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Quels sont pour vous les trois livres de philo à lire pour un honnête homme ?


 
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1.  "La république" de Platon
 
 
6.7 %
 119 votes
2.  "La métaphysique" d'Aristote
 
 
15.7 %
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3.  "l'Ethique" de Spinoza
 
 
1.5 %
    27 votes
4.  "Essai de théodicée" de Leibniz
 
 
15.0 %
 266 votes
5.  "Critique de la raison pure" de Kant
 
 
17.8 %
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6.  "Par delà le bien et le mal" de Nietzsche
 
 
5.9 %
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7.  "L'évolution créatrice" de Bergson
 
 
6.4 %
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8.  "Etre et temps" d'Heidegger
 
 
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9.  "Qu'est-ce que la philosophie" de Gilles Deleuze
 
 
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10.  "Moi, ma vie, mon oeuvre" de obiwan-kenobi
 

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Auteur Sujet :

Philo @ HFR

n°20340175
bronislas
Posté le 27-10-2009 à 10:23:19  profilanswer
 

Reprise du message précédent :

Tietie006 a écrit :

La "common decency" serait-elle la chose au monde la mieux partagée ?


Vous ne vivez pas en France, avouez.  [:churros norris]

 

Plus sérieusement, il me suffit de sortir pour voir qu'elle est presque unanimement niée. Rencontrez-vous si souvent que cela des gens qui ont des égards pour vous (non feints, dans une relation d'égal à égal) ? On est souvent plus proche, je crois, de ce que Hegel appelle la société civile, où tout le monde cherche son intérêt personnel, y compris chez l'autre.

 

Je ne préfère pas repenser à mon job d'été, pendant lequel on devait me signifier plusieurs centaines de fois par jour la différence qui me séparait du client. Néanmoins ce souvenir m'amène à penser que s'il est vrai que tout lieu de commerce est propice à ce genre d'attitude il est de nombreux cas où il est inutile d'insister étant donné que la configuration, l'agencement et le fonctionnement d'une boutique se chargent déjà de matérialiser la différence entre le client et le vendeur.

 

Il existe d'ailleurs des situations qui nécessitent au contraire de signifier, voire matérialiser cette différence (par exemple en salle de cours, pour que le professeur conserve son autorité). Mais dans ces situations là, ce n'est pas une différence dont on tire avantage, normalement, au risque de retomber dans l'indécence (la personne abusant de son autorité).

 
Tietie006 a écrit :

Michea souligne que cette fameuse "common decency" a explosé, dans notre société actuelle, et je veux bien le croire, mais la respectait-on dans le passé ? Je n'ai pas l'impression que les sociétés antiques ou médiévales vivaient sous l'aune de cette "common decency" ! Bref, à part les sociétés primitives, dès que les sociétés se sont complexifiées, la "common decency" a volé en éclat ...

 

À l'origine, ce que je voulais dire c'est que depuis un certain nombre d'années, la publicité qui appelait à se réaliser, s'inscrivait à mes yeux dans processus d'affichage ostentatoire de soi. Au niveau de l'expérience commune, je pensais au Che qu'on voit sur les tee-shirt, sur les sac à dos, aux logos de marques, de groupes de rocks, aux keffieh et croix, à la volonté de se rattacher à une situation précise en arborant "produit de banlieue" ou le "A" de l'anarchiste sur soi, etc. (la liste est longue). Je ne crois pas qu'il y a encore 30 ans ce phénomène était à ce point généralisé, et j'y ai peut-être vu, à tort, des restants de common decency.

Message cité 1 fois
Message édité par bronislas le 27-10-2009 à 10:35:43

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Librarything|Last.fm|RYM
mood
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Posté le 27-10-2009 à 10:23:19  profilanswer
 

n°20341238
l'Antichri​st
Posté le 27-10-2009 à 11:51:07  profilanswer
 

bronislas a écrit :

Je me permets de poser quelques questions avant que les autres ne répondent car je viens de lire votre texte cinq fois et je n'y comprend strictement rien. Je me limite au premier paragraphe car vu que je ne le comprend pas, le reste du texte m'est d'autant plus incompréhensible. Attention cela risque de descendre très bas, au ras des mots.
 


 

bronislas a écrit :


Ici par exemple, je ne comprends tout simplement pas en quoi la profondeur, qui est justement ce qui est voilé par la surface (puisque pour moi un voile est ce qui recouvre une chose et empêche de voir ce qu'il y a en-dessous, en profondeur) puisse "dévoiler" l'être. Je ne serais pas contre une explication, un développement. Ce que je comprends avec peine, ce serait que profondeur et surface sont constitutives de l'être, et que le "dévoilement" de l'être ne peut se faire qu'avec la connaissance des deux. Mais la profondeur n'est pas un mode du dévoilement de l'être, il n'est pas un mode de quoi que ce soit, il est partie de l'être.
Que l'identité et l'alterité soient des "modes" de dévoilement de l'être, j'arrive déjà à mieux le concevoir.
 


 

bronislas a écrit :


L'expression de la profondeur en surface qui doit nous intéresser au plus haut point, est donc à considérer comme un discours de l'infini dans le fini ou de l'un dans le multiple. Pourquoi ? Et comment se présente-t-il ce discours ?
 


 

bronislas a écrit :


Dans ce cas, la profondeur que tu nous présentais comme un mode de dévoilement de l'être est un mode de dévoilement impossible si j'ai bien compris (ce qui peut poser problème pour la psychanalyse d'ailleurs, car sonder le subconscient, c'est sonder ce qu'il y a en-dessous de l'état de conscience, en profondeur).
 


 

bronislas a écrit :


Je ne vois pas le lien qu'il y a entre les deux parties de la phrase en l'état. Pourquoi la pudeur ne serait-elle pas une loi issue de l'être ? Il y a une première forme de pudeur, dictée par la tradition, la morale ou la religion ; mais son acceptation reste soumise au libre-arbitre. Pourquoi la loi serait-elle exclusivement appliquée de façon "procédurière" ? Une loi ne peut-elle pas être au contraire "interprétée" ?
 


 

bronislas a écrit :


À première vue je ne suis pas d'accord. Ou en partie seulement. Être soi c'est coincider avec soi, ou en tout cas il me semble que ce devrait être effectivement le cas. Mais dans le verbre "manifester" il y a l'idée de se rendre manifeste, visible, intentionnellement (encore que). On retombe dans la "technique abstraite" dont tu parles juste avant.  
 
Voilà je suis désolé de montrer mes interrogations qui sont certainement naïves, mais vu que je bloque déjà sur ce premier paragraphe, la suite ne fait pas sens.


 
Votre interrogation est non seulement légitime, mais pertinente pour introduire la suite du message (que vous n’avez malheureusement pas lu… toute introduction est déjà au coeur du problème), et révèle une incompréhension assez banale de ce qui est en jeu ici, de ce dont il est question dans la relation, en apparence conflictuelle, entre "surface" et "profondeur" et que votre manque de maîtrise du vocabulaire et des concepts ne fait, sans gravité, que révéler.
 
Donc, tout d’abord, "dévoiler" ne signifie pas "découvrir ou soulever le voile", comme vous dites, mais laisser éclore ce qui est absolument originaire : l’être est épanouissement, création si vous préférez (ce que les grecs traduisaient par le mot "poiêsis" ) et non pro-duction au sens d’une application technique, sachant que la "technique" ne se réduit pas aux "choses techniques", mais constitue un mode généralisé de connaissance. L’être n’est pas objet de savoir et ne peut l’être : il est toujours déjà au-delà ou en-deçà de tout ce que nous pouvons connaître et dire, c’est-à-dire principe ou origine de toutes choses. L’être n’est pas clôturé, ni dans le discours, ni dans sa signification. L’être ne peut être objet d’interprétation, car il n’est pas un mot, mais la condition de tous les mots, c’est-à-dire la pure relation, impensée, qui rend possible toute pensée, toute réalité comme pensée. L’être est antérieur à la pensée et en même temps il lui est subordonné parce que la pensée lui sert de modèle. Or l’être "est", il ne prend modèle sur rien, ne renvoie à rien d’autre que lui-même. Il ne se constate pas d’abord sous une forme ou une sous autre pour être ensuite appliquée à l’ensemble du monde. L’être n’est pas intramondain. L’être du monde n’est pas d’avance pensée comme surgissement, éclosion.
 
Ainsi, l’être est bien ce qui nous permet de renouveler notre émotion. L’image ou la vérité de surface devient vite une habitude : une fois que nous avons vu quelque chose nous croyons l’avoir vu une fois pour toutes. Toutes les autres fois nous répétons un schéma, nous respectons une norme, individuelle et collective, individuelle parce que culturelle (*). Or être, c’est être touché, c’est ressentir émotivement l’unité de son être, unité essentiellement inachevée : être, c’est reconnaître l’altérité au coeur du même, comme essence d’une identité qui n’identifie plus, c’est-à-dire dont le principe n’est plus la familiarité avec le désirable (celui-ci demeure intentionnalité, visée). La reconnaissance est une nouvelle naissance, une création et non une production : le motif en surface n'est plus un signe, une figure, c'est-à-dire l'expression d'une signification, rapport à autre chose que ce qu'il manifeste. C’est cela le désir : une extase, c’est-à-dire une ouverture au passé et à l’avenir, c’est-à-dire une ouverture à ce qui transcende le présent, l’image ou la surface. Le désir est toujours désir des profondeurs, mais profondeur de l'être qui m'unit à la totalité dans et par l'expression de ce qui la concerne vraiment : être, c'est jouir de la vie sous une forme chaque fois déterminée, chercher à accroître cette épreuve de soi avec les autres, en communauté avec eux, c'est-à-dire dans le "désintéressement", la "générosité", la "bonté", la "miséricorde", comme il vous plaira, bref dans des valeurs qui fondent plus qu'une société, une civilisation ! En ce sens, être est une énigme certes, mais qui transcende toute explication, toute interprétation, toute traduction : être est la manifestation, modalisée sous la forme du désir humain, de la profusion, de l’infini dans le fini. L’être ne peut se produire qu’en disparaissant, qu’en se perdant comme la lumière pour irradier d’autant ce en quoi elle disparaît.
 
Pour le détail je vous renvoie à la suite du message précédent…
 
(*) Je reprends cette phrase pour la commenter plus en détail : "Je ne vois pas le lien qu'il y a entre les deux parties de la phrase en l'état. Pourquoi la pudeur ne serait-elle pas une loi issue de l'être ? Il y a une première forme de pudeur, dictée par la tradition, la morale ou la religion ; mais son acceptation reste soumise au libre-arbitre. Pourquoi la loi serait-elle exclusivement appliquée de façon "procédurière" ? Une loi ne peut-elle pas être au contraire "interprétée" ?" Elle s'accorde, il me semble, avec la déclaration de Rahsaan selon laquelle "il y a une circularité entre le désir et la norme". Cela signifie d'abord que le travail est oeuvre de culture : il est fondamentalement un travail de soi sur soi dans l'oeuvre culturelle (union de la poiêsis et de la praxis). Le désir n'est pas spontanéité, mais oeuvre culturelle, c'est-à-dire le terme d'un processus, d'un travail comme activité médiatrice qui unit les trois sens du mot culture : en travaillant, en transformant la nature, en refaçonnant les matières existantes, l’homme se cultive, se forme (Bildung), s’élève dans l’ordre de la spiritualité, accède aux valeurs universelles, rendant possible une civilisation (Kultur) qui elle-même engendre alors une culture, c’est-à-dire un milieu social propice à une éducation éveillant l'homme à son humanité, c'est-à-dire à un sens des valeurs s'incarnant, par exemple, dans la pudeur, la décence, etc...
 
Etymologiquement, la culture (Bildung) désigne la formation de soi à laquelle un individu se livre au sein d’une société donnée. Un homme "cultivé" a acquis, par ses efforts répétés et patients, par un travail, une maîtrise spontanée dans un ou plusieurs domaines de la vie. Conformément à la métaphore agricole, issue de la cultura latine, l’homme qui se "cultive" espère récolter, recueillir pour le prix de son labeur (pour s’être rendu un culte, pour avoir pris soin de soi), quelques beaux "fruits", c’est-à-dire le développement de ses facultés (en premier lieu la raison) et la réalisation de son humanité (d’abord contre ses tendances naturelles). En ce sens, la cultura latine est proche du terme grec de paidéïa signifiant le patrimoine de connaissance qu’un individu peut acquérir grâce à l’étude et qui lui permet de développer ce que les auteurs latins appelleront plus tard son humanitas. Il ne faut pas oublier, pour autant, que le sens individuel de la culture comme formation de soi (Bildung) et le sens collectif comme milieu social (Kultur) s’entrecroisent nécessairement : l’individu ne peut s’élever dans son travail d’accomplissement personnel qu’en s’appuyant sur une culture donnée, déjà constituée, et dont on peut même dire qu’il recueille les fruits à son tour, après nombre d’autres générations. L’homme cultivé dépend entièrement de ce sur quoi repose son effort de culture : les parents, les éducateurs, les institutions, les oeuvres culturelles existantes, les "objets culturels", bref tout ce qui provient de la société à l’intérieur de laquelle ce travail de culture peut prendre racine et se perpétuer.
 
Or, si la culture comme formation de soi est le projet de développement de la puissance de l’esprit, celle-ci implique aussi, tant sur le plan théorique que pratique, un effort de dégagement par rapport à la particularité des faits, qu’il s’agisse du monde flou des instincts animaux, des affects non-maîtrisés, qui nous éloignent de notre vraie nature comme disposition à la culture (Rousseau), ou de celui des normes culturelles elles-mêmes. Un homme cultivé ne se contente pas de s’instruire, d’acquérir des savoirs et des savoir-faire. Sa culture n’est pas synonyme d’accumulation quantitative de connaissances, ou de "données" factuelles. La culture de l’homme "cultivé" ne se réduit pas au résultat du processus de formation, à un produit sédimenté des oeuvres de l’esprit dans l’histoire. L’homme cultivé a acquis la capacité de juger les relations et les objets constituant la réalité effective en s’élevant à leur compréhension conceptuelle, ce qui implique un travail de dépassement de l’expérience immédiate, de la particularité, naturelle ou culturelle, d’abord incorporée sans réflexion. Aliéné, c’est-à-dire emprisonné par sa nature ou par la culture, l’homme cultivé s’est réapproprié son être (sa culture) par un processus inverse de "désalienatio", c’est-à-dire par un effort de décentrement, de dégagement par rapport à la perspective finie du point de vue, pour atteindre la vérité universelle (par laquelle il a retrouvé sa liberté). Cette accession à l’universel que vise le travail de formation de soi rend ainsi l’homme cultivé apte à saisir toutes sortes de relation. Loin de n’être qu’un simple état, la culture devient oeuvre de civilisation en faisant de la formation une fin dont les buts ne lui sont jamais extérieurs. Chez l’homme cultivé, la culture devient un devenir-cultivé sans cesse en progrès et en marche.
 
