alcyon36 | voilà kelk remarques sur la construction européenne...facon gros pavé indigest.
pour ki vx...
La construction européenne ;
Ambiguïté constructive et européanisation
La construction européenne est sans aucun doute une tentative politique des plus singulière. Après avoir développé et répandu la forme-nation à travers le monde, au point que cette dernière en est devenue la norme, les nations européennes ont entrepris un processus d’intégration à ce jour inédit sur l’ensemble du globe. Cette singularité de la construction européenne en fait un « objet » particulièrement difficile à saisir et à décrire ; quels concepts ou schèmes devons-nous utiliser ? Devons nous en créer de nouveaux ? Tout un ensemble de joyeuses perspectives pour la recherche en sciences politiques.
Dégageons un peu le sens de cette singularité. Ne pourrions nous pas simplement dire, en insistant, et ce à juste titre, sur le rôle prépondérant des Etats membres au sein du processus de décision de l’Union Européenne, que l’Europe n’est, au bout du compte, qu’une Organisation Internationale, comme l’on peut en trouver à différentes échelles régionales ? Rien n’est moins sûr ;
Citation :
Il faut commencer par souligner, à cet égard, ce que le processus européen a de parfaitement original à la surface du globe. Il est banal d’invoquer à son propos, afin d’en plaider la nécessité, les exemples d’intégration économique régionale qui se multiplient un peu partout dans le monde, en Amérique ou en Asie. Le rapprochement n’est pas infondé, là aussi, mais il ne saisit qu’une petite partie de la question, la moins importante. L’Alena ou le Mercosur n’ont pas grand-chose à voir, en vérité, avec ce que représente la construction européenne. Il est indispensable de bien en mesurer la spécificité. (M. Gauchet, La condition politique, X, p. 466)
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En effet, les effets que la construction européenne peut avoir sur notre vie quotidienne, ne sont aucunement comparables à ceux, dont sont capables l’Alena ou le Mercosur.
A vrai dire, la comparaison avec un Etat fédéral n’est pas plus éclairante. Certes, la construction européenne, à l’instar du développement de l’Etat moderne, passe par l’appropriation progressive de différentes prérogatives de puissance publique. Mais il est intéressant de mettre en exergue, que ce mouvement d’appropriation s’effectue en sens inverse de celui de l’Etat moderne ; la défense européenne et le projet d’une armée commune ne sont plus que lettres mortes, l’idée d’une fiscalité et d’un impôt européens semblent encore bien loin devant nous. En revanche, l’Union Européenne semble pouvoir s’enorgueillir de posséder sa propre monnaie. Mais là encore, le processus n’est pas encore parvenu à son terme. D’ailleurs, aussi comparables que puissent être le développement de l’Etat et celui de la construction européenne, nous ne retrouvons pas dans cette dernière les schèmes, qui fonctionnent dans le cadre national ; la séparation des pouvoirs, les changements de majorité… Cette ambiguïté est au cœur de la construction européenne, de son projet, et peut-être même aussi ce qui a permis, en tout cas jusqu’à maintenant, au processus d’européanisation de s’effectuer. Comme le rappelle P. Manent ;
Citation :
La « construction européenne » n’a progressé qu’à la faveur de cette ambiguïté, qui faisait de l’Europe à la fois une chose prosaïque et utile – disons comme la PAC en son temps – et une chose sublime, cette fédération européenne, ces Etats-Unis d’Europe qui accompliraient dans la liberté le rêve de Charlemagne. ( P. Manent, Cours familier de philosophie politique, VI, p. 107)
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C’est donc bien, en un sens, « à la faveur » de cette ambiguïté constructive que s’est développée l’Europe. Certes, voici maintenant quelques années que la construction européenne semble en crise, que des critiques de plus en plus sérieuses se font entendre sur son manque de légitimité, son déficit démocratique (les critiques contre des institutions comme la Commission européenne) et de représentation… Pour autant, il n’est pas contestable que le processus d’européanisation a déjà fait un bout de chemin ; l’idée européenne nous imprègne, nous vivons avec elle ;
Citation :
Dans la logique des travaux des historiens consacrés à l’idée républicaine (M. Agulhon et E. Weber notamment), ce concept (d’européanisation) doit permettre d’observer le degré d’imprégnation de l’idée européenne. Les citoyens de l’Union Européenne l’ont intériorisée comme une réalité évidente, déjà là, extérieure à leurs espaces nationaux et compatible avec une conception du « nous ». ( G. Courty, G. Devin, La construction européenne, p. 105.)
