l'Antichrist | k-rott0 a écrit :
Quel heureux hasard !
J'ai justement une interrogation à propos de Heidegger.
Petite précision pour commencer, je n'ai encore rien lu de lui. C'est moi où il est boudé en terminale et classe prépa (trop difficile, histoire personnelle "dérangeante .... ?) ?
Bref.
En lisant une présentation de sa pensée et en particulier de "Sein und Zeit", je découvre la relation forte qu'il fait entre l'être et le temps. "L'être ouvre en quelque sorte la possibilité d'être de tout étant, sans en être lui-même. En ce sens, le sens de l'être, c'est le temps compris authentiquement" (citation d'un ouvrage de terminale de philosophie et non de Heidegger lui même).
Or cette relation entre être et temps m'a fait penser à Einstein qui lie l'espace et le temps. Les deux sont relatifs l'un à l'autre, dépendants entre eux.
Et quand on parle d'espace et de temps, on pense à Kant ! Si je me souviens bien, ce dernier considère l'espace et le temps comme les formes a priori de la connaissance. La "connaissance pure".
Sachant que je suis un néophyte, pourriez vous me présenter succinctement les relations, rapprochements, différences que l'on peut faire entre ces trois auteurs à ce propos.
Kant a-t-il été un précurseur de la relativité ?
...
Merci
|
Pour répondre à ta question, il convient de préciser d’abord le sens de la relation entre l’être et le temps chez Heidegger, ce qui permettra de mettre en évidence le rapprochement avec Kant (ainsi qu'avec Aristote et Hegel), mais aussi de faire apparaître leur divergence de fond.
L’idée qui caractérise la philosophie de Heidegger dans Sein und Zeit est que l’existence humaine est le lieu où s’accomplit la "compréhension de l’être". Cette compréhension de l’être n’est pas seulement relation catégoriale (comme elle l’est chez Aristote ou Kant), mais position absolue, intuition, lumière. La différence concerne ce que Heidegger nomme la "transcendance". Le mot transcendance est chez lui d'emplois multiples : sous la forme des trois mouvements par lesquels l'homme existe, c'est-à-dire est hors de soi (dans le monde), en relation avec autrui et tendu vers l'avenir et le possible, la transcendance manifeste l'essence de l'existence, notre manière d'être au monde, c'est-à-dire pouvoir de dépassement. Exister, c'est transcender. Mais, plus fondamentalement encore, la transcendance désigne chez Heidegger le passage de la dimension ontique de l’existence à sa dimension ontologique, c’est-à-dire le saut, au sein de l’existence temporelle, de l’inauthentique (l’étant, les maintenants multiples dont l'essence est le néant, c'est-à-dire le n'être plus) vers l’authentique (l’être, le temps originel comme pure présence). Ce saut est un événement/avénement (à vrai dire, il ne l'est pas encore vraiment dans Sein und Zeit, qui se contente de poser la question : "qu'est-ce qu'être" ? C'est plus tard, dans sa conférence intitulée Temps et être - cf. Questions IV - qu'il s'agira pour lui de penser certes le même être, mais autrement, de le questionner cette fois sous la forme : que signifie "il y a être" ? Voulant sortir d'une philosophie de la subjectivité, sa pensée ne se contentera plus de remonter de l'étant vers l'être comme Ouverture, mais de comprendre "l'avénement de l'être" - das Ereignis) l’événement du dévoilement de l’être, de la révélation de l’être.
