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Quels sont pour vous les trois livres de philo à lire pour un honnête homme ?


 
15.4 %
 273 votes
1.  "La république" de Platon
 
 
6.7 %
 119 votes
2.  "La métaphysique" d'Aristote
 
 
15.7 %
 279 votes
3.  "l'Ethique" de Spinoza
 
 
1.5 %
    27 votes
4.  "Essai de théodicée" de Leibniz
 
 
15.0 %
 266 votes
5.  "Critique de la raison pure" de Kant
 
 
17.8 %
 315 votes
6.  "Par delà le bien et le mal" de Nietzsche
 
 
5.9 %
 105 votes
7.  "L'évolution créatrice" de Bergson
 
 
6.4 %
 113 votes
8.  "Etre et temps" d'Heidegger
 
 
7.5 %
 133 votes
9.  "Qu'est-ce que la philosophie" de Gilles Deleuze
 
 
8.1 %
 144 votes
10.  "Moi, ma vie, mon oeuvre" de obiwan-kenobi
 

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Auteur Sujet :

Philo @ HFR

n°8206573
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 20-04-2006 à 07:43:32  profilanswer
 

Reprise du message précédent :
T'as des photos des smileys en vrai ?

mood
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Posté le 20-04-2006 à 07:43:32  profilanswer
 

n°8207812
rahsaan
Posté le 20-04-2006 à 11:45:04  profilanswer
 

hephaestos a écrit :

T'as des photos des smileys en vrai ?


 
?

n°8207940
Profil sup​primé
Posté le 20-04-2006 à 11:59:14  answer
 

une personne de très intruiste m'a dit  
 
" Vivre = persévérer dans son être et l'augmenter (Spinoza)  " Nietzche se serait inspire de ce dernier pour le übermensch ?    
   
L'augmenter dans le sens vivre dans un etat d'esprit bien meilleur avec l'amour en guise de devise de la vie ?    
   
Puis elle me dit que  "Exister = avoir à être soi (Heidegger) " mais je ne comprend pas cette pensée d'Heidegger , quelqu'un pour m'éclairer svp ? :)  

n°8208029
rahsaan
Posté le 20-04-2006 à 12:12:14  profilanswer
 

Relax guy 'n' just take life on da good side...  :sol:  
                   \

http://www.stuffonmycat.com/media/2/20051001-KIKO.jpg

n°8208329
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 20-04-2006 à 12:54:46  profilanswer
 


 
Ben, c'est juste que ton compte-rendu contient des passages que j'aimerais bien voir en version orale :
 

Citation :

:lol:  
[:prodigy]  
:)
:D
;)
 [:xfred4]

n°8208441
rahsaan
Posté le 20-04-2006 à 13:05:32  profilanswer
 

:D

n°8208573
l'Antichri​st
Posté le 20-04-2006 à 13:19:34  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

Compte-rendu d'une discussion avec un jeune amateur de philosophie
 
Thèmes abordés : le stoïcisme, les passions, la maîtrise de soi, le soi ; la paresse/l'ennui ; la vie/l'existence
 
(...)
 
>Je commence à "relire" la préface d'Epictète .. Tu pourrais m'expliquer vite fait ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas stp ?
Ce qui dépend de toi --> les passions, les jugements, les opinions etc.  
Ce qui ne dépend pas de toi --> tout le reste (biens matériels, jugements des autres etc. )
 
> C'est quoi les passions ?  
Les passions ? La joie, la tristesse, la jalousie, le désir, l'amour, le regret etc.  
Ces passions, te dit Epictète, ne dépendent que de toi.
 
>Peux-tu les contrôler ?
Oui, tu peux les changer car ça ne dépend que de toi de les changer.  
En effet, nul ne peut être joyeux, triste, jaloux etc. à ta place. Toi seul a le pouvoir de changer tes passions : ça ne dépend que de toi.  
Epictète dit alors que si tu es parfaitement maître de toi-même, tu voudras les choses telles qu'elles sont, selon l'ordre nécessaire de la Nature.  
L'ignorant accuse les autres, l'homme qui s'instruit s'accuse soi-même, le sage n'accuse ni soi ni les autres.
 
(...)  
 
> C'est quoi la paresse ?
Quelques pistes :  
la paresse --> refus de l'action ; fatigue du corps ; pesanteur, ennui ; volonté d'inaction ; incapacité à accepter le côté pénible de l'action etc.
Je sais pas, essaie d'y penser un peu : qu'est-ce que c'est, être pris de paresse ? à quoi ça s'oppose ? ya t-il une raison à la paresse ou bien est-ce que ça nous tombe dessus ? etc.
 
>Ma paresse me saoule comment faire ?
Personne ne peut surpasser cette paresse à ta place. Il ne dépend que de toi de changer.  
Là, tu es étudiant. Quand tu auras à gagner ta croûte, à trouver un travail, tu verras que tu sera forcé de sortir de ta paresse.


 
Comment penser le rapport entre le travail et la personne ? Il est vrai que le stoïcisme nous aide à y voir un peu plus clair. Dans le théâtre antique, le masque (persona en latin) permettait de renvoyer aux spectateurs l’image de la condition humaine : être une personne, c’est ne pas s’apercevoir que nos actions ne nous appartiennent pas, que toutes nos grimaces, loin d’exprimer la liberté de nos vies singulières, sont toujours déjà prisent dans le réseau du déterminisme universel et commandées par un destin implacable, aveugle à nos aspirations profondes (d’où le caractère figé des expressions de ces masques de théâtre). De fait, avec le stoïcisme, le seul "devenir" possible dans le grand théâtre de la vie ne consiste qu’à accepter son rôle : la personne du philosophe (le progressant) est le produit de ses efforts répétés et patients en vue d’apprivoiser son rôle. Le philosophe est au travail : il doit répéter les exercices comme le comédien répète ses scènes. A travers les exercices, dans les efforts pour éviter le dérèglement des passions et la variation perpétuelle des opinions, en construisant petit à petit son âme-forteresse, dans tous ces moments du travail sur soi, le philosophe cherche à acquérir la consistance, suite de changements quantitatifs, dont la fin est un saut qualitatif : la constance du sage. Notre travail en cette vie est celui du comédien qui, comme le sage stoïcien, finit par inventer son rôle en le jouant : le comédien se libère de la nécessité par la compréhension du texte qui lui permet justement de le jouer, c’est-à-dire de le mettre en scène à sa façon, de faire littéralement exister sa personne comme personnalité à part entière, différente de toutes les autres !
 
Seulement voilà, si le travail est bien ce "devenir" de soi, ce mouvement de libération par rapport aux nécessités (qu’il s’agisse du besoin naturel ou des rôles que nous jouons dans notre rapport à autrui) par la ré-écriture du texte initial dans un langage humain, celui du désir et des valeurs dont nous tirons les règles volontaires qui dirigent nos vies, il arrive aussi que cette ré-écriture finisse par se retourner contre son auteur. Le produit du travail, moyen de notre libération effective, devient en effet "œuvre" de la civilisation, s’imposant comme norme de nos actions : l’individu, livré au départ à l’arbitraire des relations de pouvoir où ne règne que le droit du plus fort, devient, par l’artifice du droit positif (celui qu’impose la loi des hommes), une personne reconnue universellement comme sujet moral. Ainsi, comme personne, j’acquiers des droits et des devoirs dans la société, je dois tenir mon rôle (y compris dans le cadre de mon emploi) en acceptant mes responsabilités devant la loi. Mais la loi, produit du travail des hommes, moyen de servir les hommes, peut se retourner contre l’homme en servant seulement ceux que les hasards de l’histoire ont rendu puissants : la personne cesse alors d’être le citoyen de son monde pour se voir réduire au rôle de "sujet" n’ayant que des devoirs et juste le "droit" de se taire. L’aliénation dans la fonction touche aussi le monde du travail salarial lorsque la personne devient objet, moyen d’enrichissement pour ceux qui, ne travaillant pas, exploitent la force de travail des autres ou moyen de survie pour un système tentaculaire et aveugle, déshumanisé parce que devenu fin en-soi.
 
Au final, la question reste entière...


Message édité par l'Antichrist le 20-04-2006 à 13:21:31
n°8208860
rahsaan
Posté le 20-04-2006 à 13:50:23  profilanswer
 

Le stoïcien voit sa maîtrise de lui-même, sa consistance, qui le rendait libre, devenir l'instrument de son esclavage...  
 
D'où les limites des systèmes qui nous disent qu'il suffit de penser les choses telles qu'elles sont, sans chercher à les changer : l'employé de bureau, stoïque mais harcelé par son supérieur, ne s'en sortira pas en se disant qu'il est libre s'il est maître de ses passions. Il ferait mieux de penser aux prud'hommes.  [:prodigy]

Message cité 1 fois
Message édité par rahsaan le 20-04-2006 à 13:55:54
n°8209001
l'Antichri​st
Posté le 20-04-2006 à 14:07:10  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

Compte-rendu d'une discussion avec un jeune amateur de philosophie
 
(...)
 
> La philo, qu'est-ce qu'elle a fait pour toi ?
Elle m'a évité de me poser de fausses questions.  
Elle m'a appris à construire ma propre pensée et a donc ne pas laisser les autres penser à ma place.  
Elle m'a permis de m'intéresser à nombre de choses que j'aurais laissé de côté sans ça.  
Elle permet de comprendre le monde dans sa complexité.  
Elle fortifie l'esprit et donne du courage.


 

rahsaan a écrit :

Le stoïcien voit sa maîtrise de lui-même, sa consistance, qui le rendait libre, devenir l'instrument de son esclavage...  
 
D'où les limites des systèmes qui nous disent qu'il suffit de penser les choses telles qu'elles sont, sans chercher à les changer : l'employé de bureau, stoïque mais harcelé par son supérieur, ne s'en sortira pas en se disant qu'il est libre s'il est maître de ses passions. Il ferait mieux de penser aux prud'hommes.  [:prodigy]


 
Philosopher, est-ce renoncer à transformer le monde ?
 