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Cette référence au problème de la républicanisation est particulièrement intéressante. Il s’agissait, en l’espèce, de comprendre le rôle de la pédagogie républicaine dans l’exposition des individus au sentiment républicain, c'est-à-dire, en dernière instance, comprendre comment des paysans sont devenus des citoyens de la République. Tout le problème, pour les tenants de la République, étant justement de faire face à la réticence de la population. En effet, l’adhésion à l’idée républicaine était loin d’aller de soi. Il fallait, à l’époque, réussir à faire comprendre, à incorporer, une idée politique à une population démunie de compétence littéraire. Il s’agit alors de mettre en exergue l’ensemble du dispositif, la mise en place de différentes stratégies afin de conquérir le cœur et la tête de la population ; développement des écoles, lutte contre l’analphabétisme, création de symboles et de slogans, afin de faciliter la transmission… L’Europe est quelque chose que nous ne voyons pas, elle nous est étrangère. Pour autant, nous la côtoyons dans l’actualité, dans notre vie quotidienne… pour le dire brièvement, notre rapport à l’Europe est distant et discontinu. Aussi, à la manière dont Marx aimait à répéter que c’est « la mort qui saisit le vif », il s’agit pour nous de savoir comment nous sommes saisis par l’Europe ?
Sur ce point, l’idée européenne est, tout autant, un label que la République. Différents agents ne cessent de se saisir de l’idée européenne, de s’en prévaloir, de s’en revendiquer, bref, de s’en servir. C’est justement « la multiplication des usages » de ce « label » européen, qui tend à donner une existence effective à l’idée européenne.
Citation :
Un demi-siècle après les premières initiatives, L’union européenne est un symbole de plus en plus présent dans les représentations que donnent d’eux-mêmes les pays membres (i.e. : son drapeau bleu étoilé, son hymne de Beethoven, sa nature Europa de R.-L. Chavanon, sa fête le 9 mai commémorant la déclaration de R .Schuman sur la CECA). Etroitement mêlé à des réalisations concrètes, le succès de l’Europe est aussi celui d’investissements symboliques multiples. ( G. Courty, G. Devin, La construction européenne, p. 104.)
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Comment la construction européenne cherche-t-elle à justifier son bien fondé ? Nous y reviendrons, mais il faut commencer par remarquer que la pédagogie sur l’idée européenne, même si elle tend, peu à peu, à se développer, n’existe quasiment pas…elle n’en n’est qu’à ses balbutiements. Ce qui est particulièrement frappant en ce qui concerne la construction européenne et les stratégies de justification qu’elle déploie, c’est le rôle, visiblement secondaire, accordé à la pédagogie. Que font donc les institutions européennes pour nous convaincre, nous citoyens, de leurs pratiques ? On peut noter, par exemple, les discours du Président de la Commission européenne devant les parlements nationaux... et d’autres tentatives de ce genre.
Mais, nous voyons bien les limites inhérentes à de telles initiatives, à savoir leur incapacité à toucher les citoyens. Pouvoir être touchés, interpellés par ce genre de dispositif politique, n’est possible que pour certains citoyens, et en réalité un très petit nombre. Car, non seulement pour saisir, mais bien aussi pour être seulement curieux, intéressé par la chose européenne et sa vie politique, il est de première nécessité de posséder une réelle connaissance des institutions, des rapports de forces entre Etats… Nous pourrions, sur ce point, reprendre l’expression de Daniel Gaxie, qui parlait, à propos de la question générale de la politisation, d’un « cens caché » . En effet, s’il est nécessaire d’être surdiplômé pour pouvoir appréhender la construction européenne, alors nécessairement si l’on ne possède pas ces pré-requis, le désintéressement est loin d’être étonnant.
A ce propos, il serait assez intéressant de prendre en considération le rôle déterminant des média. La manière dont le traitement des informations est effectué a une influence non négligeable. Il faudrait, par exemple, compter le nombre d’envoyés spéciaux uniquement détachés aux différents lieux où s’exerce le pouvoir européen (Bruxelles, Strasbourg…), afin de mesurer le faible investissement des média pour la question européenne. .
Mais même si ils ne sont pas particulièrement intéressés par les enjeux européens, ou seulement dans le cadre d’une renationalisation de l’information, ce qui est le plus remarquable, c’est cette flagrante incapacité de l’Union européenne et de ses institutions à produire et proposer du simple à penser et à comprendre. S’il nous semblait nécessaire d’insister particulièrement sur cette question du rôle marginal qu’occupe la pédagogie dans le dispositif d’européanisation que déploie l’Union européenne, il n’est pas question pour nous, de prétendre réduire ce dernier à cette lacune. En effet, l’ensemble de la situation n’est pas aussi simple. L’Union européenne loin d’être inactive et d’occulter le problème, s’est, au contraire, efforcée d’explorer et d’exploiter différents terrains.
Les institutions européennes tentent, d’une certaine façon, de façonner un homme européen ; l’ « homo europeus ». Certes, c’est une fabrication très lente et partielle, mais se déroulant sur différents plans, elle produit d’indubitables effets. Qui est donc saisis par Union Européenne, et comment ?
*Sur le premier plan, l’homme que l’idée européenne saisit, est celui qui est enserré par une politique commune de l’Union Européenne. Il s’agit d’un homme au travail ; les agriculteurs, les marins pêcheurs, les mineurs…qui à un moment ou un autre, se retrouvent en prise avec l’Europe.
