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Quels sont pour vous les trois livres de philo à lire pour un honnête homme ?


 
15.4 %
 273 votes
1.  "La république" de Platon
 
 
6.7 %
 119 votes
2.  "La métaphysique" d'Aristote
 
 
15.7 %
 279 votes
3.  "l'Ethique" de Spinoza
 
 
1.5 %
    27 votes
4.  "Essai de théodicée" de Leibniz
 
 
15.0 %
 266 votes
5.  "Critique de la raison pure" de Kant
 
 
17.8 %
 315 votes
6.  "Par delà le bien et le mal" de Nietzsche
 
 
5.9 %
 105 votes
7.  "L'évolution créatrice" de Bergson
 
 
6.4 %
 113 votes
8.  "Etre et temps" d'Heidegger
 
 
7.5 %
 133 votes
9.  "Qu'est-ce que la philosophie" de Gilles Deleuze
 
 
8.1 %
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10.  "Moi, ma vie, mon oeuvre" de obiwan-kenobi
 

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Auteur Sujet :

Philo @ HFR

n°10216656
Profil sup​primé
Posté le 23-12-2006 à 15:34:12  answer
 

Reprise du message précédent :

neojousous a écrit :

Je sais pas si j'ai a peu près réussi a exprimé mon idée avec ces posts, n'hésite pas à me questionner, ça me permet moi même de mettre mes idées en forme. ;)


 
Marrant que tu parles de résultats physiques et "mathématisés". Tu donnes raison à Mayr en faisant ça :D

mood
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Posté le 23-12-2006 à 15:34:12  profilanswer
 

n°10216657
neojousous
Posté le 23-12-2006 à 15:34:12  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

Marrant, je n'aurais jamais pensé que tu dises cela.  :lol: C'est plutôt flatteur pour la métaphysique... serais-tu brusquement devenu bergsonien ?  :D


 
Non Bergson j'avoue ne pas connaître sa pensée. Je me réclamerais plutôt de gens que j'admire terriblement : Pierre Duhem, Henri Poincaré, Albert Einstein, voir Bohr et Schrödinger dont la pensée épistémologique à atteint des sommets à certains égards.

n°10216666
neojousous
Posté le 23-12-2006 à 15:37:01  profilanswer
 


 
Comment cela tu peux préciser ? Par rapport au fait que la physique utilise des formalismes mathématiques ? Je donne raison à Mayr sur quels points ? (d'ailleurs je vais aller à la BU à la rentré lire cela, ça m'a l'air bien intéressant, surtout que les problèmes de réductionnismes physique/biologie/conscience me préoccupe pas mal, je lis actuellement un livre de Roger Penrose à ce sujet, dans lequel réagissent notamment Hawking et Nancy Cartwright). Désolé pour la longue parenthèse. :)

n°10216668
Profil sup​primé
Posté le 23-12-2006 à 15:37:05  answer
 

Et hop, on court se réfugier chez les physiciens/mathématiciens [:nofret]

 

edit: je tente de préciser: Mayr opère une distinction au sein de la biologie entre une approche "réductionniste", héritière en droite ligne du mode de pensée physico-matheux qui a constitué la totalité de la science jusqu'au 20e siècle, et une approche "analytique" ou "historisante", qui ne peut se rattacher dans son fonctionnement et ses concepts à aucune autre science - ce qui fait de la biologie une science à part (en fait c'est le propos du bouquin : 'what makes Biology unique'). [Mon expérience perso me dit que cette distinction est très judicieuse, y a qu'à observer Gould et Dawkins qui ne s'opposent pas dans leurs résultats, mais dans leur niveau d'investigation du vivant : adaptationnite aigüe et vision du tout génétique pour l'un, contigence historique et propriétés émergentes à tous les étages pour l'autre]

 

Je continue sur l'originalité de la biologie : sans nier que l'approche réductionniste ait été féconde en biologie (cf. biologie cellulaire, moléculaire, biochimie...), vouloir tout réduire à une simple extension de la physique/maths (= une histoire de quarks et d'atomes et de forces et de lois physiques) s'avère stérile pour comprendre efficacement les choses _à certains niveaux_.
Malgré tout, cette approche étant récente, la tentation de courir se réfugier dans les jupes de la "science physique la seule l'unique la vraie" est grande ; non pas pour des raisons d'efficacité méthodologique, mais d'habitudes liées à l'histoire (Galilée vient avant Darwin, d'où l'animal-machine de Descartes, par exemple). Le vitalisme bergsonien est encore assez empêtré dans une conception "physicienne" de la biologie : on cherche une force, une loi physique inhérente à la matière [ici, vivante] qui produit automatiquement une propriété "vie" - grosso modo, de la même façon qu'une loi physique produit automatiquement une propriété "radioactivité".
A contrario, le finalisme/téléologie a été assez facilement banni des Sciences physiques ("le rocher qui tombe de la montagne avait en lui la finalité/but de tuer ce randonneur, la pomme est programmée pour tomber du pommier" -> tout le monde s'accorde à trouver cela idiot). Et du coup, sans doute là encore par héritage, on a voulu bannir toute téléologie de la biologie ("l'ADN n'a pas pour but de produire un lapin angora" ) ; et pourtant, un certain nombre de finalités, de programmes, de "buts" d'origine purement matérielle - merci Darwin, de nécessités, sont bien à l'oeuvre dans le vivant. Du coup, il serait stupide de se priver de tout un pan efficace du vocabulaire, par reflet d'une science parente et voisine. La Biologie est une discipline différente de la Physique Reine Des Sciences  ; elle en reprend des concepts, elle en est voisine ou dépendante parfois, mais elle n'est PAS une sous-partie. ;)

 

Une illustration de cette originalité/différence, reprise par Mayr, c'est que la "révolution" de la science par Poincaré, Einstein & Co. vers 1920 n'a en définitive pas eu de retombée (au sens "utilité" ou progrès des connaissances) sur la biologie au 20ème siècle. :whistle:

Message cité 2 fois
Message édité par Profil supprimé le 23-12-2006 à 16:10:29
n°10216716
neojousous
Posté le 23-12-2006 à 15:45:40  profilanswer
 

En épistémologie, évidemment ils sont très compétents. Les grands scientifiques étaient tous des philosophes. Les grands philosophes étaient souvent des scientifiques, presque toujours dans la philosophie de la nature.
Je passe mon temps à me battre contre ce clivage trop superficiel science/philosophie. Aristote est le précurseur de beaucoup de sciences, Descartes et Malebranche étaient biologistes et physicien. Nietzsch s'intéressait énormément à la biologie. Russell était mathématicien. Einstein était spinoziste, Godël leibnitzien. Coller des étiquettes aux penseurs est réducteur de la richesse de leur vison du monde, rien qu'en m'exprimant comme je le fais, j'appauvris leur pensée. Mais je me sens un peu étouffée d'entendre constamment "ah tu étudies la physique et la philo, ça n'a rien à voir pourtant". Fait social contemporain plus qu'une nécessité intellectuelle...
 
Je ne dis pas que pour avoir une pensée philosophique intéressante il faut nécessairement connâitre la science. Je dis que l'interdisciplinarité est une richesse malheureusement oubliée qui apporte des trésors de compréhension du monde et de la vie.

n°10216794
rahsaan
Posté le 23-12-2006 à 16:04:04  profilanswer
 


 
Arrête, c'est plutôt que je découvre qu'il pense "la même chose que moi"  :lol: (pour autant que j'ai une légitimité à avoir une pensée à moi hein etc. :o )
 
>Neo : tu pourrais revenir sur ce que tu appelles l'aspect dogmatique de la science ? Tu l'opposerais à quoi ? Il se manifesterait dans quoi, cet aspect ? (dans les cours de profs en amphi ? dans des idées reçues ?...)


---------------
Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°10216832
Profil sup​primé
Posté le 23-12-2006 à 16:12:23  answer
 

neojousous a écrit :

En épistémologie, évidemment ils sont très compétents. Les grands scientifiques étaient tous des philosophes. Les grands philosophes étaient souvent des scientifiques, presque toujours dans la philosophie de la nature.
Je passe mon temps à me battre contre ce clivage trop superficiel science/philosophie. Aristote est le précurseur de beaucoup de sciences, Descartes et Malebranche étaient biologistes et physicien. Nietzsch s'intéressait énormément à la biologie. Russell était mathématicien. Einstein était spinoziste, Godël leibnitzien. Coller des étiquettes aux penseurs est réducteur de la richesse de leur vison du monde, rien qu'en m'exprimant comme je le fais, j'appauvris leur pensée. Mais je me sens un peu étouffée d'entendre constamment "ah tu étudies la physique et la philo, ça n'a rien à voir pourtant". Fait social contemporain plus qu'une nécessité intellectuelle...

 

Je ne dis pas que pour avoir une pensée philosophique intéressante il faut nécessairement connâitre la science. Je dis que l'interdisciplinarité est une richesse malheureusement oubliée qui apporte des trésors de compréhension du monde et de la vie.

 

(on met le chapeau sur le "i" pas sur le "a" :o)

 

Tu parles de non-clivage science/philosophie, mais tu nous montres des scientifiques philosophes comme si ça pouvait être une illustration :D Or, éventuellement, on peut être facteur ET plombier, sans que pour autant la livraison de carte postale soit liée à la plomberie. ;)

 

<rien à voir> Qqch me dit que nos Poincaré/Einstein à nous les boyologistes et cailloutologues, on les a eu avant les physiciens :o Et toc nananèreuh :o

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Message édité par Profil supprimé le 23-12-2006 à 16:16:35
n°10216858
neojousous
Posté le 23-12-2006 à 16:17:59  profilanswer
 

L'aspect dogmatique se manifesterait dans l'ignorance d'une partie des étudiants en science, et d'une grande partie des gens en général. Dans la présentation que donne les médias des sciences et des scientiques, les présentant comme des experts dont l'opinion vaut valeur de vérité. Ce sont bel et bien les gens les plus qualifiés pour parler de certains sujets, ce sont des experts. Mais ils ne détiennent pas la vérité, seulement des bribes et des intuitions.  
C'est en ce sens que je dis que tout "bon" scientifique est philosophe : il doit mesurer la pertinence et la limite de chaque concept qu'il utilise, chaque théorie, chaque expérience, tenter de saisir la partie psychologique qu'il a induit dans ses modèles.
Je vous conseille de lire "La théorie physique" de Duhem, qui permet de comprendre énormément de choses en épistémologie.
La science n'a rien de dogmatique, lorsqu'elle sort de la bouche des grands scientifiques qui mesurent les limites de ce qu'ils racontent. Elle devient dogmatique lorsque les non-scientifiques, la reçoive comme telle. Mais même certains scientifiques sont très mauvais : j'ai un prof de physique, qui est très compétent, mais qui manque à mon avis d'un recul philosophique assez énorme, il va peut-etre faire avancer la recherche normale, mais faut pas compter sur lui pour une révolution scientifique (je caricature un peu avec la terminologie de Kuhn, mais ça reste une approximation intéressante ...).
 

n°10216882
neojousous
Posté le 23-12-2006 à 16:22:57  profilanswer
 


 
Désolé pour la faute de frappe :p . Mon argument historique n'est pas aussi bête que tu le laisses entendre. Une corrélation n'est certes pas une preuve, mais c'est un indice de rapports causaux. J'observe seulement presque tous les jours, que les gens cités lors de mes cours de philo, sont souvent les mêmes que ceux cités dans mes cours de physique.  
J'ai bien sûr exagéré en parlant de non-clivage. Ce que je pense est plus exactement un rapport de complémentarité. Un enrichissement réciproque. Quelque chose de fructueux. Il y a bien deux domaines distincts, mais qui gagnent énormément à travailler ensembles.