La philosophie est essentiellement une activité de réflexion critique : elle tire son sens d’une prise de conscience par l’esprit de la nécessité de faire retour sur notre connaissance ou sur notre action, non plus pour les utiliser, mais pour en juger la valeur. Philosopher, c’est promouvoir la qualité de la pensée dans son activité d’interrogation et son effort de compréhension, conserver intact notre capacité d’étonnement pour éviter de confondre l’habituel et l’intelligible, pour mettre en question, non seulement la tradition philosophique, mais aussi tout ce qui passe, aux yeux des hommes, pour évidence ou certitude (l'opinion). La finalité de la philosophie est donc d’abord théorique : elle est une forme de sagesse dont la vertu est négative puisqu’elle apprend une attitude de détachement, c’est-à-dire de renonciation par rapport aux multiples illusions qui transforment notre libre arbitre en aveuglement et impuissance (cf. le stoïcisme). Si la sagesse doit être le guide de l’action, elle débute avec la mise en question des "données" de l’expérience mais aussi des raisonnements. Ce que je tiens pour certitude n’est peut-être qu’illusion, préjugé, acceptation ou habitude. Ce que je tiens pour raisonnement logique, n’est peut-être que généralisation imprudente, analogie suspecte, sophisme insoupçonné. Si transformation il doit y avoir, ce ne peut être que de soi, afin de se retrouver "maître en sa demeure" (Epictète).
 
Cependant, ne dit-on pas aussi que "comprendre" (au sens de prendre ensemble, rassembler dans une explication totalitaire), c’est justifier a-priori, accepter par avance un ordre peut-être contestable ? D’emblée, le programme de la philosophie semble bien "médiocre" au sens littéral du terme, c’est-à-dire "moyen", aux yeux d’une jeunesse avide d’enthousiasme débordant et d’activités nobles ! Le philosophe apparaît bien souvent, au mieux comme un solitaire contemplatif, perdu dans une méditation intérieure le coupant des plaisirs de la vie pratique et des intérêts liés au commerce avec les autres hommes, au pire comme un imposteur et un lâche, un faible vaincu par la vie et cherchant à cacher son ressentiment derrière de fausses valeurs : sa "volonté de puissance" prendrait alors la forme d’une morale tyrannique à l’égard de l’affectivité en général dont il faudrait se méfier pour privilégier les pouvoirs de la raison (cf. Nietzsche). Ainsi le détachement, présenté par cette raison ascétique comme le point de départ de la réflexion philosophique, ne consisterait qu’en un renoncement, l’acceptation résignée trahissant les valeurs mêmes de la vie en nous, ou l’exigence pratique, c’est-à-dire politique, d’un engagement dans l’action révolutionnaire, seule capable de lutter contre l’idéologie dont la représentation philosophique est elle-même porteuse (cf. Marx).
 
Les exigences théoriques de la pensée philosophique soucieuse de vérité ne sont-elles pas compatibles avec les impératifs de l’action morale et politique ? Mais si les constructions théoriques de la philosophie ne sont pas à l’abri des idéologies ambiantes, peut-on encore se contenter de "transformer" le monde, au risque de reconduire d’anciennes valeurs, ou bien faut-il "transmuter" toutes les valeurs ? Mais, plus fondamentalement, la pensée philosophique elle-même n’est-elle pas un engagement dans l’action, la plus authentique peut-être, puisqu’elle est déterminante pour fixer les moyens et les fins de l’action proprement dite, morale ou politique ? Peut-on encore couper la théorie de la pratique sans nuire gravement et à la théorie et à la pratique ?

n°8209093
rahsaan
Posté le 20-04-2006 à 14:15:57  profilanswer
 

J'ai tendance à penser que la philosophie est la seule manière adéquate (au sens spinoziste) de faire de la politique.  
Mais la littérature aussi. La question de la littérature, selon moi, c'est : que faire ?  
Même pas : "que dois-je faire ?" ou "que puis-je faire ?" mais bien : que faire ?
Il y a qqch de possible, qui serait le dépassement de la morale vers l'esthétique : le pivot serait la mémoire et l'imagination. Fut une époque, je tenais un journal. Et j'avais l'impression de voir, clair comme le cristal, ce que j'avais à faire, ce que je devais et pouvais faire.  
Si la mémoire sélectionne ce qui m'est utile pour agir (Bergson), alors elle sélectionne les forces actives qui constituent mon présent. Or, le journal, n'est-ce pas la remémoration de ce qui a été et sa présentation parfaite par la littérature ?  
Dès lors, la mémoire devient comme cristalline et le présent, transparent.

Message cité 1 fois
Message édité par rahsaan le 20-04-2006 à 14:18:35
mood
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Posté le 20-04-2006 à 14:15:57  profilanswer
 

n°8211797
Profil sup​primé
Posté le 20-04-2006 à 19:41:15  answer
 

l'Antichrist a écrit :


 
Cependant, ne dit-on pas aussi que "comprendre" (au sens de prendre ensemble, rassembler dans une explication totalitaire), c’est justifier a-priori, accepter par avance un ordre peut-être contestable ? D’emblée, le programme de la philosophie semble bien "médiocre" au sens littéral du terme, c’est-à-dire "moyen", aux yeux d’une jeunesse avide d’enthousiasme débordant et d’activités nobles ! Le philosophe apparaît bien souvent, au mieux comme un solitaire contemplatif, perdu dans une méditation intérieure le coupant des plaisirs de la vie pratique et des intérêts liés au commerce avec les autres hommes, au pire comme un imposteur et un lâche, un faible vaincu par la vie et cherchant à cacher son ressentiment derrière de fausses valeurs : sa "volonté de puissance" prendrait alors la forme d’une morale tyrannique à l’égard de l’affectivité en général dont il faudrait se méfier pour privilégier les pouvoirs de la raison (cf. Nietzsche). Ainsi le détachement, présenté par cette raison ascétique comme le point de départ de la réflexion philosophique, ne consisterait qu’en un renoncement, l’acceptation résignée trahissant les valeurs mêmes de la vie en nous, ou l’exigence pratique, c’est-à-dire politique, d’un engagement dans l’action révolutionnaire, seule capable de lutter contre l’idéologie dont la représentation philosophique est elle-même porteuse (cf. Marx).
 
Les exigences théoriques de la pensée philosophique soucieuse de vérité ne sont-elles pas compatibles avec les impératifs de l’action morale et politique ? Mais si les constructions théoriques de la philosophie ne sont pas à l’abri des idéologies ambiantes, peut-on encore se contenter de "transformer" le monde, au risque de reconduire d’anciennes valeurs, ou bien faut-il "transmuter" toutes les valeurs ? Mais, plus fondamentalement, la pensée philosophique elle-même n’est-elle pas un engagement dans l’action, la plus authentique peut-être, puisqu’elle est déterminante pour fixer les moyens et les fins de l’action proprement dite, morale ou politique ? Peut-on encore couper la théorie de la pratique sans nuire gravement et à la théorie et à la pratique ?


 
 
On peut m'expliquer ca svp ? Je comprend pas  :cry:  

n°8212014
l'Antichri​st
Posté le 20-04-2006 à 20:13:26  profilanswer
 


 
La revendication de notre jeunesse est pourtant simple : "d'abord vivre, ensuite philosopher !"
 
Ce dicton résonne immédiatement comme une revendication passionnée en faveur de l’action, celle-là même qui permet à l’homme, d’abord de satisfaire ses besoins, d’assurer sa conservation par une transformation technique de son environnement, naturel et social, mais surtout de trouver dans le monde de quoi assouvir ses désirs et ainsi de donner satisfaction à sa nature par la jouissance. Pour l’homme de la jouissance et de l’action (cf. Calliclès dans le Gorgias de Platon), la philosophie apparaît en effet toujours comme une activité seconde, nullement indispensable à la vie (contrairement à la connaissance scientifique et technique), une entreprise purement spéculative qui, n’ayant d’autre but que de connaître et de comprendre, est nécessairement postérieure à la réalité. Savoir que les choix d’une vie, privés du soutient de la pensée, risquent de virer à l’empirisme dans ce qu’il a de plus aléatoire, ou au fidéisme dans ce qu’il a de plus aliénant, importe peu aux hommes d’action. Et c’est pourquoi Hegel peut prendre pour symbole de la pensée "l’oiseau de minerve qui ne prend son envol qu’à la tombée du crépuscule" (cf. Principes de la philosophie du droit, préface), la chouette crépusculaire incapable de supporter le plein soleil de la vie : la philosophie (et les exemples dans l’histoire ne manquent pas…), ne se produit jamais au sein d’une forme sociale progressive, effectivement occupée à la transformation de l’homme et de la société, mais plutôt dans les périodes de stagnation, de retard et de décadence.
 
Mais justement, en tant qu’elle se veut fondamentalement une réflexion critique sur les principes (cf. Descartes, Méditation première, §.1), c’est-à-dire sur les impensés de l’action ou du discours, la philosophie n’est pas sans effet sur le réel. Car l’homme, conscient de lui-même et du monde, est un élément de ce réel et, s’il y a une nécessité immuable de l’univers (comme le montre le stoïcisme), nous n’avons pas à nous en préoccuper, mais devons plutôt travailler à discipliner nos désirs, oeuvrer à harmoniser notre vie intérieure sur le modèle offert par l’ordre universel pour mieux lui coïncider en participant à sa réalisation dans l’extériorité (la pratique morale et politique). C’est sans doute le privilège de la philosophie antique d’avoir fait dépendre l’action d’une sagesse capable de l’éclairer et de la guider. Mais c'est aussi ce qui fait dire à certains que la philosophie est peut-être bien plus dangereuse pour la vie qu’on ne pourrait le croire, dangereuse parce que conservatrice et réactionnaire : pour Nietzsche, la pensée (avec le socratisme) devient le frein au devenir (cher à Héraclite), au libre épanouissement de la "volonté de puissance" qui est la vraie nature de l’homme et la vraie source du progrès. Aucune philosophie ne peut faire l’économie d’une morale qui cherche à dicter à l’homme sa conduite : la pensée devient alors une réaction mortifiante contre les valeurs de la vie ("l’irrationalité" des passions), elle condamne l’homme tel qu’il est, c’est-à-dire avec son affectivité constitutive, au nom d’une sagesse entièrement fondée sur le bon usage de la raison.
 
Si la vie a besoin de la philosophie pour se donner les moyens et les fins d’une action proprement humaine, est-elle condamnée pour autant à la tyrannie de la raison, au fanatisme inévitable de la pure rationalité, à son mysticisme, comme on peut le constater particulièrement dans l’optimisme théorique et scientifique ? Que pourrait bien être une "vie philosophique", ni entièrement vouée au non-sens des passions livrées à elles-mêmes, ni entièrement dominée par une raison toute puissante mais appauvrissante, masquant les irréductibles différences d’une vie humaine sous l’illusion logique d’identités stables et rassurantes ?
 
