l'Antichrist | daniel_levrai a écrit :
"car ce qui arrive à un homme par dautres hommes et par lui-même ne saurait être quhumain"
"la responsabilité du pour-soi est accablante, puisquil est celui par qui il se fait quil y ait un monde"
C'est pourtant clair non ?
le "pour soi" ( quelle abomination ce terme) c'est le fait pour l'homme de créer le monde en lui donnant un sens par sa conscience (en gros, et même si c'est "plus compliqué que ça" c'est ce que sartre voulait dire). Ok, c'est facile. Dés lors, il est responsable de ce monde puisqu'il le crée. OK. Pourquoi responsable pour les autres hommes . Car l'humanité entière se retrouve dans chaque homme, et en tant qu'homme je dois la considérer comme mienne. Ok, tu veux sans doute qu'on t'explique avec des termes compliqués le lien entre "moi" et "l'humanité" parce que tu n'es pas satisfait. Eh bien on va le faire.
"L'existentialiste déclare volontiers que l'homme est angoisse. Cela signifie ceci : l'homme qui s'engage et qui se rend compte qu'il est non seulement celui qu'il choisit d'être, mais encore un législateur choisissant en même temps que soi l'humanité entière, ne saurait échapper au sentiment de sa totale et profonde responsabilité. " (c'est moi qui souligne)
"Ainsi l'homme qui s'atteint directement par le cogito découvre aussi tous les autres et il les découvre comme la condition de son existence [...] Ainsi découvrons-nous tout de suite un monde que nous appellerons l'intersubjectivité et c'est dans ce monde que l'homme décide ce qu'il est et ce que sont les autres." (c'est toujours moi qui souligne)
Sartre essaye de trouver un fondement théorétique qui pourrait expliquer a priori et de manière apodictique que dans la singularité humaine se retrouve l'universalité et par voie de conséquence l'humanité entière. Sartre pense y arriver en dégageant le concept d'intersubjectivité. Ce concept se décrit de deux manières : la plus simple : a) regardant regardé éprouve de la honte au jugement de l'autre tout comme celui ci en éprouve, c'est l'expérience de l'intersubjectivé, l'autre nest pas pur objet mais sujet); la plus difficile: b) l'en soi est devenu pour soi dés lors que ma conscience l'a pris comme élément de pensée. Je lui donne sens et par celà même devient créateur. Mon corps est un en soi qui devient pour soi à partir du moment où j'en prends conscience, je crée désormais celui que je suis. OK, le lien avec l'autre ? Je crée mais cela ne suffit pas. De même que la nature ne connait pas le bien et le mal, que pour elle seule règne la loi de la jungle, "la physis" comme dirait les Grecs, et que l'homme crée les règles (le nomos), je suis legislateur en disant que dans ma singularité d'être humain je reconnais ma valeur d'humanité. Je le sais parce que je ressens de l'angoisse quand je suis avec les autres. S'ils n'étaient que des "objets", des "en soi", je ne ressentirais rien, je les manipulerais comme des pions sur un échiquier. Je me sens responsable.
Le fait de créer des valeurs est un acte de la conscience. Pour terminer, il faudrait revoir la démonstration ontologique de la conscience qu'on retrouve au début de l'Etre et le Néant et que je n'ai pas envie de relire.
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Mouais
Tout ceci nest pas très convaincant et néclaire en rien, ni la pensée de Sartre, ni surtout ses limites qui sont les véritables causes de cette inscription (de cette confusion devrais-je dire) de lhumanité entière dans lépreuve de mon être-pour-autrui. Je constate à mon grand regret que cest toujours la même chose ici : à force de vouloir simplifier létude pour prétendument rendre le propos accessible aux néophytes (et accessoirement éviter lennui dune réflexion philosophique nécessairement "technique" ), on finit par rendre lexplication obscure car inévitablement imprécise, confuse, voire très éloignée de la pensée exacte de lauteur, parfois même purement et simplement en contradiction avec elle. Ce qui semble effectivement être votre cas... Linterprétation de linterlocutrice de lampedusa paraît bien plus juste, même si je me fais peut-être ici "lavocat du diable" (dans lignorance où je me trouve du détail de largumentation de la dite demoiselle...) !