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Message édité par neojousous le 23-12-2006 à 16:26:28
n°10216937
Profil sup​primé
Posté le 23-12-2006 à 16:34:08  answer
 

neojousous a écrit :

Désolé pour la faute de frappe :p . Mon argument historique n'est pas aussi bête que tu le laisses entendre. Une corrélation n'est certes pas une preuve, mais c'est un indice de rapports causaux. J'observe seulement presque tous les jours, que les gens cités lors de mes cours de philo, sont souvent les mêmes que ceux cités dans mes cours de physique.
J'ai bien sûr exagéré en parlant de non-clivage. Ce que je pense est plus exactement un rapport de complémentarité. Un enrichissement réciproque. Quelque chose de fructueux. Il y a bien deux domaines distincts, mais qui gagnent énormément à travailler ensembles.

 

Pas forcément fructueux, vu les réticences (partagées) des deux côtés. Certes un biologiste qui parle d'espèces tout le jour durant sans jamais s'être posé de questions sur la signification/pertinence/implication de ce terme, c'est agaçant. Mais un philosophe qui disserte sur la finalité en sciences ou la forme, sans jamais s'être renseigné sur l'ADN ou l'embryologie, c'est non seulement agaçant mais aussi dangereux. Suis pour les Non-Overlapping Magisteria, autrement dit : la biologie n'a pas à dire à la morale ce qu'elle doit faire, la religion n'a pas à dire à la biologie ce qu'elle doit faire, la philosophie n'a pas à dire à la biologie ce qu'elle doit faire, la biologie n'a pas à dire à la philosophie ce qu'elle doit faire. Etc.
Chacun chez soi, à vivre selon ses propres choix quitte à foutre le feu dans son salon, et ça n'empêche pas d'inviter ses voisins de temps à autre ou leur filer un peu de farine lorsqu'ils viennent sonner à ta porte :o
Faute de quoi, au lieu de cumuler les apports respectifs, on cumule surtout les limitations et incomplétudes respectives :/

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Message édité par Profil supprimé le 23-12-2006 à 16:35:31
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Posté le 23-12-2006 à 16:34:08  profilanswer
 

n°10216955
Baptiste R
Posté le 23-12-2006 à 16:39:49  profilanswer
 

Citation :

C'est en ce sens que je dis que tout "bon" scientifique est philosophe : il doit mesurer la pertinence et la limite de chaque concept qu'il utilise, chaque théorie, chaque expérience, tenter de saisir la partie psychologique qu'il a induit dans ses modèles.


Plutôt que philosophe, je dirais simplement intelligent.
 
 

Citation :


Quand je  vais à un cours de physique en amphi : le professeur nous explique par exemple un phénomène. Suivant la façon de considérer la physique du prof, il va soit rester très proche d'explications intuitives, ou alors plutôt utiliser au maximum des formalismes mathématiques. Il y là comme un aspect dogmatique de la science, car ce qu'on étudie là, est le résultat de la science en tant que recherche.
Maintenant prenons les TP (travaux pratiques) : on essaye de faire varier des paramètres, pour déterminer des relations entre des grandeurs physiques. Mais les résultats que l'on obtient ne sont rien sans l'imagination que l'on utilise pour les mettre en forme. L'aspect "recherche" des sciences permet de réaliser à quel point l'imagination, la projection des idées du physicien est importante. Ce n'est pas un mal, c'est une démarche rationnelle et visant l'objectivité, mais qui se réalise et se perfectionne par réajustements successifs.
La coupure entre science et métaphysique peut sembler nette dans le résultat de la recherche, dans l'enseignement dogmatique reçu par les étudiants. Mais ceci est une illusion liée au fait que par manque de temps, les résultats contemporains sont séparés de l'histoire des expériences, des réflexions, des aventures intellectuelles en somme, ayant permis d'aboutir à ces conclusions.


Je ne suis pas sûr de bien te comprendre : en quoi la capacité à choisir un angle d'attaque dans ses recherches, de faire des hypothèses, de prendre de la latitude par rapport aux connaissances dont on dispose, de prendre des risques, en quoi cette capacité qui est, à mon sens et encore une fois, une part de l'intelligence, serait-elle "métaphysique ?

n°10216960
neojousous
Posté le 23-12-2006 à 16:40:45  profilanswer
 


 
L'approche que tu défends, est celle que défend Nancy Cartwright dans le livre de Penrose que je lis. Tout ce que tu dis se tient. Mais si ton argumentation me parait bonne, j'ai lu des argumentations réductionnistes pertinentes également, j'avoue que pour l'instant je n'arrive pas à trancher...
Une petite question, quand tu parles de réduction, tu parles de quel type de réduction ? J'en distingue 3 :
- réduction en pratique (tout le monde s'accorde pour dire qu'elle est impossible)
- réduction en théorie (à l'aide "lois ponts" qui font le lien entre des concepts des deux domaines, on parle de réduction nagelienne du nom de Nagel)
- réduction en principe (réduction plus faible, qui n'est pas formalisable par des lois, une sorte d'intuition)
 
En tant cas ce qui transparait dans ce que tu dis, c'est que le réductionnisme (qu'il soit pertinent ou non) est l'un de ces principes métaphysique dont je défend l'idée qu'ils sont essentiels à la science, comme moteurs de progression.

n°10216984
Baptiste R
Posté le 23-12-2006 à 16:45:43  profilanswer
 

Citation :


En tant cas ce qui transparait dans ce que tu dis, c'est que le réductionnisme (qu'il soit pertinent ou non) est l'un de ces principes métaphysique dont je défend l'idée qu'ils sont essentiels à la science, comme moteurs de progression.


Ha d'accord, je comprend mieux.

n°10216987
neojousous
Posté le 23-12-2006 à 16:46:28  profilanswer
 


 
Ah mais là tu comprend à l'envers ce que je veux dire. Quand tu dis ce que j'ai souligné en gras, tu dis exactement ce que je pense. Pour qu'un philosophe puisse parler de biologie correctement, il doit d'abord s'y former. De même qu'un biologiste rencontrant un problème qui lui parait insoluble peut trouver moyen de se débloquer dans des réflexions épistémologiques qu'il devra à des lectures ou des cours de philosophie.
Ce qui est agaçant ce n'est pas qu'un philosophe vienne mettre son nez dans la biologie, c'est qu'il le fasse sans comprendre ce qu'il étudie. Pour qu'une interdisciplinarité soit fructueuse, il ne s'agit pas simplement de mêler des individus de compétences différentes, mais bel et bien des connaissances de domaines différents...

n°10216999
neojousous
Posté le 23-12-2006 à 16:48:37  profilanswer
 

Baptiste R a écrit :

Citation :


En tant cas ce qui transparait dans ce que tu dis, c'est que le réductionnisme (qu'il soit pertinent ou non) est l'un de ces principes métaphysique dont je défend l'idée qu'ils sont essentiels à la science, comme moteurs de progression.


Ha d'accord, je comprend mieux.


 
Tu peux m'expliquer un peu ton objection, je comprend pas vraiment ce qui te pose ou t'avais posé problème ?

n°10217222
rahsaan
Posté le 23-12-2006 à 17:44:10  profilanswer
 

Ce que dit Piaget, c'est que, de plus en plus, l'épistémo prend son indépendance par rapport à la philo proprement dite. C'est à dire que l'épistémo se rattache de plus en plus aux sciences, comme réflexion / interprêtation de celles-ci.  
Autrement dit, les scientifiques n'ont pas (plus ?) besoin des philosophes pour savoir ce qu'ils font, pourquoi et comment.  
Mais il est vrai que la philo (ou la "métaphysique" ) n'est pas un domaine de recherche particulier, comme les sciences.
Pourquoi rechercher une synthèse, un consensus, une zone de convergence des disciplines, un dénominateur commun ?

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Message édité par rahsaan le 23-12-2006 à 17:49:16

---------------
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n°10217327
neojousous
Posté le 23-12-2006 à 18:17:17  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

Ce que dit Piaget, c'est que, de plus en plus, l'épistémo prend son indépendance par rapport à la philo proprement dite. C'est à dire que l'épistémo se rattache de plus en plus aux sciences, comme réflexion / interprêtation de celles-ci.  
Autrement dit, les scientifiques n'ont pas (plus ?) besoin des philosophes pour savoir ce qu'ils font, pourquoi et comment.  
Mais il est vrai que la philo (ou la "métaphysique" ) n'est pas un domaine de recherche particulier, comme les sciences.
Pourquoi rechercher une synthèse, un consensus, une zone de convergence des disciplines, un dénominateur commun ?


 
Je voyais l'épistémologie comme une branche de la philosophie, une manière de faire de la philosophie. Je fais une erreur tu penses ?
Par rapport à ce que j'ai mit en gras, t'entend quoi par "disciplines". Tu veux dire la philo et les sciences, ou les différentes sciences ?
Si c'est entre la philo et les sciences, moi l'intérêt que j'y vois c'est de développer un système philosophique en harmonie avec les connaissances contemporaines.
En fait je me rend compte que quand je parle de métaphysique c'est assez ambigu. J'entend par là les principes a priori, les présupposés sur lesquels reposent les théories. Pas une science telle que la conçoit Aristote, comme une science des principes premiers.
En tout cas merci pour cette discussion intéressante. ;)

n°10217444
l'Antichri​st
Posté le 23-12-2006 à 18:51:15  profilanswer
 


 

rahsaan a écrit :

>Hotshot : je repense beaucoup au livre de Piaget, dont j'ai parlé plus haut (Sagesse et illusions de la philosophie), il me semble que c'est dans la même idée que ce début du livre de Mayr (que tu m'as donné envie de lire :) ).
Ce n'est pas un mal, à mon avis, qu'on remette Kant en cause. Lui-même posait des problèmes qui étaient suscitées par son siècle et le développement des sciences (l'enquête, puis l'expérimentation sur les êtres, la découverte des structures du vivant etc. ). Maintenant, les sciences continuent d'évoluer, donc il n'y a pas de raison d'en rester à des théories de la fin du 18e siècle.  
Comme disait Deleuze, faut-il reprendre encore et encore les questions kantiennes, dans toute leur pureté, ou bien essayer de faire ce que Kant a fait en son temps... à savoir poser de nouveaux problèmes et inventer de nouveaux concepts pour y répondre ? :)
 
Il est donc bon que sur bien des points, Kant, Bergson etc. soient "périmés", parce qu'ils n'avaient que la science de leur temps, ni plus mais ni moins...


