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Auteur | Sujet : Philo @ HFR |
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rahsaan | Reprise du message précédent : --------------- Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com |
Publicité | Posté le 12-07-2010 à 20:59:22 |
Profil supprimé | Posté le 12-07-2010 à 21:10:08
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bronislas | C'est normal, Douleurs du monde est un recueil d'extraits d'autres ouvrages de Schopenhauer. Parmi lesquels son maître ouvrage, Le Monde comme Volonté et comme Représentation. Il est disponibles aux PUF (ancienne traduction, un seul tome) ou chez Gallimard / folio si je ne dis pas de bêtise (nouvelle traduction, en deux tomes). En un tome ou en deux, on se rend vite compte que ce sont de gros volumes assez difficiles à manipuler. --------------- Librarything|Last.fm|RYM |
rahsaan | Au passage, cette idée intéressante qu'au paradis, finalement, on s'ennuie énormément. L'éternité, c'est barbant
--------------- Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com |
Baptman | L'artefact, je ne comprends pas bien les raisons de votre peur vis-à-vis de l'éternité. la finitude, la mort, soit, mais l'éternité? Nous n'avons pas d'éternité. A moins que vous parliez des cellules qui nous composent et qui se transformerons (rien ne se crée...) dans les flammes de l'incinérateur ou dans la mastication studieuse des vers une fois votre corps mis en bière. Nos particules ne sont jamais les mêmes (cf: la métaphore du bateau d Thésée), aussi à ce niveau je ne saisis pas les raisons de votre angoisse.
--------------- So we beat on, boats against the current, borne back ceaselessly into the past. |
Profil supprimé | Posté le 13-07-2010 à 19:09:05
Message édité par Profil supprimé le 13-07-2010 à 19:10:10 |
Baptman | mais ces cellules, disons plutôt atomes, ne sont pas "nôtres", ils ont fait un petit bout de chemin avec nous, mais déjà il est probable qu'un des atomes qui constitue le bout de mon nez se soit auparavant trouvé dans la dent d'une vache (pour rester soft). Quant à ta croyance selon laquelle notre esprit (ou l'énergie, ou que sais-je encore) survivrait à notre corps, et qui constitue pour toi une source d'angoisse (cette non-fin) là où des milliers de personnes l'espèrent et prient pour qu'elle soit bien vraie (en fait je comprends "éternité" comme "vie éternelle", c'est peut être là le hic?), je ne la partage pas et ne m'en inquiète guère. --------------- So we beat on, boats against the current, borne back ceaselessly into the past. |
ploP10 |
Message édité par ploP10 le 13-07-2010 à 20:11:09 |
Profil supprimé | Posté le 13-07-2010 à 20:12:02
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Kede |
--------------- On est tous en cellule mon petit pote, toi, moi, tout le monde. La vie est une prison. Et la plus terrible de toutes parce que pour s'en évader faut passer l'arme à gauche. Plaisante jamais avec ces choses là. Je vais t'enculer. |
rahsaan | Tous les auteurs sont de leur temps, tous leurs livres sont de circonstance, oui. Message édité par rahsaan le 14-07-2010 à 22:38:11 --------------- Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com |
Baptman | Deleuze l'explique d'ailleurs très bien dans son abécédaire: http://www.youtube.com/watch?v=tHJna7X29bs
--------------- So we beat on, boats against the current, borne back ceaselessly into the past. |
rahsaan | Tu cites le meilleur passage de Deleuze pour expliquer ce qu'est le desir. --------------- Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com |
Baptman | connais-toi toi-même quoi... toujours la même histoire en fait. --------------- So we beat on, boats against the current, borne back ceaselessly into the past. |
Baptman | Ce que je veux ajouter? Du sens. Il aurait pu me parler vietnamien j'aurais aussi bien compris! --------------- So we beat on, boats against the current, borne back ceaselessly into the past. |
rahsaan | Je ne vais pas avoir beaucoup de temps pendant une semaine, donc je te repondrai un peu plus tard. --------------- Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com |
alcyon36 |
Sur ce point, il nous faut remarquer que cet intérêt pour la schizophrénie et la volonté de la comprendre, non plus en tant qu’entité psychopathologique spécifique, mais bien comme modèle du fonctionnement de l’inconscient, est un apport propre de Guattari. En effet, ce dernier, ancien élève et fin connaisseur de Lacan, s’appuie en grande partie sur les avancées de ce dernier qu’il intègre à sa propre expérience issue de la psychothérapie-institutionnelle qu’il pratique à la clinique de La Borde,. Dès sa thèse de 1932, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Lacan témoignait déjà de cet intérêt pour la psychose. En ce qu’elle court-circuite le refoulement névrotique, elle constitue, par rapport au névrosé de la psychanalyse traditionnelle, un bien meilleur modèle afin de rendre compte du fonctionnement de l’inconscient. Plus précisément, si la psychose est ainsi prise en modèle, c’est qu’elle permet à Lacan, puis plus tard à Deleuze et Guattari, de mettre en évidence les processus de subjectivation, les mécanismes inconscients, qui produisent, constituent les sujets que nous sommes. Ces synthèses inconscientes assurent la production du sujet, par la constitution d’un ordre symbolique. C’est l’introduction du Signifiant majeur, du phallus ou Nom-du-père, suite à l’opération de la métaphore paternelle, qui permet à la structure inconsciente de fonctionner, c'est-à-dire assure l’articulation des signifiants et des signifiés. Or, justement, comme nous l’avons vu précédemment, ce qui caractérise le psychotique, c’est que la métaphore paternelle n’a pas fonctionné, n’a pas produit d’effet de signification ; le signifiant du manque ne s’est pas détaché, le Nom-du-père est forclos, empêchant ainsi la symbolisation du réel nécessaire à la formation du sujet. Les phénomènes psychotiques permettent d’éclairer négativement ce rôle du codage symbolique dans la structuration du psychisme. Pour autant, l’Anti-Œdipe visant à dégager le désir dans sa production positive, Deleuze et Guattari ne peuvent se satisfaire de la conception lacanienne, qui, à l’instar des autres dispositifs psychopathologiques , ne peut fournir qu’une explication négative du processus schizophrénique ; « le phénomène du délire n’est jamais la reproduction même imaginaire d’une histoire familiale autour d’un manque. C’est au contraire un trop-plein de l’histoire, une vaste dérive de l’histoire universelle » . C’est cette nécessité de saisir la schizophrénie dans sa positivité qui va conduire Deleuze et Guattari à reprendre, dans un horizon matérialiste, la conception jasperienne de la schizophrénie comme processus métaphysique . Alors que la psychopathologie ne retient du processus schizophrénique que ses effets, ses produits proprement pathologiques, l’intérêt de la position de Jaspers est de « repenser le rapport entre le processus et les « poussées » pathologiques qui lui sont bien liées mais qui ne l’expliquent pas » :