Dans son post juste au dessus, rahsaan indique une voie (qu'il faudrait développer bien sûr... le couplage Bergson/Nietzsche est très intéressant...) que l'on peut retrouver aussi chez Merleau-Ponty ou chez Michel Henry...

Message cité 1 fois
Message édité par l'Antichrist le 23-04-2006 à 12:08:51
n°8212119
rahsaan
Posté le 20-04-2006 à 20:28:42  profilanswer
 

La philosophie apparaît peut-être comme une activité médiocre... mais du moins ne se pare t-elle pas d'atours trompeurs !  
Car j'aimerais qu'on me montre quel métier peut vraiment satisfaire l'enthousiasme et l'envie d'activités héroïques et nobles !  
La plupart des emplois ressemblent vilainement à un poste d'employé de bureau ou d'administration.  
Même la science, si triomphante, surtout sous forme de techno-science, ne garantit pas une vie d'exaltation à découvrir chaque jour une nouvelle planète ou le secret de l'immortalité, mais plutôt le ronronnant métier de chercheur laborieux, qui recevra une médaille après 30 ans de carrière à ausculter des bactéries au microscope.
 
Le philosophe ne peut pas se couper du monde, mais dès lors qu'il pense ce monde, il ne peut manquer d'en savoir un peu plus long sur certains domaines. D'où le besoin, la nécessité ressentie, de faire la morale pour élever le monde au-dessus de son ignorance. C'est en quelque sorte inévitable. Quel philosophe n'a jamais fait la morale à quiconque ?  
Même Nietzsche, proposant de dépasser la morale, exige la plus sévère probité à l'égard de soi-même. Et Montaigne, peu enclin aux déclarations grandiloquentes et définitives, ne s'interdit pas pour autant de corriger nos travers. Peut-être est-ce Diderot, dans le Neveu de Rameau, qui a su pousser le plus loin la remise en question de toute morale.  
 
Au fond, n'est-ce pas la méchanceté propre du philosophe qu'on nomme "réflexion sur les principes" ? N'est-ce pas là sa jouissance assurée, de se dire que sa réflexion est radicale, principielle et de renvoyer ainsi les autres discours à leur insuffisance ?
Mais qu'est-ce que le philosophe peut apporter à la pratique de la vie ? Ne manque t-il pas précisément de sens pratique ?  
Paul Valéry notait à peu près ceci : un homme décida de prendre toutes ses décisions importantes au hasard ; il ne fut pas plus malheureux ou imprudent qu'un autre.
 
Le philosophe doit-il changer la vie ?  
Nous vivons une époque de cynisme, de nihilisme (sous la forme de développement technique frénétique et de l'idéologie de l'efficacité et de la performance). Derrière les constructions idéologiques, les "grands récits" (Lyotard) apparaît crûment l'exercice de la volonté de domination, de l'absurde vouloir sans fin.  
Ainsi, en dépit de Marx, de Heidegger, je pense que c'est tout de même Nietzsche qui est et restera longtemps notre contemporain le plus proche, et aussi le plus lointain.  
C'est encore ce qui met en danger la pensée et l'accable, la mortifie, qui peut la sauver ; sans doute, parce que comme l'avait montré Hegel, l'esprit ne se saisit lui-même que dans son absolu déchirement.

n°8212241
Profil sup​primé
Posté le 20-04-2006 à 20:54:01  answer
 

heu c'est quoi la pensée selon nietzche ? :/

n°8212293
rahsaan
Posté le 20-04-2006 à 21:01:45  profilanswer
 

Schématiquement, pour Nietzsche :
Penser = interprêter une multiplicité de forces conflictuelles afin de les saisir et de les organiser afin d'obtenir le sentiment qu'on les maîtrise, donc qu'on les connaît ==> chercher à augmenter son sentiment de puissance

n°8212305
Profil sup​primé
Posté le 20-04-2006 à 21:02:59  answer
 

Tout contrôler en gros ? par exemple pense a un sens a sa vie et controler ce qu'on pense de cela c ca ? :/

n°8212343
rahsaan
Posté le 20-04-2006 à 21:06:55  profilanswer
 

Tu es trop gourmand, SJP ! Tu veux tout connaître d'un coup : stoïciens, Heidegger, morales, Nietzsche etc. etc. Tu vas en faire une indigestion. :D

n°8212362
Profil sup​primé
Posté le 20-04-2006 à 21:09:35  answer
 

D'où " ma fureur de vivre " ......

n°8212393
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 20-04-2006 à 21:13:14  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

...une raison toute puissante mais appauvrissante, masquant les irréductibles différences d’une vie humaine sous l’illusion logique d’identités stables et rassurantes ?


 
Je suis un peu étonné de retrouver ici des remarques que j'entends ailleurs de la bouche de gens bien moins capables... Cette raison dont vous parlez, il me semble qu'elle a l'immense avantage d'accepter l'illusion qu'elle propose en tant que telle. Cela va peut-être de soi dans votre discours, mais j'ai l'impression en le lisant que vous accusez la science de mentir à travers ces illusions, alors qu'au contraire elle les expose comme telles, sans plus de prétention.

n°8212407
rahsaan
Posté le 20-04-2006 à 21:14:44  profilanswer
 


 
L'étantité du monde est-elle contenue de façon apodictique dans les prédicats purs de l'entendement ?
                     \

http://as.wn.com/i/7c/fe623b36a1c399.jpg

n°8212460
Profil sup​primé
Posté le 20-04-2006 à 21:19:26  answer
 

Hein ? :heink:

n°8212516
l'Antichri​st
Posté le 20-04-2006 à 21:25:19  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

J'ai tendance à penser que la philosophie est la seule manière adéquate (au sens spinoziste) de faire de la politique.  
Mais la littérature aussi. La question de la littérature, selon moi, c'est : que faire ?  
Même pas : "que dois-je faire ?" ou "que puis-je faire ?" mais bien : que faire ?
Il y a qqch de possible, qui serait le dépassement de la morale vers l'esthétique : le pivot serait la mémoire et l'imagination. Fut une époque, je tenais un journal. Et j'avais l'impression de voir, clair comme le cristal, ce que j'avais à faire, ce que je devais et pouvais faire.  
Si la mémoire sélectionne ce qui m'est utile pour agir (Bergson), alors elle sélectionne les forces actives qui constituent mon présent. Or, le journal, n'est-ce pas la remémoration de ce qui a été et sa présentation parfaite par la littérature ?  
Dès lors, la mémoire devient comme cristalline et le présent, transparent.


 
Oui, la littérature comme moyen de vivre son présent en le connaissant !
 
Que veut dire "connaître" ici ? Au sens le plus courant, "connaître" signifie avoir présent à l’esprit un certain objet de pensée. Quel que soit le degré de connaissance que nous avons d’un objet (percevoir, imaginer, concevoir), connaître renvoie d’abord à la présence (ou présentation) d’un objet à la conscience. Ainsi, seul le présent peut être objet d’une telle connaissance car nous en faisons l’expérience dans la re-présentation (la reprise active) de quelque chose qui d’abord se donne, qui est là devant moi, qui se présente à ma conscience et dont la présence retentit en moi comme un évènement dont je suis certes le témoin mais qui m’affecte aussi, me fait réagir : connaître le présent, c’est percevoir le monde, c’est en faire l’expérience sensible et ainsi se le représenter pour le penser, le juger. C'est ce que dit Bergson : la perception choisit et sélectionne ce qui intéresse ma vie, c'est-à-dire mon action. Elle est anticipation des mouvements du corps et de leurs effets ; bien percevoir (un escalier, par exemple), c’est connaître par avance quel mouvement je devrais faire pour réaliser la fin de mon action (le monter ou le descendre). Autrement dit, c’est mon corps qui est le sujet de la perception. Comme le dit Merleau-Ponty dans la Phénoménologie de la perception, la perception "découpe la chair du monde" pour y délimiter des espaces possibles pour mon action. Percevoir consciemment, c’est choisir. La conscience est perception au sens d’un fait spirituel qui ne se laisse pas enfermer en un espace, ni fixer en un lieu. La perception comme fait spirituel englobe l’ensemble de la vie psychique d’un individu, elle est sans cesse prolongement du passé dans le présent, progrès, évolution véritable. Autrement dit, toute perception est déjà mémoire. En ce sens, il n’y a pas le passé et le présent, mais un présent relatif au passé : quand je me souviens du passé, c’est un acte que j’accomplis dans le présent. Le présent du passé, c’est la mémoire. Le passé n’est rien (ce qui n’est plus) devant la puissance de manifestation du présent, de ce qui est présent à l’esprit ici et maintenant (le souvenir). Tel est le sens du fameux "carpe diem" : il ne s’agit pas de vivre un présent végétatif, de se replier sur quelques petits plaisirs, comme si le but de la vie se bornait à un carré de sable sur la plage, mais de vivre son présent au présent, c’est-à-dire de s’y livrer en étant extrêmement attentif à ce qui se donne maintenant, d’habiter l’instant, sans fuite, sans dérobade devant le réel, en répondant de manière exacte à chaque situation d'expérience, en vivant au sommet de soi-même, sur la crête de l'instant. Vivre, ce n’est ni rêver son existence, ni la jouer mécaniquement, c’est agir, en fonction de l’intérêt que présente la situation actuelle, avec les moyens sélectifs que la conscience appelle, en puisant dans l’ensemble du passé personnel. Si elle n’est que pure répétition, esprit sans mémoire, la perception retombe à la matière ; chargée de mémoire, capable d’évolution par cette mémoire qui l’arrache à la répétition et lui donne accès à la différence, au nouveau, elle est esprit et liberté.
 
Pour Bergson comme pour Nietzsche, la conscience n’est pas tant une faculté théorique au service de la vérité qu’une faculté pratique et décisive au service de la vie. La perception est cette faculté précieuse qui permet à l’homme de "vivre en accord avec la nature" et sa nature. Cette expression a une signification morale en ce qu’elle nous invite à nous attacher à bien percevoir pour bien vivre, c’est-à-dire pour vivre dans le présent en accord avec la réalité telle qu’elle est et non telle que nous aimerions qu’elle soit (Spinoza). S’attacher à percevoir, et seulement à percevoir, serait alors un acte et une exigence stratégiques pour empêcher l’esprit d’imaginer et de désirer des objets que la réalité ne pourra jamais lui fournir, la laissant de ce fait dans l’insatisfaction. C’est l’imagination qui, excédant la perception, est cause de malheur (Lucrèce, disciple d'Epicure). Ainsi, c’est parce que nous ignorons tout de la mort que notre imagination se met à produire les fictions les plus terrifiantes (l’au-delà, les châtiments éternels...) qui font de la vie un véritable enfer (d'où l'hostilité d'Epicure envers la poésie homérique qui représente la mort comme une moindre vie). L’absence de savoir engendre les pires fictions de l’imagination qui nous détournent de ce qui est, la vie. S’en tenir aux données de la perception et les recueillir, c’est pour l’homme la seule manière d’être heureux, c’est-à-dire de jouir de ce que lui offre la réalité et d’en être satisfait. La perception se comprend donc comme une faculté morale qui a pour fonction de court-circuiter toutes les représentations imaginaires qui pourraient nous éloigner de la réalité présente et vécue. La perception est alors une faculté au service de la vie et non du savoir, du bonheur et non de la vérité.
 