Bref, la formation de soi est un arrachement de l’individu au monde clos de sa subjectivité particulière, elle est un processus de libération individuelle, mais qui trouve sa propre condition de possibilité dans un milieu de culture déjà donnée, dans un espace et dans un temps qui existent déjà et que l’individu n’a donc pas crée. Si un tel processus de formation ("se cultiver" ) implique toujours la réception de la part d’un sujet d’une réalité culturelle extérieure, cette "réception" doit donc s'effectuer selon certaines modalité pour être conforme à l’idéal d’humanité qui anime le projet de culture. L'individu doit être confronté à l’oeuvre d'une certaine manière pour être en mesure de ressentir l’indigence de son esprit encore esclave des préjugés, des opinions reçues dans son milieu culturel d’origine.
 
En ce sens, la "pudeur" est bien d'abord un artifice, c'est-à-dire non pas quelque chose de "naturel", mais de "normal". La "pudeur" est bien une règle produite par la liberté pour prendre en charge et respecter des valeurs.
 
En effet, au sens le plus étroit, le "naturel" ("ce qui va de soi", "ce qui n'a pas besoin d'être prescrit", dixit Rahsaan) se manifeste dans la façon concrète dont un sujet répond à une situation qui lui est imposée de l’extérieur. Il s’agit de l’aisance de sa réponse. Et cela appelle un jugement de valeur. C’est pourquoi le "naturel", compris comme un "sens commun", est souvent considéré comme la valeur spécifique de l’attitude et du mouvement. Le manque de naturel, le caractère affecté, recherché, empesé, maniéré, le "bling-bling", tout ce qui relève de l'image sociale, en est la non-valeur principale. Or, un tel résultat suppose au plus profond de nous-mêmes, un certain rapport entre notre corps, plus ou moins libre dans ses activités, et notre pensée plus ou moins capable de réflexion. La pudeur, la décence, sont donc la manière dont se pose et s’exerce le rapport fondamental à soi. Ce rapport est traversé par un sens de valeur, la plupart du temps vécu implicitement, jamais remis en question parce qu'il est la condition même du "bonheur". Le contraire rendrait l'existence même insupportable sous l'effet de l'angoisse et du mépris. Comment supporter de vivre si celle-ci n'a plus de sens, si son sens est à reconquérir perpétuellement ? La seule norme du vivant est donc la coïncidence avec lui-même. Cela reste vrai de toute réalité concrète, biologique d'abord, mais aussi psychique ou collective. Le normal, au sens immédiat du mot, c’est donc ce qui est conforme à une norme ou la respecte.
 
Mais, puisque vous parliez de "liberté", la question ici est de savoir s'il ne s’agit pour chaque être que de sa norme ? L’essence ou la nature d’un être lui impose-t-elle par elle-même de la respecter ? Pour être et être ce qu’il est, sans doute : c’est une nécessité de fait. Ainsi, entre l’essence du cercle et la règle de construction du cercle ou "ce qu’il faut faire pour tracer un cercle" la différence est si faible qu’il ne semble guère valoir la peine de perdre son temps en longues discussions sur la question de priorité. Certes ! Mais pourquoi tracer un cercle ? Pourquoi être un homme ? Pourquoi être soi-même ? L’essence d’un individu explique ce qu’il est, mais ne justifie pas l’obligation pour lui d’être conforme à cette essence. C'est ce que vous et Rahsaan vouliez démontrer : être soi-même est une tâche, une responsabilité, qu’il incombe à chacun d’accomplir et qui s’adresse à notre conscience, c’est-à-dire à ce fameux pouvoir de dépassement dont j'ai parlé plus haut, c’est-à-dire à notre volonté d’imposer à la nature comme à la culture, une vérité, un sens ou nous nous retrouvons tout entier. On voit bien ici le rôle important que joue la liberté humaine dans l’élaboration des règles (morales et politiques) qui permettront de dominer notre nature, de palier à ses déficiences ou de transformer le milieu culturel (selon Aristote, ce n’est pas un défaut dans la forme - ce qui fait la nature d’un être, son essence - qui fait le "monstre" mais un manque au niveau de ce qui actualise dans l’existence cette forme, c’est-à-dire la matière, et Kant dira que le criminel le plus abominable reste une "personne" digne de respect - dans le jugement et la punition qu’il mérite - parce qu’il est toujours libre de régler son choix sur la représentation de la loi morale - la liberté morale est un fait, sinon en pratique, du moins constitutif de la nature humaine, elle est un devoir-être).
 
Ainsi, il ne faut pas confondre norme et règle : la règle (regula) permet de tracer une droite. Elle est donc comme celle-ci ouverte vers l’infini. Elle détermine une direction sans terminer le mouvement qui le suit. Au sens figuré, elle nous fait marcher droit, car elle nous donne une orientation sans détours, un sens. En grammaire, "l’exemple" illustre cette valeur sans exiger, comme le "modèle", qu’on le copie. Ainsi, la logique, la morale, l’esthétique, le droit énoncent surtout des règles qui indiquent le sens qui les justifie (la valeur morale, la valeur logique, la valeur esthétique, la valeur juridique) mais qui autorise aussi leur variété et leur diversité. Bref, elles attendent de la liberté qu’elle maîtrise le donné. En revanche, les sciences [humaines] qui ont l’homme pour objet, ne formulent que des lois ou des normes. Norma, en effet, c’est une équerre : elle permet à une droite de faire un angle droit avec une autre. Ainsi, la norme nous tient et nous retient : elle nous fait tomber droit sur nous-mêmes, et pas autrement. Elle définit ce qui est bon pour notre nature et non ce qui est bien, vrai ou beau. Il y a dans une règle une autre dimension que celle de la pure et simple nécessité : celle qui l’ouvre à l’autorité de la valeur que la raison morale définit précisément comme essentielle à la nature humaine. Une règle présente ainsi deux faces, comme toute règle : il s’agit d’une exigence pratique fondée, non seulement sur des faits qui lui assurent une efficacité, mais aussi sur une valeur qui la légitime. En termes métaphysiques, on peut dire que c’est la norme qui fait l’union de l’être et de la valeur. En ce qui concerne l’homme, elle s’adresse à la liberté lui indiquant ce qui lui est possible, c’est-à-dire à la fois réalisable selon sa nature ou la nature, et permis ou obligé pour respecter cette nature (dans la sphère politique, nous sommes alors renvoyé au droit positif, au droit que donne et défend la loi normative, elle-même expression codifiée des valeurs qui existent dans une société donnée à un moment de son histoire, mais aussi et surtout fondée sur notre sens des valeurs humaines imprescriptibles)...
 
Vous devinez peut-être déjà la suite ?

Message cité 1 fois
Message édité par l'Antichrist le 28-10-2009 à 10:44:27
n°20341821
pascal75
Posté le 27-10-2009 à 12:58:34  profilanswer
 

A lire ces deux dernières pages, je me demandais en quoi pourrait consister une philosophie de la "common decency" ? (pour autant que j'aie compris ce que ça signifie, parce que je n'ai pas lu Michea)
Je dirais une philosophie exprimée avec des mots communs, une philosophie du costume sombre, coupe à l'anglaise, style passe-muraille, mais pour un usage hors du commun, créatif. Chacun sans doute trouvera son héraut.


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GAFA  We are stardust Billion year old carbon We are golden
n°20342289
bronislas
Posté le 27-10-2009 à 13:38:38  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

Votre interrogation est non seulement légitime, mais pertinente pour introduire la suite du message (que vous n’avez malheureusement pas lu… toute introduction est déjà au coeur du problème), et révèle une incompréhension assez banale de ce qui est en jeu ici, de ce dont il est question dans la relation, en apparence conflictuelle, entre "surface" et "profondeur" et que votre manque de maîtrise du vocabulaire et des concepts ne fait, sans gravité, que révéler.


Malheureusement si, j'ai lu la suite, et je précise même l'avoir lu cinq fois. Si je me suis limité au premier paragraphe c'est effectivement parce que toute introduction est déjà au cœur du problème. Peut-être que je manque de maîtrise de vocabulaire, mais je suis élève ; je me soigne. Il est par contre dommage de maîtriser le vocabulaire d'un auteur particulier et de l'employer sans expliquer quel sens il revêt pour cet auteur en particulier (sans qu'il soit par ailleurs nécessaire de dévoiler ses cartes, les périphrases peuvent rendre service). La signature d'Alcyon36 vient régulièrement me sauter aux yeux, fouetter mon esprit et me sortir de la torpeur dans laquelle je tombe trop souvent, donc quand je lis cela :

l'Antichrist a écrit :

Donc, tout d’abord, "dévoiler" ne signifie pas "découvrir ou soulever le voile", comme vous dites, mais laisser éclore ce qui est absolument originaire


Non. Dévoiler signifie soulever un voile, et par extension porter à la connaissance... quelque chose de secret ou d'enfoui. Et tout lecteur qui ne connait pas Heidegger ne comprendra pas ce que vous voulez dire. Car n'importe quel lecteur qui se hissera au niveau de la pensée portera une attention toute particulière aux mots, et le plus souvent s'attachera à les comprendre selon leur sens le plus pur, le plus fort, qui bien souvent correspond au sens étymologique. Maintenant, cela me fait ressentir plus que jamais la nécessité de me mettre à Heidegger, et je vais commencer par relire ce que vous avez dit.


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Librarything|Last.fm|RYM
n°20346976
Tietie006
Dieu ne joue pas aux dés.
Posté le 27-10-2009 à 19:41:22  profilanswer
 

bronislas a écrit :


Vous ne vivez pas en France, avouez.  [:churros norris]  
 
Plus sérieusement, il me suffit de sortir pour voir qu'elle est presque unanimement niée. Rencontrez-vous si souvent que cela des gens qui ont des égards pour vous (non feints, dans une relation d'égal à égal) ? On est souvent plus proche, je crois, de ce que Hegel appelle la société civile, où tout le monde cherche son intérêt personnel, y compris chez l'autre.  
 
Je ne préfère pas repenser à mon job d'été, pendant lequel on devait me signifier plusieurs centaines de fois par jour la différence qui me séparait du client. Néanmoins ce souvenir m'amène à penser que s'il est vrai que tout lieu de commerce est propice à ce genre d'attitude il est de nombreux cas où il est inutile d'insister étant donné que la configuration, l'agencement et le fonctionnement d'une boutique se chargent déjà de matérialiser la différence entre le client et le vendeur.
 
Il existe d'ailleurs des situations qui nécessitent au contraire de signifier, voire matérialiser cette différence (par exemple en salle de cours, pour que le professeur conserve son autorité). Mais dans ces situations là, ce n'est pas une différence dont on tire avantage, normalement, au risque de retomber dans l'indécence (la personne abusant de son autorité).
 


 

bronislas a écrit :


 
À l'origine, ce que je voulais dire c'est que depuis un certain nombre d'années, la publicité qui appelait à se réaliser, s'inscrivait à mes yeux dans processus d'affichage ostentatoire de soi. Au niveau de l'expérience commune, je pensais au Che qu'on voit sur les tee-shirt, sur les sac à dos, aux logos de marques, de groupes de rocks, aux keffieh et croix, à la volonté de se rattacher à une situation précise en arborant "produit de banlieue" ou le "A" de l'anarchiste sur soi, etc. (la liste est longue). Je ne crois pas qu'il y a encore 30 ans ce phénomène était à ce point généralisé, et j'y ai peut-être vu, à tort, des restants de common decency.


 
 
1°) Je vis dans l'hexagone, mais le concept michéesque de "common decency" ne m'a pas vraiment convaincu,  j'ai trouvé ça un peu flou !
 
2°) Pour le reste, je ne peux être que d'accord avec vous, même si je n'ai pas trop saisi où vous voulez en venir, mais il faut dire que je ne suis pas philosophe et que certaines tournures de phrase doivent m'échapper.


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L'arrière-train sifflera trois fois.
n°20350666
daniel_lev​rai
Semper eadem sed aliter
Posté le 28-10-2009 à 02:37:38  profilanswer
 

c'est là que j'ai appris ce qu'est la Common decency  
 
http://sites.radiofrance.fr/chaine [...] _id=72288.  
 
L'émission n'est plus en ligne, malheureusement.

Message cité 1 fois
Message édité par daniel_levrai le 28-10-2009 à 02:37:49

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A pédant, pédant et demi. Qu'il s'avise de parler latin, j'y suis grec ; je l'extermine.
n°20350862
Tietie006
Dieu ne joue pas aux dés.
Posté le 28-10-2009 à 05:34:32  profilanswer
 

daniel_levrai a écrit :

c'est là que j'ai appris ce qu'est la Common decency  
 
http://sites.radiofrance.fr/chaine [...] _id=72288.  
 
L'émission n'est plus en ligne, malheureusement.


 
Voyons ce qu'en dit Michea, lui-même, dans La double pensée, retour sur la question libérale, champs Essais, (Flammarion 2008), page 47 :
 
" En utilisant la notion de common decency, George Orwell entendait seulement se référer à un ensemble précis de vertus traditionnelles telles, par exemple, que l'honnêteté, la générosité, la loyauté, la bienveillance ou l'esprit d'entraide; vertus auxquelles les gens ordinaires, ajoutait-il, attachent de toute évidence, beaucoup plus d'importance que les intellectuels des classes possédantes et que l'on pourrrait ramener, sans trop en forcer le sens, à ces capacités psychologiques, morales et culturelles, de donner, recevoir et rendre, dont Mauss a établi dans l'Essai sur le don qu'elles constituaient le sol fondateur des relations humaines."


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L'arrière-train sifflera trois fois.
n°20351677
rahsaan
Posté le 28-10-2009 à 09:59:16  profilanswer
 

Un long entretien de Michéa dans le Point :
http://www.lepoint.fr/actualites-c [...] 9/0/199481
 
 
"L’idéal orwellien, et socialiste, d’une société décente - c’est-à-dire d’une société égalitaire qui respecterait un certain nombre de valeurs morales élémentaires - s’oppose évidemment à l’approche purement juridique de la question sociale qui caractérise la démarche libérale. Chacun sait bien que l’égalité des droits est parfaitement compatible avec les inégalités de fait les plus indécentes.  
[...]
Défendre la common decency,  c’est donc, à l’inverse, défendre l’idée que l’égoïsme, l’esprit de calcul et la volonté de dominer ou d’exploiter ses semblables ont une valeur morale nécessairement inférieure à la générosité, l’honnêteté (ce qui inclut, naturellement, l’honnêteté intellectuelle), la bienveillance ou  l’esprit de coopération. La mise en oeuvre quotidienne de ces vertus humaines de base, qui s’enracinent comme on le sait depuis Mauss dans la triple obligation immémoriale de « donner, recevoir et rendre » - fondement de tout lien social réellement humain - ne saurait en aucun cas être confondue avec cette adhésion purement idéologique à un catéchisme particulier, qui est presque toujours le masque du désir de pouvoir et des passions tristes."