 

neojousous a écrit :

La finalité en biologie et la finalité classique ne sont pas à mon avis si exclusive que cela. Affirmer cela reviendait à dire que la biologie n'a pas de profondes racines métaphysiques. Si en principe la biologie pourrait s'affranchir de principes métaphysiques, dans les faits ce n'est pas le cas. Comme toute science, elle n'est pas un résultat brut, mais un processus de développement réalisées par des communautés de scientifiques. Ces communautés sont consitutés d'individus dont l'activité de recherche est la manifestation de préoccupations métaphysiques. Un clivage entre finalité classique et finalité en biologie semble évident en principe, mais dans des problèmes plus concrets, en observant la pratique des scientifiques, la coupure est loin d'être nette…


 
 
 
 
 
Bon, Rahsaan et compagnie, vous critiquez Kant sur le problème du finalisme, mais ce que je lis montre à l’évidence que vous ignorez tout de sa position. Vous osez faire la critique des philosophes quant à leur prétention à aborder des questions scientifiques pour lesquelles ils n’ont a-priori aucune compétence particulière, mais c’est très exactement ce que vous faites vous-mêmes en les jugeant alors que vous n’avez qu’une connaissance très limitée de leur pensée : pathétique comme attitude, mais tellement prévisible ! Je ne m’étonne plus de votre hostilité à l’égard d’un discours philosophique aride, long et strict… Et quand je pense que notre brave Rahsaan revendique un peu plus haut le retour « aux fondamentaux » : on croit rêver ! Esclave de la pensée de Deleuze, Rahsaan est pourtant, presque, excusé, et c’est finalement HotShot qui m’étonne agréablement par sa remarque : « un certain nombre de finalités, de programmes, de "buts" d'origine purement matérielle - merci Darwin, de nécessités, sont bien à l'œuvre dans le vivant… » Pourtant, juste après : « Mais un philosophe qui disserte sur la finalité en sciences ou la forme, sans jamais s'être renseigné sur l'ADN ou l'embryologie, c'est non seulement agaçant mais aussi dangereux ». Bref, tout cela n’est toujours pas bien clair. J’entreprends donc une fois de plus de vous éclairer comme je le peux, c’est-à-dire encore et toujours avec de la philosophie « scolaire »…
 
Pour pénétrer la spécificité de l’organisme vivant, Kant le confronte à une machine – produit de l’art – afin de faire ressortir l’insuffisance de l’assimilation du vivant à un être mécanique : « Dans un tel produit de la nature toute partie, tout de même qu’elle n’existe que par toutes les autres, est aussi conçue comme existant pour les autres parties et pour le tout, c’est-à-dire en tant qu’instrument (organe); ce qui est insuffisant (en effet ce pourrait être aussi un instrument de l’art et ainsi n’être représenté comme possible qu’en tant que fin en général) ; on la conçoit donc comme un organe produisant les autres parties (et en conséquence chaque partie comme produisant les autres et réciproquement) ; aucun instrument de l’art ne peut être tel, mais seulement ceux de la nature, qui fournit toute la matière nécessaire aux instruments (même à ceux de l’art) ; ce n’est qu’alors et pour cette raison seulement qu’un tel produit, en tant qu’être organisé et s’organisant lui-même, peut être appelé une fin naturelle » (cf. Critique de la faculté de juger, éd. Vrin, II, §. 65, p. 193). Il n’y a donc que dans l’organisme vivant que l’on peut parler de finalité interne. Car seul l’organisme vivant peut se produire à partir de lui-même, être pour lui-même la cause de son organisation, s’auto-former dans son développement et se reproduire. Canguilhem, qui avait attiré l’attention sur ces textes de Kant, résumait ainsi l’enseignement de celui-ci : « Il n’y a pas de montre à faire des montres. Aucune partie ne s’y remplace d’elle-même. Aucun tout ne remplace une partie dont il est privé. La machine possède donc la force motrice, mais non l’énergie formatrice capable de se communiquer à une matière extérieure et de se propager » (cf. Machine et organisme, in Connaissance de la vie, éd. Vrin, p. 121). D’où cette conclusion de Kant : « On dit trop peu de la nature et de sa faculté dans les produits organisés quand on la nomme un analogon de l’art ; on imagine en effet alors l’artiste (un être raisonnable) en dehors d’elle. Elle s’organise plutôt elle-même et cela dans chaque espèce de ses produits organisés selon un même modèle dans l’ensemble, avec toutefois les modifications convenables, qui sont exigées par la conservation (de l’organisation) selon les circonstances. On s’approche davantage peut-être de cette qualité insondable, lorsqu’on la nomme un analogon de la vie… » (cf. ibidem).
 
Dans ces deux extraits, on peut retenir trois points remarquables :
 
1. D’un point de vue historique : ils nous permettent en effet de saisir pourquoi, après Galilée et Descartes, après la révolution mécaniste du XVIIe siècle, qui semblait devoir ruiner définitivement toute pertinence d’un principe finaliste – et par conséquent, toute perspective « naturaliste » cohérente dans l’explication « physique » du monde, le XVIIIe siècle a pu, de nouveau, privilégier un concept de nature conçu sur le mode d’une activité finalisée. C’est la considération des organismes vivants, ce sont les progrès d’une Science du vivant fondée sur la notion d’organisme, qui ont permis et imposé ce retour en force du naturalisme.
 
2. Mais Kant, en même temps, dégage un concept précis et limité de cette finalité naturelle qui permet d’éviter les débordements de ce naturalisme nouveau et le développement d’un finalisme naïf. Il nous montre en effet que cette finalité n’est pertinente que pour penser la finalité interne de l’organisme vivant mais perd toute signification opératoire au niveau d’une finalité externe. On ne saurait expliquer l’existence d’un être naturel à partir de sa « convenance » vis-à-vis d’un autre être naturel ou à partir de son « utilité » relative à une fin non naturelle (humaine, technique, etc...). Les explications à la Bernardin de Saint Pierre sur la forme des melons propres à être découpés et mangés en famille restent ce qu’elles sont : des délires imaginatifs. Autrement dit, seul le finalisme interne échappe aux dérives de l’anthropocentrisme.
 
3. Kant peut alors dégager la spécificité du concept de finalité naturelle par rapport à toute autre forme de finalité et en particulier de la finalité en art. La finalité en art reste une finalité externe, elle exige la présence, extérieurement à l’objet, d’un opérateur (rationnel). Elle dissocie le fonctionnement mécanique de l’objet (machine) du principe final de sa conception. Seul l’organisme vivant nous met en présence – sans que nous puissions en rendre compte et sans qu’il nous soit possible, de ce fait, de l’attribuer positivement à ce dernier – d’une finalité interne qui seule nous permet de le comprendre (sans prétendre pour autant l’expliquer). Kant parle donc à ce propos d’une « qualité insondable » et insiste sur le fait que « pour parler en toute rigueur l’organisation de la nature n’a rien d’analogue avec une causalité quelconque connue de nous ».
 
Ainsi, résumant les acquis de ce paragraphe 65, Kant conclut donc : « Dans la nature les êtres organisés sont ainsi les seuls qui, lorsqu’on les considère en eux-mêmes et sans rapport à d’autres choses, doivent être pensés comme possibles seulement en tant que fins de la nature et ce sont ces êtres qui produisent tout d’abord une réalité objective au concept d’une fin, qui n’est pas une fin pratique, mais une fin de la nature et qui, ce faisant, donnent à la science de la nature le fondement d’une téléologie, c’est-à-dire une manière de juger ses objets d’après un principe particulier, que l’on ne serait autrement pas du tout autorisé à introduire dans cette science (parce que l’on ne peut nullement apercevoir a priori la possibilité d’une telle forme de causalité) ».
 
Pouvons-nous alors décider du statut épistémologique et philosophique de cette notion de finalité naturelle dans la Science du vivant ? Telle est en effet la question critique qui se pose à nous. De quel droit pouvons-nous en faire usage pour une connaissance de la nature ? Quelles sont ses limites d’application ? Enfin quelle est la position de la Science contemporaine sur ces questions ?
 
Ce principe tout d’abord nous pouvons l’énoncer ainsi à travers la définition de l’organisme : « un produit organisé de la nature est celui en lequel tout est fin et réciproquement aussi moyen. Il n’est rien en ce produit qui soit inutile, sans fin, ou susceptible d’être attribué à un mécanisme naturel aveugle » (cf. Kant, Ibidem). Ce principe de finalité naturelle est donc bien, d’une certaine façon, donné comme un fait par la présence, dans la nature, d’êtres vivants, mais il ne repose pas entièrement sur des raisons empiriques. Il résulte tout autant du constat des limites d’une explication mécaniste appliquée à certains êtres naturels. Il est en quelque sorte la suite d’une prise de conscience des bornes de notre entendement dans sa capacité d’explication des êtres naturels organisés. En cela, il n’est pas simplement un concept nouveau qui viendrait compléter nos moyens d’investigations scientifiques. Disons-le nettement, il excède, de droit, la science positive de la nature. Au sens strict, il n’est de science positive que celle qui fait usage des catégories de la causalité, des principes d’explication mécanique de la connaissance expérimentale de la nature. De droit donc, il n’est de science que celle qui répond au principe de déterminisme physico-mathématique et Kant reste fidèle à la révolution galiléenne et newtonienne. Mais, de fait, et pour nous, ce principe mécanique reste impuissant pour comprendre certains phénomènes naturels. « Le droit de rechercher un simple mode d’explication mécanique de tous les produits de la nature est en soi absolument illimité ; mais le pouvoir d’y parvenir de cette manière, étant donné la nature de notre entendement, dans la mesure où il a affaire à des choses comme fins naturelles, n’est pas seulement très borné, mais aussi clairement limité : de telle sorte que, d’après un principe de la faculté de juger, par la première méthode seule on ne peut arriver à les exprimer et par conséquent le jugement de tels produits doit toujours être aussi subordonné par nous à un principe téléologique » (cf. Ibidem).
 
En un mot donc, ce principe est un principe de compréhension et d’observation des êtres organisés, une idée régulatrice et non, encore une fois, un principe déterminant, un concept. C’est, comme le dit Kant, une maxime du jugement de la finalité interne des êtres organisés. En ce sens, il se trouve « seulement dans l’idée de celui qui juge », sans pouvoir être attribué comme cause efficiente du phénomène. Ce principe laisse donc, en droit, intacte la vocation ultime de la Science de devoir tout expliquer par des causes mécaniques mais manifeste en même temps la spécificité de l’observation propre à la Science du vivant.
 