Ce rapport avec le démonique dans la nature doit se comprendre comme une véritable expérimentation de nouvelles forces par l’inconscient, « expérience trop déchirante, trop émouvante, par laquelle le schizo est le plus proche de la matière, d’un centre intense et vivant de la matière » . Où nous voyons que ce qui, dans Logique du sens, était reproché à la schizophrénie, à savoir la (con)fusion des mots et des corps, de la pensée et du matériel, se voit à présent louer. Il n’est plus question d’opposer une conquête de la surface du Verbe à l’effondrement schizophrénique dans les profondeurs des corps et de leurs mélanges, ce qui témoigne, comme le souligne justement Véronique Bergen, d’un déplacement de problématique ; Deleuze « passe du problème d’un décrochage – fût-ce dans la continuité- de la pensée par rapport à la nuit de l’être au problème de l’affirmation d’un vitalisme qui rend la première identique à la seconde », « pli de la vie en pensée, flexion de la vie comme pensée »; « Le plan d’immanence est désormais plein, sans manque, rempli de degrés intensifs, sans plus l’excédent d’une case vide, sans plus être pris dans la problématisation de la conquête d’une surface ayant à se protéger de la tourmente des corps. Il n’est plus besoin de recourir à la case vide comme « différence de différence », le plan d’immanence est à lui-même surface productive et organe de « schématisation », condition transcendantale et agent d’actualisation. »
Une telle critique du mécanisme de désexualisation de la libido entraîne l’étude du désir inconscient sur le champ politico-social et à une remise en question de la pratique analytique. Si la désexualisation de la libido n’est pas nécessaire, si le désir inconscient n’a pas besoin d’en passer par Œdipe et la castration, par l’instauration d’un ordre symbolique pour pouvoir être en mesure d’investir le champ historico-social, alors « c’est au contraire par restriction, blocage et rabattement, qu’il est déterminé à refouler ses flux pour les contenir dans des cellules étroites du type « couple », « famille », « personnes », « objets » » . Œdipe n’est plus ce qui détermine une « nature de l’inconscient », mais bien plutôt une conséquence d’un type spécifique de répression sociale, dont la pratique psychanalytique assure l’effectivité. Comme le résume fort bien Foucault dans son compte rendu de l’Anti-Œdipe, « Œdipe ne serait donc pas une vérité de la nature, mais un instrument de limitation et de contrainte que les psychanalystes, depuis Freud, utilisent pour contenir le désir et le faire entrer dans une structure familiale définie par notre société à un moment déterminé. […] Ce n’est pas le contenu secret de notre inconscient, mais la forme de contrainte que la psychanalyse essaie d’imposer, dans la cure, à notre désir et à notre inconscient. Œdipe est un instrument de pouvoir » . Cette critique d’Œdipe, via la remise en question du mécanisme de désexualisation, doit être comprise dans la lignée du paralogisme du ressentiment analysé par Nietzsche dans sa Généalogie de la morale ; la psychanalyse n’a à faire qu’avec un désir se trouvant séparé de ce qu’il peut. Non pas que ce soit la psychanalyse qui invente Œdipe , ce dernier découlant de la répression sociale. Mais d’une part, la théorie et la pratique psychanalytique appuie et accentue cette défiguration du désir, et d’autre part, elle tend à empêcher de déterminer les conditions (quelle organisation sociale et quels investissements sociaux des machines désirantes ?), qui déterminent la production désirante à entrer dans un régime expressif, représentatif. Aussi faut-il préciser qu’un tel instrument de pouvoir, et l’opération qu’il effectue, ce que Foucault appelle un dispositif de savoir-pouvoir, n’est pleinement intelligible que s’il est rapporté à l’organisation sociale dans laquelle il exerce sa fonction, à savoir le capitalisme. Il nous faut à présent, après avoir explicité la détermination schizophrénique du désir inconscient comme processus métaphysique, porter notre attention sur la thèse qui ouvre proprement le champ d’une psychiatrie matérialiste et commande les différentes critiques de la psychanalyse, du marxisme et du freudo-marxisme, à savoir l’immanence du désir au social, qui se traduit dans le dispositif de l’Anti-Œdipe, reposant sur une ontologie de la production, par l’affirmation de l’identité de l’économie libidinale et de l’économie politique. Message édité par alcyon36 le 17-07-2010 à 01:08:09 --------------- "la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger |
alcyon36 | En cherchant à déterminer l’immanence du désir au social, Deleuze et Guattari ne font pas autre chose que de le comprendre comme volonté de puissance, c'est-à-dire comme création de nouvelles valeurs. Ainsi, nous verrons dans un premier temps la manière dont Deleuze et Guattari rompent radicalement avec la psychanalyse, mais tout autant d’ailleurs avec la manière dont le marxisme et le freudo-marxisme comprennent le désir. Puis, il s’agira de montrer que cette nouvelle conception du désir, en l’entrainant sur le champ socio-politique, imposera une nouvelle manière de penser les relations de pouvoirs, les normes, dans le social, et les outils conceptuels pour les décrire. Comprendre le désir comme immanent au champ social, comme volonté de puissance, c’est comme nous l'avons déjà évoqué le rapporté en dernière instance à l’inspiration de Canguilhem sur la normativité vitale, et son primat méthodologique de l’anomal.