Citation :
Avec le développement des politiques publiques européennes et la création de l’euro, toutes les situations professionnelles sont progressivement visées, et les labels se multiplient, englobant de plus en plus de secteurs économiques et donc de métiers : Europe sociale, Europe de l’image, Comité d’entreprise européen, etc.…Dans cette perspective, d’autres dimensions de l’Europe s’édifient, mais de plus en plus subjectives. Elles ne résultent plus directement de l’action des groupements d’intérêts, mais s’imposent à chacun dans l’exercice de sa profession : les identités professionnelles sont au centre des réflexions et également au cœur des politiques sectorielles ( G. Courty, G. Devin, La construction européenne, p. 105-106)
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Ce n’est qu’en fonction de l’intensité d’une politique commune que certains se retrouvent saisis par L’Europe, alors que d’autres en sont totalement ignorés.
Il faut également prendre en considération le développement, à la suite de l’acte unique, de programmes de recherches scientifiques portant sur le médical, les télécommunications…près de 2500 nouveaux programmes d’insertion depuis 1985. L’intérêt de ces programmes est évidemment la multiplication des possibilités offertes, par le renforcement du travail entre les Etats au sein de l’Union.
*Ensuite, l’Europe s’intéresse aussi grandement à la formation de l’identité du futur européen ; ce n’est pas tout de saisir l’homme du présent, il faut tout autant s’adresser à celui de demain. C’est particulièrement à partir des années 80 que l’Union européenne a commencé le développement d’une politique éducative. Il s’agit de faciliter le déplacement des étudiants au sein de l’Europe, on songe aux programmes ERASMUS et TEMPUS, et celle des enseignants. Mais, il faut tout autant, favoriser et aider la formation professionnelle avec le projet LEONARDO, ou développer les stages professionnels à travers l’Europe …
Même si ces différents programmes, projets ou institutions, comme l’institut universitaire de Florence, restent dans l’ensemble plutôt timides, et n’obtiennent pour l’instant que des effets marginaux, ce qu’il faut retenir, c’est bien le but affiché par l’Union européenne, de tenter d’élever les générations à venir, de manière à ce qu’elles soient sensibles et conscientes des enjeux propres à la construction européenne.
*Enfin, nous devons prendre en considération, les prémices de la définition d’une citoyenneté européenne, qui se traduisent par le développement d’un ensemble d’éléments en mesure de la composer. On songe principalement à la reconnaissance du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et européennes pour tous les citoyens d’un Etat de l’Union Européenne. L’existence d’une protection diplomatique pour tous les ressortissants d’un Etat membre. Il faut y ajouter l’ouverture d’un recours auprès du médiateur, en cas de mauvaise administration (13000 plaintes depuis 1995) et le développement du droit de pétition auprès du parlement européen, permettant ainsi aux citoyens, dans une certaine mesure, de faire entendre leurs revendications. Malgré ces quelques tentatives, les vrais problèmes de citoyenneté se cristallisent particulièrement autour des droits politiques.
Bien qu’elle soit présente dans de très nombreuses sphères, l’idée européenne n’en est pas pour autant acceptée univoquement par tous. Les années 80 ont vu se mettre en place le concept d’euroscepticisme. Ce concept fut forgé afin de mettre en exergue la diversité des opinions sur la construction européenne.
Comme nous l’avons vu, pour faire l’Europe, il faut convaincre. Il s’agit donc d’être en mesure de connaître les raisons de ceux qui ne sont pas convaincus, leurs doutes quant à la construction européenne… Aussi, la création de nouvelles organisations, à savoir les Eurobaromètres (1973) et Eurostat (1970), dont le rôle est « d’harmoniser les données socio-économiques concernant les pays membres et de suivre l’évolution des opinions à l’égard d’un processus historique qui est aussi un projet. » est loin d’être anodine. Les Eurobaromètres semblent bien relever une certaine stabilité dans le soutien des européens à l’idée européenne depuis 1962 ; l’engouement reste toujours plus ou moins le même. En fait, ce qu’il faut prendre en compte, c’est que pendant longtemps, la construction européenne c’est faite dans l’ombre, à l’écart des peuples. Ainsi, jusqu’aux problèmes rencontrés lors de l’adoption du traité de Maastricht en 1992, l’Europe ne s’est pas construite par rapport aux opinions publiques des différents Etats membres. D’ailleurs, comme le relève justement Courty et Devin ;
Citation :
Les enquêtes Eurobaromètres confirment globalement l’existence d’un niveau stable de soutien à la construction européenne depuis 1962, mais avec des nuances qui n’ont guère retenu l’attention des décideurs : les questions posées systématiquement sur le « moral des Européens » permettaient pourtant de saisir les positions peu favorables des Danois et des Britanniques. (Idem)
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Aussi, ce n’est que très tardivement et lorsque la réticence de certaines opinions publiques commença à devenir saillante, que l’Union européenne s’est efforcée d’exercer une politisation de ces sondages ; elle a, en effet, développé de nouvelles questions portant sur l’élargissement, l’adoption de la monnaie unique, le Traité Constitutionnel Européen… et ce, afin de pouvoir mieux appréhender et agir sur les opinions publiques en question. Une telle volonté, bien qu’elle soit sans doute nécessaire (mieux vaut s’intéresser aux opinions publiques des Etats membres que de les ignorer totalement), semble plutôt difficile à mettre en oeuvre, tant le traitement de ces données est hasardeux. Un des grands problèmes de ces sondages, est justement l’incompétence des européens en ce qui concerne l’Union européenne. Il s’agit là, d’un problème classique de la sociologie portant sur la mesure des « opinions publiques ». En effet, de tels sondages fabriquent des artefacts, des faits artificiels. En imposant à l’enquêté d’exprimer une opinion sur un problème qu’il ne maîtrise pas, ou qui ne suscite chez lui aucune réflexion spontanée. De telles enquêtes ne permettent pas aux individus interrogés, de pouvoir avouer leurs incompétences sur un sujet donné.