LEthique de la responsabilité sartrienne repose sur une "révélation" de lexistence dautrui sous la forme dune dimension éprouvée de la conscience. Lexistence de lautre se découvre comme structure immanente de ma conscience (dans lexpérience de la honte effectivement). Dèslors on ne peut affirmer que "Sartre essaye de trouver un fondement théorétique qui pourrait expliquer a priori et de manière apodictique..." Vous oubliez un peu vite que la philosophie de Sartre est une expérience phénoménologique qui reste sans doute sur le fond un idéalisme mais dont lenjeu est clairement déchapper au piège du dogmatisme métaphysique. Mais comment pourrait-il en être autrement ? Puisqu'autrui est un sujet qui, comme tel, ne peut jamais m'apparaître tel qu'il est présent à lui-même, c'est seulement en tant que sujet, c'est-à-dire comme regard sur moi, que je vis ma relation avec lui : l'autre conscience qui surgit comme regard n'est que l'épreuve de mon être pour autrui. En ce sens, le regard n'est nullement un événement empirique, mais désigne la modalité même du surgissement d'autrui comme sujet. Dans le regard, je m'échappe sans cesse à moi-même vers autrui, je me révèle à moi-même comme ce que je suis pour autrui, cest-à-dire comme ce que je ne suis pas, séparé de "moi" par lindétermination portée par le regard d'autrui, par toute létendue de sa liberté. Bref, je ne suis pas ce que je suis (ma conscience n'a pas de dedans, elle est le pur pouvoir de néantiser les données et les faits, elle est par principe au-delà de ce qui se donne à elle, elle est un "pour-soi" transcendant toute détermination, et pourtant le regard d'autrui, le moi qui surgit du fait de sa présence, n'est pas un rien, il qualifie mon être, il ne fait pas de moi une chose, un "être-en-soi", puisqu'il est le mouvement même de la conscience, qui l'a définit comme telle, par lequel celle-ci se sait), et en même temps je suis ce que je ne suis pas (je suis un moi-objet, cest-à-dire lépreuve intime de la honte de soi devant autrui, mais jen suis pourtant séparé par le gouffre infranchissable quinstaure la subjectivité dautrui, séparation qui ouvre à toutes les possibilités, depuis lacceptation de ma liberté foncière, qui fonde toute la réalité humaine sans être elle-même fondée sur rien, jusquà son refus dans la mauvaise foi, cest-à-dire dans lexigence davoir foi en soi-même objectivé en ceci ou en cela afin de justifier intégralement mon existence, de lui donner un sens définitif). Ainsi, cette autre conscience, dans son altérité essentielle, n'est pas extérieure à la conscience : le regard est fondamentalement l'expérience du pour-autrui. La conscience n'est jamais confrontée à l'autre lui-même, mais toujours à elle-même ! Loin daccéder à laltérité constitutive dautrui, dun autrui rencontré ici et maintenant, Sartre reste dépendant dune philosophie du Même où lautre en tant quautre disparaît dans lépreuve intime de mon être-regardé (il en est la face cachée). Lomni-présence des autres est vécue sur le plan dune relation originaire où autrui napparaît nulle part. La philosophie de Sartre nest donc pas du tout une philosophie de lintersubjectivité, comme vous laffirmez avec autorité, mais reste fondamentalement une philosophie de la subjectivité où prime le point de vue de la conscience simplement ouverte à la transcendance dun monde avec autrui, dont le regard me hante, à la fois présent et insaisissable, un monde qui est le mien tout en étant mon monde pour l'autre, bref, un monde où se révèle mon appartenance à une humanité.
Mais comment fonder une véritable philosophie de la responsabilité en conservant la perspective intuitionniste de lintentionnalité ? En définissant le sujet comme pure conscience, Sartre ne peut échapper au dualisme du sujet et de lobjet, et son Ethique, si elle fait reposer la responsabilité sur la liberté (sur le choix, sur le pouvoir de la volonté), revient à la connaissance dune règle a-priori (autrui comme exemplification de la loi morale, à la manière de Kant), ce qui est une manière de nier laltérité irréductible dautrui, c'est-à-dire de se lapproprier, de se déterminer à son propos en dehors de toute rencontre effective !