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Message édité par rahsaan le 28-10-2009 à 10:11:53

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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°20352126
Tietie006
Dieu ne joue pas aux dés.
Posté le 28-10-2009 à 10:47:55  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

Un long entretien de Michéa dans le Point :
http://www.lepoint.fr/actualites-c [...] 9/0/199481
 
 
"L’idéal orwellien, et socialiste, d’une société décente - c’est-à-dire d’une société égalitaire qui respecterait un certain nombre de valeurs morales élémentaires - s’oppose évidemment à l’approche purement juridique de la question sociale qui caractérise la démarche libérale. Chacun sait bien que l’égalité des droits est parfaitement compatible avec les inégalités de fait les plus indécentes.  
[...]
Défendre la common decency,  c’est donc, à l’inverse, défendre l’idée que l’égoïsme, l’esprit de calcul et la volonté de dominer ou d’exploiter ses semblables ont une valeur morale nécessairement inférieure à la générosité, l’honnêteté (ce qui inclut, naturellement, l’honnêteté intellectuelle), la bienveillance ou  l’esprit de coopération. La mise en oeuvre quotidienne de ces vertus humaines de base, qui s’enracinent comme on le sait depuis Mauss dans la triple obligation immémoriale de « donner, recevoir et rendre » - fondement de tout lien social réellement humain - ne saurait en aucun cas être confondue avec cette adhésion purement idéologique à un catéchisme particulier, qui est presque toujours le masque du désir de pouvoir et des passions tristes."


 
Le problème c'est qu'on ne peut qu'être d'accord avec ce propos ... L'altruisme est mieux que l'égoïsme, la générosité que l'avarice ou l'honnêteté que la malhonnêteté ... Je reproche un peu à Michéa d'enfoncer des portes ouvertes et de nous faire le coup du "c'était mieux avant" !


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L'arrière-train sifflera trois fois.
n°20352318
rahsaan
Posté le 28-10-2009 à 11:05:33  profilanswer
 

Oui mais si ces valeurs sont si évidentes, pourquoi le libéralisme les met-il tellement en danger ?  
C'est ça que dit Michéa.  
L'enjeu, c'est aussi de ne pas se contenter d'un système politique et économique qui soit celui du "moindre mal", d'un droit qui ne fasse qu'assurer "la coexistence des libertés" comme le dit Kant. L'enjeu serait donc une société qui ne soit pas celle qui impose tyranniquement le Bien, mais qui ne renonce pas pour autant à cette idée. C'est l'idéal du socialisme ou de l'anarchisme. Ni des valeurs religieuses, ni le refus de statuer sur des valeurs.

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Message édité par rahsaan le 28-10-2009 à 11:09:10

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mood
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Posté le 28-10-2009 à 11:05:33  profilanswer
 

n°20354930
Tietie006
Dieu ne joue pas aux dés.
Posté le 28-10-2009 à 14:49:21  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

Oui mais si ces valeurs sont si évidentes, pourquoi le libéralisme les met-il tellement en danger ?  
C'est ça que dit Michéa.  
L'enjeu, c'est aussi de ne pas se contenter d'un système politique et économique qui soit celui du "moindre mal", d'un droit qui ne fasse qu'assurer "la coexistence des libertés" comme le dit Kant. L'enjeu serait donc une société qui ne soit pas celle qui impose tyranniquement le Bien, mais qui ne renonce pas pour autant à cette idée. C'est l'idéal du socialisme ou de l'anarchisme. Ni des valeurs religieuses, ni le refus de statuer sur des valeurs.


 
Euh pourquoi il n'y aurait que le libéralisme qui mettrait en danger ces valeurs ? L'époque médiévale n'était pas spécialement libérale et la générosité, l'honnêteté, l'altruisme étaient aussi mis à mal ... Idem pour la période antique, où l'esclavage était institutionnalisé et où le dyptique du pain et des jeux étaient déjà présent ...Même si on va dans l'amérique précolombienne, on s'aperçoit que les aztèques avaient aussi assis leur pouvoir sur la coercition et qu'ils sacrifiaient pas mal de prisonniers ! Donc, quelque soit les époques ou les aires géographiques, à part, peut-être, dans les sociétés primitives, comme certaines tribus amazoniennes ou africaines, dès qu'une société se complexifie, il y a une structuration du pouvoir qui engendre des inégalités et des injustices !  Michea s'appuie sur une vision idéale de l'homme primitif, maussienne, qui me rappelle celle du "bon sauvage". C'est très sympathique mais assez orienté et pour tout dire assez bisounoursien !
Il me semble que nos régimes politiques ne se contentent pas d'organiser la "coexistence des libertés" et que, uniquement d'un point de vue de l'éducation du peuple, on est rarement allé aussi loin, puisque 100% d'une classe d'âge est scolarisée et que la France, et le seul pays, avec l'Espagne, je crois, à enseigner la philosophie dès le lycée ! Après, l'idéal socialiste ou anarchiste, cela relève plus de la croyance et de la foi, d'un horizon eschatologique, que de la raison !


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L'arrière-train sifflera trois fois.
n°20356112
bronislas
Posté le 28-10-2009 à 16:13:05  profilanswer
 

Le fondement n'est pas le commencement et tout ce dont on parle (que ce soit la common decency ou le don) s'inscrit dans un schéma "dialectique", et non historique. D'ailleurs je ne crois pas que Rousseau ait jamais cru à l'historicité du concept d'homme à l'état de nature ni Hegel à l'existence d'un homme n'appartenant qu'à la sphère familiale. De même Michéa n'inscrit pas sa réflexion dans un processus historique qui fournirait un horizon eschatologique. Sa démarche reste celle d'un philosophe, non d'un historien. J'admet cependant que Michéa suit Orwell et fait de la common decency une sorte de garde-fou des classes populaires contre les excès du pouvoir (et suit la description d'Orwell dans l'Angleterre du début du XXe siècle), mais j'ai déjà dit avant ce que je pensais des raisonnements en termes de classes, et je crois que la common decency ne doit pas être limitée aux seules classes laborieuses.

 

Si le bon sauvage est bisounoursien, le pain et les jeux, les sacrifices humains et l'institutionnalisation de l'esclavage sont autant de formules un peu... précipitées. On n'est pas sur le sujet histoire, qui malheureusement n'en finit pas de retomber dans les limbes du forum, mais j'en profite pour vous dire qu'on peut parler de tout cela (et du reste) dans le sujet.

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Message édité par bronislas le 28-10-2009 à 16:13:27

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Librarything|Last.fm|RYM
n°20356363
pascal75
Posté le 28-10-2009 à 16:28:46  profilanswer
 

Bienvenue sur ce topic, Bronislas :)


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GAFA  We are stardust Billion year old carbon We are golden
n°20356987
bronislas
Posté le 28-10-2009 à 17:01:16  profilanswer
 

Merci, cela fait quelques temps que je participe ponctuellement, mais on n'avait pas eu l'occasion de se saluer.  :jap:


Message édité par bronislas le 28-10-2009 à 18:19:12

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Librarything|Last.fm|RYM
n°20358195
Tietie006
Dieu ne joue pas aux dés.
Posté le 28-10-2009 à 18:29:35  profilanswer
 

bronislas a écrit :

Le fondement n'est pas le commencement et tout ce dont on parle (que ce soit la common decency ou le don) s'inscrit dans un schéma "dialectique", et non historique. D'ailleurs je ne crois pas que Rousseau ait jamais cru à l'historicité du concept d'homme à l'état de nature ni Hegel à l'existence d'un homme n'appartenant qu'à la sphère familiale. De même Michéa n'inscrit pas sa réflexion dans un processus historique qui fournirait un horizon eschatologique. Sa démarche reste celle d'un philosophe, non d'un historien. J'admet cependant que Michéa suit Orwell et fait de la common decency une sorte de garde-fou des classes populaires contre les excès du pouvoir (et suit la description d'Orwell dans l'Angleterre du début du XXe siècle), mais j'ai déjà dit avant ce que je pensais des raisonnements en termes de classes, et je crois que la common decency ne doit pas être limitée aux seules classes laborieuses.  
 
Si le bon sauvage est bisounoursien, le pain et les jeux, les sacrifices humains et l'institutionnalisation de l'esclavage sont autant de formules un peu... précipitées. On n'est pas sur le sujet histoire, qui malheureusement n'en finit pas de retomber dans les limbes du forum, mais j'en profite pour vous dire qu'on peut parler de tout cela (et du reste) dans le sujet.


 
Cela revient à réfléchir au meilleur des régimes, qui fut un sujet de prédilection pour tous les philosophes ...et la question n'est pas encore tranché, même si la problématique a été longtemps posée, il me semble, par les philosophes grecs. Par contre, et Michea le regrette, la politique est devenue purement "technicienne", se contentant d'arbitrer des conflits en étant "axiologiquement" neutre, mais je demande si à la limite ça n'est pas plutôt souhaitable, même si cet aspect, très peu romantique et très pragmatique, enlève sa part de rêve et d'espoir, au projet politique commun !
De plus, il faut définir très précisément ce que l'on nomme le régime libéral car cette notion est assez protéiforme !


Message édité par Tietie006 le 28-10-2009 à 18:45:58

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L'arrière-train sifflera trois fois.
n°20359329
bronislas
Posté le 28-10-2009 à 20:17:27  profilanswer
 

La question du meilleur des régimes est effectivement un sujet de la plus haute importance pour un certain nombre de philosophes.

 

On peut se demander si une politique purement technicienne ne va pas à l'encontre des libertés politiques et des responsabilité des citoyens, en mettant à distance le politique. J'irai même jusqu'à dire qu'une politique technicienne peut "déserotiser" (si vous avez plus joli...) la politique. Le principal danger serait qu'une partie des citoyens soient déçus par une telle politique technicienne et deviennent hostiles au système politique en place.

 

Pour le régime libéral, c'est un gros morceau, donc j'y réfléchirai à tête reposée (et j'espère qu'il y aura des réponses demain :D).

Message cité 2 fois
Message édité par bronislas le 28-10-2009 à 20:19:34

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Librarything|Last.fm|RYM
n°20360009
Tietie006
Dieu ne joue pas aux dés.
Posté le 28-10-2009 à 21:23:57  profilanswer
 

bronislas a écrit :

La question du meilleur des régimes est effectivement un sujet de la plus haute importance pour un certain nombre de philosophes.
 
On peut se demander si une politique purement technicienne ne va pas à l'encontre des libertés politiques et des responsabilité des citoyens, en mettant à distance le politique. J'irai même jusqu'à dire qu'une politique technicienne peut "déserotiser" (si vous avez plus joli...) la politique. Le principal danger serait qu'une partie des citoyens soient déçus par une telle politique technicienne et deviennent hostiles au système politique en place.
 
Pour le régime libéral, c'est un gros morceau, donc j'y réfléchirai à tête reposée (et j'espère qu'il y aura des réponses demain :D).


 
Il me semble que Machiavel, dans son Prince, pose les bases de la politique moderne, axiologiquement neutre, qui se distingue de la morale ! Toute la question posée par Michea est de conjuguer poliltique et morale, un attelage qui me semble bien dangereux, si on étudie les exemples historiques !


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L'arrière-train sifflera trois fois.
n°20360339
pascal75
Posté le 28-10-2009 à 21:46:56  profilanswer
 

Welcome Titie006 :) ('tain, la septième compagnie mixée à Michéa... T'es un drôle de mélange).


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GAFA  We are stardust Billion year old carbon We are golden
n°20360391
Tietie006
Dieu ne joue pas aux dés.
Posté le 28-10-2009 à 21:50:21  profilanswer
 

pascal75 a écrit :

Welcome Titie006 :) ('tain, la septième compagnie mixée à Michéa... T'es un drôle de mélange).


 
J'ai toujours plaisir à discuter avec des cinéphiles !  :D Je suis un sous-produit de la sous-culture médiatique qu'Huxley avait prédit dans son Meilleur des mondes !  :p


Message édité par Tietie006 le 28-10-2009 à 22:30:42

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L'arrière-train sifflera trois fois.
n°20362111
daniel_lev​rai
Semper eadem sed aliter
Posté le 29-10-2009 à 00:10:17  profilanswer
 

Il est bien ce Bronislas. Vous pourrez lui confier les clés du forum quand vous serez en vacances.


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A pédant, pédant et demi. Qu'il s'avise de parler latin, j'y suis grec ; je l'extermine.
n°20362459
rahsaan
Posté le 29-10-2009 à 00:41:30  profilanswer
 

bronislas a écrit :

On peut se demander si une politique purement technicienne ne va pas à l'encontre des libertés politiques et des responsabilité des citoyens, en mettant à distance le politique. J'irai même jusqu'à dire qu'une politique technicienne peut "déserotiser" (si vous avez plus joli...) la politique. Le principal danger serait qu'une partie des citoyens soient déçus par une telle politique technicienne et deviennent hostiles au système politique en place.


 
 
C'est un peu le sujet du livre de Nozick, Anarchie, Etat, Utopie. Est-ce que les gens accepteraient un Etat sans apparat, sans la pompe du pouvoir, sans valeurs particulières etc. ?
Un Etat qui serait juste là pour administrer les routes, la sécurité, les équipements indispensables, mais rien de plus ?...  
C'est une réflexion libertarienne, dite aussi anarcho-capitaliste.


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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°20363603
Tietie006
Dieu ne joue pas aux dés.
Posté le 29-10-2009 à 08:34:34  profilanswer
 

rahsaan a écrit :


 
 
C'est un peu le sujet du livre de Nozick, Anarchie, Etat, Utopie. Est-ce que les gens accepteraient un Etat sans apparat, sans la pompe du pouvoir, sans valeurs particulières etc. ?
Un Etat qui serait juste là pour administrer les routes, la sécurité, les équipements indispensables, mais rien de plus ?...  
C'est une réflexion libertarienne, dite aussi anarcho-capitaliste.