Pour autant, si Reich a le mérite de poser le problème pratique du désir, le dispositif théorique qu’il mobilise pour en rendre compte recouvre complètement la positivité de son questionnement initial. Malgré son opposition aux culturalistes, toute sa théorie repose sur la reprise de la distinction qu’ils font entre « la rationalité telle qu’elle est ou devrait être dans le processus de la production sociale, et l’irrationnel dans le désir », et ce faisant « il en revient nécessairement à un dualisme entre l’objet réel rationnellement produit, et la production fantasmatique irrationnelle » . Partant, aux yeux de Deleuze et Guattari, la manière dont Reich comprend le désir, l’empêche de nouer de façon consistante analyse psychique et sociale. Comme dit Sibertin-Blanc, il est encore trop « freudo-marxiste » , bien qu’en vérité le marxisme et sa manière de concevoir la différence et les rapports entre infrastructure économique et superstructure idéologique, l’en empêcherait tout autant. En fait, la critique du freudo-marxisme vise tout autant ce qui dans le marxisme et la psychanalyse empêche de comprendre et de développer une conception matérialiste du désir, qui devrait permettre, selon Deleuze et Guattari, de prendre en compte son effectivité sociale. Le marxisme, la psychanalyse et le freudo-marxisme partagent une seule et même conception idéaliste du désir que les auteurs de l’Anti-Oedipe font remonter et thématisent à partir de Platon et Kant. Le geste inaugural de cette conception idéaliste du désir est celui que fait Platon dans le Sophiste en opérant la distinction, afin de définir l’activité du pêcheur à la ligne, de deux conduites économiques ; l’acquisition et la production . Or, en rapportant le désir du côté de l’acquisition on le subordonne à une réalité préexistante, et à un manque de quelque chose dans cette réalité ; le désir est ainsi toujours compris comme un désir de. Sur ce point, la révolution que la position kantienne dans la Critique de la raison pratique est censée avoir instaurée en s’attachant au versant « productif » du désir ne semble guère aux yeux de Deleuze et Guattari sortir de la position platonicienne, et bien plutôt la radicalise ; c’est à cette position de la philosophie critique qu’ils rapporteront toute la prétendue « nouveauté » de la posture psychanalytique. En effet, en définissant le désir comme « le pouvoir d’être par ses représentations, cause de la réalité des objets de ces représentations » , Kant loin de s’opposer à la distinction de Platon, ne défait pas le lien entre le désir et le manque mais l’amplifie en l’inscrivant dans une distinction de deux types de causalité qui sont irréductibles l’un à l’autre. Tout le problème est que « nous savons bien que l’objet réel ne peut être produit que par une causalité et des mécanismes externes, mais ce savoir ne nous empêche pas de croire à la puissance intérieure du désir d’engendrer son objet, fût-ce sous la forme irréelle, hallucinatoire ou fantasmée, et de représenter cette causalité dans le désir lui-même. La réalité de l’objet en tant que produit par le désir est donc la réalité psychique » . Certes le désir ne manque plus de l’objet réel, mais en distinguant ces deux ordres de causalité, entre une production intérieure, psychique et extérieure, matérielle, elle réduit la détermination productive du désir à la seule forme d’une expressivité hallucinatoire. Or, selon Deleuze et Guattari, c’est bien à cette position kantienne, et à son partage entre deux ordres de causalité que s’inscrit la conception psychanalytique, mais tout autant marxiste et freudo-marxiste du désir. En effet, avec le geste inaugural de Freud la psychanalyse peut s’enorgueillir d’avoir définitivement défait le lien qui subordonnait le désir à son objet ; c’est bien l’objet qui dépend de la contingence du travail des pulsions et non le contraire. Mais ce faisant, à l’instar du geste kantien, elle ne fait que « dégager une causalité psychique endogène à un appareil spécial qui ne peut être isolé que sur la base d’une coupure par rapport à une autre causalité extrinsèque ou « réelle » »
Ainsi, Deleuze et Guattari vont tâcher de rompre avec cette logique idéaliste du désir, selon laquelle il est opposé à sa réalisation et soumis aux exigences de la représentation d’un sujet constitué. Certes, nous nous représentons le désir comme la tension d’un sujet vers un objet, et par là même l’interprétation que nous en donne la représentation nous voile l’expérience même que nous faisons chaque fois que nous désirons, et ce en vertu d’une double erreur qui subordonne le désir comme processus de production, comme expérimentation, aux instances du sujet et de l’objet. Il ne faut pas comprendre le désir comme une faculté qui préexisterait dans le sujet et qui ne demanderait qu’à s’extérioriser, à s’appliquer en vertu d’une occasion . De même, il ne faut pas subordonner le processus désirant à l’instance d’un objet, à une fin, l’acquisition, qui transcenderait le processus lui-même. Comme le formule très bien François Zourabichvili : « Il m’est certainement nécessaire de pouvoir disposer des êtres et des choses sur lesquels sont prélevées les singularités qui entrent dans la composition machinique de mon désir, et d’établir ainsi mon « territoire » - mais c’est afin de pouvoir désirer, autrement dit poursuivre une aventure affective sur ce plan machinique » . Il faut bien comprendre que le processus machinique du désir précède et rend compte de la division du sujet et de l’objet, détermine « les formations d’objectivités et de subjectivités sociales » ; le désir comme production ne doit plus être rabattu sur le plan d’une réalité psychique ou mentale :