Or que disent aujourd’hui certains scientifiques sur cette question ? Ecoutons, par exemple, François Jacob, s’exprimant à la fois en praticien et en historien de la biologie dans La logique du vivant : « Après la constitution d’une physique au début du XVIIe siècle, l’étude des êtres vivants s’est trouvée placée devant une contradiction. Et depuis lors, l’opposition n’a fait que croître entre, d’un côté, l’interprétation mécaniste de l’organisme et, de l’autre, l’évidente finalité de certains phénomènes comme le développement d’un œuf en adulte ou le comportement d’un animal. » C’est ce contraste que résume ainsi Claude Bernard : « En admettant que les phénomènes vitaux se rattachent à des manifestations physico-chimiques, ce qui est vrai, la question dans son ensemble n’est pas éclaircie pour cela ; car ce n’est pas une rencontre fortuite de phénomènes physico-chimiques qui construit chaque être sur un plan et suivant un dessin fixé et prévu d’avance (...). Les phénomènes vitaux ont bien leurs conditions physico-chimiques rigoureusement déterminées ; mais en même temps, ils se subordonnent et se succèdent dans un enchaînement et suivant une loi fixée d’avance : ils se répètent éternellement, avec ordre, régularité, constance, et s’harmonisent en vue d’un résultat qui est l’accroissement et l’organisation de l’individu, animal ou végétal. Il y a comme un dessin préétabli de chaque être et de chaque organe, en sorte que si, considéré isolément, chaque phénomène de l’économie est tributaire des forces générales de la nature, pris dans ses rapports avec les autres, il révèle un lien spécial, il semble dirigé par quelque guide invisible dans la route qu’il suit et amené dans la place qu’il occupe » (cf. La logique du vivant, p. 12) A cette citation de Claude Bernard, F. Jacob ajoute : « Il n’y a pas un mot à changer à ces lignes. Pas une expression que la biologie moderne ne reprenne à son compte. Simplement, avec la description de l’hérédité comme un programme chiffré dans une séquence de radicaux chimiques, la contradiction a disparu. »
 
Toutefois, ce « simplement » demande immédiatement réflexion. Suffit-il en effet, pour s’en sortir, de s’en tenir à cette boutade de F. Jacob : « Longtemps le biologiste s’est trouvé devant la téléologie comme auprès d’une femme dont il ne peut se passer, mais en compagnie de qui il ne veut pas être vu en public. A cette liaison cachée, le concept de programme donne maintenant un statut légal ». Sans doute, cette notion de programme apporte bien un modèle emprunté aux calculatrices électroniques et « assimile le matériel génétique d’un œuf à la bande magnétique d’un ordinateur ». Et il semble donc qu’un nouvel âge d’or du mécanisme s’ouvre alors en biologie. Mais il faut voir que, dans cette notion de programme, est inscrite une métaphore finaliste évidente. Et ceci d’autant que dans un parallèle qui n’est pas sans rappeler celui de Kant entre l’organisme et la montre, F. Jacob va montrer que le programme du code génétique et celui des calculatrices sont fondamentalement différents : « D’abord par leurs propriétés. L’un se modifie à volonté, l’autre non : dans un programme magnétique, l’information s’ajoute ou s’efface en fonction des résultats obtenus ; la structure nucléique au contraire n’est pas accessible à l’expérience acquise et reste invariante à travers les générations. Les deux programmes diffèrent aussi par leur rôle et par les relations qu’ils entretiennent avec les organes d’exécution. Les instructions de la machine ne portent pas sur les structures physiques ou sur les pièces qui la composent. Celles de l’organisme, au contraire, déterminent la production de ses propres constituants, c’est-à-dire des organes chargés d’exécuter le programme. Même si l’on construisait une machine capable de se reproduire, elle ne formerait que des copies de ce qu’elle est elle-même au moment de les produire. Toute machine s’use à la longue. Peu à peu les filles deviendraient nécessairement moins parfaites que les mères. En quelques générations, le système dériverait chaque fois un peu plus vers le désordre statistique. La lignée serait vouée à la mort. Reproduire un être vivant, au contraire, ce n’est pas recopier le parent tel qu’il est au moment de la procréation. C’est créer un nouvel être » (cf. La logique du vivant, p. 17) En conclusion F. Jacob remarquera de ce fait que, si sans doute le vitalisme est mort, que si l’on n’interroge plus la « vie » dans les laboratoires, on n’en a pas fini pour autant avec la question de la finalité dans la Science des vivants : « On s’efforce seulement d’analyser des phénomènes vivants, leur structure, leur fonctionnement, leur histoire. Mais en même temps, reconnaître la finalité des phénomènes vivants, c’est dire qu’on ne peut plus faire de biologie sans se référer constamment au « projet » des organismes, au « sens » que donne leur existence même à leurs structures et leurs fonctions. On voit combien cette attitude diffère du réductionnisme qui a longtemps prévalu » (cf. La logique du Vivant, p.12).
 
Mais revenons à Kant : on voit bien ici que l’attitude « épistémologique » de Kant ne peut être mise en péril par la Science contemporaine. On pourrait même remarquer que la distinction kantienne du jugement déterminant et du jugement réfléchissant aurait permis aux propos de F. Jacob de revêtir une clarté encore plus grande.
 
Ceci posé, nous sommes renvoyés à une question philosophique plus générale : ne pourrions-nous considérer la nature elle-même comme un système de fins ?
 
Bien sûr, il s'agit de ne pas oublier que la finalité externe ne peut fournir de principe explicatif à l’existence des choses naturelles. Mais, en même temps, une fois posée la question, en quelque sorte incontournable pour la Science des organismes vivants, de la finalité, ne devons-nous pas nous interroger sur une extension possible, et légitime, de cette notion de finalité à l’ensemble de la nature ?
 
Au final peut-on passer de la téléologie naturelle à la théologie ?
 
On sait que cette question a pris ces dernières années une étrange actualité. D’autant plus étrange que celle-ci ne lui est pas venue des Sciences de la vie mais de l’astronomie. Il s’agit de ce qui est revendiqué par certains astro-physiciens sous l’appellation de « principe anthropique ». C’est, selon par exemple, Trinh Xuan Thuan, « l’idée selon laquelle l’Univers a été réglé très précisément pour l’émergence de la vie et de la conscience » (cf. La mélodie secrète).
 
L’argumentation repose sur la constatation d’un « réglage initial » des paramètres physiques au sein de l’explosion originelle qui, seul, aurait permis que se développent les conditions de possibilité d’un univers stable et cohérent et de l’apparition, en certaines de ses parties, de la vie. Réglage effectué par qui ? Par Dieu. En faveur de qui ? De l’homme.
 
On voit tout de suite, et grâce à Kant, comment il y a dans ce raisonnement une sorte de mélange, sans rigueur, de la finalité externe et interne, ou plutôt, comme le dirait Kant lui-même, glissement de la finalité naturelle à la notion d’une fin de la nature. « Juger qu’une chose, en raison de sa forme intérieure, est une fin naturelle, est tout autre chose que de considérer que l’existence de cette chose est une fin de la nature. Pour cette dernière affirmation il ne faut pas simplement le concept d’une fin possible, mais il nous faut la connaissance de la fin dernière, « Scopus » de la nature, et cette fin exige une relation de la nature à quelque chose de supra-sensible, qui dépasse de beaucoup toute notre connaissance téléologique de la nature ; en effet, la fin de l’existence de la nature elle-même doit être recherchée au-delà de la nature » (cf. Critique de la faculté de juger, Ibidem).
 
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que, en passant de la finalité naturelle à celle de la fin de la nature, nous changeons de question. Comme le remarque Deleuze : « C’est qu’une fin dernière implique l’existence de quelque chose comme fin ; mais la finalité interne dans les êtres organisés concerne seulement leur possibilité sans considérer si leur existence elle-même est une fin. La finalité interne pose uniquement la question : pourquoi certaines choses existantes ont-elles telle ou telle forme? Mais elle laisse entièrement subsister cette autre question : pour-quoi des choses de cette forme existent-elles » ? (cf. La philosophie critique de Kant, PUF, p. 97)
 
Autrement dit, tout l’argument anthropique ne tient que si l’on se donne au départ ce que l’on prétend prouver : que nous possédons la notion de la fin de la nature et que celle-ci réside en l’homme en tant qu’être naturel ultime en quelque sorte. Or Kant, avait, par avance, détruit une telle prétention. Tout d’abord, même si cet argument reste faible en lui-même, l’homme, en tant qu’être naturel, ne semble pas occuper une position privilégiée dans une nature qui exerce sur lui, comme sur n’importe quelle autre espèce, ses forces destructrices : « Si l’on prend comme principe une finalité objective dans la variété des espèces terrestres et dans leur rapport extérieur les unes aux autres, en tant qu’êtres construits de manière finale, il est conforme à la raison de penser alors dans ce rapport une certaine organisation et un système de tous les règnes de la nature d’après des causes finales. Seulement l’expérience semble ici contredire clairement la maxime de la raison et particulièrement, en ce qui concerne une fin dernière de la nature, qui est cependant nécessaire pour la possibilité d’un tel système et que nous ne pouvons situer nulle part ailleurs que dans l’homme, car par rapport à lui, en tant que représentant une des nombreuses espèces animales, la nature n’a en rien modifié ses forces destructrices aussi bien que productrices, soumettant tout, sans la moindre fin, au mécanisme de celle-ci » (cf.Ibidem)
 
Ensuite, et ceci est plus important pour la suite, l’homme, dût-il être le spectator mundi, ne saurait pour autant donner sens au monde. Etre le spectateur fortuit d’un monde vide, quoique mécaniquement réglé, ne suffit pas à donner une quelconque raison d’être à son existence propre et par suite à donner sens à la finalité du monde en son entier. Autrement dit, ce n’est pas la présence d’un témoin qui empêcherait le monde d’être « un simple désert inutile et sans but final « Mais ce n’est pas non plus par rapport à la faculté de connaître de l’homme (raison théorique) que tout le reste dans le monde prend sa valeur, comme s’il devait y avoir quelqu’un qui puisse contempler le monde. En effet, si cette contemplation du monde ne lui permettait de se représenter que des choses sans but final, le seul fait d’être connu ne saurait conférer à l’existence du monde aucune valeur ; et il faut déjà lui supposer un but final en rapport auquel la contemplation du monde elle-même prend une valeur » (cf. Ibidem).
 
Enfin, il y a dans ce principe anthropique, confusion entre ce que peut être un jugement réfléchissant et un jugement déterminant. Nous ne saurions attribuer au monde ce qui n’est après tout, et au mieux, que le principe de sa compréhension pour nous. Kant récuse donc ici, tout comme dans le Critique de la raison pure, toute idée d’une preuve physico-théologique de Dieu : une présupposition de notre jugement ne saurait constituer une preuve théorique d’existence.
 
Pour conclure, dans la Critique de la faculté de juger, Kant pose une nouvelle fois la question des limites de l’usage d’un concept. Répétons donc que la notion de finalité naturelle n’appartient pas à la Science de la nature comme principe déterminant, ni à la théologie comme son fondement. Elle appartient à la critique d’une faculté particulière de connaissance : la faculté de juger en tant qu’elle se donne simplement comme réfléchissante. Elle ne saurait donc rien nous dire sur le pourquoi ultime du monde.
 