En ce qui concerne la construction européenne, il est, comme nous l’avons déjà indiqué, plus nécessaire, afin de comprendre le rôle et le fonctionnement des différentes institutions, l’histoire dans laquelle s’inscrit cette construction, les différentes prérogatives…de posséder une réelle connaissance de l’Union européenne et de ses enjeux. (sans parler tout ce qui se joue de politique étrangère). Dans les faits, l’Europe reste en grande partie dans la pénombre, les européens ont peu de connaissances de son histoire, des grandes dates fondatrices, même à propos des élections, le manque de connaissance et donc d’intérêt est patent. Il suffit de se référer aux sondages publiés par les Eurobaromètres, concernant la connaissance que les européens ont de la construction européenne, pour mettre en évidence la distance qui les sépare des institutions de l’Union européenne.(voir Eurobaromètre 61, opinion publique de l’Union Européenne, rapport national français de printemps 2004, p. 13-14/ Eurobaromètre 63.4, opinion publique de l’Union Européenne, rapport national français de printemps 2005, p. 25.)
Le clivage le plus important, que mettent en exergue ces enquêtes, est sans conteste socio-économique. L’intérêt pour la vie politique est en grande partie fonction du niveau de diplôme et des origines sociales. De tels indicateurs de politisation ne se suffisent évidemment pas à eux weuls, mais supposent également une certaine pratique politique au sein de la société donnée.
Ce qui est frappant, c’est que lorsque l’on se pose face à la question européenne, l’influence de ces critères double d’importance. Le clivage est particulièrement significatif, pour le décrire schématiquement, entre la vie quotidienne et les intérêts de n’importe quel citoyen d’un Etat membre, et celle d’un individu doté d’un habitus international, comme nous pouvons en trouver au sein de ce que l’on nomme « l’immigration dorée » ; jeune, surdiplômé, maîtrisant plusieurs langues, issu d’un couple bi-national ou d’une structure familiale pas uniquement nationale, ayant une expérience précoce des voyages et peut-être même engagé dans un mariage mixte… bref, l’ensemble de ces habitudes contractées, qui rendent familier les problèmes et enjeux européens. D’ailleurs, certains, comme A. Percheron, n’hésitent pas à parler d’un « acquiescement de façade » (en 1992), c'est-à-dire que l’on peut adhérer à cet édifice, car il est de bon ton, il est bien vu d’être pour la construction européenne, de posséder des connaissances, d’avoir un avis sur le sujet. C’est particulièrement remarquable à propos de l’élargissement de l’Union Européenne aux pays d’Europe de l’Est ; nombre des personnes qui affirmaient être pour cette intégration, dès que l’on évoquait l’existence d’une autre possibilité que celle de l’élargissement, n’hésitaient pas à revenir sur leur prime adhésion.
Ce que les réticences envers le Traité de Maastricht et le refus du Traité Constitutionnel Européen, ont montré, c’est bien dans une large mesure, que l’opposition à la construction européenne, ou en tout cas à cette forme là de l’Europe, n’est plus considérée comme une position extrémiste. Ces deux traités, ont vu l’émergence d’un camp du « non » (48% en 1992 / 54% en 2005), qui est certes sociologiquement de plus en plus cohérent (homogénéisation au niveau des diplômes et des CSP), mais qui n’a, en revanche, aucune ligne idéologique. Cette progression du camp du « non » révèle un glissement ; une partie des catégories qui étaient en faveur de la construction européenne, sont désormais contre cette Europe là, ce qui nous renvoie justement à la question de l’acquiescement de façade. Mais l’idéologie, les motifs qui sous-tendent ce refus sont très disparates et hétérogènes. Il est possible de refuser l’Europe des élargissements successifs, comme on peut refuser le dessaisissement de la souveraineté nationale, sans même évoquer les règlements de compte qui s’inscrivent dans le cadre de la politique nationale (la situation du PS pendant la campagne sur le Traité Constitutionnel Européen).
La question électorale est particulièrement significative, et éclaire de façon patente le processus d’européanisation. Il est certain qu’à la différence des élections nationales, le sens des rituels et de la compétition électorale est singulièrement plus difficile à saisir pour les électeurs. Si nous jetons un œil sur la mobilisation électorale aux élections européennes, force est de constater que la situation est loin d’être brillante. En effet, la France est un des pays de l’Union Européenne qui mobilise le moins.