 
Ici c'est un cas extrême, mais on peut envisager un Etat, "à la française", qui gère, aussi, la santé, l'éducation, la sécurité, c'est à dire au-delà des fonctions purement régaliennes, des domaines qui sont utiles à la société, domaines à définir, évidemment, et dont la définition marque la séparation traditionnelle gauche//droite. Ce type d'organisation du pouvoir et de l'Etat est d'ailleurs la norme en Occident.
Mais Michea, dans sa réflexion sur l'organisation du pouvoir, reconnaît que quelque soit les sociétés, les révolutions ont toujours été confrontées à l'existence d'un certain nombre d'individus habités par un besoin pathologique d'excercer une emprise sur les autres et il prend l'exemple d'une réponse de Stendhal à Fourier :
"si l'on n'y prend garde, les meilleurs institutions politiques du monde seront toujours perverties et détournées de leur sens originel du seul fait de cette volonté de puissance de quelques uns" !
 
En résumé, tout cela renvoie à la nature même de l'homme, dont on sait, depuis Freud, qu'il est une machine désirante habitée par une libido envahissante, qui ne le pousse, pas toujours, à avoir des comportements rationnels du point de vue de la communauté !


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L'arrière-train sifflera trois fois.
n°20365216
l'Antichri​st
Posté le 29-10-2009 à 11:23:02  profilanswer
 

bronislas a écrit :


Malheureusement si, j'ai lu la suite, et je précise même l'avoir lu cinq fois. Si je me suis limité au premier paragraphe c'est effectivement parce que toute introduction est déjà au cœur du problème. Peut-être que je manque de maîtrise de vocabulaire, mais je suis élève ; je me soigne. Il est par contre dommage de maîtriser le vocabulaire d'un auteur particulier et de l'employer sans expliquer quel sens il revêt pour cet auteur en particulier (sans qu'il soit par ailleurs nécessaire de dévoiler ses cartes, les périphrases peuvent rendre service). La signature d'Alcyon36 vient régulièrement me sauter aux yeux, fouetter mon esprit et me sortir de la torpeur dans laquelle je tombe trop souvent, donc quand je lis cela :


 

bronislas a écrit :


Non. Dévoiler signifie soulever un voile, et par extension porter à la connaissance... quelque chose de secret ou d'enfoui. Et tout lecteur qui ne connait pas Heidegger ne comprendra pas ce que vous voulez dire. Car n'importe quel lecteur qui se hissera au niveau de la pensée portera une attention toute particulière aux mots, et le plus souvent s'attachera à les comprendre selon leur sens le plus pur, le plus fort, qui bien souvent correspond au sens étymologique. Maintenant, cela me fait ressentir plus que jamais la nécessité de me mettre à Heidegger, et je vais commencer par relire ce que vous avez dit.


 
Bon, je vais encore vous embêter avec ma métaphysique en plein milieu de votre intéressante discussion sur la "décence" comme fondement philosophique du politique, mais votre réponse me pousse à le faire.
 
Je suis désolé, mais le "dévoilement" est un terme qui s'applique à "l'être". Or, non seulement le problème de l'être n'est pas une spécificité heideggérienne (elle commence avec les présocratiques et particulièrement chez Héraclite et se poursuit dans tout le champ de la métaphysique, y compris chez Nietzsche et Bergson, et bien sûr sous sa signification phénoménologique contemporaine), ce qui explique logiquement pourquoi je n’ai pas précisé le lien avec lui (au risque peut-être de vous embrouiller), d’autant que plusieurs autres philosophes (Spinoza, Nietzsche, Levinas, Michel Henry, pour ne citer que ceux-là…) étaient également mobilisés par le thème de la "pudeur" (union originaire de la surface et de la profondeur), avec leurs concepts propres et leur vocabulaire (ce qui me fait dire que s’il est vrai qu’on ne peut saisir la présence de l’être que par son absence, il y a alors une temporalisation, une historialisation profonde des manifestations de l’être, de la vie, comme se plaît à le répéter Michel Henry : "dévoilement" signifie tout aussi bien "apparence", "manifestation", "donation", "vocation"… selon les contextes culturels et les auteurs), mais surtout ce fameux "sens" que vous revendiquez ("sens le plus pur, le plus fort, qui souvent correspond au sens étymologique", ce qui, dit comme cela, est déjà, pardonnez moi, d’une grande bêtise : vous confondez "sens", à produire, et "signification", toujours déjà là), ne s’applique qu’à un "être" particulier et déterminé (ce que Heidegger, avec d’autres philosophes de l’existence, Kierkegaard en tête, nommera "étant" ), jamais à l’être lui-même, en tant que manifesteté générale, indifférenciée, de l’étant, position de l’étant en entier, que se soit d’ailleurs chez Heidegger ou chez tout autre auteur.
 
Pour le dire encore une fois le plus simplement du monde (???), la question de l’être est au coeur de la philosophie (elle est l’unique question philosophique disait déjà Aristote) : exister, c’est tendre vers l’être, se poser nécessairement la question de l’être, le penser, car notre être même est la perception de l’idée d’être (le dévoilement de l’être - Sein - s’accomplit au sein même de l’existence personnelle et concrète, quotidienne - Da - du Dasein, ce qui invalide déjà l’opposition "de surface" entre surface et profondeur…), soit sous la forme d’un idéalisme abstrait qui réduit l’être à un attribut de l’étant, confond l’être et l’essence, c’est-à-dire refuse d’aller au-delà de la constatation de l’existence et renonce à en dire le sens (l’essence de l’homme est en même temps son existence, ce qu’est l’homme est en même temps sa manière d’être), soit en reconnaissant d’emblée que l’être est altérité, position absolue et que par conséquent il est tout autre chose qu’un prédicat, qu’une détermination logique, autre que l’effet d’une intentionnalité, d’une visée (passivité absolue), autrement dit que son sens d’être devance le sens relationnel logique et toutes les significations données et imposées par le jugement humain et la raison. Si l’être n’a de sens que parce qu’il y a un étant particulier (Dasein) qui le pense (de telle sorte que le Dasein est le "se révéler" de l’être), l’être anticipe pourtant toute pensée, il est l’expérience fondamentale impensée (une "extase" pour Heidegger, mais aussi pour Schopenhauer ou Nietzsche) qui rend possible toute pensée, le déploiement initial par lequel tout étant vient au paraître, la perpétuelle éclosion, ce qui ne cesse de s’épanouir, ce qui ne se couche jamais ou ne sombre jamais, bref ce qui n’est jamais "voilé" (ou alors en un sens métaphorique, comme c’est le cas chez Nietzsche) et n’a donc nul besoin d’être "dévoilé".
 
Mais précisément comment penser cela ? Rahsaan a sa réponse… Pourtant, vous devez bien comprendre que si le rapport à l’être est fondamentalement une expérience métaphysique ou mieux "mystique" (comme elle l’était chez les grecs – il suffit de se rappeler le mouvement orphique - ou encore, sous une autre forme, dans "l’ethos indou" ), ce qui d’ailleurs s’accorde avec l’idée nietzschéenne (présente également chez Bergson) que la conscience n’est qu’un phénomène "de surface" qui ne peut rendre compte de la complétude de la vie, de "l’existence vitale" pulsionnelle, c’est-à-dire de l’expérience d’être-en-vie, compréhension préontologique toujours déjà comprise au sein même de notre existence quotidienne "de surface", cette expérience disparaît aussitôt : son destin est de ne pouvoir se perpétuer plus que le temps d’un matin, d’un éclair, de se perdre dans la lumière du jour. C’est le problème de la "transcendance" qui se trouve posé ici : conformément à l’intentionnalité husserlienne, exister pour l’homme consiste à transcender le même par la conscience, c’est-à-dire dans le mouvement vers quelque chose d’autre. C’est là le sens d’être de l’existence humaine. Exister, c’est transcender. Exister, c’est philosopher. Philosopher, c’est transcender. La philosophie, comme mode d’être et comme principe de connaissance, est fondamentalement et nécessairement oubli de l’être. La "circularité" dont parlait Rahsaan n’est donc pas entre "le désir et la norme", mais bien plus radicale encore : l’existence est le centre d’un cercle herméneutique ontico-ontologique. Exister, c’est mettre son être à l’épreuve, risquer son être. L’homme est le seul étant pour lequel "il y va dans son être de l’être même" et par là de l’être lui-même. L’être qui pose la question de l’être est lui-même en question dans le questionné et inversement l’être questionné est en question dans le questionnant. Nous nous mettons d’autant plus en danger dans la question de l’être, que celle-ci est essentielle pour que l’être soit. Dire que l’être se "cache", qu’il est "en profondeur", cela ne signifie donc pas qu’il est "transcendance" au sens faussement primitif et théologique (Dieu, parce qu’il est au-delà, ne transcende pas, car transcender, c’est effectuer un mouvement "de monter" dont seul l’homme est capable), c’est-à-dire au-delà et extérieur à son apparence ou sa manifestation, mais qu’il est tout entier dans la question de l'apparence (question de la question), qu’il est la "tâche" de la philosophie. L'interprétation du sens de l'être consiste à apercevoir le problème, rendre visible l’invisible, rendre apparent ce qui est phénoménalement présent : non l’oubli de l’être, mais l’oubli de cet oubli, c’est-à-dire la donation de l’être comme représentation, comme volonté de puissance, comme capacité protéiforme de la vie qui jamais ne se sépare d'elle-même, quelque soit son visage, pour le meilleur... comme pour le pire. "Tout ce qui vit vit à même l'apparence. La volonté appartient à l'apparence". Le phénomène n'est pas encore l'apparence, l'apparence" vraie", l'apparence qui exprime l'être. Mais c'est bien la connaissance qui ici est le voile de Maya, qui rend l'homme incapable de voir ce que le phénomène dissimule, c'est-à-dire ce que l'apparence exprime.
 
Comment penser l'être ? La tradition philosophique le savait fort bien : en réduisant l’être à l’étant, c’est-à-dire justement en concevant une relation extrinsèque ("d’entendement" aurait dit Hegel, c’est-à-dire abstraite, idéale, irréaliste) entre la surface et la profondeur, en plaçant le sens, la vérité dans quelque entité supérieure : les Idées, l’Ame, Dieu, le Bien, l’Autre… Ainsi, la vraie nature des choses ne serait pas ce qu’elles sont dans l’existence (par exemple, l’homme ne serait pas ce qu’il se fait comme le dit pourtant Sartre), mais leur essence intemporelle. L'expérience est recouverte et son effacement même passe inaperçu. C'est pourtant cette "expérience d'être" qui est au coeur de la philosophie de Nietzsche. La "connaissance" à laquelle vous vous réferez dans votre définition du dévoilement commet donc le contresens de déclarer que l'être est difficile d'accès, qu'il réclame des efforts, parce qu'il se cache. Or, indépendamment de tout regard, c'est-à-dire d'une quelconque référence à une essence cachée, l'être aime l'occultation parce que celle-ci est sa "vérité" (Alêtheia) : c'est cela la "pudeur" de l'être (comme le dirait Nietzsche lui-même), la venue à découvert à laquelle appartient une mise à couvert, c'est-à-dire la vérité impensée de l'être, objet de notre "expérience d'être", c'est-à-dire à la fois de ce qu'est et de ce que n'est pas l'être (la vie, dans ses moments de falsification, de perte de vitalité, comme dans ses moments de création, est un dynamisme contradictoire, illogique, irrationnel, créatif : l'être est dans l'apparence, l'apparence dit l'être, autrement dit l'apparence n'est plus voile phénoménal, voilement et occultation du réel, elle est la réalité fluente dans son mouvement d'apparaître). Le mot "être" est pour nous "l'essence" de la vérité alors qu'il est son "nom" fondamental. Comme définition de l'être (et non comme simple propriété), la vérité n'appartient donc pas au jugement humain dans la connaissance. Bref, l'expérience de l'être ne peut être que celle du "dévoilement" dans sa différence au "dévoilé", la présence dans sa différence au présent, l'apparence dans sa différence au phénomène... Voilà pourquoi la "technique" comme mode de connaissance est un mode du dévoilement de l'être : elle est oubli de l'expérience métaphysique de la vérité de l'être, volonté de ramener à une plate identité (délire d'identification pratique) tous les modes de destination de l'être des époques de l'histoire (la philosophie perd sa dignité, sa vocation universaliste et humaniste pour devenir un mode de l'opinion, une idéologie comme les autres), volonté tyrannique d'imposer l'irréalité de la vérité scientifique et immédiatement pragmatique, d'imposer le salut par l'action coupée de ses racines dans l'être... Vous pouvez alors rejoindre le propos de Michéa...

Message cité 2 fois
Message édité par l'Antichrist le 18-11-2009 à 04:06:51
n°20365476
bronislas
Posté le 29-10-2009 à 11:41:39  profilanswer
 

daniel_levrai a écrit :

Il est bien ce Bronislas. Vous pourrez lui confier les clés du forum quand vous serez en vacances.


 :sweat:  
Bonjour,
Ce n'est pas très gentil de parler des gens à la troisième personne, surtout pour dire cela. Je ne pense pas avoir été un tyran dans cette discussion, mais si cela peut vous faire plaisir...
 
Effectivement il y a confrontation de deux philosophies politiques, celle des Anciens et celles des Modernes, avec une rupture entamée par Machiavel. Mes souvenirs sont un peu flous, mais je crois que la virtu de l'homme politique n'est pas à entendre chez lui sur le plan moral.  
 
Michéa dit que le problème est qu'il est parfois difficile, voire impossible de trancher certains conflits tout en restant axiologiquement neutre :

Code :
  1. Comment par exemple trancher d’une façon strictement « technique » entre le droit des travailleurs à faire grève et celui des usagers à bénéficier du service public ? Comment trancher entre le droit à la caricature et celui du croyant au respect de sa religion ? Comment trancher entre le droit du berger à défendre l’agneau et celui de l’écologiste citadin à préférer le loup ? Dès lors que l’on entend traiter ces questions, multipliables à l’infini, sans prendre appui sur le moindre jugement philosophique (c’est-à-dire, aux yeux des libéraux sur des constructions idéologiques arbitraires) elles se révèlent insolubles.

(dans l'article cité par Rahsaan)
 


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n°20365620
Tietie006
Dieu ne joue pas aux dés.
Posté le 29-10-2009 à 11:53:48  profilanswer
 

bronislas a écrit :


 :sweat:  
Bonjour,
Ce n'est pas très gentil de parler des gens à la troisième personne, surtout pour dire cela. Je ne pense pas avoir été un tyran dans cette discussion, mais si cela peut vous faire plaisir...
 