Même s’il n’est pas question pour nous d’exposer dans le détail la théorie des machines désirantes développée dans l’Anti-Œdipe , il est toutefois intéressant de comprendre, cet apport permettant à Deleuze de sortir de la psychanalyse, comment elle se constitue à partir d’une certaine lecture du structuralisme lacanien par Guattari. C’est dans son article Machine et structure , que ce dernier propose pour la première fois cette reprise machinique et matérialiste de la structure lacanienne. Lacan le premier avait déjà, via son structuralisme, contesté l’idée que le désir inconscient soit d’ordre individuel, propre à une personne privée, et partant s’opposait à une conception de la psychanalyse, qui issue de Malaise dans la civilisation, ne visait qu’à adapter le moi aux structures sociales ; il s’agissait bien plutôt grâce à la psychanalyse de comprendre comment le sujet est produit par des mécanismes « sociaux » inconscients. Car dire comme le fait Lacan que l’inconscient est structuré comme un langage signifie deux choses. D’une part, qu’il relève de certaines méthodes de la linguistique, les phénomènes de l’inconscient, dégagés par Freud dans L’interprétation des rêves, pouvant se réduire aux mécanismes linguistiques de la métaphore et de la métonymie ; la linguisterie lacanienne . D’autre part et surtout, comprendre l’inconscient comme un langage c’est insister sur le fait que la structure du sujet, ne dépend pas de notre individualité propre, mais doit plutôt être comprise comme le produit d’une opération directement collective et sociale, telle l’acquisition d’une langue. Comme nous l’avons vu la structure symbolique, dimension trans-individuelle ou intersubjective, opère son codage par la coupure signifiante, c'est-à-dire l’introduction du Signifiant majeur. C’est que le désir inconscient pour Lacan n’est jamais « naturel » ou « spontané », le signifié est un flux amorphe continu qui ne peut faire sens que s’il est coupé par un signifiant, la libido est parfaitement indéterminée tant qu’elle n’est pas agencée ou plutôt codée par le fonctionnement de la structure symbolique. Reprenant ces apports de Lacan dans le nouvel horizon dégagé par lecture du délire psychotique en termes d’un « trop plein d’histoire », et son pendant, à savoir la critique de l’idée que « la libido doit se désexualiser ou même se sublimer pour procéder à des investissements sociaux » , le geste de Guattari va consister à les inscrire dans une perspective marxiste. La machine de Guattari va prendre sur elle la fonction de la structure symbolique lacanienne, de codage de l’inconscient par coupure signifiante, tout en la déplaçant dans le champ de la production sociale. A la différence d’une structure symbolique, la machine désirante n’est pas auto-régulée, mais ne fonctionne qu’en étant directement « branchée » sur l’extérieur ; le conscient est pensé dans la dimension matérielle de la production sociale, tout en historicisant l’inconscient freudien, dont l’économie pulsionnelle doit être immédiatement connectée sur les dispositifs sociaux. Au codage symbolique par coupure signifiante, Guattari substitue une théorie fonctionnaliste où la coupure est effective et le codage semi-aléatoire et a-signifiant (Pour cette conception du codage, Deleuze et Guattari s’inspirent des chaînes de Markov, et de son utilisation par Ruyer, dans son ouvrage La genèse des formes vivantes, tant au niveau vital que culturel ; Voir également le commentaire de Anne Sauvagnargues, Deleuze et l’art, pp. 184-189 : « Markov […] étudie les phénomènes aléatoires partiellement dépendants qui caractérisent notamment la structure des langues, et considère qu’on peut déterminer statistiquement les variables qui régissent l’emploi et la succession des entités sémantiques, syntaxiques ou phonologiques, pour les appliquer dans une procédure artificielle itérative et simple (un code) qui permet de « pasticher automatiquement » une langue. Markov en administre la démonstration pour le latin. Un tel traitement statistique reste indépendant de la signification, mais reproduit pourtant les caractéristiques du français, par exemple, où q est toujours suivi de u, h précédé de c dans 50% des cas, etc… » (pp. 184-185.)) . En déplaçant ainsi la fonction de codage, Guattari, puis Deleuze et Guattari, vont lui faire gagner en historicité ce qu’elle va perdre en rationalité ; les machines désirantes, loin de l’idéalité d’une structure symbolique, engagent une véritable efficacité pragmatique sur le plan social-historique. Il ne faut pas pour autant hypostasier cette fonction de codage que mobilise à nouveau frais la machine dite désirante, cette dernière n’étant jamais une totalité, toujours ouverte et connectée sur d’autres machines, « toute machine est déjà machine de machine » (Partout il n’y a que des machines en régime binaire associatif ; une machine source (par exemple le sein) émet un flux (le lait) et est associée ou branchée sur une autre machine organe (la bouche), qui coupe le flux, en prélève un segment pour le consommer. Une machine c’est toujours un système de coupure/flux, dans lequel la coupure n’est pas tant séparatrice que connective. Ces trois opérations, production, enregistrement et consommation, opèrent respectivement avec trois synthèses passives qui constituent le fonctionnement de l’inconscient, ou plutôt les conditions transcendantales du désir inconscient (respectivement la synthèse connective, disjonctive et conjonctive), et constituent le processus de production, comme cycle d’auto-production. Aussi le processus machinique « ne se définit alors pas par les biens matériels qu’il produit mais par la manière dont les produits quelconques sont immédiatement « réinjectés » dans le procès » ) ; « Toujours connectée, dépendante des éléments hétérogènes qu’elle coupe et de sa propre temporalité, elle s’ouvre par définition sur les éléments extérieurs qu’elle connecte et qu’elle coupe. Dotée d’historicité, et susceptible elle-même de valoir comme flux pour une nouvelle machine à synthèse disjonctive, elle joue comme coupure par rapport à ce à quoi elle se connecte, et comme flux pour les rapports de forces dans lesquels elle est prise » . Partant, Guattari opère un double déplacement par rapport à la psychanalyse et au marxisme. Il distingue au sein de la réalité sociale, celles qui sont productives, les machines désirantes, et celles qui sont produites, les structures, qui sont qualifiées d’improductives et d’oppressives (De plus, à partir de cette compréhension machinique du codage symbolique lacanien, c'est-à-dire par son ouverture sur les flux hylétiques de la production sociale, Deleuze et Guattari tâcherons de montrer que cette logique du signifiant, loin d’être une structure intemporelle, fonctionne socialement comme un « marqueur de pouvoir », et possède donc « une inscription historique déterminée » qui en l’espèce « relève des formations despotiques » ) :