De fait, il est difficile de rendre compte de la réalité de la mobilisation, tant la France est en prise avec un désengagement électoral généralisé . L’éventualité d’un taux de participation équivalent à celui de l’abstention n’est, en effet, pas à écarter. Ainsi, plus la construction européenne tente de mimer institutionnellement les Etats, plus elle augmente les pouvoirs du Parlement, renforce le développement du droit de vote et de la démocratie, plus elle est considérée distante, étrangère ; ce qui ne manque pas d’intensifier la crise de légitimité. Mais il faut bien noter que si les élections européennes, en elles-mêmes, ne suscitent que peu d’intérêt, il n’en est pas de même lorsque les questions européennes sont inscrites dans le cadre national. Si l’on écarte le rôle de bouc-émissaire que les hommes politiques font jouer à l’Union Européenne, cette dernière tend, petit à petit, à s’imposer comme un enjeu dans les élections ; les programmes politiques nationaux présentés aux électeurs, contenant une certaine vision de la construction européenne, imposent de ce fait, dans une certaine mesure, aux citoyens de se prononcer.
Ainsi, malgré son manque flagrant de pédagogie, l’Union européenne développe un ensemble de stratégies afin de saisir les individus, d’être en mesure de cerner et de mieux répondre à leurs attentes. Il est certain, que cette absence de simplification dans le fonctionnement des institutions, avec la méconnaissance et le désintérêt qu’elle ne manque pas de susciter, constitue le principal obstacle du processus d’européanisation.
Mais en se demandant, sur le modèle de la républicanisation, ce que pouvait faire l’Union Européenne pour nous saisir, la manière dont elle accompagne le processus d’européanisation, ce qui était sous-jacent à notre questionnement était bien de montrer la manière dont la construction européenne affronte les obstacles, les réticences qui s’opposent à elle.
Or, en posant la question en ces termes, ne risquons nous pas de passer à côté de ce que peut, plus profondément, signifier la construction européenne ? Car quand nous parlons de ce processus en terme d’opposition à certains obstacles, nous présupposons toujours, au bout du compte, que ce processus est nécessaire et inéluctable ; la construction européenne irait dans le « sens de l’histoire ». Pierre Manent ne dit pas autre chose ;
Citation :
En tout, le problème est d’une telle importance que nous devons l’examiner sereinement, sans nous laisser intimider par la proclamation du caractère « irrésistible » de la construction de l’Europe (après tout, les communistes aussi, qui d’ailleurs parlaient de la « construction du socialisme », faisaient taire les objections en affirmant que le sens de l’histoire était pour eux ; on sait ce qu’il en est advenu). (P. Manent, Cours familier de philosophie politique, VI, p.103-104.)
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Plutôt que de parler d’obstacles à la construction européenne, peut être serait il plus sage et prudent, de chercher à comprendre le problème en terme d’absence de cause(s) positive(s).
Que voulons nous faire en faisant l’Europe ? Pourquoi donc, est il souhaitable de faire l’Europe ?
Mais poser cette question, c’est de fait, poser le problème de la définition du projet européen, ce qui revient à dire, au bout du compte, que cette « ambiguïté constructive », qui est au cœur du développement européen, n’est justement plus constructive.
N’allons nous pas un peu trop vite ? Pourquoi donc cette ambiguïté dans la définition du projet européen, n’est elle subitement plus constructive ? Ne serait il pas possible de soutenir qu’il n’est en aucun cas nécessaire de clarifier les finalités de la construction européennes, ou tout au moins, de signaler qu’une telle clarification se devra toujours d’être limitée. J. Lacroix détermine ainsi cette ambiguïté de la construction européenne. D’un côté, nous avons une discipline constitutionnelle et juridique, avec sa hiérarchie des normes, reposant sur les effets directs des règlements, le principe de primauté du droit communautaire sur le droit national, la jurisprudence de la Cours Européenne de Justice…et de l’autre, nous trouvons une chaîne du pouvoir hiérarchisée du bas vers le haut, des Etats-nations vers l’Union Européenne.
Ce qui est remarquable, c’est que ce pouvoir constitutionnel, ces ensembles de normes et d’institutions, à la différence des fondations politiques traditionnelles, ne se reposent justement pas sur un peuple constituant, et d’ailleurs, la constitution d’un tel peuple européen, n’est en aucun cas le but de la construction européenne. Ce que le Traité de Rome proposait déjà, c’était la formation d’une Union des peuples d’Europe, vivant au sein de communautés politiques distinctes. « Ce caractère singulier de l’architecture constitutionnelle de l’Union Européenne, cette absence de demos constituant, exprime la finalité ultime, le véritable télos de l’intégration européenne. »
Si bien que, comme toute communauté politique, que ce soit les Etats-Unis ou la France, l’Union Européenne n’aurait aucunement besoin de clarifier totalement ses finalités, de définir ce qu’elle est…cette clarification ne pouvant être que partielle. Même si nous pouvons entendre le propos de J. Lacroix, les faits nous invitent plutôt à suivre la réponse qu’en donne M. Gauchet. En l’espèce, si des communautés politiques, telles que les Etats-Unis ou la France, n’ont pas eu besoin, lors de leur fondation, de dire ce qu’elles faisaient, c’est que justement, elles s’appuyaient sur quelque chose de déjà donné.