Pourquoi un tel saut ? Parce que l’histoire de la culture repose sur une occultation de l’être, plus précisément sur l’occultation que certaines réponses ont fait subir à la "question" de l’être. Car la question de l’être chez Heidegger, et même mieux "question de la question" (comme elle l’est aussi chez Levinas), ne concerne d'abord, ni un étant particulier, une détermination de chose, ni une synthèse de l'imagination transcendantale. L'être ne dit pas plus ce qu'est l'objet (l'être n'est pas un prédicat réel : la synthèse du logos chez Aristote ou la synthèse de l'imagination chez Kant ne produisent ou reproduisent nullement la réalité, elles la rendent seulement présente comme phénomène : ce qui se montre ne sera jamais qu'une image), qu'il ne qualifie la réceptivité elle-même (l'être n'est pas un prédicat transcendantal). Il n'est pas une extension conventionnelle du mot "être", du verbe "être" sous sa forme nominale, à une faculté humaine. La question de l'être n'est donc pas d’abord une démarche intellectuelle, l'analyse transcendantale de la liaison dans le jugement entre la diversité empirique et l'unité originairement synthétique de l'aperception. Elle est une "entente" de l’être. L’homme est l’être qui a le sens de l’être. Dire que l’homme est transcendance, c’est dire que l’être est au-delà de la prédication réelle (Aristote) ou transcendantale (Kant), qu’il est perception originaire, intuition signifiante de l’étant en entier, lumière antéprédicative et alogique qui devance et rend possible le sens relationnel logique de la copule (comme elle l’était chez Aristote). L’être est présence et temps (et non le présent comme mode déterminé du temps, nous le verrons plus loin) et cette présence n’est rien d’autre que l’idée ou l’événement de la différence de l’être et de l’étant dans laquelle nous sommes plongé. Dit encore autrement, le sens de l’être n'est pas un épiphénomène, un accident tributaire de conditions réalisées ou réalisables dans le monde, mais le sens même de l'Humain, sa dimension ontologique. Le sens de l’être, qui est angoisse, signifie à la fois la saisie du regard, l’appel du regard et l’être regardé. Nous ne pouvons comprendre ce qui se montre de soi-même que si cela même se tourne vers nous, nous concerne, nous regarde. L’antériorité de l’être regardé sur toute vue est celle de l’éclaircie sur l’évidence, de la lumière sur la vision.
Or, notre histoire est l’histoire de la confusion de l’être et de l’étant, voire l’explication de l’être de l’étant par un autre étant : Dieu. Dans l’histoire, le métaphysicien est devenu un théologien défroqué. Cet oubli de l’être s’est ainsi prolongé dans la conception médiévale de la vérité comme adaequatio rei et intellectus, dans la découverte cartésienne de la subjectivité et, finalement, dans la théorie de la représentation : esse est percipi. Le sommet de la métaphysique est l’identification de l’être à la totalité des étants et à ce dont elle prétend être le savoir. Mais Heidegger montre que l’être-ouvert prélogique de l’étant est justement ce qui rend possible un jugement sur l’étant. C’est la perception de l’idée d’être qui rend toute connaissance possible (c’est un a priori de toute connaissance). Ressentir la présence de l’être est l’expérience à l’origine du logos désignatif, significatif et informatif, ce qu’Aristote nommait logos semantikos (à distinguer du logos apophantikos), ou de la raison transcendantale chez Kant. Elle constitue l’essence de notre existence : c’est l’événement qui constitue la structure ontologique transcendantale et existentiale de l’homme (le transcendantal chez Kant conditionne certes toute expérience possible, mais il n’est pas lui-même objet d’expérience). Impossibilité structurelle de réduire l’être à une signification puisqu’il est l’affirmation de la facticité sans laquelle il n’y a nulle pensée. Chez Heidegger, l’existentiel implique toujours l’ontologique.
Ainsi, la fin de la métaphysique (son sommet et son achèvement) n’est autre que la science et la technique à cette nuance près que "l’essence de la technique n’est pas quelque chose de technique" : la technique n’est pas ce qu’elle offre de plus apparent comme les moteurs, les engins, les machines, etc… Son oeuvre est l’oubli de l’être dans l’Arraisonnement du monde, dans la mise en place d’un Dispositif ("Gestell" ) universel, totalisant et uniformisant, comme l’est la con-sommation par exemple, ou la méthode scientifique, qui décide d’avance du réel, poursuit la mathématisation de la nature et n’admet que l’objectivable et le calculable…
Ainsi donc, pour une existence oublieuse de l’être et devenue insensible à ce retrait de l’être, c’est-à-dire finalement indifférente à la philosophie (transcender, c’est philosopher), la compréhension de l’être reste implicite et inauthentique, ontique : elle concerne "l'étant" (das Seiende) saisi dans son équivocité et sa multiplicité. L'être se réduit alors, conformément à la logique d’Aristote, à un attribut de l'étant, il se confond avec le résultat d’une démonstration où ne se comprend jamais l’existence elle-même (indéfinissable), le fait qu’il y a de l’étant, ce dont précisément l’ontologie heideggérienne cherche à découvrir la signification, mais son essence, pur produit d’une différenciation logique, catégoriale, réale. Or, l’essence de l’existence humaine consiste à s’élever à la compréhension explicite et authentique, ontologique, de "l’être de l'étant" (das Sein des Seienden) qui est l’événement (Ereignis) d’être de tous les étants (appel de l’être, appropriation réciproque de l’homme et de l’être), c’est-à-dire, puisque l’homme est un étant comprenant l’être, le seul étant qui a le sens de l’être, le mode d’existence de l’homme, l’appréhension existentiale de l’être qui se découvre dans notre "être-au-monde", dans tous nos actes et toutes nos méditations, donc compréhension de l’être qui est elle-même l’être, le "se révéler" de l’être.