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alcyon36 | Contre la psychanalyse, Deleuze et Guattari affirment donc qu’il ne faut pas comprendre le désir à l’aune d’un manque constitutif. Et s’il doit être saisi sur le mode de la production, et non pas de l’acquisition, ce n’est certes pas en ce qu’il serait capable de produire des effets sur le plan d’une réalité psychique ; production hallucinatoire, de fantasmes et de rêves, inconscient névrotique marqué du sceau d’Œdipe et de la castration. Le désir n’est pas de l’ordre de représentations conscientes ou inconscientes que l’on pourrait ranger au niveau de la superstructure, il appartient en propre à l’infrastructure, il est immédiatement « branché » sur le régime social de production et de reproduction des conditions d’existence, il est matériel. L’inconscient n’est pas un théâtre sur la scène duquel se rejouerait sempiternellement le drame d’Œdipe, imaginaire ou symbolique, mais une usine, dont les multiplicités de machines désirantes moléculaires investissent et travaillent les machines sociales molaires ; « ce qui nous intéresse, c’est la présence des machines de désir, micro-machines moléculaires, dans les grandes machines sociales molaires. Comment elles agissent et fonctionnent les unes avec les autres » . L’inconscient n’est pas expressif, il ne veut rien dire et ne pose donc aucun problème d’interprétation ou de sens, mais il fonctionne, il machine et est machiné, et relève de différents usages. Ainsi en cherchant à comprendre le désir comme un processus de production Deleuze et Guattari rompent radicalement avec toute conception anthropologique du désir. Ce dernier doit être proprement compris comme « la cause immanente ou l’auto-production de la vie générique de l’homme dans l’unité de la nature et de l’histoire » . Insérer le désir dans l’infrastructure économique, le comprendre comme un processus de production signifie avant tout que le désir n’a rien de privé ou d’individuel, il est immédiatement social, historique et matériel. Surtout, comprendre le désir comme cause immanente, c'est-à-dire une cause qui « s’actualise dans son effet » , c’est dire qu’il n’est pas réductible au plan d’une réalité « psychique » ou « mentale », car « il s’intègre et s’auto-détermine dans ses effets qui sont immédiatement sociaux, économiques, politiques, et seulement dans certaines conditions particulières, psychiques» . Il faut toutefois remarquer, que si Deleuze et Guattari peuvent reprocher tant à la psychanalyse, qu’au marxisme ou au freudo-marxisme, de supposer une conception idéaliste du désir, et ce faisant de le séparer de toute effectivité sociale, il ne faut pas confondre les différents niveaux de critique. Ce qui relève d’une critique portant sur le plan théorique, que ce soit la conception marxiste de l’infrastructure économique ou la reprise du modèle des culturalistes pour Reich, « doit être critiqué pratiquement dans la psychanalyse, en tant qu’opération thérapeutique, mais aussi en tant que discours social, matrice de production de savoirs et d’interprétations des problèmes sociaux-culturels : sa rupture entre l’économie désirante et l’économie politique joue un rôle actif dans l’organisation du contrôle, de la répression et des modes de subjectivation requis par la production et la reproduction des rapports sociaux actuels »
Aussi, avant de prendre en compte le statut de cette pure fonction virtuelle de la machine abstraite, et la manière dont un agencement de désir en assure l’effectuation, l’actualise, il nous faut préciser les attendus de ce fonctionnalisme, tout à fait particulier, que mobilise le concept d’agencement de désir.
Ainsi, par ce « double passage à la limite » , Butler s’oppose tant à la thèse vitaliste que mécaniste, en ce qu’il remet en question l’unité personnelle et spécifique de l’organisme, et l’unité structurale de la machine. Partant, par ce geste il permet à Deleuze et Guattari de critiquer la distinction entre production ou formation et usage ou fonctionnement. C’est qu’il est vain de prétendre opposer à Butler et à sa théorie que les machines, à la différence des organismes vivants ne sont pas capables de se reproduire, ou seulement par l’intermédiaire de l’activité humaine, car, reprenant un exemple cher à Proust, « y a-t-il quelqu’un qui puisse prétendre que le trèfle rouge n’a pas de système de reproduction parce que le bourdon, et le bourdon seul, doit servir d’entremetteur pour qu’il puisse se reproduire ? » Comme le précise justement Guillaume Sibertin-Blanc, l’intérêt de cet exemple de reproduction naturelle asexuée est qu’il force « à concevoir, à l’endroit où le fonctionnement et la formation semblent les plus disjoints, leur stricte intrication – et du même coup une acception machinique de la sexualité comme co-fonctionnement d’hétérogènes ; ici, un élément ne se reproduit qu’en faisant intervenir dans son processus de formation une mise en usage d’un élément disparate appartenant à un ensemble tout autrement codé » . Certes, il ne s’agit pas de dire qu’une telle identité entre formation et fonctionnement est possible au niveau molaire des grands ensembles spécifiés, qu’ils soient biologiques, sociologiques ou techniques, mais bien qu’il est nécessaire de la prendre en compte au niveau moléculaire des machines désirantes, investissant et travaillant ces grands ensembles, qui seules, en vertu de l’usage immanent de leurs synthèses, « produisent les liaisons d’après lesquelles elles fonctionnent, et fonctionnent en les improvisant, les inventant, les formant » . Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle Deleuze et Guattari peuvent affirmer que l’inconscient n’exprime rien, qu’il ne veut rien dire, car « seul a un sens, et aussi un but, une intention, ce qui ne se produit pas comme il fonctionne » . Ce refus de la distinction entre production et fonctionnement permet à Deleuze et Guattari de thématiser l’union intrinsèque entre désir et machines, le désir n’est pas le produit d’un ensemble de causes mécaniques, ni la machine un ensemble de moyens mobilisés par un désir doté d’une intention : « A ce point de dispersion des deux thèses, il devient indifférent de dire que les machines sont des organes, ou les organes, des machines. Les deux définitions s’équivalent : l’homme comme « animal vertébro-machiné », ou comme « parasite aphidien des machines ». […] Une fois défaite l’unité structurale de la machine, une fois déposée l’unité personnelle et spécifique du vivant, un lien direct apparaît entre la machine et le désir, la machine passe au cœur du désir, la machine est désirante et le désir, machiné » ; les machines désirantes ne sont donc pas qualifiées de machine par analogie ou métaphore, mais parce qu’elles « sont le mouvement même de la détermination machinique du réel, indépendamment de la qualification structurale ou spécifique de ce « réel » (biologiques, techniques, sociaux, économiques, linguistiques, etc.) » . Nous pouvons à présent saisir la consistance de tout agencement de désir : « Qu’est ce qu’un agencement ? C’est une multiplicité qui porte beaucoup de termes hétérogènes, et qui établit des liaisons, des relations entre eux, à travers les âges, les sexes, les règnes – des natures différentes. Aussi la seule unité de l’agencement est de co-fonctionnement » . Encore faut-il préciser que les connexions, les relations qui assurent ce fonctionnalisme particulier, compris comme « unité d’une pluralité irréductible », en ce qu’elles ne doivent pas être préformées, les machines désirantes se formant et fonctionnant «en les improvisant, les inventant, les formant » , doivent être pensées comme opérant un démontage effectif, « désunification et détotalisation in re », sur « des formes et organisations données »(Voir KLM, chap. 9, « Qu’est-ce qu’un agencement ? », pp. 145-157 : « La machine n’est pas sociale sans se démonter dans tous les éléments connexes, qui font machine à leur tour. La machine de justice n’est pas dite machine métaphoriquement : c’est elle qui fixe le sens premier, non seulement avec ses pièces, ses bureaux, ses livres, ses symboles, sa topographie, mais aussi avec son personnel […]. C’est que la machine est désir, non pas que le désir soit désir de la machine, mais parce que le désir ne cesse de faire machine dans la machine, et de constituer un nouveau rouage à côté du rouage précédent, indéfiniment, même si ces rouages ont l’air de s’opposer, ou de fonctionner de manière discordante. Ce qui fait machine, à proprement parler, ce sont les connexions, toutes les connexions qui conduisent le démontage. » (p. 146).) .
La machine abstraite doit se comprendre à l’aune de la physique des forces élaborée par Nietzsche . Il s’agit d’un champ de forces, dont les multiples rapports de forces qui le peuplent déterminent des pouvoirs d’affecter (fonction non-finalisée) et des pouvoirs d’être affecté (matière non-formée) ; « On ne demande pas « qu’est ce que le pouvoir ? et d’où vient-il ? », mais : comment s’exerce-t-il ? Un exercice de pouvoir apparaît comme un affect, puisque la force se définit elle-même par son pouvoir d’affecter d’autres forces (avec lesquelles elle est en rapport), et d’être affectée par d’autres forces » (C’est pour cette raison que Deleuze, à l’instar de Foucault, comprend les catégories du pouvoir par des listes de termes tel que ; inciter, susciter, produire pour le versant actif, et être inciter, être susciter et être déterminé à produire pour le versant réactif des affects.) . Ensuite, afin d’expliciter le rapport entre ce processus machinique, cette machine abstraite et l’agencement qui l’effectue, Deleuze reprend sa notion de causalité immanente :
Donc dans un premier temps, les agencements de désir concrets actualisent ces rapports de forces, qui sont « virtuels, potentiels, instables, évanouissants, moléculaires » , leur donnant une forme, matière formée et fonction finalisée. Ce qui veut tout autant dire que les effets s’intègrent dans des milieux spécifiques ; « Les agencements concrets de l’école, de l’atelier, de l’armée…opèrent des intégrations sur des substances qualifiées (enfants, travailleurs, soldats) et des fonctions finalisées (éducation, etc.) » . Et enfin, cette intégration s’effectue par différenciation d’une forme de contenu et d’une forme d’expression (Deleuze et Guattari ont développé une conception tout à fait particulière de la sémiotique, c'est-à-dire une étude des différents régimes de signes, qui comprend un versant sémiologique portant sur le régime de signe dit signifiant. En découle toute une critique du structuralisme linguistique, allant de Saussure jusqu’à Chomsky ; Sur les régimes de signes MP, pp. 140-184 ; sur la critique des postulats de la linguistique, MP, pp. 95-139. ) ; « Foucault remarque qu’une institution a nécessairement deux pôles ou deux éléments : des « appareils » et des « règles ». Elle organise en effet de grandes visibilités, des champs de visibilité, et de grandes énonçabilités, des régimes d’énoncés. L’institution est biforme, biface» . Ce qu’il faut surtout retenir de tout ce dispositif quelque peu abstrait, c’est la manière dont Deleuze comprend cette actualisation du processus virtuel par les agencements de désir à partir de la question de la cause immanente. Partant cette ontogenèse est rapportée à la conception du mode fini chez Spinoza . Spinoza distingue entre l’essence du mode et le mode fini existant. Et, remarque Deleuze, l’essence compris comme un degré intensif de la puissance divine possède une existence pleinement positive, qui ne dépend en rien de l’existence du mode fini : « Nous savons que l’existence d’une essence de mode n’est pas l’existence du mode correspondant. Une essence de mode existe, sans que le mode lui-même existe : l’essence n’est pas cause de l’existence du mode. L’existence du mode a donc pour cause un autre mode, lui-même existant » . Ainsi, à l’instar de l’agencement de désir par rapport au processus machinique qu’il actualise, le mode fini était alors compris comme fonction d’existence de ce degré de puissance. Or, dans sa lecture de 1967, Deleuze dégage ainsi deux axes permettant de déterminer cette existence du mode fini, un rapport caractéristique et un certain pouvoir d’être affecté :