Sommes-nous néanmoins sans réponse devant la question du but final de l’existence ? Non, mais à condition, selon Kant, que nous posions cette question à son niveau propre. « Un but final n’est qu’un concept de notre raison pratique et il ne peut être déduit d’aucune donnée de l’expérience en vue d’un jugement théorique sur la nature, et il ne peut pas non plus être rattaché à la connaissance de celle-ci » (cf. Ibidem).
 
Répondre en effet à cette question, c’est dire ce qui peut donner sens à notre existence. Or, ce sens, l’homme ne peut le trouver hors de lui-même. La nature ne peut donner à l’homme que des réponses à ses conditions d’existence non à sa raison d’être. Cette raison d’être l’homme doit se la donner à lui-même. Toute forme de finalité naturelle reste relative et en tant que telle aussi bien moyen que fin. Seule la loi morale prescrit une fin sans condition. Seule l’exigence morale met l’homme en face de l’inconditionné. Ainsi pour l’homme seul, mais en tant qu’être moral, la question du pourquoi ne se pose plus – comme une question relative – puisqu’il est l’être qui se donne librement – de façon autonome – une fin absolue.
 
Il faut donc rétablir l’ordre des questions : si l’homme s’interroge sur le sens du monde, c’est qu’il ne le trouve pas dans le monde. Mais s’il est capable de cette question sur le monde, c’est qu’il est apte, par l’action de sa liberté, de donner d’abord sens à sa vie. « Pour que l’homme dans le monde puisse se poser la question du sens et découvrir que le monde, structuré et orienté en fait, n’a pas de sens et attend le sens de lui, pour que l’homme puisse comprendre le fait qu’il pose sa question, la question des questions, il lui faut admettre, comme fait Kant, que ce monde, insensé s’il s’agit du sens absolu, possède en lui-même une structure et une orientation, bien que les deux ne deviennent sensées et orientées au sens absolu que dans et par l’homme libre » (cf. Eric Weil, Problèmes kantiens, éd. Vrin, p.92).

Message cité 1 fois
Message édité par l'Antichrist le 24-12-2006 à 14:59:01
n°10217465
rahsaan
Posté le 23-12-2006 à 18:55:58  profilanswer
 

neojousous a écrit :

Je voyais l'épistémologie comme une branche de la philosophie, une manière de faire de la philosophie. Je fais une erreur tu penses ?
Par rapport à ce que j'ai mit en gras, t'entend quoi par "disciplines". Tu veux dire la philo et les sciences, ou les différentes sciences ?
Si c'est entre la philo et les sciences, moi l'intérêt que j'y vois c'est de développer un système philosophique en harmonie avec les connaissances contemporaines (3).
En fait je me rend compte que quand je parle de métaphysique c'est assez ambigu. J'entend par là les principes a priori, les présupposés sur lesquels reposent les théories. (1) Pas une science telle que la conçoit Aristote, comme une science des principes premiers. (2)
En tout cas merci pour cette discussion intéressante. ;)


 
Je ne vois pas trop de différence entre (1) et (2), puisque tu parles de "principes" dans les deux cas.  
 
Piaget dit que l'épistémo est de moins en moins dépendante de la philo, et de plus en plus développée par les scientifiques eux-mêmes. C'est un peu le destin de toutes les branches des sciences et de la recherche d'acquérir leur autonomie.  
 
A propos de (3) : oui, de toute façon, la philo ne peut pas ignorer les progrès des sciences. Cela ne peut que stimuler la pensée. cf. par exemple le cas de Heidegger, décrivant l'être-au-monde du Dasein et son rapport à celui de l'animal, à partir des théories biologiques de Von Uexküll.


---------------
Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°10217533
rahsaan
Posté le 23-12-2006 à 19:12:00  profilanswer
 

>L'Antichrist :  J'adore ce ton prétentieux, hautain, supérieur, professoral, condescendant et paternaliste à la fois.  :lol: Merci !... merci, merci ! de nous éduquer, de daigner faire descendre votre savoir sur nous, pauvres ignorants !  :lol: Merci pour ce bel esprit, qui donne une si belle image des professeurs, et de ceux de philo en particulier !  :lol:


Message édité par rahsaan le 23-12-2006 à 19:14:18

---------------
Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°10217551
Profil sup​primé
Posté le 23-12-2006 à 19:15:19  answer
 

[:ciler] Mon D.ieu qu'ai-je fait [:ciler]

n°10217559
rahsaan
Posté le 23-12-2006 à 19:16:27  profilanswer
 


 
Tu as par erreur invoqué l'Antichrist !  :D

n°10217607
Profil sup​primé
Posté le 23-12-2006 à 19:28:20  answer
 

Especially important is the warning to avoid philosophical conversations with the Antichrist.
We may ask what is relevant but anything beyond that is dangerous. He is a liar. The Antichrist is a liar.
He will lie to confuse us. But he will also mix lies with the truth to attack us. The attack is psychological,
Damien, and powerful. So don't listen to him. Remember that - do not listen.
                                    \
http://news.bbc.co.uk/olmedia/1200000/images/_1201445_exorcist300.jpg
                                                         \                      
                                     I cast you out of this topic, you unclean spirit !
               

n°10217689
neojousous
Posté le 23-12-2006 à 19:43:48  profilanswer
 

Moi l'Antichrist, je vous avoue que je le lis presque jamais. A chaque fois je me dis "ouhla yen a pour un bon moment pour lire ça, je verrai quand j'aurai plus le temps, et au final..."
Le dernier post a l'air intéressant, je vais essayer de me faire violence pour le lire. (demain si j'ai pas trop la gueule de bois).
 
Sinon Rahsaan, la différence avec Aristote que je voulais souligner, c'est que je pensais pas à la métaphysique comme une science des principes premiers, mais comme à des principes premiers, sans la cohérence d'une science. Des termes primitifs en quelque sorte. Cela me parait vain de vouloir formuler une science des principes premier d'une science (il lui faudrait de nouveaux principes  ? les principes d'une science des principes premiers d'une science ?ouhla)

n°10217735
l'Antichri​st
Posté le 23-12-2006 à 19:52:00  profilanswer
 

neojousous a écrit :

Moi l'Antichrist, je vous avoue que je le lis presque jamais. A chaque fois je me dis "ouhla yen a pour un bon moment pour lire ça, je verrai quand j'aurai plus le temps, et au final..."
Le dernier post a l'air intéressant, je vais essayer de me faire violence pour le lire. (demain si j'ai pas trop la gueule de bois).
 
Sinon Rahsaan, la différence avec Aristote que je voulais souligner, c'est que je pensais pas à la métaphysique comme une science des principes premiers, mais comme à des principes premiers, sans la cohérence d'une science. Des termes primitifs en quelque sorte. Cela me parait vain de vouloir formuler une science des principes premier d'une science (il lui faudrait de nouveaux principes  ? les principes d'une science des principes premiers d'une science ?ouhla)


 
Vous êtes sur la voie des principes synthétiques de l'entendement tels qu'ils apparaissent chez Kant (encore lui ! Pas mal pour un philosophe "dépassé", n'est-ce pas Rahsaan ?). Mais il faut encore distinguer chez lui grundsätze et principien...

n°10217769
rahsaan
Posté le 23-12-2006 à 19:59:34  profilanswer
 

Oui mais faut-il encore des principes premiers et assurés ?... La philosophie doit-elle dicter aux sciences quels sont ses principes ?...  

n°10217779
neojousous
Posté le 23-12-2006 à 20:02:29  profilanswer
 

l'Antichrist, merci de m'avoir répondu de manière synthétique. Malheureusement je ne sais pas trop ce que vous voulez dire par là en introduisant les principes synthétiques de Kant. Vous voulez dire que ce que j'appelles premiers principes métaphysiques, et qui ne peuvent pas prendre la forme d'une science, correspondent à la faculté de raison, qui est première chez le sujet ?
Vous pourriez me donnez quelques précisions extrêmement brèves ?

n°10217797
neojousous
Posté le 23-12-2006 à 20:08:22  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

Oui mais faut-il encore des principes premiers et assurés ?... La philosophie doit-elle dicter aux sciences quels sont ses principes ?...


 
Je pense que non, que la science  s'auto-régule d'elle-même, en réajustant ses principes premiers, en fonction des fruits qu'elle donne.
Un exemple : la physique classique a toujours considérée que les processus physiques s'écoulaient dans un même temps, absolu, non relatif à quelque grandeur que ce soit. Or les prédictions s'appuyant sur ce principe (et d'autres principes bien sûr) rendaient inexplicables certains phénomènes, les principes de bases ont donc du être rééxaminés. On retrouve le même genre de chose avec la mécanique quantique, et la remise en cause de certains principes premiers, comme la localité, le déterminisme de systèmes physiques, etc...
Mais toutes ces considérations sont d'ordre épistémologique, et ont donc à faire avec la philosophie. Il ne s'agit pas de dicter à la science ce qu'elle doit faire, mais de comprendre comment elle fonctionne, et la nature de ce qu'elle nous dit.
 
EDIT : j'essayais de répondre à ta deuxième question. Pour la première c'est plus délicat. Je ne sais pas si ils sont nécessaires en principe, mais dans les faits, ils existent nécessairement dans la psychologie des chercheurs. On en revient aux paradigmes. Mais ils ne sont pas assurés, puisque l'histoire des sciences nous montre qu'ils varient de manière souvent étonnante.

Message cité 3 fois
Message édité par neojousous le 23-12-2006 à 20:13:42
n°10217801
rahsaan
Posté le 23-12-2006 à 20:09:08  profilanswer
 

neojousous a écrit :

Mais toutes ses considérations sont d'ordre épistémologique, et ont donc à faire avec la philosophie. Il ne s'agit pas de dicter à la science ce qu'elle doit faire, mais de comprendre comment elle fonctionne, et la nature de ce qu'elle nous dit.


 
En effet.  :)

n°10218142
rahsaan
Posté le 23-12-2006 à 21:17:19  profilanswer
 

neojousous a écrit :

EDIT : j'essayais de répondre à ta deuxième question. Pour la première c'est plus délicat. Je ne sais pas si ils sont nécessaires en principe, mais dans les faits, ils existent nécessairement dans la psychologie des chercheurs. On en revient aux paradigmes. Mais ils ne sont pas assurés, puisque l'histoire des sciences nous montre qu'ils varient de manière souvent étonnante.


 
Faut-il aux chercheurs des principes certains, stables, qui soient psychologiquement rassurants, ou bien qui permettent d'envisager, même dans un usage seulement régulateur, une unité possible du savoir, ou disons de l'objet étudié ?
Mais est-ce la tâche de la philosophie de fournir de tels principes premiers, assurés, principes à proprement parler "métaphysiques" (au-delà de l'ordre de la nature) ou bien disons seulement "transcendantaux" (qui concernent ce qui rend possible l'expérience en général ) ?


