l'Antichrist | daniel_levrai a écrit :
Ok pour axiologie, ce n'est qu'une question de terminologie, je suis d'accord avec vous sur le fond, donc pas de problème. edit : Je vais dans le même sens, je fonde en effet ces affirmations ( lestement expédiées, il faudrait l'apparât critique approprié, mais je ne veux pas me tracasser avec ça) sur le livre de Deleuze "Nietzsche et la philosophie". Nietzsche a toujours été nuancée en ce qui concerne les forces réactives. Parlant de la morale chrétienne, même après l'avoir critiquée de manière très acerbe, Nietzsche s'étonne avec un certain émerveillement de voir à quel point les forces réactives ont contaminé la vie. A côté de la critique de la morale chrétienne, allant avec un élan de consternation, il y a toujours un pendant d'étonnement qui nuance les choses. Pour l'Eternel Retour, vous dites qu'il s'agit d'accepter le monde tel qu'il est. C'est vrai, mais c'est un peu plus que ça. De même que la mort de Dieu prend chez Nietzsche une dizaine de variantes, l'Eternel Retour sera une pensée qui prendra tel ou tel sens selon le point de vue avec lequel on l'approche. L'amor fati, c'est somme toute quelque chose de très simple. Pas la peine de délirer sur l'éternel recommencement des choses pour accepter le monde tel qu'il est. Si en effet l'Eternel Retour accepte toutes les contradictions, que de son point de vue il n'y a pas de valorisation de la qualité de la volonté de puissance, il est certain que pour Nietzsche la volonté affirmative et les forces actives sont privilégiées. L'Eternel Retour est aussi une pensée qui transforme et agit comme une expérience limite sur celui qui subit son Stimmung ( à comprendre comme Haute tonalité de l'âme, tel que le définit Klossowski ). Quand je disais qu'il s'agissait d'une axiologie différentiel et génétique, je voulais bien préciser qu'il y avait un saut, une volonté de penser la morale et les valeurs du dehors. Les valeurs supérieures seront évaluées, et cette évaluation doit être rapporter à son élément génétique, le vil, le noble, le bas, l'esclave, le grégaire, etc... . Génétique ne doit pas être compris comme étude diachronique des éléments, mais comme genèse des valeurs en rapport avec leur création. Alors, seulement, l'interpète généalogiste pourra dire quel est le type de la force qu'il étudie. Pourquoi donc est-ce une avancée d'un point de vue philosophique ? Car cela permet de ne pas tomber sur les écueils que sont l'étude de la morale par l'utilité ou l'habitude ( c'est bien par cette critique que la généalogie de la morale commence) ou par un idéalisme mettant en avant l'a priori ou la pensée ( qui, selon Nietzsche, se fonde sur l'erreur d'un cogito cause de la pensée ). Donc, relax avec le terme axiologie, je voulais dire 'étude des valeurs" par ce mot, j'espère que vous n'allez pas vous enrager parce que cela ne correspond pas à la définition du Lalande.
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Bon, de retour enfin, je reprends le fil et constate que votre prestation est toujours aussi peu convaincante (pauvre et confuse) ! Tout dabord, concernant le christianisme, je dois vous rappeler que la critique de Nietzsche se veut radicale, au sens où celui-ci ne se propose pas de simplement proclamer la "mort de Dieu". Le cri "Dieu est mort !", avec les "variantes" dont vous parlez, nest pas du fait de Nietzsche mais constitue la matière même de son effort de déchiffrement généalogique, le résultat de son long travail dinterprétation et de réinterprétation. Ainsi, comparer la "mort de Dieu" à la pensée de léternel retour est pour le coup un véritable anachronisme (vous avez manifestement toutes les peines du monde à "vivre" la pensée de Nietzsche, à dépasser le stade théorique de la discussion pour vous engager "physiquement" dans la pensée de léternel retour... laquelle inclut pourtant sa propre affirmation).