Le premier axe est cinétique et détermine un corps comme étant un certains rapports de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteurs entre parties extensives. Nous pourrions tout aussi bien dire un certain co-fonctionnement entre éléments hétérogènes. Le second axe est dynamique, et demande à ce qu’on définisse un corps quelconque, non « par sa forme, ni par ses organes ou fonctions » par les affects dont il est capable. Selon l’exemple célèbre de Spinoza, d’après cet axe il faut bien dire qu’un cheval de labour est plus proche d’un bœuf que d’un cheval de course. Or, ces deux axes sont précisément les deux mêmes que ceux que l’on retrouve dans la définition de l’agencement que Deleuze et Guattari proposent :
Comprendre le désir comme immanent au social, et ce en coupant radicalement les ponts avec la conception psychanalytique du désir, entraine Deleuze et Guattari à proposer une nouvelle conception du champ social, et donc tout autant de nouveaux outils conceptuels dont témoignent le couple processus machinique et agencements de désir. Reste alors à comprendre quel peut être l’apport de ce nouveau dispositif conceptuel, la perspective singulière qu’il ouvre sur l’analyse des forces et dynamiques qui parcourent ce champ.
--------------- "la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger |
alcyon36 | Afin de pouvoir analyser le champ social, Deleuze et Guattari vont mobiliser et faire travailler concrètement le dispositif théorique des processus machiniques virtuels et des agencements de désir :
Ce qui importe le plus, et qui servira de point nodal tout le long de leur analyse, c’est que ces différents processus machiniques, en ce qu’ils consistent en une fonction abstraite virtuelle, l’ensemble de ces processus appartiennent à un même champ de coexistence, dans lequel ils se font concurrence, se confrontent et s’affrontent. Or, la coexistence de ces processus a deux aspects. D’une part, il faut parler de leur coexistence extrinsèque. Il s’agit alors de prendre en compte l’hétérogénéité interne d’une formation sociale quelconque. Pour prendre un exemple :
Mais cette coexistence a un second aspect qui déterminera toute l’instruction des formations sociales, à savoir une coexistence intrinsèque. Cette dernière nous permet de préciser le double caractère de tous les processus machiniques. Ces derniers ont certes une fonction virtuelle (anticipation-conjuration, capture…) mais ils possèdent aussi ce que nous pourrions appeler une modalité de puissance. C’est que chaque processus machinique « peut fonctionner aussi sous une autre « puissance » qui correspond à un autre processus » :
L’ensemble de la philosophie politique de Mille plateaux consiste justement à rendre compte de ces interactions et appropriations mutuelles entre différents processus machiniques. Il nous faut préciser encore un point d’importance qui concerne le principe d’immanence du désir, ou si l’on veut le primat méthodologique de l’anomal dans l’instruction des formations sociales. Deleuze et Guattari informent leur analyse du champ social par la détermination de ce qu’ils appellent la tendance universelle, qui doit être comprise comme le processus métaphysique de la schizophrénie, processus de décodage généralisé. Ils dégagent cette tendance à partir de la conception marxienne de l’accumulation primitive du capital , à laquelle ils font subir un déplacement notable. Par cette dernière Marx montrait que l’instauration de mode de production capitaliste supposait la dissolution préalable des anciens codes sociaux. Mais alors que Marx cantonnait ce processus de décodage à la formation féodale européenne, Deleuze et Guattari vont l’étendre à l’ensemble des champs sociaux historiques, ce dernier travaillant dans toutes les formations sociales. Cette détermination tendancielle de l’histoire universelle est fondamentale pour l’instruction que Deleuze et Guattari entendent mener, elle constitue le principe d’intelligibilité des formations sociales, à partir du concept de limite du social. Car ce qui apparaît rétrospectivement comme un processus de destruction, de dissolution, permet de dégager une perspective critique sur la manière d’entreprendre l’analyse des formations sociales. Ce dont il faut rendre compte, c’est la manière dont elles assurent le codage, conjurent, c'est-à-dire par la création et la mise en œuvre toute positive d’institutions, de pratiques sociales…, le processus de décodage qui les travaille de l’intérieur, et dont elles pressentent qu’il signifie leur destruction :
Le processus universel de décodage, processus métaphysique, en ce qu’il travaille toutes les formations sociales de l’intérieur, doit être compris comme la limite absolue du social, faisant vaciller tous les codes, toujours à la limite des codes. Mais ce dont témoigne ce pressentiment mortifère des formations sociales, c’est que cette limite absolue du social est elle-même toujours « prise dans des mécanismes qui la conjurent activement et de telle sorte qu’elle ne peut apparaître, par une sorte de projection, que sous la forme d’un accident survenant de l’extérieur » , comme limite cette fois réelle de telle ou telle formation sociale.