Message édité par rahsaan le 23-12-2006 à 21:23:04
n°10218232
neojousous
Posté le 23-12-2006 à 21:33:53  profilanswer
 

Non, comme je l'ai déjà dit, ils émergent par eux mêmes des résultats produits par les sciences basées sur ces principes premiers. La philosophie n'a pas à intervenir à ce niveau, plutôt à observer ce qui se passe pour en tirer des leçons. Une nouvelle vision du monde émerge lorsqu'on modifie ces principes, d'où l'intérêt philosophique, dans la réflexion sur d'autres sujets.

n°10218295
rahsaan
Posté le 23-12-2006 à 21:42:22  profilanswer
 

neojousous a écrit :

Non, comme je l'ai déjà dit, ils émergent par eux mêmes des résultats produits par les sciences basées sur ces principes premiers. La philosophie n'a pas à intervenir à ce niveau, plutôt à observer ce qui se passe pour en tirer des leçons. Une nouvelle vision du monde émerge lorsqu'on modifie ces principes, d'où l'intérêt philosophique, dans la réflexion sur d'autres sujets.


 
Ok. :)
Mais quelles leçons en tirer par ex. ?

n°10218677
daniel_lev​rai
Semper eadem sed aliter
Posté le 23-12-2006 à 22:53:55  profilanswer
 

neojousous a écrit :

l'Antichrist, merci de m'avoir répondu de manière synthétique. Malheureusement je ne sais pas trop ce que vous voulez dire par là en introduisant les principes synthétiques de Kant. Vous voulez dire que ce que j'appelles premiers principes métaphysiques, et qui ne peuvent pas prendre la forme d'une science, correspondent à la faculté de raison, qui est première chez le sujet ?
Vous pourriez me donnez quelques précisions extrêmement brèves ?


 
 :lol:  :lol:  :lol:  :lol:

n°10218684
daniel_lev​rai
Semper eadem sed aliter
Posté le 23-12-2006 à 22:55:29  profilanswer
 

Bon, je retire tout ce que j'ai dit sur L'antichrist... c'est le patron [:prodigy]

n°10218735
rahsaan
Posté le 23-12-2006 à 23:07:47  profilanswer
 

daniel_levrai a écrit :

Bon, je retire tout ce que j'ai dit sur L'antichrist... c'est le patron [:prodigy]


 
Qu'est-ce que tu veux dire ?

n°10218831
daniel_lev​rai
Semper eadem sed aliter
Posté le 23-12-2006 à 23:24:32  profilanswer
 

Sur ce problème de la causalité, j'aimerais faire deux remarques :

 

1) ce que vous appelez "causalité interne", n'est-ce pas ce qu'Aristote essayait de d'établir dans sa physique ? Que le mouvement des corps ne peut être compris sans en retrouver les principes ? En ce sens, la modernité rompt avec Aristote en mettant en avant le principe de causalité externe, ou encore le mécanisme.
2) N'y a-t-il pas chez Kant lorsqu'il présente dans la faculté de l'entendement une relation entre la causalité et le temps ? Dans sa fameuse table des catégories " De la relation : Causalité et dépendance" de l'analytique transcendantale? Les phénomènes étant présentés dans des relations avec le temps, ils sont permanents, succesifs ou simultanés. Principe de substance, de causalité (succession dans le temps, temps qui ne rend pas compte du pourquoi de la succesion de deux phénomènes arrive selon un certain ordre) et de réciprocité. C'eût été intéressant de l'indiquer.

Message cité 1 fois
Message édité par daniel_levrai le 24-12-2006 à 03:03:47
n°10218837
daniel_lev​rai
Semper eadem sed aliter
Posté le 23-12-2006 à 23:26:06  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

Qu'est-ce que tu veux dire ?


 
 
Il maîtrise avec une aisance presque insupportable des concepts difficiles de la philosophie, c'est un patron !
 
 
Il me fait pensée à Cuvillier qui a publié son cours de philo des années 50. Du temps où la classe de philo était réservée à une élite d'élèves, Cuvillier se balade dans les sciences pour les comparer aux grands systèmes de penseurs éminents, prouvant la supériorité de la philosophie sur les sciences positives ( sans doute inconsciemment, prisionnier de son état dans l'académisme et l'idéologie scolaire typique de l'enseignement français jusque dans les années 60, dont le meilleur produit est sans doute Jean-Paul Sartre, balayant d'un revers de manche les données de la science empirique pour lui opposer la force du cogito transcendantal).  
 

Message cité 2 fois
Message édité par daniel_levrai le 23-12-2006 à 23:33:36
n°10218862
rahsaan
Posté le 23-12-2006 à 23:32:08  profilanswer
 

daniel_levrai a écrit :

Il maîtrise avec une aisance presque insupportable des concepts difficiles de la philosophie, c'est un patron !


 
Hum... Je m'excuse de nuancer, parce que tu vas forcément te dire que je dénigre parce qu'il m'a pris de haut et que ça me fout en rogne... mais un exposé de la philo de Kant, c'est une sorte de passage obligé d'un prof de philo. L'exercice d'école par excellence.  
Je reconnais que l'AC le fait très bien, mais c'est ce qui est exigible d'un prof compétent et consciencieux. L'AC a du reste déjà proposé des textes plus personnels... Kant, c'est pas d'une folle originalité : c'est la chasse gardée des profs de philo : un système parfaitement cohérent -donc rassurant- où entrent la logique et la morale de façon très claire et précise.


Message édité par rahsaan le 24-12-2006 à 01:10:28

---------------
Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°10218877
daniel_lev​rai
Semper eadem sed aliter
Posté le 23-12-2006 à 23:34:53  profilanswer
 

Non, je pense que tu as raison. J'ai édité mon message en joignant une idée qui va dans ton sens

n°10218885
rahsaan
Posté le 23-12-2006 à 23:38:36  profilanswer
 

daniel_levrai a écrit :

Il me fait pensée à Cuvillier qui a publié son cours de philo des années 50. Du temps où la classe de philo était réservée à une élite d'élèves, Cuvillier se balade dans les sciences pour les comparer aux grands systèmes de penseurs éminents, prouvant la supériorité de la philosophie sur les sciences positives ( sans doute inconsciemment, prisionnier de son état dans l'académisme et l'idéologie scolaire typique de l'enseignement français jusque dans les années 60, dont le meilleur produit est sans doute Jean-Paul Sartre, balayant d'un revers de manche les données de la science empirique pour lui opposer la force du cogito transcendantal).


 
C'est exactement cette idéologie que Piaget attaque dans son livre. Il cherche à faire contre-poids à l'assurance dogmatique de certains professeurs de philo, qui se permettent de dicter leur conduite aux scientifiques, et de critiquer leurs résultats, sans du tout savoir comment sont établis les faits.  
Sartre figure parmi les cibles de choix de Piaget, aux côtés de nombres de phénoménologues prétendant faire de leur discipline une science d'un type supérieur. Bergson avait le mérite d'exposer ses préférences philosophiques avec plus de nuances et de politesses -sans doute, dit Piaget, parce que lui connaissait bien les sciences dont il parlait, au contraire de Sartre.  
Au bout du compte, Piaget conteste qu'il puisse exister une connaissance spécifiquement philosophique, qui serait inaccessible aux sciences.


Message édité par rahsaan le 24-12-2006 à 11:24:57
n°10220414
l'Antichri​st
Posté le 24-12-2006 à 11:45:32  profilanswer
 

neojousous a écrit :

l'Antichrist, merci de m'avoir répondu de manière synthétique. Malheureusement je ne sais pas trop ce que vous voulez dire par là en introduisant les principes synthétiques de Kant. Vous voulez dire que ce que j’appelle premiers principes métaphysiques, et qui ne peuvent pas prendre la forme d'une science, correspondent à la faculté de raison, qui est première chez le sujet ?
Vous pourriez me donnez quelques précisions extrêmement brèves ?


 

neojousous a écrit :

Je pense que non, que la science  s'auto-régule d'elle-même, en réajustant ses principes premiers, en fonction des fruits qu'elle donne.
Un exemple : la physique classique a toujours considérée que les processus physiques s'écoulaient dans un même temps, absolu, non relatif à quelque grandeur que ce soit. Or les prédictions s'appuyant sur ce principe (et d'autres principes bien sûr) rendaient inexplicables certains phénomènes, les principes de bases ont donc du être réexaminés. On retrouve le même genre de chose avec la mécanique quantique, et la remise en cause de certains principes premiers, comme la localité, le déterminisme de systèmes physiques, etc...
Mais toutes ces considérations sont d'ordre épistémologique, et ont donc à faire avec la philosophie. Il ne s'agit pas de dicter à la science ce qu'elle doit faire, mais de comprendre comment elle fonctionne, et la nature de ce qu'elle nous dit.
 
EDIT : j'essayais de répondre à ta deuxième question. Pour la première c'est plus délicat. Je ne sais pas si ils sont nécessaires en principe, mais dans les faits, ils existent nécessairement dans la psychologie des chercheurs. On en revient aux paradigmes. Mais ils ne sont pas assurés, puisque l'histoire des sciences nous montre qu'ils varient de manière souvent étonnante.


 

daniel_levrai a écrit :

Sur ce problème de la causalité, j'aimerais faire deux remarques :
 
1) ce que vous appelez "causalité interne", n'est-ce pas ce qu'Aristote essayait de d'établir dans sa physique ? Que le mouvement des corps ne peut être compris sans en retrouver les principes ? En ce sens, la modernité rompt avec Aristote en mettant en avant le principe de causalité externe, ou encore le mécanisme.  
 
2) N'y a-t-il pas chez Kant lorsqu'il présente dans la faculté de l'entendement une relation entre la causalité et le temps ? Dans sa fameuse table des catégories " De la relation : Causalité et dépendance" de l'analytique transcendantale ? Les phénomènes étant présentés dans des relations avec le temps, ils sont permanents, successifs ou simultanés. Principe de substance, de causalité (succession dans le temps, temps qui ne rend pas compte du pourquoi de la succession de deux phénomènes arrive selon un certain ordre) et de réciprocité. C'eût été intéressant de l'indiquer.


 
Bon, reprenons. La discussion a glissée de la notion de finalité à celle de principe : comment lier les deux ? Si vous acceptez de me lire jusqu’au bout, vous vous rendrez compte que la réalité du travail scientifique est un peu plus « complexe » que ce que vous en dites.
 
Tout d’abord, vous avez bien compris que poser la question du principe, c’est partir à la recherche d’une origine. C’est ce que fait Aristote dans sa Métaphysique : le principe est le point de départ d’un mouvement, il est ce qui donne son impulsion et son dynamisme à quelque chose, indépendamment d’une référence à une cause absolument première qui le précéderait ontologiquement : Dieu. La science ne retient du « principe » que sa dimension de fondement : il est la proposition nécessaire à toute affirmation future, l’énoncé sous-jacent structurant la démarche générale permettant de construire d’autres raisonnements, d’élaborer d’autres lois, d’aboutir à des résultats. Mais l’enjeu épistémologique, celui que vous soulevez dans votre discussion, concerne l’origine de cette origine, sa provenance. Origine absolue ou origine qui a elle-même une source ?
 