Nietzsche sait trop bien, en effet, ce qui se cache derrière un tel "meurtre" : fondamentalement, nous avons toujours affaire à un athéisme de type théologique. Celui-ci maintient la croyance au sein de la masse grouillante (en particulier des "derniers hommes" issus de lévolution de la politique au XXième siècle) bien après la perte des fondements. Car lesprit nest pas capable den tirer immédiatement toutes les conséquences. Il reste encore longtemps dépendant des anciennes pensées (avec les questions sans cesse renaissantes concernant les preuves de lexistence de Dieu, la foi dans le progrès et lidéal dune égalité démocratique et socialiste, la haine de la nature, etc...), il continue à régler son intelligence du monde sur les anciens processus symboliques, sur les vieux paysages métaphorique dont Nietzsche nous dit quils sont assimilables aux procédés de lart et fonctionnent, dans la rhétorique, comme le moyen le plus sûr de réceptivité dune impression ou dune émotion et en permettent ainsi lexpression et la communication entre les hommes (dans le passage du texte de 1873, "Sur la vérité et le mensonge au sens extra-moral", Nietzsche présente la vérité comme une "multitude mouvante de métaphores, de métonymies, danthropomorphismes, bref, une somme de relations humaines qui ont été poétiquement et rhétoriquement haussées, transposées, ornées, et qui, après un long usage, semblent à un peuple fermes, canoniales et contraignantes : les vérités sont des illusions dont on a oublié quelles le sont, des métaphores qui ont été usées et qui ont perdu leur force sensible, des pièces de monnaie qui ont perdu leur empreinte et qui entrent dès lors en considération, non plus comme pièces de monnaie, mais comme métal" ). Lathée fait abstraction du devenir auquel pourtant rien néchappe, continue de bâtir de léternel, y compris "positiviste", cest-à-dire scientifique et "humaniste", dans un monde religieux fondé sur la non-historicité de Dieu, bref vit avec "un" dieu comme si "la nouvelle de la mort de Dieu ne lui était pas encore parvenue". Nest-ce pas dailleurs le propre du métaphysicien que de présupposer toujours, au-delà de la multiplicité des forces agissantes dans le monde, à la fois psychique et physique, de la volonté de puissance, une Unité primordiale qui en serait comme le principe directeur universel (a contrario, la généalogie critique de Nietzsche repose sur une physique de la puissance ou de la valeur sociale et cest ce qui lui permet "dévaluer" les rapports sociaux entre les maîtres et les esclaves comme des rapports de puissances : la valeur désigne un "certain état et degré de puissance" ) ?
Cest bien ce reproche que nous pouvons adresser à la philosophie de lhistoire dAuguste Comte, puisque lhistoire nest chez lui quun mouvement métaphysique continu de fétichisation, un passage du fétichisme de la religion des peuples au fétichisme de la religion de lHumanité, incarnée dans la personne du grand homme dont, au premier chef, le philosophe. Pour détailler un petit peu, on peut dire que Comte reprend Condorcet : le développement de lespèce nest que la résultante des développements individuels qui senchaînent dune génération à lautre. Lhumanité a la dignité dun être un et indivisible. Les hommes sont semblables. Lhomme pour lhomme nest jamais un autre : ce refus absolu de laltérité signifie que les différences ne sont pas dans lespace entre nous, mais dans le temps en nous. Lhistoire est continuité et non pas rupture. Pas de tribalisation culturaliste. Pas didéologie de la différence, conséquence de lempirisme ethnologique. Ainsi, Comte critique le colonialisme. On a converti des populations fétichistes dans la crise idéologique et politique alors quelles pouvaient passer directement à létat positif. Comte refuse la colonisation, non pour renforcer la séparation des populations et des territoires, mais pour une fusion des populations. Aucune des trois races nest détentrice de la pleine humanité : chacune a une qualité. Lactivité asiatique, le coeur africain, lintelligence abstraite européenne. Lhumanité ne peut se réaliser que par le métissage. Le refus du racisme nest pas fondé sur le respect de lautre, dans la distance, mais au contraire dans la fusion effective. Bref, il faut voir lhumanité comme un seul peuple. Nos vrais ancêtres sont les grandes individualités qui ont laissé un héritage que nous devons commémorer. La religion de lhumanité se ramène donc pour lessentiel au culte des grands hommes qui doit nous rappeler ce que nous sommes.