D’autre part, outre ces considérations pratiques, qui sont certes très importantes, il faut également insister sur un autre point, qui nous semble à certains égards plus fondamental. Comme nous l’avons vu, le dispositif conceptuel dégagé à partir de cette conception du désir, processus machinique et agencements de désir, reprend le modèle de l’individuation spinoziste du mode fini. Or une telle reprise n’est certainement pas sans importance. En effet, Deleuze dans son ouvrage de 1967 sur Spinoza rapportait la compréhension du mode fini sur le plan du droit naturel moderne . Les deux axes par lesquels il faut définir un mode fini, et tout autant un agencement de désir, doivent permettre d’instruire « une méthode d’explication des modes d’existences immanents » . Or une telle explication, censée remplacer tout usage ou recours à des valeurs transcendantes, c'est-à-dire en dernière instance à la morale comprise comme jugement de Dieu, correspond à ce que Deleuze baptise la vision éthique du monde. Aussi, pouvons-nous préciser le réel enjeu qui se joue avec le désir dans la philosophie pratique de Deleuze. Proprement compris, le désir est ce qui doit permettre à Deleuze de proposer une méthode, via les concepts de processus machinique et d’agencements de désir, d’explication des corps sociaux immanents, de déterminer et d’évaluer les rencontres qu’ils font, les affects dont ils sont capables. Autrement dit, avec le désir il s’agit pour Deleuze de poser dans toute son extension la question de l’immanence à propos champ social et des corps institutionnels qui s’y déploient ; « Qu’est-ce que peut un corps ? ». Message édité par alcyon36 le 16-07-2010 à 14:05:18 --------------- "la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger |
rahsaan | Bravo et merci
Message cité 1 fois Message édité par rahsaan le 16-07-2010 à 07:55:42 --------------- Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com |
pascal75 | Alcyon > suis en train de lire, mais avant que j'oublie, une petite remarque à laquelle tu réponds peut-être plus loin dans ton texte... J'ai l'impression que tu fais dériver la conception deleuzienne du désir, de celle de Lacan. Je crois que Deleuze n'a jamais eu à se dériver d'une quelconque manière de Lacan et ,qu'en particulier, sa conception du désir il la doit d'abord à Spinoza : "le désir comme conatus devenu conscient". Mais je continue la lecture de ton texte, fort intéressant C'est un travail dans quel cadre ? --------------- |
alcyon36 |
Message édité par alcyon36 le 20-07-2010 à 22:54:28 --------------- "la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger |
alcyon36 |
Message édité par alcyon36 le 18-07-2010 à 21:44:07 --------------- "la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger |
Bad Bond Agent #003 | yo,
--------------- recordman du jeu du screenshot : Okiron en 12Secondes |
alcyon36 | yo à toi,
Message édité par alcyon36 le 19-07-2010 à 23:57:39 --------------- "la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger |
Bad Bond Agent #003 | ok d'accord, il n'y a donc pas vraiment d'édition avec des notes explicatives simples... --------------- recordman du jeu du screenshot : Okiron en 12Secondes |
Profil supprimé | Posté le 20-07-2010 à 21:35:55 Olala la façon dont Schopenhauer s'attaque aux femmes dans son essai sur les femmes.... |
alcyon36 |
Message édité par alcyon36 le 20-07-2010 à 22:49:54 --------------- "la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger |
bronislas | Non j'avoue que pour Le Prince, j'ai la version GF chez moi, mais je l'avais acheté en urgence pour y rechercher des passages cités par Manent dans ses livres. Mais je crois que l'édition du Livre de Poche propose des notes de bas de pages plus simples et plus « littéraires ». Essaye de faire plusieurs librairies et de comparer si vraiment tu veux l'édition la plus simple possible. Tu peux aussi te lancer directement dans la lecture du texte. Machiavel n'est pas un auteur qui est difficile en raison de sa plume, mais plutôt de ses intentions. Je ne résiste pas à l'envie de citer Manent dans Naissances de la Vie politique moderne, et à vrai dire la première partie de son livre dédiée à Machiavel est vraiment très intéressante. En tout cas j'avais lu ça avec beaucoup de plaisir. « Que la place des œuvres de Machiavel ne soit pas le chevet des despotes, c'est ce que ses lecteurs avisés ont toujours compris ou plutôt pressenti. Mais la difficulté est de fonder en raison ce pressentiment, et Spinoza ou Rousseau eux-mêmes n'y parviennent pas. Tout interprète paraît fatalement conduit à porter les écrits du Secrétaire florentin infiniment au-delà de leur lettre sans toujours pouvoir justifier cet écart, arbitraire et nécessaire. Ce n'est pas que le style de Machiavel soit obscur, au contraire ; comme le dit Nietzsche, on respire dans ses pages « l'air sec et subtil de Florence ». Cependant, tant de clarté, un tranchant si pur ne sont que le moyen d'un cryptogramme et le cynisme une ressource de l'hypocrisie. Le texte machiavélien étincelle d'obscurité ». Message édité par bronislas le 20-07-2010 à 22:44:10 --------------- Librarything|Last.fm|RYM |
alcyon36 | Oui, très beau passage de Manent, en ce moment je suis en train de parcourir les Discours en lisant le bouquin de Strauss, sur lequel la lecture de Manent s'appuie, "Pensées de Machiavel". J'ai aussi parcouru sa lecture du Hieron de Xenophon ainsi que sa correspondance avec Kojève...assez marrante d'ailleurs. Message édité par alcyon36 le 20-07-2010 à 23:20:59 --------------- "la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger |
kimaswan Gutta Cavat Lapidem |
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kimaswan Gutta Cavat Lapidem | Je cherche un/des livre(s) sur le réformisme et l'idée de révolution (dans une acception politique principalement). Des suggestions ? Message édité par kimaswan le 13-08-2010 à 01:00:14 |
phyllo scopus inornatus | Salut tous,
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mixmax Too old for this shit. |
phyllo scopus inornatus |
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mixmax Too old for this shit. | t'as le droit de browser un minimum aussi
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phyllo scopus inornatus |
Kede |
--------------- On est tous en cellule mon petit pote, toi, moi, tout le monde. La vie est une prison. Et la plus terrible de toutes parce que pour s'en évader faut passer l'arme à gauche. Plaisante jamais avec ces choses là. Je vais t'enculer. |
phyllo scopus inornatus |
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