Pourtant, ma conscience, loin de coïncider avec le présent de l’Etre se dérobe très souvent. Ressaisir l’instant, c’est chercher à donner à un point la consistance d’une réalité tangible. Peine perdue, car il y a dans l’instant quelque chose d’insaisissable : celui dont je prends conscience n’est-il pas déjà passé ? Et le présent lui-même, dans la figure de l’instant, est-il autre chose que la limite du passé et de l’avenir ? Nous n’avons pas le temps de connaître le présent, c’est-à-dire d’accéder à la vérité de ce qui a été vécu ! La vie de la conscience, c’est cette course trépidante du temps, cette course auprès de laquelle l’arrêt de l’étude, de la recherche du sens, comme le veut la philosophie, ressemble à une sorte de mort. C’est une situation tragique, car elle fait justement de l’homme un être frivole, superficiel et misérable. Nous sommes incapable d’être (et à plus forte raison de vivre) au présent à cause du manque de disponibilité du maintenant. L’homme temporel n’a pas de poids, pas d’assise dans le présent, il est dans ses pensées légères toujours ailleurs, il n’est présent ici que distraitement. Le présent nous blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu'il nous afflige ; et s'il nous est agréable, nous regrettons de le voir s’échapper. Mesuré à l’aune de nos désirs, le maintenant est si dépourvu d’intérêt comparé à ce qu’il "pourrait être", à ce qu’il "était hier ou jadis", qu’il ne vaut rien : le souvenir est un refuge plaisant contre les déceptions d’aujourd’hui. Mais le passé se prête aussi à une connaissance authentique de la réalité humaine, individuelle et collective : en tant qu’histoire, la connaissance du passé éclaire ce qui, au départ, fut vécu au présent dans l’urgence ou dans la confusion des passions.
 
Si le présent est le temps de la pensée par excellence, suffit-il de le penser pour être au présent et ainsi en saisir tout le sens et la portée ? N’y a-t-il pas une différence foncière entre l’expérience immédiate d’une "présence" qui fait que j’accorde au maintenant toute ma vigilance et ma disponibilité et la connaissance médiate d’une réalité vécue à partir de la découverte des conditions qui ont présidé à son avènement ? Le sens n’échappe-t-il pas toujours aux acteurs de l’histoire qui rend nécessaire une réflexion ? Mais d’un autre côté, n’y a-t-il pas dans l’oubli une manière pour le passé de nous échapper ? N’est-ce pas alors au passé qu’il faut (re)vivre le passé précisément parce que celui-ci ne se sais pas comme passé et vient hanter le présent par des symptômes morbides, un passé qui refuse de passer et mortifie la vie ?


Message édité par l'Antichrist le 22-04-2006 à 09:37:28
n°8212536
l'Antichri​st
Posté le 20-04-2006 à 21:28:14  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

La philosophie apparaît peut-être comme une activité médiocre... mais du moins ne se pare t-elle pas d'atours trompeurs !  
Car j'aimerais qu'on me montre quel métier peut vraiment satisfaire l'enthousiasme et l'envie d'activités héroïques et nobles !  
La plupart des emplois ressemblent vilainement à un poste d'employé de bureau ou d'administration.  
Même la science, si triomphante, surtout sous forme de techno-science, ne garantit pas une vie d'exaltation à découvrir chaque jour une nouvelle planète ou le secret de l'immortalité, mais plutôt le ronronnant métier de chercheur laborieux, qui recevra une médaille après 30 ans de carrière à ausculter des bactéries au microscope.
 
Le philosophe ne peut pas se couper du monde, mais dès lors qu'il pense ce monde, il ne peut manquer d'en savoir un peu plus long sur certains domaines. D'où le besoin, la nécessité ressentie, de faire la morale pour élever le monde au-dessus de son ignorance. C'est en quelque sorte inévitable. Quel philosophe n'a jamais fait la morale à quiconque ?  
Même Nietzsche, proposant de dépasser la morale, exige la plus sévère probité à l'égard de soi-même. Et Montaigne, peu enclin aux déclarations grandiloquentes et définitives, ne s'interdit pas pour autant de corriger nos travers. Peut-être est-ce Diderot, dans le Neveu de Rameau, qui a su pousser le plus loin la remise en question de toute morale.  
 
Au fond, n'est-ce pas la méchanceté propre du philosophe qu'on nomme "réflexion sur les principes" ? N'est-ce pas là sa jouissance assurée, de se dire que sa réflexion est radicale, principielle et de renvoyer ainsi les autres discours à leur insuffisance ?
Mais qu'est-ce que le philosophe peut apporter à la pratique de la vie ? Ne manque t-il pas précisément de sens pratique ?  
Paul Valéry notait à peu près ceci : un homme décida de prendre toutes ses décisions importantes au hasard ; il ne fut pas plus malheureux ou imprudent qu'un autre.
 
Le philosophe doit-il changer la vie ?  
Nous vivons une époque de cynisme, de nihilisme (sous la forme de développement technique frénétique et de l'idéologie de l'efficacité et de la performance). Derrière les constructions idéologiques, les "grands récits" (Lyotard) apparaît crûment l'exercice de la volonté de domination, de l'absurde vouloir sans fin.  
Ainsi, en dépit de Marx, de Heidegger, je pense que c'est tout de même Nietzsche qui est et restera longtemps notre contemporain le plus proche, et aussi le plus lointain.  
C'est encore ce qui met en danger la pensée et l'accable, la mortifie, qui peut la sauver ; sans doute, parce que comme l'avait montré Hegel, l'esprit ne se saisit lui-même que dans son absolu déchirement.


 
Oui ! Vos positions sur la question font honneur à la philosophie !


Message édité par l'Antichrist le 20-04-2006 à 21:30:43
n°8212757
l'Antichri​st
Posté le 20-04-2006 à 21:52:17  profilanswer
 

rahsaan a écrit :


...C'est encore ce qui met en danger la pensée et l'accable, la mortifie, qui peut la sauver ; sans doute, parce que comme l'avait montré Hegel, l'esprit ne se saisit lui-même que dans son absolu déchirement.


 
Pour rester sur le plan de l'esthétique, n'est-il pas possible de penser le philosophe comme l'homme du "mauvais goût", comme le voulait Nietzsche ?
 
Si le mauvais goût se révèle dans le jugement, alors il établit un lien (défectueux) entre l’objet (beau ou laid) et le jugement (qui va juger beau le laid et laid le beau). Donc, le mauvais goût ne fait pas la bonne connexion : ainsi n’est-il pas juste. Le jugement n’est-il pas dans la justesse ? Et si nous travaillions à ne pas être dans la justesse ? Que pourrait-on entendre par le travail du mauvais goût ? Et si le mauvais goût relevait d’une volonté ? Cette proposition n’est pas gratuite parce qu’elle pointe l’idée selon laquelle le jugement de bon goût n’est pas forcément un jugement libre. Se situer dans le mauvais goût, c’est se situer dans l’élégance et dans le bien-pensant. Or n’y a t-il pas un risque à courir ? Etre de mauvais goût, n’est-ce pas remettre en question l’ordre établi qui est bien souvent celui des préjugés ? La figure du philosophe que constitue Socrate apparaît en ce sens comme la figure du mauvais goût entendu non plus au sens de celui qui énonce des jugements mauvais mais au sens de celui qui dérange. Le philosophe arrive souvent comme celui qui vient troubler la fête : il est l’homme qui remet en question les savoirs et les pratiques de l’homme. Si Socrate avait été élégant, de bonne compagnie, de bon goût, l’homme des phrases et des accords convenus, l’aurait-on condamné à mort ? Le travail de la pensée n’est-il pas un travail de la forme du mauvais goût ? Il s’agit en effet de ne pas se contenter de l’acquis, du déjà-pensé, du "prêt-à-penser". Dans cette optique, les philosophes entre eux ne sont-ils pas souvent de mauvais goût ? Si le philosophe doit travailler à être de mauvais goût, comme le dit Nietzsche, c’est parce qu’il doit travailler à remettre en question le goût établi et le bien-pensant qui souvent s’identifient. Un système de philosophie ne peut s’élever que sur les ruines d’un ancien système. Philosopher à coups de marteau consiste au moins autant à écouter le son rendu par les vases philosophiques que d’en apprécier le goût au sens de la saveur. Ne peut-on pas alors généraliser cette position et penser que tout progrès s’élève contre le mauvais goût de l’établi, de l’institution, du bien-pensant ?
 
Si le philosophe est une figure du mauvais goût, c’est parce qu’il considère comme du mauvais goût ce que tout le monde accepte sans remettre en question, c’est-à-dire les préjugés qui bloquent la pensée au lieu de la libérer. Pour opposés qu’ils soient, Nietzsche et Socrate, en tant que philosophes, sont dans la même barque philosophique : celle qui exhorte à se libérer par la pensée, à parvenir à penser par soi-même. Cela n’est-il pas plus éclatant dans le domaine de l’art, domaine qui est celui du jugement de bon goût et de mauvais goût ? Nous pouvons noter que les révolutions artistiques ne sont jamais immédiatement vues comme telles. Quand Picasso montre à ses amis Les demoiselles d’Avignon, il se heurte à des jugements de goût mauvais : on le raille et on est choqué. Peut-on dire pour autant que cette toile soit le chantre du "mauvais goût" ? Nous ne pouvons pas le dire parce que tout le travail de l’histoire éloigne de cette idée. Il y aurait comme une dialectique cachée : comme si le bon goût devait en passer par une phase de dénégation pour accéder à un rang plus haut. Cela s’entend aux deux sens du terme. D’abord il faut un travail du négatif (le mauvais goût l’effectue) pour que l’oeuvre accède au rang d’oeuvre d’art. Les oeuvres musicales révolutionnaires sont cacophoniques (pensons à Berlioz) avant d’être considérées comme des perfections. Ensuite, s’il a été de mauvais goût d’apprécier telle oeuvre à sa parution ou à sa première exposition (on peut penser à Cézanne), il est de bon goût de l’apprécier quelques années ou décennies plus tard. Ne retrouvons-nous pas une relativité du jugement de goût, non plus subjective ou intersubjective, mais historique ? L’histoire est le milieu qui fait passer le bon goût et le mauvais goût dans leurs contraires. Car l’inverse est vrai : une oeuvre de bon goût peut devenir surannée, vulgaire, banal ou kitsch pour reprendre l’expression de Barthes dans son article consacré à Wilhem Von Gloeden (dans L’obvie et l’obtus) : "Le kitsch implique en effet la reconnaissance d’une haute valeur esthétique, mais ajoute que ce goût peut être mauvais, et que de cette contradiction naît un monstre fascinant". Cette notion de kitsch ne met-elle pas mal à l’aise notre bon goût dans la mesure où elle rend floue les distinctions nettes et radicales ? N’est-elle pas le soupçon qui plane sur toute oeuvre, et précisément celles qui se prétendent de "bon goût" ?
 