Dans ce problème de l’origine épistémologique concernant les conditions de possibilité de l’activité scientifique sur le fond temporel-fictionnel de la sensibilité bien vu par Kant, c’est du statut symbolique de la Loi dont il faut partir ! C’est du moins ce que la postmodernité a retenu.
 
Si le principe est guide d’action, il est alors lui-même conditionné au sein de l’activité du sujet. C’est précisément ce que nous pouvons constater dans l’œuvre de Kant, puisque l’édifice de la Critique de la raison pure présuppose son propre fondement et, en particulier, le fondement du sujet transcendantal dont elle est le cadre, dans les assertions ultérieures de la Critique de la raison pratique, qui découvrent ce qui est effectivement « premier » au niveau de la sensibilité et de la connaissance, autrement dit le Factum de la loi morale, qui est le point de départ de tout le processus véritablement originaire de la sensibilité humaine intervenant dans la connaissance scientifique ou « déterminante », c’est-à-dire précisément le point de départ du sentiment au niveau réflexif de la Raison pratique, et celui des intuitions a priori de l’espace et du temps au niveau déterminatif de la Raison théorique.
 
Ainsi, du point de vue de la sensibilité, deux pressions existentielles concurremment et originairement travaillent effectivement sur nous, la Loi et la pulsion : chacune a été caractérisée respectivement par Kant et par Freud comme étant coercition (Zwang) ; toutes deux sont ignorantes du temps et, dans leur présence effective au cœur de l’existence, elles nous renvoient sous l’égide du temps, toutefois, à notre double origine, morale et épistémologique : la première déterminant la dernière. Quoi et où que l’on cherche, de Kant à Lacan, il est impossible d’établir un fait transcendantal antérieur à la Loi, véritable ancrage en nous du symbolique et / ou du rationnel : topique archétypale destinée à maîtriser tous les sensibilia virtuels et réels. Aussi, pour nous apparaître dans la conscience en tant que le « pratique inconditionné », la Loi est-elle elle-même déjà en nous la virtualité de la Raison théorique. C’est pourquoi là où le Génie de l’art présente ses Idées esthétiques, inadéquates à de purs concepts, ce que Kant appelle la Raison, de son côté, présente ses Idées rationnelles, inadéquates à l’intuition : tout à la fois, le Symbolique de la raison pure participe aux Idées esthétiques et aux Idées rationnelles.
 
Si le problème majeur d’une philosophie transcendantale, pour Kant, ou d’une phénoménologie transcendantale, pour Husserl, est d’examiner, là les conditions de possibilité ou de validité de la connaissance du sujet transcendantal construisant le monde, ici l’origine épistémologique au sein d’une co-subjectivité transcendantale l’intuitionnant originairement, alors la solution de ce qui se présente comme le problème central d’une philosophie postmoderne, c’est-à-dire le problème de la symbolisation, doit pouvoir mettre au jour, dans une démarche régressive, un en-deçà ou un préalable imaginaire et, sinon originant, du moins à l’origine.
 
Dans sa logique des signes, Husserl avait parfaitement prouvé que la pensée symbolique contient l’énigme de l’agencement des signes à partir de représentations impropres accompagnant des concepts avec l’adjonction de représentations de suppléances. Tandis que les premières peuvent tenir lieu de concepts, les secondes donnent lieu à des concepts supérieurs et sans intuition de contenu, qu’elle soit immédiate ou définitive. Toute une architectonique de « signes de signes » (expression par laquelle Kant désignait d’ailleurs le symbole ou « l’intuition analogique »), constitue de proche en proche la pensée dans la « logique des signes » telle que Husserl l’expose. Et si, en dernière instance, l’architectonique humaine repose, il est vrai, sur un « art caché », celui de la Raison pure et / ou du Génie, véritable jeu symbolique inspirant le schématisme de l’entendement, ce dernier agit d’après sa loi propre à travers une « imagination transcendantale » productrice, et sa connaissance provient donc du concept après quelque action (présupposée) sur la sensibilité. L’unité dans la détermination de la sensibilité est donc assurée par l’imagination dans la perspective de la connaissance des phénomènes, naissant avec l’expérience. Kant, qui veut comprendre la construction, travaille alors vers l’origine. La réalité singulière qui présente l’objet dans la naissance de la connaissance peut donc être soit le schème, soit le symbole.
 
Examinons les deux cas. Du fait de « l’art caché » de la connaissance, le schème est tributaire du symbole, et le symbolique précède le schématique, car si le symbolique est nécessaire au schématique, le schématique ne l’est pas au symbolique. Il faut donc, dans le premier cas de présentation de l’objet, souligner et invoquer quelle détermination peut et doit jouer (j’insiste sur cette opération de « bascule »). Or, il ressort que la détermination a priori du temps, varie selon les schèmes différents, mais toujours dans une opération impliquant l’un des schèmes possibles selon les conditions. Quant au symbole, qui constitue le second cas de présentation de l’objet, il faut bien admettre qu’il est plus fondamental, à la fois plus proche des Idées esthétiques (sans concept) et des Idées rationnelles (sans intuition) : on voit que le rationnel peut, à travers le symbolique, s’inscrire dans le Réel pour « présenter » un objet représentant l’objet, et que le symbolique (esthétique parce qu’il est sans concept déterminé, et rationnel parce qu’il est sans intuition déterminée) peut être un mode du rationnel comme le rationnel peut être un mode du symbolique : l’ambiguïté et l’ambivalence étant ici très prononcées. Il faut évidemment rejeter le préjugé suivant lequel le symbolique est seulement pré-rationnel.
 
Donc le symbolique est loin d’exclure le rationnel puisque, au contraire, il peut s’identifier au rationnel et que, de toute manière, il le précède et le fonde dans la mesure où il lui ouvre la voie nécessaire. Le symbole est clair et net dans son essence, car il ne relève pas du temps : ni du temps comme concept, ni du temps comme intuition a priori, ni enfin du temps comme sentiment. Mais il a une emprise sur le temps qu’il jalonne et constitue dans la fiction. Le symbole avec lequel Platon présente le temps comme « une sorte d’image mobile de l’éternité » (cf. Timée, 37 d) est devenu, grâce à Kant, l’image mobile de la perfection, les deux modèles fixes et immuables auxquels s’aligne, dans les deux mobilités platonicienne et kantienne, le temps en tant qu’image. Une telle présentation opérée par le symbole d’une image (un objet) représentant activement, et nullement passivement, l’objet (éternité ou perfection) est, certes, une présentation indirecte de l’Idée, mais la médiation du symbole fait loi, car pour ne pas venir de l’expérience ni de l’intuition, elle n’en est pas moins nécessaire et fondamentale : telle est dans la Critique de la raison pure (cf. « Des Idées en général ») l’Idée de vertu chrétienne qui s’impose selon la présentation d’un nécessaire fondement devant orienter tous les « progrès » (moraux et épistémologiques), et qui est d’abord la présentation du nécessaire fondement du progrès vers la « perfection » : l’éthique chrétienne déterminant le type même de notre savoir et, par là, de la modernité. Mais, au-delà de la modernité, sans doute porte-t-elle en elle la graine de la postmodernité : sa propre négation.
 
Il va de soi qu’une idée rationnelle, par définition privée d’une intuition adéquate comme de toute expérience, soit fondamentalement privée du temps imaginaire ou de l’image du temps dont se réclame toute expérience se déroulant sur la base des intuitions a priori et sur celle, primordiale, de l’intuition a priori du temps. Or, puisque nous ne comprenons, comme l’écrit Kant, que ce « qui implique dans l’intuition quelque chose qui corresponde à nos mots » (Critique de la raison pure : « remarque sur l’amphibologie des concepts de la réflexion »), il faut bien que nous utilisions des symboles (mots ou équivalents de mots, ou plutôt de paroles) au niveau esthétique ou même au niveau des idées rationnelles, c’est-à-dire à la fois du point de vue de l’intuition et du point de vue des mots eux-mêmes ou de leurs équivalents. Ainsi, avant même d’imaginer le curseur mobile qui court sur le temps imaginaire de notre vie, il faut bien que les concepts transcendantaux de la raison, c’est-à-dire les Idées, fournissent « au fond et en secret », à l’entendement « un canon qui lui permette d’étendre et d’accorder son usage » (cf. « Des Idées transcendantales »). En effet, quant à elle, la Raison pure théorique n’a guère besoin de penser la série causale ni même la progression mathématique, c’est-à-dire ce qui pour nous relève du statut du temps imaginaire que nous ne pouvons penser directement, mais sans lequel nous ne pourrions rien penser du tout : série et progression relevant directement de la fonction de l’entendement ajusté à l’expérience sensible et à l’expérience scientifique (experientia et experimentum). Cependant, la Raison pure théorique n’en impose pas moins elle-même un temps symbolique, ainsi que firent Kant et Platon avec l’image mobile de l’éternité ou de la perfection, temps symbolique fondamental et originaire qui, en d’autres termes, s’énonce dans la faculté platonicienne de la dialectique ascendante et dans la liberté kantienne contemporaine de la Loi.
 
Seulement analogue d’un schème de la sensibilité, non adéquate ni identique, l’Idée de la Raison, dont l’usage est non constitutif mais régulateur, ne peut facilement se formuler. Aussi pour elle nous devons parfois forger de nouveaux mots et organiser des discours nouveaux sur des mots anciens et dans la brèche des discours anciens. Dès qu’on nomme une Idée, « on dit beaucoup, eu égard à l’objet (comme objet de l’entendement) mais on dit très peu eu égard au sujet (c’est-à-dire relativement à sa réalité sous des conditions empiriques) » (cf. « Des Idées transcendantales « ). En effet, on peut comprendre que le concept d’un maximum ne puisse se donner « in concreto dans une intuition adéquate » (ibid.). Or, c’est bien par de tels concepts « maximaux » que toutes les civilisations humaines ont voulu commencer, ainsi que Comte le remarque à propos des grandes questions métaphysiques ou théologiques. Concepts maximaux ou symboles essentiellement sont les intuitions inadéquates de toutes les grandes pensées symboliques des premiers temps. C’est pourquoi, de même que la Critique de la raison pure trouve son fondement, après coup, dans la Critique de la raison pratique, ce qui rend dépendante la science de la morale, de même nous pouvons aussi affirmer maintenant que ces deux Critiques, considérées du point de vue épistémologique, c’est-à-dire du point de vue de l’origine épistémologique, donnent à chercher leur fondement dans la Critique du jugement, puisque celle-ci s’attarde longuement à dépeindre le jeu libre de la poéticité sans laquelle la symbolicité ne saurait elle-même remplir le rôle d’une condition originaire : on peut dire que, dès lors, tous les éléments théoriques nécessaires sont réunis pour l’appréhension symbolique de ce que l’on peut appeler, quels que soient les lieux et les temps, un « système de pensée » se présentant à nous comme un « système de signes », au niveau anthropologique d’une philosophie fondamentale à la recherche d’une origine épistémologique.
 