Effectivement il y a confrontation de deux philosophies politiques, celle des Anciens et celles des Modernes, avec une rupture entamée par Machiavel. Mes souvenirs sont un peu flous, mais je crois que la virtu de l'homme politique n'est pas à entendre chez lui sur le plan moral.  
 
Michéa dit que le problème est qu'il est parfois difficile, voire impossible de trancher certains conflits tout en restant axiologiquement neutre :

Code :
  1. Comment par exemple trancher d’une façon strictement « technique » entre le droit des travailleurs à faire grève et celui des usagers à bénéficier du service public ? Comment trancher entre le droit à la caricature et celui du croyant au respect de sa religion ? Comment trancher entre le droit du berger à défendre l’agneau et celui de l’écologiste citadin à préférer le loup ? Dès lors que l’on entend traiter ces questions, multipliables à l’infini, sans prendre appui sur le moindre jugement philosophique (c’est-à-dire, aux yeux des libéraux sur des constructions idéologiques arbitraires) elles se révèlent insolubles.

(dans l'article cité par Rahsaan)
 


 
Sur Machiavel, ce sont des souvenirs de mon cours d'IEP, en Histoire des Idées Politiques, il y a désormais bien longtemps, où  le contemportain de Laurent le Magnifique théorise le politique comme un domaine autonome, dégagé de la morale, par exemple. La politique pour le penseur toscan est donc a-morale.


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L'arrière-train sifflera trois fois.
n°20365823
bronislas
Posté le 29-10-2009 à 12:12:32  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

Bon, je vais encore vous embêtez avec ma métaphysique en plein milieu de votre intéressante discussion sur la "décence" comme fondement philosophique du politique, mais votre réponse me pousse à le faire.

 

C'était même une invitation à le faire  :jap: . Je crois que l'origine de ma confusion était le passage de l'Être à l'être-soi dans l'introduction ; il m'a desarçonné. Pour le reste je retrouve des restes de cours de philosophie. Mea culpa pour sens / signification, mais c'est en différenciant ce qui était autrefois confus qu'on progresse. Et en plus vous rattachez la conclusion au sujet. Que demande le peuple ?


Message édité par bronislas le 29-10-2009 à 17:34:35

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n°20369508
rahsaan
Posté le 29-10-2009 à 17:18:06  profilanswer
 

Tietie006 a écrit :


En résumé, tout cela renvoie à la nature même de l'homme, dont on sait, depuis Freud, qu'il est une machine désirante habitée par une libido envahissante, qui ne le pousse, pas toujours, à avoir des comportements rationnels du point de vue de la communauté !


 
Oui, c'est la question de l'origine du mal (du mal humain au moins, sans prendre en considération un hypothétique mal cosmique ou ontologique) : le mal vient-il d'une nature humaine mauvaise (l'homme a soif de domination et prend plaisir à faire du mal à son prochain) ou de mauvaises institutions ?
Dans le cas où c'est la nature humaine, il n'y a qu'à se résigner, puisque par définition, une nature ne peut se changer. Si au contraire (réponse de Rousseau), le mal vient des institutions, alors on peut changer ces institutions et, ultimement, supprimer entièrement le mal humain.  
 
Il faut noter à cet égard que l'homme ne peut jamais rien accomplir (de bien ou de mal) sans en avoir les moyens réels. C'est à dire qu'on peut être très ambitieux, mais s'il n'y a rien pour satisfaire ses ambitions, c'est comme si cette ambition n'existait pas. Dès lors, quand il n'y a pas d'institution pour actualiser un désir, ce désir soit disparaît, soit se créer une institution dans laquelle il pourra se réaliser. Le tyran se taille un État à sa mesure pour régner.  
De plus, les institutions ne sont pas là que pour répondre à des besoins innés, naturels à l'homme. Les institutions créent elles-mêmes du désir : elles ont besoin d'hommes éprouvant certaines passions pour se reproduire. Elles doivent former de tels hommes. Si demain on ne formait plus d'hommes aimant le jeu, la spéculation et l'argent, il n'y aurait plus de finance. Ce n'est pas tant parce qu'il existe des virtuoses de la parole que nous avons des avocats, c'est parce qu'on a besoin d'avocats qu'on forme des experts de la parole.  
Supprime l'institution, tu supprimes le désir lui-même. Encore une fois, si dans la société où tu vis, tu ne vois pas de débouché réel pour ta passion, soit tu te donnes les moyens de satisfaire cette passion en créant une institution, soit ta passion dépérit et s'éteint. Ainsi, l'homme ne peut faire le mal que parce que ses institutions sont perverties et se retournent contre lui, contre sa liberté.  
L'explication du mal humain apparaît par contre dérisoire, car tautologique : elle ne fait qu'expliquer des actes mauvais par l'existence d'une nature humaine mauvaise. L'homme fait le mal parce qu'il est mauvais, par nature (sous-entendu : c'est la fatalité, on n'y peut rien...) C'est un postulat vide de sens, qui ignore les causes réelles du mal.  
 
Quant à Freud, il montre que l'homme ne cesse de produire et d'élaborer des pulsions qui provoquent une tension et qui cherchent à se satisfaire. Mais l'homme n'est pas d'abord le sujet qui produit ces pulsions : il y a les pulsions, et l'homme doit apprendre à en devenir le sujet (par la cure dans les cas où cette élaboration n'est pas heureuse).  
Rien à voir avec une quelconque nature mauvaise de l'homme, qui serait animé de passions foncièrement destructrices. Ce n'est que dans certaines circonstances bien précises que ces pulsions peuvent être dirigées à l'égard d'autrui (guerre, concurrence...). Freud étudie cela quand il étend la méthode psychanalytique (qui porte sur le sujet individuel) au groupe, à la société dans son ensemble.  
 
De manière plus générale, le postulat de l'existence d'une nature humaine a presque toujours pour but de montrer que cette nature est mauvaise. Et c'est bien parce qu'il attribuait le mal aux institutions que Rousseau s'est efforcé de démontrer que l'homme est bon par nature. C'est aussi pour cette raison qu'on peut aussi bien se passer de la considération d'une quelconque nature de l'homme.

Message cité 3 fois
Message édité par rahsaan le 29-10-2009 à 17:22:02

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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°20369708
bronislas
Posté le 29-10-2009 à 17:33:25  profilanswer
 

Et est-ce que selon toi l'homme peut vouloir le mal volontairement ? Je connais la thèse de Platon de l'homme qui pense faire le bien en faisant le mal, mais j'ai le souvenir d'un texte de Nietzsche extrêmement destabilisant et qui parvenait très habilement à ébranler l'idée platonicienne.


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n°20369777
Tietie006
Dieu ne joue pas aux dés.
Posté le 29-10-2009 à 17:37:39  profilanswer
 

rahsaan a écrit :


 
Oui, c'est la question de l'origine du mal (du mal humain au moins, sans prendre en considération un hypothétique mal cosmique ou ontologique) : le mal vient-il d'une nature humaine mauvaise (l'homme a soif de domination et prend plaisir à faire du mal à son prochain) ou de mauvaises institutions ?
Dans le cas où c'est la nature humaine, il n'y a qu'à se résigner, puisque par définition, une nature ne peut se changer. Si au contraire (réponse de Rousseau), le mal vient des institutions, alors on peut changer ces institutions et, ultimement, supprimer entièrement le mal humain.  
 
 


 
Oui, conception rousseauiste reprise par les marxistes, ce qui donnera la fameuse déliquance zéro en URSS. Si le mal vient d'une mauvaise organisation de la société, réorganisons la société plus justement, de manière égalitaire et juste, et le mal disparaîtra naturellement !
Il est à noter, j'en avais déjà parlé, c'est que Saint-Augustin avait conceptualisé le libre-arbitre pour expliquer le Mal, ce qui est tout à fait juste comme relation ! Le mal est donc lié au fait que l'homme puisse choisir, serait-il consubstantiel à la nature humaine éminemment culturelle ?


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L'arrière-train sifflera trois fois.
n°20369902
bronislas
Posté le 29-10-2009 à 17:46:41  profilanswer
 

Tietie006 a écrit :

Il est à noter, j'en avais déjà parlé, c'est que Saint-Augustin avait conceptualisé le libre-arbitre pour expliquer le Mal, ce qui est tout à fait juste comme relation ! Le mal est donc lié au fait que l'homme puisse choisir, serait-il consubstantiel à la nature humaine éminemment culturelle ?


C'est drôle que tu parles de cela, j'étudie en histoire les thèses de Luther et Calvin, et on est étonné de voir qu'ils niaient le libre-arbitre et justifiaient le mal comme quelque chose appartenant en quelque sorte au plan divin. C'est surtout prégnant chez Calvin qui nous dissuade de nous en étonner en rappelant les limites de l'entendement humain ; Luther me paraît moins clair, moins déterminé sur ce point.  


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n°20369958
Tietie006
Dieu ne joue pas aux dés.
Posté le 29-10-2009 à 17:50:57  profilanswer
 

bronislas a écrit :


C'est drôle que tu parles de cela, j'étudie en histoire les thèses de Luther et Calvin, et on est étonné de voir qu'ils niaient le libre-arbitre et justifiaient le mal comme quelque chose appartenant en quelque sorte au plan divin. C'est surtout prégnant chez Calvin qui nous dissuade de nous en étonner en rappelant les limites de l'entendement humain ; Luther me paraît moins clair, moins déterminé sur ce point.  


 
Très en avance, Saint-Augustin, Dans son De libero arbitro !  :D Tiens, à propos de Calvin, il fêtait, à Genève, les 500 ans de la naissance de Calvin, quand nous y sommes passés cet été, avec des expos et tout !


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L'arrière-train sifflera trois fois.
n°20370004
rahsaan
Posté le 29-10-2009 à 17:53:54  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :


Mais précisément comment penser cela ? Rahsaan a sa réponse…


 
Ouhlala, je ne sais pas si j'ai ma réponse. J'ai plutôt ma question, et encore, ce n'est pas ma question, c'est celle de Nietzsche telle que je la comprends à partir de PBM...  
 
1) Nietzsche se demande jusqu'où il faut aller dans la connaissance. J'allais dire : jusqu'où il faut aller trop loin... N conçoit en effet bien l'hybris qu'il y a dans la connaissance, en tant que c'est une violence que nous faisons aux choses et à nous-mêmes (quand je découvre une vérité, cette découverte me transforme en retour).  
N cherche donc quelle est la bonne attitude à avoir, la juste distance à adopter par rapport aux choses, dans le cas où l'on est pris d'un besoin irrépressible (N dit à un moment "d'un vice" ) de connaître. Or, il peut aussi bien reprocher à ses prédécesseurs en philosophie d'avoir été trop pudibonds, trop timides, d'avoir préféré une vision morale du monde à une vision probe, sincère. Il peut aussi reprocher aux scientifiques l'impersonnalité de leur démarche ; à d'autres encore, les psychologues anglais de la morel par ex, la balourdise et la maladresse de leurs appétits de connaissance et la grossièreté de leurs réponses.  
 
2) Ni pudibonderie ni grossièreté, donc. C'est une première chose, qui concerne l'attitude de l'homme de connaissance, la disposition où il doit se trouver s'il veut être en mesure de progresser dans l'élucidation de la nature de ce qui "est".  
La deuxième chose, corrélée, c'est la nature de la vérité. N dit : "la vérité est femme". Il en profite au passage pour reprocher aux autres hommes de connaissance précédemment cités de manquer de tact et de finesse avec la vérité, comme ils manqueraient de tact avec les femmes. Certains vont ridiculement croire aux voiles que se donne la vérité, comme un naïf qui se laissera prendre au piège des ruses féminines. D'autres, les balourds, vont vouloir dévoiler d'un coup la vérité, comme des soudards. Dans les deux cas, dit N, la vérité leur échappe... Sans finesse, sans distance, sans légéreté, sans désinvolture ni une pointe de méchanceté, on ne peut espérer trouver la vérité. C'est parce qu'il faut s'y prendre avec elle comme avec une femme à la Carmen, pour la dompter, la dresser, la tenir fermement mais sans l'étouffer.  
La circulation métaphorique entre le vocabulaire de la femme et celui de la vérité est donc fondamental. La question est alors moins de savoir ce qu'il en est de la nature de la vérité (est-elle adéquation de la chose et de l'esprit ? dévoilement ?...) que de savoir comment la servir et la chercher.  
Il est vrai que Hegel disait (dans l'introduction de la Phénoménologie de l'esprit), que le concept est un instrument pour s'emparer de l'absolu, en sorte que le langage, en tant qu'il nous sépare de la chose immédiatement perçue, est un moment essentiel de médiation : parce que je me sépare du ceci sensible de la chose par le concept, je peux la saisir dans ce déchirement...  
 
3) Mais N réintroduit une distance critique, et c'est le troisième point, qui concerne la question de la pudeur. Voulons-nous la vérité à tout prix ? Pourquoi vouloir inconditionnellement la vérité ? Pourquoi pas plutôt l'erreur et le mensonge ? Ce que critique N, c'est la volonté inconditionnée, tyrannique. A propos de Kant, N dit que toute volonté d'inconditionné relève de la pathologie. Ce que dénonce simplement N, c'est le manque de subtilité, de justesse, de raison (de sagesse tout simplement) de ceux qui ne se demandent jamais pourquoi il leur faudrait la vérité pleine et tout entière.  
Et si cette vérité s'avérait laide, dégoûtante, repoussante ? Et si elle constituait une objection contre la vie ? Et si, en découvrant la vérité, nous étions soudain dégoûtés de la vie ? Que faudrait-il choisir : la vie ou la vérité ? Ce que reproche N aux philosophes, c'est de répondre : la vérité...  
C'est cela qu'il dénonce dans la Généalogie de la morale sous le nom d'ascétisme nihiliste. "Le monde peut bien s'écrouler, pourvu que je trouve la vérité !" Pereat mundus, fiat philosophia.
N reproche donc aux penseurs dogmatiques leur impudence, leur manque d'esprit critique et leur dépendance par rapport aux valeurs établies. Pourquoi le philosophe devrait-il vivre sur le préjugé commun selon lequel la vérité vaut absolument mieux que le mensonge ?  
 
4) La pudeur est ainsi une question d'éthique, une éthique de la vérité. De quels voiles de beauté doit-on entourer la vérité la plus laide pour la rendre contemplable ? Autrement dit : quel effort de maîtrise esthétique, de sublimation, faut-il entreprendre pour supporter une réalité qui inflige une perturbation trop profonde de mon équilibre pulsionnel ?  
 
Voilà, je ne développe pas la suite, car l'investigation de la pudeur ne s'arrête pas là chez N (elle ne concerne pas ultimement le problème de la connaissance ni de la morale), mais c'était un peu pour montrer de quoi il s'agit.  