Dans le mauvais goût peut donc se révéler ma liberté et le sens de l’histoire. Si le mauvais goût réside dans une mauvaise volonté à suivre le bien-pensant et à se libérer par la pensée, alors le mauvais goût est salvateur. Il n’est plus ce que l’on doit fuir parce qu’il mettrait un écran entre le monde et moi sous la forme du primat de mes intérêts sur le reste des phénomènes mondains. Il peut apparaître bien plutôt comme une instance libératrice. Dans le relativisme historique, nous voyons le mouvement de la vie même. Le mauvais goût est ce moment du travail du négatif qui fait passer chef d’oeuvre ce qui ne l’était pas, et inversement. Le mauvais goût dans son côté négatif qui fait apparaître une positivité, réconcilie la pensée et l’art en brûlant les anciennes idoles, en les remplaçant par de plus belles ; il remplace sans cesse le laid par le beau et la pensée par le préjugé. Etre de mauvais goût peut sembler une gageure : il s’agit de ne plus faire passer son intérêt particulier devant le reste. Cela constituerait un mauvais "mauvais goût" auquel il faut substituer une positivité sous la forme de l’advenue de la pensée et du beau par l’entremise du mauvais goût. Ainsi pouvons-nous distinguer le mauvais "mauvais goût", négatif et asservissant, et le bon "mauvais goût" qui fait passer un intérêt supérieur devant mes intérêts particuliers, à savoir le chemin de la vie, du beau et du vrai. Réfléchir sur le mauvais goût permet de ne pas sombrer dans une sorte de manichéisme du goût : d’un côté le bon, d’un autre côté le mauvais. Une classification plus subtile s’impose à partir du kitsch, c’est-à-dire de la reconnaissance de la valeur esthétique d’une oeuvre ou d’un courant mais en ajoutant que ces derniers peuvent être de mauvais goût. Il s’agit donc d’analyser une division à l’intérieur du bon goût : un bon goût véritablement bon qui relève du plaisir esthétique et un bon goût finalement mauvais. Le premier relève du plaisir esthétique et d’une attitude cultivée qui utilise la force de la raison sans se laisser aveugler par le goût du moment ou le goût établi. Face à lui se développe le "bon goût" finalement mauvais dont les manifestations sont principalement l’académisme et l’art pompier. La première forme réside dans la tendance méticuleuse à observer les enseignements de l’art établi et des formes convenues. La seconde forme est l’académisme poussé à l’extrême, un académisme emphatique qui alourdit son sujet, qui manque la finesse et la légèreté (l'opposition entre camille Claudel et Auguste Rodin, mise en valeur dans le beau film de Bruno Nuytten).... Mais la division vaut aussi dans le domaine du mauvais goût : le mauvais "mauvais goût" et le bon "mauvais goût", qui ne sont pas des jeux de mots mais des réalités que nous rencontrons dans le monde. Le mauvais "mauvais goût", c’est-à-dire l’obscène ou l’abject ne sera jamais de bon goût, à l’inverse du kitsch comme mauvais goût assumé. Il s’agit ici d’être fasciné par une beauté dont on affirme pourtant la laideur, et donc de se situer dans le mauvais goût en sachant qu’on pourrait être dans le mauvais. A moins que ce ne soit l’inverse...


Message édité par l'Antichrist le 22-04-2006 à 10:01:30
n°8213861
rahsaan
Posté le 20-04-2006 à 23:30:42  profilanswer
 

Ouhlà, l'Antichrist fait un retour en force sur ce topic !  
Merci pour ces réponses que je vais lire avec plaisir ! :D
 
Vite fait, après avoir parcouru le dernier msg : le Zarathoustra n'est-il pas un sommet du kitsch ? :D
 
>SJP : Fureur de vivre... --> James Dean ! :D


Message édité par rahsaan le 20-04-2006 à 23:33:02
n°8213947
Profil sup​primé
Posté le 20-04-2006 à 23:36:49  answer
 

Ouais je connais :/ .

n°8215904
l'Antichri​st
Posté le 21-04-2006 à 08:48:29  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

La philosophie apparaît peut-être comme une activité médiocre...


 
Pour rebondir une fois de plus sur ce message, lui-même réponse pertinente et "amoureuse" au problème de l'image de la philosophie auprès d'un public toujours à reconquérir, il est nécessaire de rappeler le rapport de la philosophie avec la misologie.
 
La misologie, c’est-à-dire au sens littéral la "haine de la raison", trouve son explication et sa justification essentiellement dans le mauvais usage qui est fait de la raison : elle est d’abord une réaction de défense de la raison elle-même qui, pour ne pas "perdre la raison" face à ses propres limites, se réfugie dans le scepticisme, voire l’obscurantisme.
 
Le sophiste, par exemple, n’est-il pas celui qui ne croit pas la vérité possible en dehors du discours et qui destine alors la raison à la sphère politique des discours contradictoires ? Pour le sophiste, en effet, la vérité du discours est toujours relative, relative aux effets qu'il cherche à produire sur son auditoire. Le discours est le seul milieu dans lequel se construit la vérité ! Il n’y a pas de vérité extra-discursive et en aucun cas la vérité ne peut consister dans le rapport entre le discours et autre chose que lui, qu’il manifesterait (l'Idée platonicienne). Le sophiste ne se soucie pas d’une vérité concernant les choses qu’il vise dans son discours, car il n’existe pas pour lui une norme transcendante dans la conformité de laquelle on trouverait la vérité. D’où l’usage qu’il fait de la raison dans le discours : le discours sophistique ne vise jamais la vérité comme adéquation du discours à l’être, mais l’art de la persuasion susceptible de déboucher sur une convention, un accord politique. Le sophiste raisonne, non pour trouver la vérité, mais pour produire un effet psychologique sur le groupe. Face à "ceux qui passent leur temps à mettre au point des discours contradictoires" (antilogiques, éristiques et sophistiques), l'enjeu est donc de "se comporter en philosophe" (cf. Phédon, 90d) en "se fermant entièrement au soupçon que, peut-être, les raisonnements n'offrent rien de sain".
 
De même, Kant ne signale t-il pas l’incapacité de la raison théorique à servir certaines fins comme le bonheur ? N'est-il pas celui qui dut faire taire la raison pour laisser une place à la foi en reconnaissant dans la croyance en Dieu, la manifestation des inquiétudes essentielles à l’esprit humain ? Certes l'inquiétude est d'abord celle du coeur : la foi dans une vie surnaturelle permet d’échapper au sentiment angoissant de la déréliction, à la conscience désespérante de notre être-pour-la-mort. De Saint Augustin à Kierkegaard retentit la même question : "si l’homme n’avait pas de destination éternelle, que serait donc la vie, sinon le désespoir ?" Notre sensibilité se révolte contre la nécessité naturelle de la mort. La croyance au surnaturel nous apaise, mais n’est-ce pas au prix d’une abdication de notre responsabilité sur notre vie, au prix d’un renoncement à la revendication et à l’usage de notre liberté ? Albert Camus dans le Mythe de Sisyphe accuse la religion de "faire le saut" par-dessus l’absurdité de la condition humaine au lieu de la regarder en face. La cruelle lucidité de la raison refuserait les consolations du coeur ? Mais justement, pour Kant, la raison elle-même est inquiète. En quête d’absolu, elle a, écrit Kant dans la Critique de la raison pure, "un penchant naturel" à sortir des limites de la connaissance. Dieu n'est pas un objet déterminable (gegenstand) mais ce que Kant appelle une "Idée de la raison". La dialectique platonicienne proposait au logos, à l’intelligence de remonter, au-delà de la science, jusqu’à cet inconditionné que d’abord l’amour découvre et nous désigne, monde intelligible dont le monde sensible n'est que l’ombre et l’écho. L’ontologie et la théologie rationnelle d’Aristote situent au-delà de notre monde naturel soumis au changement (à la génération et à la corruption, à la croissance et au déclin, à l’altération) l’Etre inaltérable, immuable et éternel, le divin, sur-naturel. Le mot Métaphysique lui-même signifie étymologiquement "ce qui est au-delà de la physique", c’est-à-dire au-delà de la connaissance de la nature. La Métaphysique devient théologie en ayant le projet d’une connaissance rationnelle du surnaturel ! Mais le surnaturel est-il connaissable ? On peut tout au plus le penser, nous dit Kant, mais non pas le connaître, c’est-à-dire vérifier qu’un objet corresponde à notre pensée. En ce sens, les prétentions de la métaphysique ne sont pas plus crédibles que les rêveries des visionnaires. Mais si la raison ne peut rien savoir de Dieu, elle nous demande d’y croire pour donner un sens à la vie morale. L’immortalité de l’âme ou l’existence de Dieu sont pour Kant des postulats nécessaires de la raison pratique. Ce que la connaissance laisse échapper, l’action l’exige : "Que nous est-il permis d’espérer ?"
 
Comment la raison pourrait-elle rester indifférente devant ces échecs, qui ne relèvent pas des aspirations irrationnelles du vulgus, mais trahissent, chez les philosophes eux-mêmes, soit une méconnaissance de la vocation de la raison dans ses différents domaines d’application, soit son abandon théorique pur et simple (Pascal, Kant) ?
 