Ainsi, la raison est essentiellement plastique. Pour les classiques, le problème épistémologique est chaque fois celui d’identifier des plans de nécessité : or, ces plans de nécessité varient d’Aristote à Descartes. A l’identification logique qu’effectue Aristote entre la nécessité intelligible et la nécessité sensible, succède l’identification réelle du cogito avec le monde intelligible qu’opère Descartes sans découvrir cette autre nécessité qui permettra de passer de la nécessité réelle à la nécessité logique. Spinoza va poser la nécessité du monde existant et la nécessité du monde intelligible et les identifier. La démarche d’identification demeure dans tous les cas. L’ontologie disparaît certes dans le rationalisme moderne, mais les principes régulateurs se maintiennent, réduits au minimum, tout comme les objets constitués au nombre desquels désormais on compte aussi bien la relation, les signes eux-mêmes compris comme objets d’opération sans aucun souci d’ontologie. La finalité épistémologique de Descartes était la recherche et la conquête des « explications ultimes », selon l’expression de Popper. La plasticité de la raison implique le maintien d’un conventionnalisme d’identification, en même temps qu’elle privilégie une recherche de rationalité du type plutôt « causal », c’est-à-dire opérationnel, que du type simplement « identitaire ». Le sens vient de la perspective d’un champ opératoire. Aussi, bien plus que de « raison », on parle plus justement aujourd’hui de « langage scientifique ».
 
Donc, ce qu’il faut éclaircir maintenant, plutôt que la raison, c’est la rationalité et partant le rationnel : à la fois ce qui légitime ou ce qui structure la légitimation et le légitimé. Ruinant les dichotomies traditionnelles en philosophie (par exemple : objectif / subjectif, fait / valeur), l’épistémologie contemporaine donne une nouvelle vision de la rationalité, assez large pour n’être ni déterminée par la culture ni conçue une fois pour toutes.
 
Une saisie structurelle de la rationalité permet une meilleure prise en charge des opérations théoriques et pratiques qui sont, sans conteste, l’apanage de la « rationalité » humaine plutôt que de la « raison » qui s’avère, quant à elle, bien être « dans l’histoire et façonnée par l’histoire ». Car, puisque l’observation ou la considération philosophique prétend éloigner le hasard, simple « nécessité extérieure » selon Hegel, et qu’elle cherche dans l’histoire, sinon une finalité du monde, comme le veut Hegel, du moins sa rationalité propre, comme nous pouvons le constater, il est clair aussi que « ce qui se passe », « ce qui arrive », l’ « événement » de l’histoire (le geschichtlich) à sa manière, « réalise » l’esprit, quelque idée qu’on en ait, dans les formes dans l’analyse desquelles se découvre la « rationalité ». La validité même de cette rationalité se présente elle-même avec toutes les marques normatives ou les critères d’exigence qui la font ce qu’elle est. Les problèmes épistémologiques ne précèdent pas la science, Neojousous a tout à fait raison sur ce point ! Pourquoi ces relations et non d’autres ? Cette question philosophique vient « après ». Le hasard n’est pas la réponse obligée, non plus pour ces représentations plutôt que pour d’autres. Quant aux « enchaînements » logiques, ils ne peuvent se désolidariser ni de l’experientia (ou de l’Erlebnis) ni de l’experimentum (ou de l’Erfahrung). Que serait ce que nous disons relever de la « raison », sans l’ « expérience » ? Et, face au fameux critère des « données » de l’expérience, que serait cette raison si elle devait s’en passer ? La science ne peut se déduire rationnellement selon un pur processus de raisonnement, comme Descartes a tenté de le faire jusqu’à un certain point, et comme certains logicistes contemporains auraient voulu le démontrer, sinon l’effectuer : on pense bien sûr à la tentative de Carnap dans ses Logical Foundations of Probability.
 
La « rationalité » est ce qui a permis à Descartes de prendre appui sur la garantie divine et, avant lui, à Aristote d’obtenir l’identification logique entre le monde de la nécessité intelligible et le monde de la nécessité sensible. C’est aussi ce qui a permis à Platon de discerner le logos et de l’ériger au-delà du mythos, mais c’est encore ce qui a ordonné le cosmos sur le fond de chaos : telle est l’œuvre du mythe, aussi une œuvre de rationalité. La raison mathématique et logicienne ne rend pas compte de la rationalité dans toute son envergure. Là où l’irrationnel n’est que du virtuellement rationnel, on peut dire qu’une rationalité nouvelle s’impose à nous, ou plutôt que la rationalité est encore plus large que nous ne le concevions : notre révision et notre remodelage du « modèle » de la rationalité est la tâche qui ainsi nous attend au fur et à mesure que la science (dont l’unité n’est qu’une hypothèse fictive de recherche) « progresse », c’est-à-dire se « réalise » dans l’histoire des hommes. Théorie de l’évolution, théorie de la relativité, théorie atomique, axiomatique mathématique ont, chaque fois qu’elles se sont imposées dans l’histoire des sciences, déformé et reformé notre vision de la rationalité : ce qui montre bien que ce que la raison rejette appartient encore peut-être déjà à la rationalité virtuelle ou plutôt, est dans sa vocation de l’ordre de la rationalité. Sinon, comment s’expliquerait la plasticité de la raison ? Même en fonction de l’historiel, cette plasticité explicitée ne rendrait alors plus un compte juste de ce que l’on continuerait encore à appeler « raison ». Les limites de la raison ? Ce « pouvoir » se transformant sans cesse doit avoir sa raison propre, légitimant la permanence d’une notion efficace fût-elle changeante. La novation modifie sans cesse la raison, mais valide le concept de rationalité. L’irrationnel, c’est ce qui n’entre pas en ligne de compte dans une interprétation scientifique reconnue, et qui n’est donc qu’un phénomène de limite, mais de limite infranchissable au moment où il est considéré. Quand le modèle d’intelligibilité est un modèle mécanique, alors « le principe de Carnot n’est pas, par lui-même, rationnel ». Et Meyerson montre que ce principe ne sera reconnu comme rationnel que s’il peut être adapté au mécanisme. Or, le mécanisme n’est pas un archétype, il relève de l’histoire des sciences.
 
Critère formel de la raison et critère objectif de l’expérience se croisent et se concentrent dans les problèmes de méthode. Ceux-ci sont dominés par ce qu’on pense clarifier et distinguer par les deux termes d’ « expérience » et de « raison ». Mais, en fait, l’ « expérience » dépend fondamentalement de la « raison » qui la constitue et la définit très précisément. Et la « raison » elle-même ne va pas « de soi », elle dépend fondamentalement elle-même de la structure d'ensemble que nous nommons « rationalité », cadre structurel logico-expérimental dont les tenants et les aboutissants réagissent l’un sur l’autre. Il se dégage toujours une rationalité quand les systèmes de signes sont suffisamment décrits et définis dans leur articulation la plus fine. Sinon, il serait impossible qu’une même relation appartienne à la fois à l’ordre de la « raison » et à l’ordre de l'« expérience ». Or, c’est bien ce qui doit se produire pour qu’il y ait « connaissance » et même « connaissance scientifique ».
 
C’est d’ailleurs pourquoi les philosophes ont apporté leurs théories de la connaissance comme terrain de cette entente entre la « raison » et l’ « expérience ». Le monisme réduit l’un des deux termes de la dualité à l’autre ; soit, dans la perspective d’un rationalisme intégral, qu’on affirme d’un point de vue réaliste que la structure vraie de l’objet est réalisée dans le monde et que la connaissance est son reflet dans la conscience humaine, ou encore qu’on affirme d’un point de vue idéaliste que les représentations ne sont qu’ajoutées à l’objet de la représentation et que les relations entre les représentations ne sont que des comparaisons et des classifications de représentations. Au lieu du monisme d’autres ont proposé le dualisme : deux termes séparés sont posés comme deux altérités absolues, ou deux substances hétérogènes, par ex. : absolument différent de la pensée et la pensée : il faut noter à ce propos que la distinction que fait Descartes entre la pensée et l’étendue ne recoupe pas la distinction à laquelle nous faisons allusion entre la raison et l’expérience, car pour Descartes la pensée est aussi volonté et l’étendue n’est pas objet d’expérience mais objet d’intuition, d’une intuition intellectuelle de même nature que le cogito. La séparation ontologique rend, de plus, impossible la justification d’une relation entre les termes. L’opération déductive de la raison a pour base l’intuition des natures simples : la seule garantie d’objectivité étant la véracité divine. Aussi n’y a-t-il pas d’irrationnel pour Descartes dans l’étendue. De toute façon, tout recours à l’expérience et à l’induction est inutile puisque l’intuition intellectuelle donne la réalité objective à partir de laquelle la seule opération possible est de déduire, la mathématique se révélant être une physique et inversement, ainsi que le montrent les Principes. Les choses ne sont connues que par la médiation de la substance étendue : d’elles, « il ne reste », écrit Michel Serres, « qu’un monde vide et lacunaire et, par là, distinct et clair, de points, de plans, de sphères et de tourbillons : il ne reste qu’un monde support de conditions théoriques intégralement assumées par le sujet pensant ». En fait, le dualisme rejoint le rationalisme intégral, même le monisme. Descartes se meut dans la sphère de l’a priori : de la structure rationnelle du monde et donc d’un a priori de la science. La position inverse devient possible avec Meyerson qui cherche également la structure a priori de la raison, mais en partant, comme Auguste Comte, de l’a posteriori des sciences dans leur développement historique, d’où le titre de son ouvrage capital : Identité et réalité, et dans lequel il avance ce qu’il dit être le résultat de son enquête historique : d’une part, la définition de la rationalité comme identité ou tendance à identifier : d’autre part, la définition de l’expérience, ou de la réalité comme essentiellement irrationnelle. En somme, la connaissance devient une tentative presque impossible dans son achèvement, celle de réduire l’irréductible, de rationaliser l’irrationnel, et qui ne réussit qu’à la condition de convenir d’un compromis dont le sort est d’être sans cesse remis en question, sinon en échec, par la reconsidération de la réalité sans cesse reconstruite au cours de l’expérience scientifique. Ayant tenté de « parvenir a posteriori à connaître les principes aprioriques qui dirigent notre pensée dans son effort vers la réalité », Emile Meyerson réduit, quant à lui, ces « principes » de la raison, y compris le principe de causalité, à « l’affirmation précise de l’identité dans le temps (et, par extension, dans l’espace) ».


Message édité par l'Antichrist le 24-12-2006 à 13:55:31
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la chine lance son premier homme dans l'espacePhilo : Que vaut une preuve contre un préjugé ?? quelques idées ???
[Philo] Corrigés du bac 
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