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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°20370129
rahsaan
Posté le 29-10-2009 à 18:04:05  profilanswer
 

bronislas a écrit :

Et est-ce que selon toi l'homme peut vouloir le mal volontairement ? Je connais la thèse de Platon de l'homme qui pense faire le bien en faisant le mal, mais j'ai le souvenir d'un texte de Nietzsche extrêmement destabilisant et qui parvenait très habilement à ébranler l'idée platonicienne.


 
Le discours de Zarathoustra sur le "blême criminel" est instructif sur cette question. N essaie de penser une justice sans culpabilité. Pour cela, il critique l'instance métaphysique dont la culpabilisation ne peut se passer : le libre-arbitre. Si l'homme n'est pas libre d'agir ou de ne pas agir, il est impossible de lui imputer une quelconque faute.  
Or, ce que dénonce N, ce sont deux mauvaises fois : celle du juge et celle du criminel. C'est ce genre de "mauvaise foi" que N nomme "vision morale du monde" ou encore, à propos de Kant, "tartuferie", c'est-à-dire un mensonge éhonté que l'homme se fait à lui-même.  
 
La mauvaise foi du criminel consiste à ne pas supporter d'avoir commis un meurtre sanglant, et de se cacher derrière des motifs pour expliquer son crime. Il n'a pas tué parce qu'il aimait le sang et la douleur de sa victime : non, il a tué pour des motifs autres, pour se nourrir, pour se venger etc.  
La mauvaise foi du juge consiste à imputer la responsabilité de l'acte au criminel, et de le forcer à regretter sa faute. La justice doit inculquer la mauvaise conscience pour obtenir la soumission du criminel, sa "rédemption", sa "réhabilitation".  
Or, N nie carrément que nous soyons responsables de nos actes. Je ne vais pas retracer ici la genèse que N fait de cette notion de libre-arbitre, mais disons juste qu'il en dénonce l'usage moralisateur. Ce que N essaie de penser, c'est une justice sans culpabilité, sans ressentiment. Mais comment punir si l'assassin ne peut être déclaré "coupable" ?  
Pour N, le criminel a voulu décharger son agressivité en infligeant un mal à sa victime, et il a pris plaisir à cela, car cela satisfait un besoin profond chez lui. C'est la cruauté. Il tire un sentiment de puissance à infliger un mal à sa victime, à la soumettre, à la mutiler, à la tuer...  
Mais il y a aussi de la cruauté dans le fait d'infliger une peine au coupable. C'est la satisfaction de cette vengeance médiatisée, institutionnalisée, qu'est la justice. Bref, N propose une vision de la justice débarrassé de ses beaux atours moraux. La justice consiste à équilibrer et ré-équilibrer un système perturbé par l'acte du criminel, du fautif en général, afin de le garder viable.  
On trouve déjà cela chez Spinoza (avec moins d'insistance sur la cruauté) : quand la société met à mort un criminel, elle exerce son droit de nature à persévérer dans son être. Elle est plus forte que le criminel qui a transgressé ses lois, donc elle a le droit de le supprimer, point. Mais il est vain de reprocher au criminel d'avoir agi : il a agi selon la nécessité de sa nature en tuant. La société agira de même.


Message édité par rahsaan le 29-10-2009 à 18:18:48

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n°20370562
rahsaan
Posté le 29-10-2009 à 18:38:24  profilanswer
 

Tietie006 a écrit :

Le mal est donc lié au fait que l'homme puisse choisir, serait-il consubstantiel à la nature humaine éminemment culturelle ?


 
La pensée du mal chez Saint-A. a pour but d'imputer l'origine du mal à l'homme, donc d'en disculper Dieu, et de combattre le manichéisme (selon lequel le mal et le bien sont des réalités cosmologiques).  
Dans les Confessions, Saint-A. explique le mal commis par l'homme à une faiblesse de la volonté, faiblesse qui est consubstantielle à la volonté mais qui ne disculpe pas pour autant l'homme.


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n°20370778
Tietie006
Dieu ne joue pas aux dés.
Posté le 29-10-2009 à 18:53:00  profilanswer
 

rahsaan a écrit :


 
La pensée du mal chez Saint-A. a pour but d'imputer l'origine du mal à l'homme, donc d'en disculper Dieu, et de combattre le manichéisme (selon lequel le mal et le bien sont des réalités cosmologiques).  
Dans les Confessions, Saint-A. explique le mal commis par l'homme à une faiblesse de la volonté, faiblesse qui est consubstantielle à la volonté mais qui ne disculpe pas pour autant l'homme.


 
Oui, Saint-Augustin invente le libre-arbitre, pour expliquer le mal sur cette Terre et, en effet, pour disculper Dieu.
D'ailleurs je viens de m'acheter "La peinture et le mal", de Jacques Henric, 1983 ...  :D


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L'arrière-train sifflera trois fois.
n°20375020
fleur de m​uzique
Posté le 30-10-2009 à 07:44:37  profilanswer
 

LEO STRAUSS NIHILISME ALLEMAND
 
c'est juste bluffant de clarté !  [:implosion du tibia]  
Je vous le laisse découvrir, c'est court mais dense et très très lumineux...

n°20375848
bronislas
Posté le 30-10-2009 à 10:01:21  profilanswer
 

C'est dans Nihilisme et Politique cet essai non ?
Je me méfie quand on parle de clarté chez Strauss, c'est louche. À moins qu'il ait été écrit bien avant La Persécution et l'Art d'écrire ?


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Librarything|Last.fm|RYM
n°20377196
fleur de m​uzique
Posté le 30-10-2009 à 11:40:47  profilanswer
 

oui c'est dans nihilisme et politique  
et oui c'est absolument lumineux, une vraie bonne dissert en bonne et due forme avec distinctions conceptuelles limpides, et meme une annonce de plan, qui en plus est respectée, nikel
c'est un conférence, c'est peut être pour ça....
à lire absolument !


Message édité par fleur de muzique le 30-10-2009 à 11:41:33
n°20378745
l'Antichri​st
Posté le 30-10-2009 à 13:46:37  profilanswer
 

rahsaan a écrit :


 
Oui, c'est la question de l'origine du mal (du mal humain au moins, sans prendre en considération un hypothétique mal cosmique ou ontologique) : le mal vient-il d'une nature humaine mauvaise (l'homme a soif de domination et prend plaisir à faire du mal à son prochain) ou de mauvaises institutions ?
Dans le cas où c'est la nature humaine, il n'y a qu'à se résigner, puisque par définition, une nature ne peut se changer. Si au contraire (réponse de Rousseau), le mal vient des institutions, alors on peut changer ces institutions et, ultimement, supprimer entièrement le mal humain.  
 
Il faut noter à cet égard que l'homme ne peut jamais rien accomplir (de bien ou de mal) sans en avoir les moyens réels. C'est à dire qu'on peut être très ambitieux, mais s'il n'y a rien pour satisfaire ses ambitions, c'est comme si cette ambition n'existait pas. Dès lors, quand il n'y a pas d'institution pour actualiser un désir, ce désir soit disparaît, soit se créer une institution dans laquelle il pourra se réaliser. Le tyran se taille un État à sa mesure pour régner.  
De plus, les institutions ne sont pas là que pour répondre à des besoins innés, naturels à l'homme. Les institutions créent elles-mêmes du désir : elles ont besoin d'hommes éprouvant certaines passions pour se reproduire. Elles doivent former de tels hommes. Si demain on ne formait plus d'hommes aimant le jeu, la spéculation et l'argent, il n'y aurait plus de finance. Ce n'est pas tant parce qu'il existe des virtuoses de la parole que nous avons des avocats, c'est parce qu'on a besoin d'avocats qu'on forme des experts de la parole.  
Supprime l'institution, tu supprimes le désir lui-même. Encore une fois, si dans la société où tu vis, tu ne vois pas de débouché réel pour ta passion, soit tu te donnes les moyens de satisfaire cette passion en créant une institution, soit ta passion dépérit et s'éteint. Ainsi, l'homme ne peut faire le mal que parce que ses institutions sont perverties et se retournent contre lui, contre sa liberté.  
L'explication du mal humain apparaît par contre dérisoire, car tautologique : elle ne fait qu'expliquer des actes mauvais par l'existence d'une nature humaine mauvaise. L'homme fait le mal parce qu'il est mauvais, par nature (sous-entendu : c'est la fatalité, on n'y peut rien...) C'est un postulat vide de sens, qui ignore les causes réelles du mal.  
 
Quant à Freud, il montre que l'homme ne cesse de produire et d'élaborer des pulsions qui provoquent une tension et qui cherchent à se satisfaire. Mais l'homme n'est pas d'abord le sujet qui produit ces pulsions : il y a les pulsions, et l'homme doit apprendre à en devenir le sujet (par la cure dans les cas où cette élaboration n'est pas heureuse).  
Rien à voir avec une quelconque nature mauvaise de l'homme, qui serait animé de passions foncièrement destructrices. Ce n'est que dans certaines circonstances bien précises que ces pulsions peuvent être dirigées à l'égard d'autrui (guerre, concurrence...). Freud étudie cela quand il étend la méthode psychanalytique (qui porte sur le sujet individuel) au groupe, à la société dans son ensemble.  
 
De manière plus générale, le postulat de l'existence d'une nature humaine a presque toujours pour but de montrer que cette nature est mauvaise. Et c'est bien parce qu'il attribuait le mal aux institutions que Rousseau s'est efforcé de démontrer que l'homme est bon par nature. C'est aussi pour cette raison qu'on peut aussi bien se passer de la considération d'une quelconque nature de l'homme.


 
Votre message soulève de nombreux problèmes intéressants ! Occupons-nous du premier (partie du texte mise en gras). En guise de mise en garde ou d’introduction à la difficulté de penser une hypothétique "nature humaine", j’aimerai d’abord rappeler que la philosophie est née précisément d’un refus de la nature. Celle-ci est, en effet, impensable, comme le montre Parménide. L’être est et le non-être n’est pas. La nature est le monde du non-être, c’est-à-dire du mouvement, du devenir. Dès que je cherche à appréhender la nature, elle n’est plus et pas encore. La nature est vouée à l’échappement. Dire l’être de la nature, ce serait pouvoir arraisonner ces "cavales" qui emportent le poète à travers la nuit, et qui comme tout devenir semblent davantage le conduire vers la mort que vers l’éternité. La dimension ontologique est refusée à la nature. Il est bon de signaler que la nature ici est déjà une transformation de la phusis des présocratiques et d’Héraclite. Il y a une essence impensée de la phusis, scandaleuse à la raison et à la connaissance prédicative. La phusis n’est pas devenir essentiel, évolution, mais éclosion, ouverture, épanouissement, c’est-à-dire apparaître en-soi de chaque existant, apparence qui n’est pourtant apparaître pour personne, sans condition, qui ne dépend d’aucun sujet, qui n’a pour condition de possibilité aucune subjectivité transcendantale, qui n’a besoin pour se produire d’aucune essence préalable et extérieure à elle, d’aucun modèle dont elle serait la copie. La phusis est l’être, antérieur à sa pensée, c’est-à-dire à la relation prédicative et logique, posée par Aristote, qui permet de désigner la multiplicité des étants, d’effectuer une différenciation catégoriale et générique de l’étant, de dire le "comment" et le "pourquoi" de son étantité (union de la cause efficiente et de la cause finale dans l'essence d'un être "par nature" ). Ainsi, la nature, en un sens dérivé de la phusis originelle recouverte par la rationalité, n’existe pas ou plutôt son mode d’existence est la négation de l’exister authentique, c’est-à-dire de ce qui se tient en-soi et par-soi dans son identité : l'essence substantielle, union de la matière et de la forme.
 
C’est pourquoi, l’être pour Aristote est d’abord "physique" (ordre de préséance). La nature est posée comme l’être-là premier et la connaissance discursive (seconde) peut alors se consacrer entièrement à l’explication de ce qui est, sans avoir à justifier son objet. La "nature physique" préexiste à la pensée, mais elle n'est pas coupée de la "nature métaphysique", interprétée comme nature des choses, essence d’un être. La nature d'un être est le principe de son mouvement (son entéléchie), mouvement par lequel il existe dans l'expérience et dont s'occupe la science physique. L'existence d'un homme, pour Aristote, est une existence "par nature", parce que la nature est précisément ce qui met son être en mouvement. La chose naturelle "produit" le principe de son mouvement interne (l’artiste en revanche insuffle le mouvement extérieur à son oeuvre). Le "principe" est ce qui cause le mouvement de la chose dans le sens où il ne provient que de la chose elle-même (union de la matière et de la forme). Connaître la nature [d'un être], ce n’est donc pas se demander si elle existe ou si elle est possible (celui qui prétend que la nature n’existe pas, car il ne voit pas ce qui est manifeste, est atteint d’une curieuse maladie), mais savoir qui de la forme ou de la matière de la chose naturelle la détermine à devenir ce qu’elle est. "la nature est un principe et une cause de mouvement et de repos pour [la chose] en quoi elle réside immédiatement [et à titre d’] attribut essentiel et non pas accidentel [de cette chose]" (cf. Aristote, Physique). Toute chose qui possède un tel principe est une substance. En ce sens, la nature réside toujours dans un sujet. L'homme est sujet. Et c'est pourquoi la métaphysique n’a de sens que si elle pose la question du sens de la nature, c’est-à-dire de la finalité. De même que le feu va vers le haut, puisque c'est là un mouvement qui lui arrive par nature, de même nous naissons homme, mais nous devenons humain, puisque nous rejoignons ainsi notre essence, c'est-à-dire notre nature : nous consentons à elle, nous répondons à son appel sans violence, puisqu’en elle cause et effet se confondent. Nous sommes idéalement notre propre cause.
 
L'homme existe donc "par nature" en deux sens : en un sens, la "nature" de l'homme, qui donc possède en lui-même un principe de mouvement et de changement, c'est la matière, mais, en un autre sens, c’est le type et la forme telle qu’elle est dans le concept. La "nature" doit être, dans toutes les choses qui possèdent en elles-mêmes un principe de mouvement, le type et la forme, [forme] non séparable de la matière, si ce n’est logiquement. Exister "par nature" pour l'homme, c'est dire que l’homme engendre l’homme.
 