Pourtant, d’un usage illégitime de la raison en diverses philosophies a-t-on le droit de conclure à une impuissance généralisée de la raison et de son serviteur qu’est le philosophe ? Un rapide retour à l’étymologie du mot philosophie rappelle que celle-ci est amour de la sagesse comme revendication d’un droit usage du logos (raison et discours). N’est-il pas alors contradictoire de la rendre responsable de la misologie ? Pourquoi et comment la philosophie serait-elle susceptible de causer et d’entretenir l’aversion de ce qui la fonde et qu’elle revendique comme sa spécificité ? Mais il y a peut-être dans l’exercice même de la raison philosophique, dans le détachement nécessaire qu’impose la réflexion mais aussi dans l’aspiration à la clarté rationnelle que promeut la pratique de la philosophie, les véritables raisons de la misologie. Au-delà du mésusage de la raison, c’est peut-être la philosophie elle-même, comme entreprise entièrement rationnelle, indifférente aux autres aspects de la "vie" (Nietzsche), qui serait véritablement responsable de la misologie.
 
En ce sens, le nihilisme est peut-être une étape nécessaire pour retrouver une philosophie authentique ? Or, le nihiliste tout en critiquant les valeurs, reste esclave du langage et des catégories logiques dans lesquelles ces valeurs se sont sédimentées et qui continuent à vivre et à s’exprimer en lui malgré lui ! C'est pourquoi, Nietzsche pourra dire que la rupture avec la croyance en Dieu est indissociable d’une rupture avec la syntaxe dans laquelle s’est exposée cette croyance. D’une manière générale, la mise en question de la pensée traditionnelle est inséparablement mise en question des champs lexicaux, syntaxiques et sémantiques où cette pensée s’est déposée. D’où la crainte que formule Nietzsche dans Le Crépuscule des idoles, "que nous ne puissions nous débarrasser de Dieu, parce que nous croyons encore à la grammaire" : les catégories logiques et les concepts se sont logé au plus profond de notre manière de parler, donc déterminent notre manière de penser. Ainsi, nous nous disons athées, mais en réalité, nous dévalorisons la nature, proclamons notre foi dans l’égalitarisme, dans le progrès... Nietzsche était un visionnaire !
 
Que trouve t-on dans le misologue nihiliste contemporain sinon l'égoïsme déclinant de l'individu narcissique à l'horizon étriqué ? La conception nietzschéenne de l'individu est radicalement différente : dans l'individu nietzschéen se confond le mouvement de la vie prise dans sa totalité (ce que le savoir scientifique confirme en se réappropriant les projections religieuses archaïques, en dé-divinisant la nature, c'est-à-dire en dépassant la conscience naïve qui nous éloignait de la nature par ses fantasmagories idéalistes, ce qui contribue effectivement à replonger l'individu dans l'univers, à re-naturaliser l'homme, mais qu'il nous fait perdre en même temps en engendrant une sorte "d'homme théorique" asymptotique, un être contemplant froidement un univers-spectacle) et la conscience du passé culturel qu'il rassemble et prolonge. Cet individualisme sain n'a rien à voir avec l'atomisme moderne qui n'en est que la monstrueuse caricature ! Le nihiliste n'est qu'un atome social narcissique qui déchaîne ses désirs et sa frustration d’une absence de sens dans un monde sans passé et sans avenir : il refuse le temps, la loi de l’évolution et éternise son présent au lieu de le ré-inscrire dans la totalité du temps de la vie. Le nihiliste est un membre de la civilisation (Zivilisation), l'expression tardive et mortifiante d'une aventure culturelle sur le déclin, c'est-à-dire donnant une sur-puissance aux forces uniformisantes. Comment confondre cet atome grégaire de la civilisation occidentale avec l'individu fragile et improbable dans sa solitude et sa nouveauté, le philosophe, l'esprit libre ayant atteint une "innocence" ou une non-conscience heureuse, "bonne conscience" (et non plus "conscience malheureuse" à la Hegel) ?
 
Au nihilisme, il faut donc opposer le cynisme, c'est-à-dire une façon d'interroger les pseudo-évidences, ces " vérités " de la raison auxquelles nous sommes affectivement attachées parce que le langage commun nous en impose la lecture ("bien", "mal", "vrai", "faux"...) mais qui cachent leur nature instinctive et leur origine fondamentalement pulsionnelle. A force de nier le corps et ce qu'il révèle dans le clair-obscur des affects, nous avons fini par refouler la seule vérité qui mérite quelque considération : notre vision du monde et de la vie n’est qu’une vision seconde et déformée, l’expression jamais questionnée de valeurs pérennes figées dans des réflexes de lectures par l’impérialisme d’une conscience qui, tout à la fois, veut cacher sa nature affective et désirante, et l’exploite en entretenant le besoin d’une vérité morale normalisée et univoque. Le cynisme est une façon de refuser cet "humain trop humain", cet humanitairement bêlant, notre mauvaise foi à comprendre notre propre lecture morale des instincts, ce déni de la conscience par lequel l’instinct du troupeau trouve à se satisfaire dans la tradition morale d’une "vérité" directement accessible dans les "faits". Le nihiliste est esclave de sa non-pensée qui n'est elle-même qu’une interprétation qui s’ignore comme telle et bien souvent condition de la survie d’un groupe culturel dans la mort symbolique de toute autre forme de culture.
 
Faut-il à tout prix sauvegarder la philosophie en la détachant de toute responsabilité dans la misologie ? N’oublie t-on pas l’essentiel lorsqu’on ne voit dans la misologie que l’effet désastreux et accidentel d’une perversion de la raison, c’est-à-dire des erreurs et des préjugés ? Mais si la philosophie est directement responsable, c’est-à-dire cause de la misologie, n’a-t-elle pas aussi, de fait, la responsabilité de lutter contre elle par une auto-critique salvatrice ? La raison ne doit-elle pas se dépasser elle-même dans son exercice philosophique en reconnaissant son "autre", son complément dans ce qui semble s’opposer à elle, la sensibilité, le corps, bref "l’irrationnel" (Pascal, Nietzsche) ? C'est la finalité même de la philosophie contemporaine...


Message édité par l'Antichrist le 23-04-2006 à 12:03:18
n°8216407
l'Antichri​st
Posté le 21-04-2006 à 10:41:37  profilanswer
 


 

rahsaan a écrit :

Schématiquement, pour Nietzsche :
Penser = interprêter une multiplicité de forces conflictuelles afin de les saisir et de les organiser afin d'obtenir le sentiment qu'on les maîtrise, donc qu'on les connaît ==> chercher à augmenter son sentiment de puissance


 
Oui, penser pour Nietzsche, c'est fondamentalement interpréter (quelqu'un avait déjà, il me semble, sur ce même topic, proposé une telle lecture...).
 
Interpréter un "texte" (au sens le plus large possible : ce qui est matière à interprétation quelle que soit son origine), c’est lui donner un sens en faisant en sorte que ce sens, qui lui est donné de l’extérieur, soit effectivement son sens. C'est pourquoi, l’interprétation apparaît immédiatement comme une activité suspecte, car comment se fait-il que le texte original ne dise pas ce sens, si c’est bien son sens ? Pour les Anciens, en effet, clara non sunt interpretanda : ce qui est clair ne doit pas être interpréter. Interpréter un texte, c’est donc donner un sens aux passages qui, en lui, sont obscurs. On voit ici la dimension à la fois technique et pédagogique de l’interprétation : interpréter un texte, c’est le traduire (par la maîtrise des codes du langage) dans un langage accessible au néophyte, c’est jouer l’intermédiaire entre un ensemble confus de manifestations et un spectateur non-initié. Le bon interprète joue donc la transparence : en mettant en retrait sa propre subjectivité, en se faisant le traducteur fidèle du texte, c’est-à-dire des intentions de l’auteur, l’interprète rend ce texte pleinement intelligible, restitue sa rationalité immanente, élucide ce qui, en lui, paraissait équivoque, rend explicite ce qui était implicite, bref fait apparaître ce qui, en lui, fait sens mais de manière trop peu manifeste. La bonne interprétation est celle qui traduit le texte sans rien lui retrancher ni lui ajouter (ceci pourrait d'ailleurs servir de réponse à Hephaestos, plus haut sur cette page : "... j'ai l'impression en le lisant que vous accusez la science de mentir à travers ces illusions, alors qu'au contraire elle les expose comme telles, sans plus de prétention." L'idée d'une science traductrice du langage de la nature à décidément la peau dure...) ; elle se veut un commentaire qui ne laisse de côté aucun détail ni aucun aspect, si ténu soit-il, du texte (phénomène, évènement, comportement, discours...), elle est le compte-rendu complet, circonstancié, de tous les éléments du texte qui participent à lui donner son sens, sens qu’elle cherche donc à épuiser !
 
Cependant, si l’interprétation ne vise pas seulement la clarté mais la fidélité au sens authentique du texte, il s’agit alors bien plus de fusion que d’élucidation. Tel est le talent de l’artiste-interprète : en se faisant l’autre au point d’affirmer sa propre personnalité dans un acte de neutralisation de son propre effort interprétatif, l’interprète ne traduit plus l’autre pour autrui, il le restitue. Mais bien lire (avec le bon ton) ou bien jouer (le comédien se fond avec le personnage) un texte n’est pas la même chose que de bien comprendre la singularité de l’oeuvre. Dans le domaine de l’herméneutique philologique, celui qui complète un texte est bien davantage coauteur de l’auteur (créateur comme lui) que soumis à sa pensée et à ses intentions.
 
En fait, si l’interprétation va du singulier à l’universel, c’est pourtant au prix d’un travail de réduction du sens, certes possible et même souhaitable dans le cas d’un discours logique voué à l’univocité d’une proposition (Aristote), mais beaucoup plus problématique dans le cas de ce qui est destiné à l’équivocité, de ce qui se nourrit de sa propre équivocité : le poème. On peut toujours cesser le dialogue avec le texte poétique ou laisser une interprétation prendre le dessus sur une autre, mais il s’agit alors d’une décision arbitraire qui n’empêche nullement une nouvelle lecture. Il n’est pas possible de réduire un poème à une interprétation définitive et fermée sur elle-même. Au contraire, l’interprétation comme traduction, c’est-à-dire comme volonté "scientifique" d’arracher le texte à la singularité de son expression, fait courir le risque de trahir le sens en perdant l’essentiel, l’impulsion première ! Certains vont même jusqu’à considérer que l’oeuvre n’est au fond que ce que ses interprètes en font ou ce qu’ils y voient. Et ce qui est vrai pour le poème, ne l’est-il pas au fond tout autant pour chaque manifestation humaine ?
 