Pour revenir à Nietzsche, un tel athéisme est un drame pour la bonne santé de lesprit : séparé de son "quantum dénergie" quest la valeur (cf. Généalogie de la morale, première dissertation, §. XIII. Avec Nietzsche, le modèle énergétique de la thermodynamique est la référence à laquelle il faut rapporter "lessence" de la valeur, sur les traces des matérialistes : pas de force sans matière et pas de matière sans force ; la matière est en mouvement et la catégorie de la force est ce à quoi tout se ramène : le cosmos, la vie, lhomme
), cest-à-dire de la force opérante qui, matériellement quantitative, sest incorporée en lui sous la forme dun langage qui pèse et agit dans le milieu social où sorganise tous les échanges, lathée "oublie" la place que Dieu tient dans limaginaire des civilisations (cet "imaginaire" est posé par Nietzsche, fondamentalement, comme la modalité daction des "esclaves" : comme vengeance - active - sublimée - réactive -, cest-à-dire comme expression du renversement de la vengeance dans le ressentiment, comme vengeance intellectualisée, la morale des esclaves est créatrice des valeurs "spirituelles" qui consacre leur grande victoire). Cet oubli intervient sur le plan théorique - en structurant la représentation du cosmos en un tout finalisé, lonto-théologie philosophique permet de donner un sens à des manifestations humaines fondées sur des valeurs éternelles - mais aussi pratique - à travers les rites et les superstitions, la croyance en Dieu permet dassurer lordre social et politique.
Mais chez les défenseurs de la culture "historique", le constat reste malheureusement le même : dresser le constat historique de la fin de la religion, cest-à-dire de linutilité de la foi en Dieu dans le nouveau monde de la connaissance scientifique, cest-à-dire dune "objectivité" respectueuse des faits (comme si lesprit pouvait être le pur miroir de la réalité), cest substituer au culte de Dieu et à la vénération pour son représentant quest le prêtre, un nouveau culte, celui de lHistoire elle-même dont le progrès implacable, qui sincarne de fait dans la problématique de la décadence du christianisme posée par le philosophe, dans sa volonté de proposer des solutions à la maladie (sans voir que sa critique est issue du même processus de décadence, de la même évolution, de la même histoire de la volonté de puissance), a placé lhomme au sommet de son évolution, comme la fin ultime de son mouvement, lequel sachève alors dans un "humanisme" qui ne critique lidée de Dieu que pour affirmer la divinité de lhumain. Affirmer, sans aucune précaution, que "les forces réactives ont contaminé la vie", que "la volonté affirmative et les forces actives sont privilégiées", que "l'Eternel Retour est aussi une pensée qui transforme et agit", etc..., cest subir la même illusion dune finalité à loeuvre dans lhistoire...
Prenons, par exemple, le cas de Feuerbach. Son point de départ est, en effet, que Dieu nexiste pas. Dieu nest pas autre chose que la conscience de soi de lhomme. Chaque individu est travaillé par une contradiction. Lindividu est limité et lespèce a la potentialité dun développement indéfini. Cette contradiction, cest laliénation de la conscience. Lhomme ne se reconnaît pas dans lêtre quil a créé (rapport avec laliénation mentale : lhomme est lui-même lauteur du délire et il le vit comme si cétait un ennemi étranger. Il perçoit ses idées mais il est dans une forme de conscience prisonnière de soi). Lhomme projette en Dieu les potentialités de lespèce et lindividu ne se reconnaît pas dans cette projection. Et donc en Dieu, lhomme sadore lui-même sans le savoir. Il vit la scission de lhomme davec sa propre essence : "La religion est la scission de lhomme davec lui-même : il pose en face de lui Dieu comme être opposé à lui. Dieu nest pas ce quest lhomme, lhomme nest pas ce quest Dieu. Dieu est lêtre infini, lhomme est lêtre fini ; Dieu est parfait, lhomme imparfait ; Dieu éternel, lhomme temporel ; Dieu tout-puissant, lhomme impuissant ; Dieu saint, lhomme pêcheur. Dieu et lhomme sont des extrêmes. Dieu est absolument positif, la somme de toutes les réalités, lhomme est absolument négatif, la somme de toutes les nullités." (cf. Feuerbach, Lessence du christianisme, Livre I, chapitre 1). Lhomme est limité et a le sentiment de sa limite : il rêve alors dun être parfait qui a tout ce qui lui manque. Cest Dieu. Et le Dieu du christianisme ? Cest une somme de perfections vue comme un individu. Le christianisme a divinisé lindividu humain et la érigé en absolu. Il a même fait plus : il a imaginé le médiateur à savoir le Christ (lhomme-Dieu). Le Christ nest donc pas le Dieu caché (deus absconditus) mais le Dieu connu personnellement. Le problème est donc le suivant : la religion est une illusion, et donc elle nuit à la conscience. La religion se donne comme amour mais persécute au nom de lamour (lamour de Dieu) ceux qui ne croient pas. Ceux qui ont la foi peuvent tuer au nom de Dieu ceux qui ne croient pas. On voit souvent lathéisme comme la négation de tous les principes moraux ("Si Dieu nexiste pas, tout est permis" ) mais cela est une erreur puisque la théologie peut autoriser les événements les plus immoraux (les persécutions, le 11 septembre 2001). On na donc plus besoin de Dieu : lhomme dans la religion saime lui-même sans le savoir. Il suffit den avoir conscience pour aimer les autres hommes. Homo homini deus. Pour trouver un équivalent réel à Dieu, Feuerbach décrit lEtat : "LEtat est la somme de toutes les réalités, lEtat est la providence de lhomme." Ainsi lEtat est-il le Dieu des hommes (cf. Nécessité dune réforme de la philosophie, in Manifestes Philosophiques).