Dans cette perspective, Heidegger ajoute une note à Sein und Zeit où il précise que c'est une conception vulgaire du temps qui a déterminé le sens inauthentique de l'être. L'être, pour la métaphysique inauthentique, est "ousia", substance formelle ou essence, conçu par un mode déterminé du temps : le présent. Le présent est le mode qui structure le temps dans son ensemble : passé et futur ne sont au fond jamais entendus comme autre chose que présent passé ou présent futur. Or, c'est précisément ce qu'il faut élucider selon Heidegger : savoir si on aurait pu penser l'être et le temps autrement qu'à partir du présent, dans sa forme qui est un certain maintenant ("num" ) en général qu'aucune expérience, par définition, ne peut quitter. En ce sens, le temps est ce dans quoi se produit l'étant et cette conception vulgaire du temps reste valable d'Aristote (cf. Physique, IV) à Bergson, en passant par Kant et Hegel : comme le souligne brillamment Derrida dans Marges de la philosophie (Ousia et gramme), la question de fond concerne le rapport entre l'ousia et la présence, entre l'essence du temps, la temporalité ek-statique de l'existence qui dit le sens de l'être, et la trace ou l'écrit. Si pour Kant l'imagination transcendantale est la racine commune de la sensibilité et de l'entendement et se confond avec le temps originel, pour Heidegger, c'est le temps originel, le temps comme présence qui est premier et qui rend possible l'imagination transcendantale ou le logos d'Aristote et donc l'intra-temporalité des procesus naturels ou l'intra-historicité de l'histoire du monde. Hegel est l'incarnation la plus radicale du problème : l'esprit "tombe" dans le temps de la philosophie de la nature : le temps est ce même temps dont parlait déjà Aristote en Physique IV, gonflé par le privilège du "num", du maintenant. Toute l'idée de négation de la négation (esprit absolu comme auto-manifestation) naît de ce concept vulgaire. A Iéna le temps fait partie de la philosophie de la nature dans le "système du soleil" : il est en connexion avec la détermination conceptuelle du mouvement. Pour Heidegger, il faut tâcher de penser autre chose, quelque chose qui n'a pas pu être, être pensé autrement, c'est à dire penser un autre présent, non vulgaire, qui n'est pas négation du présent passé.
Selon Aristote, en Physique, IV, le temps en tant que maintenant, est la forme sous laquelle il ne peut pas ne pas se donner. Et en un certain sens, il n'est pas. Il ne participe donc pas de l'ousia (ce qui comporte, sous un certain aspect, le non être ne peut participer à l'être). Le temps n'est donc pas composé de nun. Mais le temps a été défini en fonction d'une partie élémentaire qui lui a été attribuée, affectée, comme si elle n'était pas déjà temporelle par un temps qui le nie. Le nun, élément du temps, n'est pas temporel : il n'est qu'étant temporel, c'est à dire n'étant plus. Le temps est ce qui survient à ce noyau en le néantisant. En ce sens, il participe à l'ousia, parce qu'il est être présent absolu.