Arrive alors une autre nature sur fond de l’ancienne (la culture comme seconde nature). La métaphysique conduit au-delà de la nature. Sans l’homme, la nature demeure insensée, même s’il faut se garder de plaquer sur la nature les catégories anthropologiques qui la dénaturent. C'est ce que mon message précédent sur le rapport de la "norme" (norma) à la "règle" (regula) voulait signifier : dans une perspective aristotélicienne, si le "naturel" implique toujours un jugement de valeur concernant la "normalité" (le respect de sa "norme" naturelle), celui-ci n'est pas fondé. Ainsi, nous trouvons normal pour lui de voir ramper ce pensionnaire du Cirque Barnum qui jouait dans Freaks, étant donné qu’il était par nature un homme sans bras ni jambes, un homme-tronc. On voit bien cependant qu’il n’est pas normal pour un être de "nature humaine" de se trouver dans un tel état et de ne pouvoir se déplacer qu’ainsi. Autrement dit, la nature individuelle d’un être n’est pas seulement constituée de ce qui le singularise, mais aussi de ce qu’il a et doit avoir en commun avec d’autres, et qui est "l’essence" dont ils relèvent tous. De ce point de vue, le "monstre" n’est pas normal : sa nature manque de certains éléments qui lui sont essentiels et des possibilités d’activité qui leur corresponde. Mais, l’essence ou la nature d’un être lui impose-t-elle par elle-même de la respecter ?  Pour être et être ce qu’il est, sans doute : c’est une nécessité de fait. Mais, pourquoi être un homme ? Pourquoi être soi-même ? L’essence d’un individu explique ce qu’il est, mais ne justifie pas l’obligation pour lui d’être conforme à cette essence comme union de la matière et de la forme, du type humain. Etre soi-même est une tâche, une responsabilité, qu’il incombe à chacun d’accomplir et qui s’adresse à notre conscience, c’est-à-dire à notre puissance de dépassement du donné (perfectibilité chez Rousseau), c’est-à-dire à notre volonté d’imposer à la nature, insensible et insensée, une vérité, un sens ou nous nous retrouvons tout entier. C'est à la liberté humaine d'élaborer les règles (morales et politiques) qui permettront de dominer notre nature ou de palier à ses déficiences (selon Aristote, ce n’est pas un défaut dans la forme - ce qui fait l'essence formelle d'un être - qui fait le "monstre" mais un manque au niveau de ce qui actualise dans l’existence cette forme, c’est-à-dire la matière, et Kant dira dans le même sens que le criminel le plus abominable reste une "personne" digne de respect - dans le jugement et la punition qu’il mérite - parce qu’il est toujours libre de régler son choix sur la représentation de la loi morale - la liberté morale est un fait, sinon en pratique, du moins constitutif de la nature humaine, non comme être, mais comme devoir-être).
 
La question de la "nature humaine" est donc une question à la fois morale et politique. La nature est-elle une norme à partir de laquelle on puisse décider du juste et de l’injuste ? On peut faire remarquer que les premiers articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen faisaient référence à la nature de l’homme, et non au rapport de cette nature à la nature en général. Ici, le "naturel" a force de loi. Il n’y a pas à chercher en dehors de ce que nous sommes. C’est l’homme en tant qu’homme, et non pas en tant que créature, qui est source de droit. Les institutions, si puissantes soient-elles, ne sont jamais à elles-mêmes leur propre fondement : elles servent une nature qu’elles n’ont pas constituée. Mais la nature doit-elle être érigée en norme générale pour l’humanité ? N’est-ce pas une coutume travestie en nature ? Quand on veut préserver le droit naturel, on veut une loi au-dessus des lois et que cette loi n’appartienne à aucune autorité dont nous aurions à devenir les sujets. Ces principes sont démocratiques, c’est-à-dire sont un effort pour identifier et combattre la tyrannie.
 
Or, lorsqu’on parle de "normes", on renvoie à l’acquis social quel qu’il soit. L’homme ajoute à la nature ses moeurs. Le problème est que ce sens ne permet pas de comprendre la nature de l’ordre auquel il renvoie. Dans une autre vision, on peut dire que la norme est le dépassement du donné. C’est l'artifice par lequel l’homme cherche à se libérer de ses particularités. Se cultiver, c'est se normaliser, c'est-à-dire se libérer des limites que définit notre existence particulière. La culture, comme processus de négation de la nature, signifie en ce sens, non pas seulement l’appropriation des données d’une culture, fut-elle la nôtre, mais le dépassement de cette appropriation dans la réflexion qui permet une voie d’accès à l’universel. On peut alors remonter aux principes originaires. Et c'est précisément ce que dit Rousseau : la société ne relève pas d’une essence naturelle pré-définie. Or, en revenir aux principes originaires de toute culture, ce n’est plus considérer les notions de bien et de mal comme relevant d’une essence. Se cultiver, c’est dépasser le bien et le mal humain, culturel, contextuel. Or, ce dépassement est inscrit dans la nature humaine, dans la "disposition" de l’homme à la culture. Bref, pour Rousseau, l’idée de culture suppose la question du fondement.
 
Parler du fondement du bien et du mal, c’est chercher à établir un rapport constitutif entre une disposition virtuelle de l’homme (il porte en lui-même les conditions de réalisation de la culture) et la culture comme ordre sui generis. Il n'est pas possible de réduire la culture, ni à une essence naturelle pré-déterminée, ni à un déterminisme culturel de type scientifique qui ne laisserait aucune place à la liberté. La notion traditionnelle de nature humaine que l’on entend comme essence pré-définie n’est plus valable.
 
Poser le problème du fondement de la culture implique pour Rousseau deux directions : expliquer le passage de la nature à la culture, mais aussi, situer ce passage dans la nature même de l’homme. Rousseau s’engage dans ces deux directions. Cette disposition est la perfectibilité. Celle-ci n’est ni réflexion, ni instinct, ni raison. Elle est la condition préalable et formelle qui rend possible le développement de toutes les possibilités humaines. La perfectibilité ne requiert pas la conscience de soi. La perfectibilité n’est pas autre chose qu’une qualité biologique inséparable de l’homme. Elle n’est qu’en puissance à l’état de nature. Ce sont les conditions extérieures qui la réveillent. Si donc les hommes se sont mis à transformer leur environnement, ce devait moins être dû à une tendance naturelle qu’à un "funeste hasard", inondation ou tremblement de terre, un événement qui, par exemple, aurait raréfié les denrées produites naturellement et qui aurait forcé les hommes à se rapprocher les uns des autres et à se sédentariser, au lieu de continuer simplement à se déplacer pour aller chercher la nourriture là où elle se trouvait. Dans une telle analyse, le travail apparaît, contrairement au récit biblique, non comme une forme de malédiction, mais plutôt comme la solution apportée par l’homme à des catastrophes écologiques. Là où d’autres espèces se seraient éteintes à cause des transformations de leur milieu, l’homme, du fait sa "perfectibilité", a été capable de transformer son rapport à ce milieu pour survivre et en tirer profit. La tendance fondamentale de la nature humaine, qui distingue l’homme de tous les autres animaux, son essence donc, c’est la perfectibilité, c’est-à-dire la faculté de "parfaire" ce que la nature n’a pas achevé en l’homme, et qui demande, par le travail, à être développé. La perfectibilité, qualité essentielle de la nature humaine, fait de l’homme un être inachevé, devant se réaliser par lui-même. L’artifice, que rousseau condamne dans un premier temps (cf. Discours sur les sciences et les arts) parce qu’il rend l’homme artificiel, faux, trompeur, rusé, parce qu’il le corrompt en lui donnant de l’esprit, est finalement réintroduit dans la nature de l’homme, non plus comme ce qui détruit sa nature, mais comme ce qui doit la parachever. Ainsi, par le travail, l’homme se modifie au passage lui-même et, dans une certaine mesure, s’améliore : Rousseau montre comment l’homme, acquérant la métallurgie et l’agriculture - là encore par d’improbables concours de circonstances - développe ses propres capacités, son intelligence et son habileté, au point que l’on peut dire que c’est en travaillant que l’homme construit sa propre humanité : "A mesure que le genre humain s’étendit, les peines se multiplièrent avec les hommes. La différence des terrains, des climats, des saisons, put les forcer à en mettre dans leurs manières de vivre. Des années stériles, des hivers longs et rudes, des étés brûlants qui consument tout, exigèrent d’eux une nouvelle industrie [...] Cette application réitérée des êtres divers à lui-même, et les uns aux autres, dut nécessairement engendrer dans l’esprit de l’homme la perception de certains rapports [...] Les nouvelles lumières qui résultèrent de ce développement augmentèrent sa supériorité sur les autres animaux en la lui faisant     connaître". (cf. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes). La raréfaction des ressources extérieures est ce qui pousse l’homme à puiser dans ses ressources intérieures pour, simultanément, s’adapter au milieu et adapter le milieu à lui. Rousseau fait clairement apparaître le lien entre le travail et un "propre de l’homme" paradoxal ("la perception de certains rapports", c’est-à-dire la raison) qui n’est pas donné tout fait mais, justement, développé en même temps que l’homme acquiert la maîtrise de la nature et produit des objets artificiels.
 
Au mythe de la nature humaine, il nous faut donc substituer le mythe de Prométhée. L’artifice, issu du monde du travail, ne s’oppose pas à la nature, si l’on comprend celle-ci comme imparfaite et comme susceptible d’être parachevée, améliorée, développée par l’homme. Platon, dans le Protagoras, pensera, par l’intermédiaire de ce mythe, l’idée d’artifice comme remède à l’imperfection de la nature humaine. "Nu, déchaussé, dénué de couverture, désarmé", l’homme va recevoir de Prométhée l’intelligence ou "le génie créateur des arts", lui permettant de résoudre les problèmes que la vie lui pose. Les autres animaux ayant été largement dotés du nécessaire par Epiméthée qui, dans son imprudence et sa précipitation, avait oublié l’homme. Ce mythe enseigne donc que l’homme est, par nature, un homo faber, un être dont la nature est d’inventer, de fabriquer, comme le dira Bergson en soulignant que l’intelligence humaine n’est pas tant une faculté théorique et contemplative, dont le but serait la connaissance désintéressée, qu’une faculté pratique liée à l’action (c’est ce que montrera aussi, à sa manière, G. Bachelard dans la Formation de l’esprit scientifique). La vraie nature de l’homme, c’est l’artifice, en tant que l’artifice relève de l’art (au sens de la technê d’Aristote, "l’artifice qui effectue ce que la nature est dans l’impossibilité d’accomplir", cf. Physique,) et désigne l’habileté, le savoir-faire, l’ingéniosité. En ce sens, tout travail implique une technique. La technique, en effet, c’est le système des moyens ordonnés à une fin selon certaines normes, qui structure toute action productrice et la rend efficace. Par la technique, l’homme cherche à résoudre, grâce à un savoir-faire, des problèmes que rencontre sa faiblesse naturelle. La technique consiste alors en un prolongement artificiel de l’organique qui cherche à survivre mais aussi à bien vivre. Dans cette perspective, Ulysse peut représenter la figure même de l’ingéniosité humaine. Ecarté d’Ithaque pendant vingt ans, il retournera chez lui à force de ruse, d’habileté, d’artifice. On peut aussi rappeler l’épisode des sirènes : par l’usage de sa raison, Ulysse prévoit la faiblesse (le défaut de la force) de sa volonté et organise un plan en conséquence pour pallier cette défaillance afin de se repaître de son désir d’entendre les sirènes, de se perdre dans ce chant. Si Ulysse désire ce chant, il ne le veut pas. Cette non-volonté est gouvernée par le désir affirmatif de jouir à l’infini de son désir. Or, pour en jouir le plus possible, il ne faut pas y succomber (car sinon, c’est la mort). L’artifice devient ici le pouvoir que l’usage de sa raison donne à Ulysse de se prémunir de son propre désir en substituant aux cordes de la volonté, impuissantes au moment où le désir se fait entendre (le chant des sirènes), quand nous sommes jetés dans le feu de l’action et dans la chaleur du désir, les cordes matérielles qui vont l’attacher au mât pour sa propre sécurité sans l’empêcher de jouir de ce chant. Quant à Hume, il pourra soutenir dans son Traité de la nature humaine (cf. III) que la justice est "une vertu artificielle" dans le sens où elle provient, non de la nature innée de l’homme, mais de sa faculté d’inventer des remèdes à des situations invivables. La justice est une convention inventée pour pouvoir vivre en communauté, mais cet artifice n’en est pas moins naturel.
 
Pour être artificielles, les règles de justices n’en sont pas pour autant arbitraires, l’effet du caprice ou du hasard. C’est cette confusion entre l’artifice et l’arbitraire qui est source de la disqualification de l’artifice et de son opposition à la nature.
 
Rousseau nous permet de comprendre que la société est un ordre humain qui tout en étant rendu possible par la "nature" de l'homme (la perfectibilité), est aussi un ordre sui generis. La perfectibilité, comme disposition naturelle à la culture, c'est-à-dire au bien et au mal, est conçue par Rousseau comme un processus interne à la société. La sociabilité est instituée par l’homme lui-même. Il faut que l’homme ait des connaissances pour devenir sociables, or il ne peut être cultivé que s’il entretient des rapports avec les autres. La sociabilité sera donc considérée comme nulle chez un être qui, en raison de son isolement, est privé de la lumière. C’est le cas de l’homme à l’état de nature. L’homme est "en devenir", c’est-à-dire ne deviendra sociable que dans la société. La valeur que nous attribuons à la nature dérive de son utilité pour nous. Le propre de l’homme est de forger un monde à sa mesure. Ainsi pourrait-il s’y mirer et échapper au triste sort d’être prisonnier de la nature. C'est pourquoi, la liberté civile est supérieure à la liberté naturelle. La dénaturation a valeur de progrès. L’important, ce sont les conventions, la concorde et la discorde qui développent nos facultés. La nature, il faut en triompher. Les facultés humaines sont mobiles et contrastent avec la rigidité de la nature. Bref, la nature n’est qu’un moyen pour parvenir à nos fins. Il faut voir dans la nature un ordre auquel se confronter. Or, répétons-le encore, nous devons à la nature notre capacité à nous affranchir de l’ordre naturel (le langage par exemple). Il faut une interaction constante du biologique et du naturel pour que le développement de l’enfant se produise (l’organisation des structures nerveuses sous-tend les performances mentales). L’inné est donc moins le contraire de l’acquis qu’il n’en est la condition de possibilité. Avec Rousseau, l’homme fait émerger une nature qui n’est pas la nature et pour Lévi-Strauss rien de naturel ne motive la mise en place des codes et des fonctions sociales, celles-ci étant leur propre principe. Ce qui implique de travailler contre la nature si l’on veut maintenir l’ordre institutionnel sur lequel nos existences sont fondées : nous écartons-nous de ce à quoi on s’oppose ? Non : nous restons liés au naturel. Pensons à Antigone de Sophocle : l’homme traverse la mer et tourmente la terre, mais en faisant cela, il s’inscrit toujours dans la nature. Si l’on parle toujours des productions de l’esprit, ne prend-t-on pas la nature comme support ?
 