Ne faut-il pas alors voir dans l’équivocité la source même du sens ? Plutôt que de fuir cette équivocité, ne faut-il pas s’y installer, la faire vivre, y voir la seule vérité du texte, comme si le texte lui-même était la seule réalité accessible ? C'est tout le sens de la lecture nietzschéenne de l'histoire en général et de l'histoire de la philosophie en particulier.
 
Une interprétation est-elle totalement neutre ? Le peut-elle ? Car ce qu’on interprète est déjà une interprétation de la réalité et ne recèle donc aucun sens préexistant univoque. Rechercher une transparence totale est impossible pour l’interprète (il lui faudrait être neutre ce qui supposerait qu’il puisse s’abstraire d’un contexte historique et idéologique), comme il était impossible à l’auteur d’être totalement transparent à lui-même et d’éviter d’exprimer malgré lui une tradition, les préjugés d’une époque et bien sûr un certain vécu personnel. Ces conditions étaient à l’origine du texte mais invisibles à une "simple" traduction. Si ce qu’on interprète n’est pas neutre et reste dépendant des préjugés et des présupposés d’une époque et d’un certain rapport au vécu, l’interprétation elle-même ne peut prétendre à une telle neutralité.
 
C'est en ce sens que Nietzsche pourra parler d’un "socratisme" lié à la personnalité et à la philosophie de Socrate. Comment Socrate pouvait-il exercer une fascination sur les jeunes nobles d’Athènes puisque sa laideur et son origine plébéienne l’opposaient aux valeurs aristocratiques ? La réponse à ce problème se trouve, selon Nietzsche, dans l’existence d’un socratisme avant Socrate, c’est-à-dire d’une situation de détresse caractérisée par l’anarchie des instincts, la dégénérescence, la maladie, en termes politiques par la tyrannie (épisode des trentes tyrans à Athènes). Or, dans la cité grecque, lorsqu’en temps de troubles le tyran prend le pouvoir par la violence, c’est d’abord en s’appuyant sur la populace et en représentant ses intérêts contre ceux de l’aristocratie. Ainsi, Socrate a su répondre aux besoins des athéniens en mettant en place la joute nouvelle de la dialectique, en en faisant le remède inévitable pour une maladie qui gagnait silencieusement la cité. Dans la dialectique, c’est la maîtrise de soi par la raison qui est à l’oeuvre et de fait l’anti-mysticisme de Socrate n’est qu’un mysticisme de la rationalité, un fanatisme, une nouvelle tyrannie succédant à la tyrannie des passions. Dans une société en décadence, Socrate est lui-même un décadent dont la philosophie a cristallisé tout un socratisme inapparent. Dans la dialectique, dans l’idéal de la maîtrise de soi, Socrate est un nihiliste qui place la libération dans l’intériorisation du rapport social entre le maître et l’esclave : dans le caractère sacré de l’obéissance à la raison, l’homme a trouvé un nouveau maître, mais cette monstruosité va permettre de triompher du pessimisme tragique de l’époque.
 
Mais, nouvelle question : à quoi cette critique du socratisme peut-elle répondre chez Nietzsche lui-même ?
 
Ne faut-il pas interpréter l’interprète lui-même ? La vraie richesse du "texte" que l’on interprète ne réside t-elle pas dans l’interprétation elle-même, c’est-à-dire dans sa capacité à continuer le dialogue avec le texte et avec d’autres interprétations, dans son pouvoir de donner de l’extension au texte au lieu de le ramener à un équivalent didactique ? C'est le statut même de l’interprétation qui est en jeu ici : interpréter, est-ce reproduire le sens ou le prolonger ? Il apparaît que l’interprétation possède sa propre valeur. Si l’interprétation est capable d’en dire plus que le texte lui-même, de dégager ce que l’auteur lui-même ne saurait voir, de montrer les implications nouvelles d’une pensée en dehors du contexte qui l’a vu naître, elle gagne son autonomie, devient une oeuvre à part entière susceptible de nourrir à son tour les générations à venir.
 
Peut-on réduire l’interprétation à un pur exercice de traduction et d’explication ? La bonne interprétation ne consiste t-elle pas, au contraire, à respecter l’équivocité en multipliant les approches, en acceptant qu’il puisse exister plusieurs interprétations recevables d’un même texte ? Interpréter un texte, est-ce le reproduire, le mimer ou bien, tout au contraire, l’enrichir et l’approfondir, dire autre chose que lui ou autrement, bref réintégrer dans la visée du sens la réflexion sur sa propre démarche interprétative, la conscience claire du caractère contingent de toute interprétation ? La mauvaise interprétation n’est-elle pas celle qui se fait passer pour une explication (cf. Nietzsche) ?


Message édité par l'Antichrist le 21-04-2006 à 19:08:04
n°8216616
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 21-04-2006 à 11:05:38  profilanswer
 

Citation :

L'idée d'une science traductrice du langage de la nature à décidement la peau dure...


 
Pourtant, je n'ai pas l'impression de vouloir me référer à ce rôle de la science.
 
Ma remarque a été provoquée par le fait que, aprés la lecture de vos propos, je n'arrive pas à distinguer la différence essentielle entre la philosophie et la science (que vous placez sans ménagement aux cotés de la technologie... shocking !).
 
La science me sert à fonder mes choix, à me comprendre, à m'accepter, à être heureux.
 
Ou, pour faire plus simple :

Citation :


Elle m'a évité de me poser de fausses questions.  
Elle m'a appris à construire ma propre pensée et a donc ne pas laisser les autres penser à ma place.
Elle m'a permis de m'intéresser à nombre de choses que j'aurais laissé de côté sans ça.  
Elle permet de comprendre le monde dans sa complexité.  
Elle fortifie l'esprit et donne du courage.


 
Voilà, alors ce qui me trouble, c'est qu'au bout d'un moment, ce truc dont auquel je me revendique (la science), ça ressemble à de la philosophie, ça a l'odeur de la philosophie et la couleur de la philosophie, alors je m'interroge... ?


Message édité par hephaestos le 21-04-2006 à 11:06:33
n°8216966
rahsaan
Posté le 21-04-2006 à 11:37:50  profilanswer
 

>Hephaestos : si la science te fait le même effet qu'à moi la philosophie, alors inutile de vouloir opposer ces deux activités. :D Ni de les confondre du reste.

Message cité 1 fois
Message édité par rahsaan le 21-04-2006 à 11:38:07
n°8217011
sssspion
Posté le 21-04-2006 à 11:41:29  profilanswer
 

A propos de Fragments d'un discours amoureux de Roland Barthes, je voudrais savoir si c'est un livre qu'on peut lire avec profit sans être très au fait de la philosophie en général.  
 
:merci:

n°8217102
rahsaan
Posté le 21-04-2006 à 11:50:41  profilanswer
 

sssspion a écrit :

A propos de Fragments d'un discours amoureux de Roland Barthes, je voudrais savoir si c'est un livre qu'on peut lire avec profit sans être très au fait de la philosophie en général.  
 
:merci:


 
Ah oui, excellent livre. :) Et pas seulement philosophique, mais plutôt collage cubiste de discours amoureux, qui composent une oeuvre singulière, entre critique littéraire, revue des grands auteurs et construction de son propre discours à partir des bouts de discours des autres.  ;)

n°8217487
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 21-04-2006 à 12:27:00  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

>Hephaestos : si la science te fait le même effet qu'à moi la philosophie, alors inutile de vouloir opposer ces deux activités. :D Ni de les confondre du reste.


 
Ce n'est pas qu'un problème d'effet, mais bien de la nature des questions qu'adressent l'une et l'autre.
 
Je veux dire, au fond, c'est toi qui le dis, tout ce qu'on veut, c'est savoir quoi faire... non ?

n°8217576
rahsaan
Posté le 21-04-2006 à 12:35:03  profilanswer
 

En effet. :D

n°8217685
l'Antichri​st
Posté le 21-04-2006 à 12:46:05  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

Compte-rendu d'une discussion avec un jeune amateur de philosophie
 
Thèmes abordés : le stoïcisme, les passions, la maîtrise de soi, le soi ; la paresse/l'ennui ; la vie/l'existence
 
(...)
 
>"Ce qui te ne tue pas te rend plus fort ? :)"   Ce que je veux dire : la mélancolie, la tristesse etc. etc. nous sont utiles pour changer cela, cela dépend de nous.
La phrase que tu cites est l'une des plus célèbres de Nietzsche, oui. C'est bien ce qu'il veut dire par là.
 
A quoi peuvent-être utiles la mélancolie, la tristesse etc. ?
En ce que moi seul peut y faire face, en ce que personne ne peut changer mes sentiments ni les éprouver pour moi, dans cette épreuve, je suis amené à jauger plus lucidement mes forces. En prenant mieux la mesure de celles-ci, je rentre plus en possession de mes forces.  
C'est une épreuve stoïcienne au sens où je suis amené à comprendre ce qui dépend de moi uniquement. Ainsi, au lieu de me disperser, de m'extérioriser dans le monde de façon brouillonne (aller ici et là, courir à la FNAC, perdre mon temps en vaine agitation), je fais face à moi-même, donc je deviens plus maître de moi.  
Ceci me semble particulièrement important à notre époque ; la tristesse authentique est, au bout du compte, plus nécessaire, plus importante, plus profonde et plus riche d'enseignements que les plaisirs futiles de l'agitation, des mille sollicitations de la publicité...
Ce n'est pas pour inciter à tirer la tronche que je dis ça ; seulement, rien n'est plus gratifiiant que de sentir sentir fort et libre, maître de soi, capable de décider de ce qu'on s'autorise à vouloir ou non.
 
> J'ai pas trop trop compris comme on peut prendre conscience de son SOI.
En l'éprouvant, tout simplement. :D
Prends un fait simple : 24h/24, 7j /7, tu es toi et rien que toi ! Tu as à être toi, à te supporter, que ça te plaise ou non !  
Tu as à être incarné, à être un être vivant ; tu as à vivre ; les stoïciens disaient que si tu vis, c'est que tu l'as choisi, puisque si ça te ne plait pas, tu as toujours la porte de sortie du suicide...  
Dès lors, la vie t'est remise à charge : à toi de l'assumer.  
Donc tu as à être toi, mon vieux et on en est tous là ! :D
Et c'est ça, prendre conscience de son SOI : c'est vivre au jour le jour avec soi et apprendre de plus en plus à ressentir qu'on est incarné.
 
(...)
 