Disons-le autrement. Face à langoisse de me retrouver seul avec ma liberté fondatrice elle-même fondée sur rien, cest-à-dire de devoir assumer mon inconsistance essentielle (nul espoir de coïncider avec soi-même comme une chose : exister, cest fuir en avant vers le possible et lavenir), de devoir accepter labsence de justification transcendante (la liberté sauto-détermine, non selon des valeurs pré-existantes ou des raisons objectives, mais daprès sa propre logique nécessairement subjective) et mon objectivation ou aliénation par le jugement dautrui (sous le regard dautrui nous jouons à être et le reconnaître est sans doute la première marque dauthenticité), il ne reste que la figure immanente de mon être-regardé dont lobjectivité rend impossible lapparition dautrui comme sujet. En conservant le présupposé dune subjectivité pure, Sartre fonde la pratique de léthique sur la connaissance, cest-à-dire fait dépendre la métaphysique de lontologie. Comme sujet pur, autrui s'impose comme mon juge ou mon dieu et ma responsabilité est totale, écrasante, inhumaine... Comme moi empirique, autrui me contraint à revenir à une relation mondaine, nécessitant de ma part la prise en compte de certaines formes sensibles dans mon champ, mais ce moi empirique est posé par Sartre comme négation de la conscience, cest-à-dire comme objet. Autrui n'est alors pour moi que ce que je regarde, il est immédiatement rabattu sur le plan du monde. Or, il y a toujours identification de lautre à moi dans une telle connaissance : cest parce quil est dabord le même que moi quautrui serait autre, alter ego. Comme connaissance, le moi ne sort de lui-même vers le connu que pour se retrouver en lui-même en cette extériorité : connaître, cest reconnaître, et reconnaître cest sy reconnaître. Le mode dêtre propre au moi est donc la familiarité, limpossibilité de létranger, de létrangeté. Dans la connaissance, le moi ne se libère pas de son identité ; la connaissance est au contraire le propre du moi, comme activité de sidentifier. Il faut donc définir le moi par sa solitude foncière. Solitude positive en quelque sorte, qui nest pas absence des autres ou impossibilité de communiquer, mais incapacité de sortir de soi, de dépasser sa propre limite. Le solipsisme (comme solipsisme de lego et non comme solipsisme du sum) est la structure même de la raison. Ce qui signifie que lautre nest pas le même que moi sur fond dune altérité que la connaissance surmonterait : il est le moment du même ou de lidentité, comme mode dexister du moi. Ce qui est nest pas autre, mais intérieur au moi et correspond à lextension même de son identification.
Mais s'il faut rejeter cette modalité du rapport à l'autre sur le plan éthique, est-ce à dire que nous ne sommes responsables que de nous-mêmes, qu'autrui nous demeure inaccessible moralement ? Au contraire, autrui ne se donne t-il pas à moi précisément sous une modalité éthique ? A rebours de la conception sartrienne qui pense la liberté éthique en fonction de la dualité de "l'en-soi" (l'être de fait dépourvu de toute conscience) et du "pour-soi" (la conscience qui n'est rien de ce dont elle a conscience, une conscience constamment ouverte sur autre chose quelle, "positionnelle dobjets" et en même temps présence non réfléchie à soi par quoi elle sait quelle existe sans jamais savoir ce quelle est), et fait donc reposer l'acte éthique, dans la mesure où l'existence n'est pas complètement absorbée par "l'en-soi", sur le projet du "pour-soi" (le rapport du sujet à la situation est toujours un rapport de choix, et d'un choix qui n'est précédé par rien), n'y a t-il pas un ordre phénoménal plus primitif que cette dualité, une dépendance à l'autre, c'est-à-dire à cette vie incarnée déjà constituée, qui institue la vie sujective comme nouvelle possibilité de situations ? La condition d'être incarné et donc aussi la situation historique et sociale, les divers modes d'être avec les autres, rendent seuls possibles un commerce avec le monde tel que peuvent s'y faire des choix, s'y concevoir et réaliser des projets, s'y prendre des décisions. Ainsi, loin d'exercer mon pouvoir sur autrui, de prendre la décision de le respecter, ma relation à lui n'est-elle pas originairement de l'ordre du désir sans objet, d'une "susceptibilité" au-delà de toute sensibilité (c'est-à-dire du besoin) ? Tel est le véritable enjeu dune Ethique : montrer comment ma relation à lautre peut transcender le même - lidentification - au sein du même, comment le moi, sans sortir de soi, peut rencontrer lautre comme autre. En ce sens, l'éthique de la liberté est absence daltérité (il y a une solitude de la reconnaissance de l'autre car le moi est traversé par un appel où il se retrouve lui-même, doù la notion didentification). L'appel à la responsabilité par autrui signifie au contraire lémergence dune identité qui nidentifie plus, mais séprouve comme absolue passivité : ma responsabilité n'est-elle pas toujours appelée par le dénuement même d'autrui en sa corporéité (son visage provoque t-il seulement ma honte ?) ? Message édité par l'Antichrist le 15-08-2006 à 18:17:16
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