Bref, l’idée de nature a une fonction symbolique chez Rousseau. La nature renvoie pour Rousseau à une disposition naturelle : la perfectibilité. Celle-ci est liée à la pitié. La seule manière qu’a la perfectibilité d’agir dans un état de nature, c’est à travers l’amour de soi, ce qui portent les hommes à "s’identifier" les uns aux autres. Il y a une coïncidence dans le malheur. C’est cette situation (outre l’isolement) qui permet la paix dans l’état de nature. La perfectibilité est inefficace dans cet état, sauf sous la forme de l’amour de soi. Or, en passant à l’Etat civil, les facultés se développent grâce à la perfectibilité. Celle-ci prend place dans des conflits. L’homme réfléchit pour gagner un affrontement : du coup, les passions se développent (ambition, méfiance, crainte…). L’amour de soi devient amour propre. L’homme n’est ni bon ni mauvais à l’état  de nature. La société l’infléchit vers le mal. La nature a mis en nous un pur progrès (perfectibilité) pour construire un monde heureux. Or, la perfectibilité engendre les inégalités qui sont au fondement de toutes les injustices et de tous les manquements aux droits. C’est la propriété qui engendre les injustices. Autrement dit, les lois ou les institutions ne sont pas adéquates au dessein de la nature en nous, nature qui les a produites. On découvre le sens symbolique de l’idée de nature. La nature est ce que l’homme a perdu. La nature est le symbole de la chute. Rousseau montre l’inadéquation de notre société (de la culture) à la nature.
 
Au final, si la raison ne voit jamais qu’à travers ses propres principes, si le réel est nécessairement rationnel, comment résister au désir d’une Idée pure de la nature qui n’aurait de réalité qu’à proportion de sa rationalité ? Il faut  s’interroger sur la nature. Que la nature soit le négatif de l’homme ou son révélateur, qu’elle soit le spectre qu’il doit repousser ou l’idéal qu’il doit poursuivre, qu’elle soit la norme ou l’antidote, la nature philosophique n’est qu’une fiction dont l’être et la valeur dépendent des effets qu’elle produit. La nature n’est pas l’identité abstraite de l’être en-soi, mais ce que nous en faisons. Nous ne pouvons donc que retourner vers cet "originaire" qu’est la nature. On est dans l’embarras : il est impossible d’être présent à une nature qui n’a qu’un sens symbolique, mais il est impossible de décréter la nature absente...


Message édité par l'Antichrist le 04-11-2009 à 03:59:07
n°20420304
l'Antichri​st
Posté le 03-11-2009 à 13:47:03  profilanswer
 

rahsaan a écrit :


 
Oui, c'est la question de l'origine du mal (du mal humain au moins, sans prendre en considération un hypothétique mal cosmique ou ontologique) : le mal vient-il d'une nature humaine mauvaise (l'homme a soif de domination et prend plaisir à faire du mal à son prochain) ou de mauvaises institutions ?
Dans le cas où c'est la nature humaine, il n'y a qu'à se résigner, puisque par définition, une nature ne peut se changer. Si au contraire (réponse de Rousseau), le mal vient des institutions, alors on peut changer ces institutions et, ultimement, supprimer entièrement le mal humain.  
 
Il faut noter à cet égard que l'homme ne peut jamais rien accomplir (de bien ou de mal) sans en avoir les moyens réels. C'est à dire qu'on peut être très ambitieux, mais s'il n'y a rien pour satisfaire ses ambitions, c'est comme si cette ambition n'existait pas. Dès lors, quand il n'y a pas d'institution pour actualiser un désir, ce désir soit disparaît, soit se créer une institution dans laquelle il pourra se réaliser. Le tyran se taille un État à sa mesure pour régner.  
De plus, les institutions ne sont pas là que pour répondre à des besoins innés, naturels à l'homme. Les institutions créent elles-mêmes du désir : elles ont besoin d'hommes éprouvant certaines passions pour se reproduire. Elles doivent former de tels hommes. Si demain on ne formait plus d'hommes aimant le jeu, la spéculation et l'argent, il n'y aurait plus de finance. Ce n'est pas tant parce qu'il existe des virtuoses de la parole que nous avons des avocats, c'est parce qu'on a besoin d'avocats qu'on forme des experts de la parole.  
Supprime l'institution, tu supprimes le désir lui-même. Encore une fois, si dans la société où tu vis, tu ne vois pas de débouché réel pour ta passion, soit tu te donnes les moyens de satisfaire cette passion en créant une institution, soit ta passion dépérit et s'éteint. Ainsi, l'homme ne peut faire le mal que parce que ses institutions sont perverties et se retournent contre lui, contre sa liberté.  
L'explication du mal humain apparaît par contre dérisoire, car tautologique : elle ne fait qu'expliquer des actes mauvais par l'existence d'une nature humaine mauvaise. L'homme fait le mal parce qu'il est mauvais, par nature (sous-entendu : c'est la fatalité, on n'y peut rien...) C'est un postulat vide de sens, qui ignore les causes réelles du mal.  
 
Quant à Freud, il montre que l'homme ne cesse de produire et d'élaborer des pulsions qui provoquent une tension et qui cherchent à se satisfaire. Mais l'homme n'est pas d'abord le sujet qui produit ces pulsions : il y a les pulsions, et l'homme doit apprendre à en devenir le sujet (par la cure dans les cas où cette élaboration n'est pas heureuse).  
Rien à voir avec une quelconque nature mauvaise de l'homme, qui serait animé de passions foncièrement destructrices. Ce n'est que dans certaines circonstances bien précises que ces pulsions peuvent être dirigées à l'égard d'autrui (guerre, concurrence...). Freud étudie cela quand il étend la méthode psychanalytique (qui porte sur le sujet individuel) au groupe, à la société dans son ensemble.  
 
De manière plus générale, le postulat de l'existence d'une nature humaine a presque toujours pour but de montrer que cette nature est mauvaise. Et c'est bien parce qu'il attribuait le mal aux institutions que Rousseau s'est efforcé de démontrer que l'homme est bon par nature. C'est aussi pour cette raison qu'on peut aussi bien se passer de la considération d'une quelconque nature de l'homme.


 
Sur la question du désir, la "circularité" que vous présentez entre désir et institution, désir et norme, est intéressante, d’inspiration à la fois nietzschéenne et deleuzienne. Elle fait d’abord penser à un "cercle vicieux" : comment le désir peut-il se donner le moyen de l’institution pour s’actualiser tel qu’à "l’origine" si lui-même est déjà le produit d’une institution ? Où se termine le "naturel" (besoin ? désir ?) et où commence le "culturel" (la norme institutionnelle) ? Le "désir" n’est-il pas l’effet second d’une dénaturation culturelle, le résultat figé du travail intérieur de la norme, ce qui en ferait d’abord l’autre nom du "besoin", c’est-à-dire d’un manque (rapport au désirable), objet et fin de la volonté raisonnable ? A moins que le désir soit fondamentalement l’expression de la vie comme puissance d’ouverture qui déborde tout ordre, tout dispositif de pouvoir. Le désir ne serait plus manque à combler par "l’avoir", mais puissance de création dans "l’être", c’est-à-dire dans ce que Deleuze appelle la "machine abstraite" : son mode d’être serait précisément un "agencement" ou "dispositif", mais dans sa dimension de fuite immanente au social même, à l’institution.
 
La vision classique du désir est celle du désir-manque. Le désir serait l’envers du besoin, lui serait subordonné : à l’état passif du besoin correspondrait le mouvement dynamique du désir cherchant à combler le manque, mouvement par lequel nous participons à actualiser notre être, à réaliser sa fin (Aristote). Désirer ne consisterait qu’à accomplir ce que le besoin exige et le plaisir que nous pourrions tirer du désir viendrait de ce qu’il rétablit en l’homme ce qui se déséquilibre au contact du monde (Epicure). Ainsi, lorsque j’éprouve le "désir" de boire, je ressens dans ma chair (physiquement), l’absence d’eau, parce que j’en ai besoin pour vivre. L’anorexique, en revanche, qui a pourtant aussi besoin de manger, mais ne le désire pas, de fait, se fait vomir : son désir n’est pas déterminé par le manque de nourriture. Son "besoin" irrépressible est un accident. C’est pourquoi, la volonté raisonnable tend à se substituer au désir car elle s’exerce toujours par rapport à ce qui est bon pour moi, c’est-à-dire nécessaire du point de vue de l’efficacité de mon action (finalisée : poiêsis, travail de transformation du donné, effort pour modifier la réalité), moyen transitif et circonstanciel de l’acte (final : praxis, "exercice" comme fonction opératoire de création de soi par soi, mouvement intérieur d’un être immanent - résidant absolument en lui-même - qui ne peut être à chaque instant que "principe" et "point de départ" de son devenir) par lequel j’actualise mes possibilités, j’accomplis les dispositions de ma nature. De ce point de vue, le désir n’est pas un originaire, mais le travail sur soi visant à se donner les moyens d’avoir ce que je dois avoir avec d’autres pour être moi-même, en accord avec moi, c’est-à-dire conforme à ma nature. L’être, c’est-à-dire l’essence, sans être une identité abstraite, est un "devoir-être" au sens d’une acquisition : le désir vise l’appropriation de l’être (actualiser ce qui était seulement virtuel, faire exister "positivement" ce qui était "négativement" comme essence), c’est-à-dire d’une propriété qui est pensée et posée au préalable. La pensée de l’essence fonde le désir dans sa "vérité" universelle : elle est le contraire d’une aventure, d’un événement, c’est-à-dire d’un processus mobile, dynamique et fluide de création. Une certaine idée de l’homme préexiste au désir, et si "être" et "penser" ne sont ici qu’une seule et même chose, c’est parce que la pensée est "volonté", "puissance" : elle ne se réduit pas à un contenu propositionnel, mais a valeur de règle implicite, de critère qui, à une époque et dans milieu donné, permet de "tenir pour vrai" (Nietzsche). La "vérité" du désir est celle du "dire vrai", c’est-à-dire celle d’une "pratique commune", propre à un milieu de vie.  
 
Pour mieux comprendre ce qui est en jeu ici, réfléchissons à partir d’un exemple simple, l’expression d’Aristote : "l’homme est par nature un animal politique". Rappelons de quoi il est question ici. L’homme vit en société parce qu’il est sociable : par nature, il est disposé à vivre avec ses semblables. C’est là sa constitution naturelle : si l’homme vit en société, c’est parce qu’il est sociable et s’il est sociable, c’est parce qu’il est raisonnable. La sociabilité de l’homme se fonde sur ses facultés naturelles : par la raison l’homme est capable de poser un certain idéal de justice et c’est pour cela qu’il dispose d’un langage (union de la cause efficiente et de la cause finale), afin de communiquer, d’énoncer des discours et d’exprimer "le juste et l’injuste et d’autres notions morales". Or, du point de vue de son essence, l’homme n’est pas tant un être doué de sociabilité qu’un être qui ne devient un homme que s’il vit avec les autres dans une cité, là où il peut acquérir une connaissance pratique de ses lois, en prendre l’habitude pour finalement tendre vers elles par une sorte de disposition acquise (sagesse pratique). La sociabilité comme disposition n’est donc pas la cause de la socialité, mais la conséquence de sa pratique, car c’est en s’exerçant à obéir aux lois, donc en faisant le choix délibéré de vivre sous leur autorité, que naît la disposition (qui reste sinon une forme vide) qui se développe et devient spontanée. L’homme ne devient un homme "politique" qu’en vivant dans une cité déjà constituée, en faisant d’abord le choix d’obéir à ses lois, en acceptant et en défendant ses valeurs qui deviennent ainsi, par la force d’une habitude bien orientée, par la pratique ancrée, les siennes.
 
L’institution politique, le gouvernement et, d’une manière générale, toute forme "d’agencement" ou de "dispositif" (Foucault, Deleuze) est la ligne de force ("plan d’immanence" ) où s’exprime une pré-compréhension intuitive, non-conceptuelle, mais relativement stable de l’être dans son immanence. L’être n’est pas une essence, mais une nature conjonctive (une pure fonction détachée de tout usage spécifique) dans le dispositif même de l’institution, unité de co-fonctionnement qui conjoint des termes ou des lignes essentiellement hétérogènes. Le concept d’Homme n’est pas un fondement, mais l’expression de la pensée et de l’être dans un même plan de consistance ou d’immanence. Il est à la fois l’exprimé de l’énoncé et l’attribut de l’état de corps. Le désir est donc autant un état de chose (un acte "final" dans la logique d’Aristote, état d’un corps qui comporte en lui sa propre effectuation : une praxis), que l’énonciation (la pensée, la philosophie comme tâche, comme processus de rationalisation : une poiesis) d’un agencement, d’une institution, c’est-à-dire d’une codification de l’espace de vie. En ce sens, la métaphysique d’Aristote n’est pas une abstraction au sens ou le "fondement" (meta-physique) serait extérieur et supérieur au plan d’immanence : la transcendance reste chez lui le mouvement que nous accomplissons et ce mouvement transcende effectivement, c’est-à-dire dépasse, le "survol" de la diversité des déterminations catégoriales et génériques de l’être qui a lieu dans le processus d’unification/généralisation verticale qui l’immobilise (transcendance au sens de domaine universel de l’être). L’immanence de l’être n’est pas rapportée à quelque chose d’autre. Le besoin comme "désir" de l’être est la manière d’organiser l’espace consistant du concept d’être : dans l’unité du dispositif, l’être n’est pas rapport de compréhension (genre) ou d’extension (espèce), mais rapport d’ "ordination", et ses déterminations ne sont que de pures et simples variations ordonnées selon leur voisinage. Les variables de l’être dans le plan de consistance font sa force, c’est-à-dire sa vérité. Ainsi, la forme d’expression (désir) et le contenu (pensée) correspondent dans l’institution : il ne s’agit plus d’interpréter, car "penser" se fait dans les choses mêmes, la pensée s’exprime comme désir, c’est-à-dire comme pratique extra-discursive, comme accord, comme contrat tacite. Le désir, tendance sensible, est l’expression stratifiée, solidifiée, consistante, de l’unité de l’institution qui affecte ses membres...


Message édité par l'Antichrist le 15-11-2009 à 09:21:01
n°20437947
le vicaire
Posté le 04-11-2009 à 17:28:39  profilanswer
 

Rien sur Lévi-Strauss ?...

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