Le but de Nietzsche est donc de procéder à une critique généalogique des rapports de force, multiples et complexes, qui sans cesse agissent et réagissent dans le monde, à la fois psychique et physique, de la volonté de puissance et produisent un langage, et les valeurs qui lui sont attaché (relire mon premier post...), dans le monde essentiellement décadent de la vie humaine sociale et morale. Pour comprendre lantichristianisme de Nietzsche, il faut donc relier lillusion métaphysique sur laquelle repose notre civilisation judéo-chrétienne, cette absence de sens, qui est radicalement inscrite en nous et recouverte au point de nous faire vouloir le rien ("lobjet" de croyance) plutôt que de ne rien vouloir (cf. Généalogie de la morale, troisième dissertation, XXVIII), et dont le nom est "nihilisme", à lhistoire globale, à lévolution permanente de la volonté de puissance, à ses métamorphoses multiples (pourtant sans alternance dialectique entre victoire et défaite, à la manière de Hegel), depuis son auto-négation dans le type du prêtre, jusquà son affirmation la plus haute et la plus libre dans le type du surhomme. Mais, contrairement à ce que vous pensez, il faut préciser que la figure du surhomme nest pas séparable dun "pessimisme de la force" : jusquà présent, le hasard du jeu biologique a permis aux émergences anormales de contrecarrer la puissance uniformisante, laissant ainsi un jeu dominé par la sélection des plus faibles prendre limprobable figure dune évolution ascendante. Mais, nulle providence ne conduisant le bal, rien ne garantit la durée du jeu : en lhomme, dernier stade de lévolution, se dessine la possibilité de la fin du jeu, la probabilité dun arrêt de lévolution, le triomphe de la règle sur lexception. Ce qui signifie que si la volonté consciente, qui appartient désormais au Soi de lhomme évolué, ne recueille pas des profondeurs du corps une puissance quelle traduira dans le langage illusoire du dépassement maîtrisé, cen sera fait à jamais de lexception humaine, cen sera fini dune aventure qui a marginalisé lhomme à la lisière du monde uniformément réglé de la biosphère. Le jeu de la vie, ascendant jusquà lhomme, pourrait bien être à somme nulle si lespèce humaine venait à se figer dans la figure du dernier homme. Le sens de la vie nest rien dautre que la vie du sens, la force de signifier un chemin que la mort de Dieu, y compris sous la modalité de ses dernières ombres, a transformé en une probable impasse. Cest pourquoi, à loptimisme darwinien, soppose le "pessimisme dionysien" dont loracle Nietzsche pressent quil sera lune des caractéristiques des temps futurs, lapanage dune époque où les amoureux de la vie garderont sans cesse présent à lesprit la possibilité de léchec, léventualité dune sclérose finale réduisant une histoire biologique de plusieurs milliards dannées à une gigantesque farce dont nul ne pourrait se réjouir. Cest pourquoi encore, loin de représenter une quelconque fin de lévolution, qui ne serait rien dautre quun nouvel effet des forces duniformisation, rien dautre quune dernière et subtile victoire de linstinct dimmobilisation qui a partout été la règle, le Surhomme est une simple direction, la visée indéterminée et indéterminable dune continuation du jeu voulue par lhomme au moment même où le jeu menace de simmobiliser définitivement. |