Citation :
Le pourquoi de cette question, qui peut sembler artificielle, en disant en effet, quand les Etats-Unis ont fait la nation américaine, ils ne se sont pas demandés pourquoi…quand les français ont fait la révolution et adopté une série de Constitutions, ils ne se sont pas demandés pourquoi… Oui, pour une raison, qui dans le cas français est très importante, ils partaient d’un donné ; il existait une entité politique pré-existente, dont il s’agissait de changer la loi. Mais on supposait acquis, l’héritage de l’unité dont on parlait. La construction européenne a cette difficulté supplémentaire, qui la rend extraordinairement chargée d’enjeux, c’est qu’elle est artificielle. D’une certaine manière, elle institue le donné, elle ne part pas de quelque chose qui lui est préalable. C’est le fait justement qu’elle soit cet artifice singulier, qui est une communauté de communautés politiques, qui rend la nature de ce qu’elle prétend mettre en œuvre, une question cruciale. (Intervention de M. Gauchet lors de la conférence, Europe et nations : quelle forme politique pour l’Europe ?, donnée à l’ENS le 12 mai 2006.)
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Reprenons notre question. Pourquoi donc cette ambiguïté constructive, n’est elle plus constructive ? Comment expliquer, que cette question se pose maintenant ?
Si la construction européenne est actuellement en crise, si la nécessité de la définir devient toujours plus pressante, c’est en majeure partie à cause de la chute du mur du Berlin, de l’effondrement du bloc soviétique. Si, à l’origine de la construction européenne, le dispositif fut en grande partie technico-juridique, traités, normes, institutions…et que le problème politique, n’en était justement pas un, c’est à cause de la surdétermination de l’opposition à l’ex-URSS ;
Citation :
Le problème est communément ressenti. L’incertitude sur l’objet de la construction européenne n’a cessé de grandir, en fait, depuis le tournant de 1989-1991 qui, en mettant fin au partage du continent et à la menace soviétique, lui a ouvert d’autres horizons. Elle a fait la fortune de l’expression lancée par Jacques Delors : »un objet politique non identifié », qui, en effet, la résume assez bien. On ne peut plus faire comme si on savait, comme si l’objectif était parfaitement clair, au-delà des justifications pragmatiques qui vont ou qui allaient, de soi (M. Gauchet, La condition politique, X, p.465.)
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Donc, la fin de l’opposition bipolaire constitutive de la Guerre froide, et l’opposition déterminante au bloc soviétique qu’elle supposait, ont pour conséquence de mettre à nu le squelette institutionnel et juridique, qui semble désormais être privé de chair. Une telle construction institutionnelle et technique n’est elle pas, en elle-même, suffisante et souhaitable ? J. Lacroix met en évidence la différence de traitement, de ce qu’elle appelle, les deux « dimensions » de la citoyenneté, qui se joue dans la construction européenne. La dimension de la citoyenneté verticale, c'est-à-dire les rapports que les citoyens nouent avec les institutions européennes étant ténus, est peu développée. Mais après tout, ce qui caractérise l’Europe, c’est bien plutôt la construction de cette citoyenneté horizontale, où l’on est européen, en ce qu’on ne peut pas être discriminé sur le sol d’un Etat membre de l’Union Européenne.
Citation :
La reconnaissance par chacun des pays du principe d’égalité des droits entre nationaux et européens, dimension qui ne suppose pas la création d’une nouvelle citoyenneté européenne, mais une ouverture des citoyennetés les unes sur les autres, celle là a acquis une véritable substance, car finalement, à l’exception de certains secteurs protégés, comme la haut fonction publique, le principe qui prévaut aujourd’hui, est celui de la non discrimination totale, entre nationaux et européens. (Intervention de J. Lacroix lors de la conférence, Europe et nations : quelle forme politique pour l’Europe ?, donnée à l’ENS le 12 mai 2006.)
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Mais justement, c’est cet acquis de la construction européenne qui pose problème à P. Manent. Sur quoi repose cette double dimension de la citoyenneté ? Cette ambiguïté de la citoyenneté recouvre, à ses yeux, une ambiguïté bien plus profonde concernant la démocratie ; la conception, toujours équivoque, que nous nous en faisons, renvoyant au citoyen et à l’individu.
Citation :
La notion de démocratie comporte une ambiguïté, ou une dualité, qu’il est impossible de surmonter : la démocratie, pour nous, c’est la garantie de la protection des droits individuels, donc de l’autonomie personnelle, et c’est aussi l’organisation du self-government, donc de l’autonomie collective. Les deux aspects ne sont pas séparables, mais ils sont distincts. Dans le langage de la philosophie politique contemporaine, le premier aspect concerne l’individu, le second concerne le citoyen. Or, il ne fait pas de doute que la « construction européenne »signifie une extension des droits de l’individu, des possibilités qui lui sont ouvertes, et là réside à coup sûr une grande part de l’attrait de l’Europe pour les habitants, du moins pour ceux qui sont ou se sentent capables de tirer profit de ces nouvelles possibilités.(P. Manent, Cours familier de philosophie politique, VI, p.104. ; Voir également P. Thibaud, Discussion sur l’Europe.)
