la rareté et les aléas. « Les dieux ont caché ce qui fait vivre les hommes », dit Hésiode dans Les travaux et les jours. On pense également au mythe de Déméter et Perséphone : traumatisée par lenlèvement de sa fille Perséphone, Déméter, déesse de la fertilité, délaisse la terre qui, faute de soin, devient stérile. Zeus, ému par la détresse de cette mère, trouvera la solution en permettant à Déméter daller retrouver sa fille au royaume dHadès une moitié de lannée (cest alors lhiver, période pendant laquelle il faut semer le blé comme on enterre les morts), pour revenir prodiguer ses soins le restant de lannée. Mais ce miracle de la renaissance ne se produit pas sans le travail des hommes auxquels Déméter a envoyé Triptolème pour quil leur enseigne lagriculture. Comment ne pas songer aussi à la réponse donnée par Protagoras quand il évoque le sort échu à lhomme parmi tous les autres vivants animaux. A tous ceux-ci, la nature ou les Dieux donnèrent des moyens congrus de subsister et de se protéger ; seul lhomme demeure nu et désarmé. Il fallut donc remédier à labsence dorganes naturels par lart, les arts du feu dérobés aux Dieux par Prométhée.
Le travail est donc deux fois nécessaire à lhomme, une fois parce quil est vivant et doit subsister, une fois parce quil est vivant, faible et vitalement démuni. Il est le détour artificieux auquel lhomme a été acculé pour assurer son droit à vivre, son « droit naturel ». Le travail est donc bien une nécessité inhérente à la seule condition humaine, à la nature des choses spécifiquement humaine. A cet égard, le travail apparaît comme la solution donnée par lhomme à luniversel et permanent problème du vivant qui est de sadapter à un milieu incertain, qui rend son existence possible mais jamais durablement et entièrement assurée, un milieu qui le tolère mais multiplie les obstacles.
Le travail nest donc pas, à proprement parler, une contrainte, cest-à-dire une activité contre-nature qui nous détournerait de nous-mêmes. Il était inutile et vain de rappeler pour la nième fois létymologie du mot « travail », ce détestable tripalium, chevalet bon à ferrer les chevaux. Une rapide analyse conceptuelle peut nous le faire comprendre. Si nécessité et contrainte ont pour commun caractère de simposer par un empire auquel il nest pas possible de se dérober, si est nécessaire ce qui ne peut pas être autrement quil est et, par conséquent, ce qui est inévitable parce que découlant de la nature des choses (dont on sait quelle « obéit » à des enchaînements rigoureux, à un ordre déterminé et fixe, non pas capricieux et variable), en revanche toute nécessité nest pas pour autant contraignante : il est nécessaire de respirer pour survivre, mais ce nest pas une contrainte (ce serait plutôt létouffement qui le sera). Il y a contrainte quand sont infligées à la nature propre dun être (laquelle a ses nécessités) des pressions, des limitations, des exigences qui vont à lencontre des exigences vitales de cet être et qui, du coup, sont mal supportées. La contrainte contient une certaine violence que nimplique pas forcément la nécessité.
Le travail est au contraire une loi de la vie qui fait de lhomme ce quil est, le révèle à lui-même dans sa double dimension culturelle et spirituelle. C'est d'ailleurs tout le sens du récit biblique de la Chute dAdam et Eve. Cest lavarice de la nature qui force lhomme à travailler, à lutter pour sa subsistance. En un sens donc, lhomme se voit « contraint » de produire ce qui le nourrira en opposition avec lindolence heureuse qui était la sienne dans le jardin dEden où les fruits poussaient deux-mêmes sous lautorité bienveillante de Dieu. Mais ce qui pourrait passer pour une malédiction, une peine (au sens de condamnation) doit plutôt se comprendre comme une réponse adaptée à la vraie nature dune créature dont la liberté constitutive lempêchait de rester éternellement soumise à la volonté dun autre : par le prétexte de la tentation, Dieu ne détourne pas lhomme de lui-même, mais lui permet au contraire de se révéler à lui-même. La Chute est une seconde naissance : en choisissant de céder à la tentation, lhomme sasservit à la matière, asservissement qui, cependant, le délivre de lignorance première où il se trouvait. Désormais, lhistoire humaine peut commencer, lhistoire du bien et du mal, cest-à-dire lhistoire de la culture humaine : le travail est uvre de transformation de la nature par laquelle lhomme se transforme lui-même. Humanisation de soi et de la nature, le travail porte en lui la même promesse davenir et de nouveauté que lenfant à naître. Lhomme na pas de nature (il nest déterminé pour rien), mais en cultivant la nature, il se cultive lui-même, cest-à-dire se construit un monde à sa mesure, qui est son uvre et dans lequel il reconnaît ses propres valeurs.
Lhomme na pas de « nature » pré-déterminée, mais se produit lui-même par le travail. Cest par la transformation du donné naturel quil shumanise, se forme lui-même, devient en acte ce quil était au départ seulement en puissance. Loin dêtre lobstacle à la réalisation de soi, le travail est au contraire un acte de liberté par lequel lhomme parvient à sémanciper de la nature précisément en la contraignant, en simposant à elle, en la dominant, en lui imposant ses désirs.
Cependant, le travail est aussi peine, effort, labeur : si par le travail lhomme, en transformant la nature, se transforme aussi lui-même, cest quil doit lutter autant contre sa propre inertie que contre celle de la matière. Face à une nature qui refuse de se laisser faire, la tendance naturelle de lhomme au plaisir et au repos demande elle-même à être soumise à la loi de lesprit. De plus la forme idéale du travail ne doit pas nous faire oublier que le travail nest quun moyen qui, certes, précède toujours la pensée (et le loisir au sens de la scholé des grecs), mais qui ne peut se substituer à elle. Etre vraiment un homme, cest avoir le loisir dexercer sa pensée. La destination « naturelle » de lhomme est au-delà du travail servile. Le rêve omniprésent de loisir nous rappelle aussi que, dans les formes sociales du travail, la forme idéale ne se trouve que rarement : dans le travail, lhomme peut aussi saliéner. De nombreuses formes sociales du travail font violence à loriginalité, à laffirmation de soi, à lexercice de la créativité, à linitiative, donc à tout ce qui est spécifiquement humain.
Comment donc le travail, source de liberté par rapport au milieu et dhumanisation, pourrait-il faire violence à ce dont il permet lépanouissement ? Tel est lenjeu de votre remarque. |