>Etre soi c'est vivre ?
Vivre = persévérer dans son être et l'augmenter (Spinoza)
Exister = avoir à être soi (Heidegger)
 
 [:xfred4]


 
Toute cette partie pose au fond la question du désir car désirer, c'est vouloir rentrer en possession de soi !
 
Pour rendre les choses plus claires, commençons par cadrer conceptuellement la question.
 
Le désir n’est pas le besoin. Le besoin relève de ce qui est vital (boire, manger, se reproduire). Le désir, lui, fait intervenir la notion de plaisir. Le désir est une tendance à intensité variable consciente d’elle-même vers un but réel (sa satisfaction) ou imaginaire. On retrouve l’étymologie : desiderare (aspirer à). Il manque quelque chose et la recherche accroît le sentiment d’existence jusqu’à la satisfaction (pour Alain, c’est l’inverse : j’ai besoin de manger - et non je désire manger - implique un mobilisateur d’intelligence). Pour Bachelard, "l’homme est une créature du désir et absolument pas une créature du besoin".
 
Le désir n’est pas la volonté. La volonté est une décision de la raison et d’elle seule en vue de diriger le corps. Le désir est d’un certain côté de l’ordre du subi : penchants sensibles. Dans le désir, il y a un enracinement de l’acte dans la chair elle-même. Un ange n’aurait pas de désir.
 
D'où le problème : désire-t-on par essence ou bien désire-t-on parce qu’on manque de quelque chose ? Spinoza contre Platon. Par exemple : la publicité. Il s’agit de transformer les besoins en désirs. La publicité pour les voitures joue sur le plaisir de conduire et non sur le besoin.
 
Parler de la conscience désirante, c'est nécessairement revenir à la question fondamentale du Soi. La conscience et le sujet connaissant ne sont pas toujours dans une attitude contemplative. Je ne suis pas toujours le spectateur indolent du monde, dans mon cocon. Il faut une confrontation avec les autres pour se connaître. Tant que l’on ne connaît pas cela, le moi est dans une pure potentialité. Cet effort, cette lutte prend la forme du désir. Désirer, c’est sortir de soi et c’est chercher ce que l’on n’a pas. On cherche alors à se connaître dans cette quête.
 
La conscience désirante ne se connaît pas mais prend le risque du désir. Le désir est alors l’aiguillon de cette conscience désirante. C’est le travail du négatif : l’action négatrice de cette conscience désirante. L’objet espéré est atteint par la conscience et il est détruit tout de suite par celle-ci. La conscience désirante détruit l’objet recherché au profit de son établissement : elle produit de la consistance et se renforce. Même s’il y a des échecs : "tout ce qui ne te tue pas te rend plus fort."
 
Le schéma pourrait être celui-ci :  
 
Moi initial            →           Action désirante          →         Assimilation    
Vide                                                                            Intériorisation d’un contenu  
Pure contemplation
 
La conscience désirante a, à la fin du processus, le sentiment de son existence. Mais il y a un problème : pourquoi ne peut-on pas en rester là ? Car il faut passer du sentiment à la conscience. Un tel sentiment n’est pas suffisant, car il ne permet pas de se connaître. Il permet tout au plus de se sentir, de s’éprouver, mais il ne permet pas de se connaître. Exemple : l’enfant qui se bat avec les autres pour avoir un jouet. Il a le sentiment de son existence mais pas de connaissance.
 
Comment passe t-on du sentiment de soi à la conscience de soi ?
 
Il faut passer du désir négatif de l’objet de la conscience désirante à un désir positif de cette conscience, c’est-à-dire au désir du désir. Exemple : le désir d’un homme pour une femme. Dans le premier moment, je désire une femme, c’est-à-dire je désire la posséder. Je recherche le plaisir et cela s’arrêtera là. Il y a une façon de regarder les femmes qui est dégradante et dévalorisante. Mais il y a aussi une façon valorisante de regarder les femmes. La façon dévalorisante est liée à la considération de la femme-objet. Et le désir du désir ? Le désir n’est humain que si l’homme désire non pas le corps de cette femme mais son désir. Il désire qu’elle le désir. Or, un désir qui veut être désiré, c’est la reconnaissance. C’est le désir positif de la conscience désirante. On peut désirer un objet sans être prisonnier de la naturalité, mais le désir d’une chose est humain quand d’autres consciences le désirent : le soldat qui veut prendre le drapeau à l’adversaire. Ce drapeau a une valeur. Le désir véritable est un désir de reconnaissance (le désir du désir de l’autre), lequel est seul capable de me donner conscience de moi-même.
 
C’est donc par l’autre que je passe du sentiment de soi à la conscience de soi : le désir amoureux (A lire d'urgence : Loin de Shandigar, Taroun Tejpal).
 
Mais n'y a t-il pas un problème de la séduction ? Nous retrouvons la figure de Dom Juan.
 
Chez Molina : Molina reprend une vieille tradition espagnole. Le trompeur de Séville et l’invité de Pierre. Un homme à femmes tente de séduire une femme après avoir tué son fiancé. Il pénètre dans la chambre de la femme pour la violer. Le père arrive et Dom Juan le tue. Il fuit et revient dix ans plus tard. La statue lui parle et lui invite à revenir sur les lieux du crime et a participé à un festin. Dom juan est englouti par la terre qui s’ouvre en deux et il n’a pas le temps de se confesser. Voilà ce qui arrive à celui qui a le diable au corps !  
 
Chez Molière : L’histoire se termine mal aussi mais Dom juan devient un personnage fascinant. Il est nihiliste. Il règle des comptes avec Dieu. C’est un libertin mais il ne cherche pas la possession. Il a la plus belle des femmes mais il la trompe : il veut séduire toutes les femmes mais la consommation ne l’intéresse pas. Et Molière considère que Dom Juan est un grand méchant homme.  
 
Chez Kierkegaard : Dom Juan est l’homme aux 1003 conquêtes. Il n’a pas de stratégie de séduction. C’est le désir non pas immoral mais amoral. C’est le désir dans toute sa splendeur. Il n’avilit pas les femmes qu’il séduit. Il les séduit toutes sans exception, de préférence les femmes mariées (car c’est plus difficiles...) : c’est le désir dans toute son ingéniosité. C’est un esthéticien : il vit au jour le jour. C’est l’incarnation de la pure sensualité. Chez l’esthéticien, on a trois figures qui recherchent quelque choses. Dom Juan recherche la séduction. Faust recherche la séduction. Le Juif errant recherche la stabilité. Ces trois hommes se ressemblent car ils n’arrivent pas à comprendre qu’un homme mortel doit avoir des pensées mortelles. Pour Kierkegaard, on ne naît pas chrétien mais on le devient. Il y une théorie des trois stades : esthétique, éthique, religieux. Ce sont des sphères d’existence. Il est impossible d’être dans le religieux tout de suite : l’idéal est d’être dans la religion, donc faire sans comprendre (Abraham ).
 
Bref, Dom Juan rehausse les femmes à leurs propres yeux : il est leur salut. Ce processus ne peut fonctionner que si la femme éveille le désir intellectuel de l’homme. Dom Juan désire en chaque femme la féminité tout entière. Exemple : Berlioz qui compose La symphonie fantastique pour une femme qui ne vient pas voir la première représentation. Mais on a La symphonie fantastique ! Mais la femme éveille le désir de l’homme tant qu’elle se refuse : la femme inspire tant qu’elle se refuse.
 
Pour terminer, il faudrait montrer la différence entre Dom Juan (incapacité à aimer) et Tristan (en aimant une femme, il recompose toute la féminité), mais je n'ai plus le temps...


Message édité par l'Antichrist le 21-04-2006 à 12:54:52
n°8217728
rahsaan
Posté le 21-04-2006 à 12:50:01  profilanswer
 

Au secours, tsunami philosophique ! :D

n°8221898
Mine anti-​personnel
Posté le 21-04-2006 à 20:09:57  profilanswer
 
n°8226881
Profil sup​primé
Posté le 22-04-2006 à 13:33:47  answer
 

je vais prendre le temps de lire Mr antechrist :)

n°8228384
neojousous
Posté le 22-04-2006 à 17:55:12  profilanswer
 

Un physicien doit-il nécessairement être matérialiste ?
 
Question que je pose par rapport à un texte que j'ai à étudier. Dans ce texte, un philosophe critique un appel lancé par des scientifiques à discuter du matérialisme.
Ce philosophe  soutient que la matérialisme n'est pas un a priori philosophique, mais une condition méthodologique nécessaire à toute étude scientifique.
 
Je n'ai malheureusement pas pu avoir accès au texte visé par le philosophe, mais je me demande si le concept de matérialisme n'est pas ici polysémite. N'y a-t-il pas deux sens totalement différent:
 
1) Doctrine ramenant tout à la réalité physique (empirique)
 
2) Doctrine selon laquelle la réalité est constituée de matière
 
Il me semble qu'en effet, 1) est une condition méthodologique préalable à toute étude scientifique, et que les scientifiques n'ont pas à en discuter.
Il me semble que au contraire, 2) ne peut se passer de discution, dans le sens, ou dans la physique, le concept de matière est de plus en plus flou.
Par exemple en mécanique quantique, le concept classique de matière (une entité objectivée dans un espace-temps à 4 dimensions), peut être remplacé par un concept de "vecteur d'état" dans un espace de Hilbert (de dimension infinie).
 
Alors votre avis ? Ai-je raison de penser qu'il y a deux sens possibles au concept de matérialisme ?

Message cité 1 fois
Message édité par neojousous le 22-04-2006 à 17:55:47
n°8228684
lili-mouse
Posté le 22-04-2006 à 19:02:39  profilanswer
 

bonjour!
je m'interesse pas mal a kierkegaard ...l'antichrist pourrait-il developper un peu les 3 stades de l'existence (esthetique ethique et religieux)?
merci d'avance!

n°8232705
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 23-04-2006 à 08:19:03  profilanswer
 

neojousous a écrit :

Un physicien doit-il nécessairement être matérialiste ?


 
Oui.
 
L'ambiguité sur le mot 'matière' ne s'applique pas pour le terme 'matérialiste'.
 
En physique, on appelle matière tout ce qui peut être touché, c'est à dire tout ce qui est fait de fermions (les particules qui ne peuvent pas se superposer - électrons, protons, neutrons) par opposition aux bosons (photons).
 
Ce n'est pas de cette matière là qu'on parle quand on parle de matérialisme, mais de matière au sens général 'qui a une réalité physique', et donc ta définition 2 ne correspond pas au matérialisme.


Message édité par hephaestos le 23-04-2006 à 08:25:55
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