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Pourquoi une telle conception de la démocratie, comme « protection » des droits des individus, n’est elle pas souhaitable, ou suffisante ? Il est remarquable que sur ce point, et ce malgré des conceptions différentes de la modernité, de son développement, de la construction de Nations, du rôle de la religion…, deux philosophes politiques comme P. Manent et M. Gauchet semblent se retrouver. Si cette conception de la construction européenne n’est pas souhaitable, ni même en un certain sens peut-être possible, c’est qu’elle constitue une tentative de fuite hors du politique. La construction européenne tend à faire, pour faire signe aux travaux de Gauchet, de l’Europe, le continent de la sortie du politique.
Citation :
Quand au rêve de dépassement du politique, au moyen d’un montage subtil de pouvoir proche, d’administration et de droit, il est en train de faire long feu. Aucune gouvernance, si sophistiquée qu’elle soit, ne viendra à bout de l’exigence de se gouverner, laquelle suppose de renouer avec le cadre qui la rend possible. Il n’y a d’autre issue que de revenir au politique là où il se trouve et où il est destiné à rester, dans les Etats-nations. ( M. Gauchet, La condition politique, post-scriptum « La nouvelle Europe », p. 502)
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Citation :
Il y a un nombre déterminé de formes politiques. C’est une des propositions « théoriques » les plus importantes de la science politique. Le monde humain, en tant qu’il est politique, ne présente pas une variabilité indéfinie : il est articulé, il est ordonné. Dès lors qu’on vit politiquement, on vit dans une forme politique, ou alors dans la transition d’une forme à une autre. Cette proposition théorique est lourde de conséquences « pratiques ». Soit la construction européenne : si nous quittons décisivement la forme-nation, il nous faudra rejoindre une autre forme, car on ne peut vivre dans l’indéfinition politique. (P. Manent, Cours familier de philosophie politique, IV, p.75)
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Il s’agit de préciser ce que, P. Manent veut dire par là. En l’espèce, ce qu’il entend remettre en question, c’est qu’il puisse exister, pour reprendre le mot de Dante « une opération propre de l’humanité universelle » . Il est compréhensible qu’un spécialiste des formes politiques, tel que Manent, soit particulièrement sensible à ces questions. En un sens, le problème politique n’a de sens, que s’il est lié à la construction d’un corps politique, d’une « communauté concrète d’action » ; si l’Europe est désincarnée, c’est qu’elle n’est pas en mesure de rendre compte de ce sentiment d’appartenance, d’identification, propre à une communauté politique.
Selon lui, une grande partie du problème, repose sur cet affect démocratique, trop démocratique, que Tocqueville appelait la « passion du semblable ». La construction européenne est la tentative de constituer « un kratos sans demos ».
Citation :
En outre, les développements économiques, techniques, moraux, postérieurs à la Seconde Guerre mondiale ont conféré une sorte d’évidence immédiate à la notion d’humanité, à la conviction ou au sentiment que nous sommes maintenant, que nous serons de plus en plus « citoyens du monde », et d’un monde sans frontière. Dans une humanité qui semble en voie d’unification, la nation, avec son particularisme, avec sa préférence pour elle-même, semble péniblement archaïque, vaguement ridicule, sans doute immorale, en tout cas destiner à s’effacer de plus en plus. (P. Manent, Cours familier de philosophie politique, IV, p.72. ; Voir également, chap XI, « La religion de l’humanité ».)
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Mais après tout, et c’est ce que J. Lacroix cherchait à rappeler, depuis le Traité de Rome, il n’est pas question de viser la formation d’un demos européen. Si la citoyenneté européenne déstabilise la nationalité, elle ne sépare pas pour autant la nationalité de la citoyenneté. (il faut avoir la nationalité d’un des Etats membres, pour être considéré comme un citoyen européen). Elle ne remet pas en cause la nationalité, elle la décentre.
Ce point mérite d’être précisé. Certes, la citoyenneté européenne ne remet pas en cause la nation, mais il faut bien constater que depuis la fin de la Guerre froide, la construction européenne s’est accompagnée d’un travail mémoriel, qui a largement contribué à disqualifier la question nationale ; faisant, à tort, du nationalisme le cœur et l’essence même de la nation .
Quand bien même, on ne serait pas sensible à cette disqualification de la forme-nation, qui permettait au désir humain naturel de se gouverner soi-même, à la suite de la polis et avec une autre ampleur, de « s’accomplir dans une forme qui rassemble des millions, des dizaines, voire des centaines de millions de citoyens » , le problème de cette percée hors du politique reste le même. Même si l’on considère, avec J. Lacroix, le projet de construction européenne de ne pas se fonder sur un demos constituant, le sens de cette « Union » entre communautés politiques distinctes, reste toujours en suspens.
Le problème de cette passion du semblable, de cette religion de l’Humanité de l’homme, c’est bien ce désir d’une auto-organisation des hommes autour de l’idée d’humanité. Il nous semble que l’intérêt particulier de l’ouvrage de P. Manent intitulé La raison des nations, n’est pas tant d’insister sur le seul danger de la sortie du cadre national, mais bien plutôt, de chercher à nous montrer, que cette religion de l’Humanité, nous empêche, de plus en plus, de discerner les choses politiques.
Citation :
Il y a peu de temps encore, l’idée démocratique légitimait et nourrissait l’amour que chaque peuple éprouve naturellement pour lui-même. Désormais, au nom de la démocratie, on réprouve te rabroue cet amour. Que s’est-il passé ? Et quel avenir pour l’association humaine si aucun groupe, aucune communion, aucun peuple n’est plus légitime – si seule la généralité humaine est légitime ? ( P. Manent, La raison des nations, p. 18.)
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Cette question est particulièrement visible quand on prend en considération la manière dont est posée le processus d’élargissement de l’Union Européenne. Quand bien même on ne chercherait pas à fonder une super-nation, mais une Union de communautés politiques distinctes…il faut bien, en dernière instance, pour que cette organisation ait un sens, que nous mettions des choses en commun. Or, mettre en commun, pour des individus, des familles, des nations… c’est toujours supposer, et inscrire concrètement cette communauté dans sa distinction avec d’autres communautés.
Citation :
L’Europe essaie d’échapper à l’obligation de répondre en se cachant dans la foule, en se transformant en foule. Ses « membres » ne sont jamais assez nombreux ! Ainsi entend elle repousser indéfiniment la question du « corps » qu’elle constitue et auquel elle appartient (P. Manent, La raison des nations, p. 96.)
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Pourtant, et c’est bien là, que notre aveuglement envers les choses politiques est le plus flagrant, si l’on considère la manière dont se pose le processus d’élargissement de l’Union Européenne à d’autres Etats, ou d’autres peuples, semble se poser, à savoir en terme de « droit à », de « vocation à » intégrer l’Europe ; mais poser la question de l’élargissement en ces termes, c’est bien, au bout du compte, se refuser toute mise en commun. « Il n’est pas question ici de « droit » ni de « droits » ! Par quelle étrange confusion de pensée dirait-on que la Turquie, ou d’ailleurs n’importe quel autre pays, « a le droit » d’entrer dans les conseils européens ? ».
En nous demandant donc comment l’Union européenne entreprenait de nous saisir, nous avons pu mettre en lumière un manque patent de pédagogie et de simplification. Il serait d’ailleurs possible, de reprendre à notre niveau les travaux de l’anthropologue M. Douglas intitulés Ainsi pensent les institutions , où elle met en exergue le rôle déterminant des institutions ; elles s’inscrivent dans notre pensée, nous fournissent des souvenirs (diplômes, mariage…), façonnent notre savoir… Ainsi, nous pouvons comprendre l’espace européen, comme un espace où les institutions nous permettent très mal de penser ; pour que des institutions jouent pleinement leur rôle de constitution (au sens de donner une consistance) d’une « durée publique », il faut nécessairement, même si ce n’est pas suffisant, que règne une certaine stabilité des règles. Nous tenons là précisément ce qui caractérise un acte de fondation politique, et un processus répétitif d’extension. Ainsi, l’intérêt de la position de P. Manent de chercher à penser la question européenne en terme d’absence de cause positive, met en cause, dans ce qui se joue avec la construction européenne, ne doit pas être réduit à une critique de l’idéologie d’une certaine élite européiste ;
Citation :
Si la non-incarnation du modèle européen le rend forcément élitiste, il existerait également, pour la pensée politique française (particulièrement P. Manent et M. Gauchet) une « élite » européenne qui se signale par son adhésion à un discours articulé qu’il s’agit de démonter. […] D’où l’hypothèse risquée ici, d’une élite, sinon totalement « inventée », du moins très largement fantasmée. Si la critique française du caractère élitiste du modèle européen frappe souvent juste, sa dénonciation de « l’idéologie européiste » manque régulièrement sa cible faute d’éléments probants pour l’étayer. (J. Lacroix, Une Europe sans corps ni tête : l’élitisme du modèle européen dans la pensée politique française)
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Au contraire, ce que nous voulions montrer, en changeant l’axe de notre questionnement, c’est que son approche cherche à mettre en lumière, l’évidente illusion larvée au cœur de la construction européenne, à savoir l’expression concrète de l’aveuglement envers les choses politiques, auquel nous participons tous ; « ces pages sont en vérité la condensation d’un long travail, enclenché par la perception presque douloureuse d’un phénomène à la fois immense et qui pénètre jusqu’au plus intime de chacun. » Sans quoi, il n’y aurait aucun sens, s’il s’agissait seulement de critiquer l’idéologie d’une élite, de rapprocher comme il le fait, cette religion de l’Humanité, cet affect à la source de notre aveuglement, aux sautillements du dernier homme nietzschéen .
Citation :
Vain et creux est l’humanisme qui prétendrait se détacher entièrement de toutes responsabilité envers un peuple particulier ou d’une perspective distincte sur le bien humain. Vaine et creuse est l’Europe qui voudrait se confondre avec le corps en croissance de l’humanité en général. ( P. Manent, La raison des nations, p. 92.)
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Message édité par alcyon36 le 12-08-2007 à 17:58:47 ---------------
"la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger
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