Selon Heidegger, Hegel effectue la "paraphrase" du temps d'Aristote dans la synthèse du temps et de l'espace. La nature est l'idée hors de soi, en tant qu'elle ne se rapporte pas à elle-même, n'est pas "pour soi". C'est "l'espace absolu", sans médiation ni détermination. La différenciation ne peut pas naître d'autre chose que de la négation, mais de la négation déterminée, c'est à dire de soi-même. Pour l'espace, la négation déterminée sera le point, espace qui n'a pas d'espace. Et la négation de la négation devra donc être négation spatiale du point, c'est à dire la ligne, qui contient alors la vérité du point et de l'espace. De même, la vérité de la ligne est la surface. Il y a donc en réalité quatre termes, et non pas trois :
POSITION : espace indéterminé
NÉGATION DÉTERMINEE : négation de l'espace indéterminé : point
NEGATION DE LA NEGATION : négation spatiale du point : ligne
NEGATION DE LA NEGATION : négation de l'espace : ligne comme être spatial du point, aufhebung, énergie dialectique
Le point est la ligne sous ce rapport, en tant qu'il se retient en se supprimant : il est ligne comme être spatial du point. Et la vérité de la ligne est la surface. Et inversement : la totalité concrète de l'espace est au commencement : sa première détermination négative est la surface, le seconde la ligne, la troisième le point. L'espace indéterminé est indifféremment là au début ou à la fin. L'espace est donc le temps, précisément en tant qu'il s'espace et se néantise, c'est à dire en se rapportant à soi. Le temps est espacement, il est le rapport à soi de l'espace, son "pour soi". C'est bien ce qu'a découvert Kant : le temps est "la forme du sens interne", ce sensible insensible, que reproduit la paraphrase hégélienne de la Physique. C'est pourquoi le temps est le "je pense". Hegel et Kant sont dans le même bateau : ce n'est pas dans le temps que tout se passe, mais le temps est ce passage même. Cette détermination hégélienne permet de penser le présent, forme même du temps, comme éternité. Il deviendrait un moment du temps, s'il n'était hors de lui, non-temps. Le présent viendrait avant ou après le temps, et serait toujours une modification déjà temporelle.
Pour penser l'être du temps authentiquement il faut donc sortir la question de la problématique des concepts spatiaux de parties. Pour Heidegger, le temps est ce à partir de quoi s'annonce l'être de l'étant et non ce dont on essaie de dériver la possibilité à partir d'un étant déjà organisé en étant présent, soit en substance, soit en objet. Or, toute la métaphysique s'est constituée sur cette aporie de "l'éludé". Et c'est bien parce que, comme le dit Aristote, le temps n'appartient pas aux étants, parce que le temps n'est ni phénomène, ni en soi, qu'il faut en faire une forme pure de la sensibilité, un sensible insensible. Et ceci s'arrange bien avec le temps condition de possibilité de l'apparaître des étants. D'ailleurs, Aristote demande : comment le temps, qui n'est ni changement, ni mouvement, peut il avoir part au changement et au mouvement ? Or, c'est ensemble, dans "l'aisthésis", l'expérience, que nous percevons le mouvement et le temps. Aucun sensible extérieur n'est nécessaire pour unir mouvement et temps puisqu'ils sont unis dans le mouvement de mon âme. Le temps est la forme de ce qui ne peut se passer que dans l'âme. Forme du sens interne, il est forme du sens de tous les phénomènes en général. Ce qui signifie que du côté d'Aristote, on a déjà déterminé temporellement l'étant comme étant-présent pour pouvoir déterminer le temps comme non présent et non étant. Le temps est donc bien manifestation discursive de la négativité et Hegel ne fera qu'expliciter ce qui est déjà dit de l'ousia comme présence. L'ousia est énergeia (acte et fin du mouvement), et non dunamis (le temps, qui est énergeia en puissance), pas encore ou déjà plus.
La détermination selon la présence est aussi bien déterminante que déterminée. Elle dit ce qu'est le temps (non étantité), et elle ne le fait que pour s'être déjà laissée dire : le temps pourrait n'être qu'un, c'est à dire un seul présent. Le temps ne pouvant être un qu'en n'étant pas ce qu'il est, c'est à dire en étant présent. C'est donc parce que le temps est pensé dans son être à partir du présent qu'il est étrangement pensé comme non étant (ou impur, composé). Bref on sait ce que le temps doit être. Le "premier moteur", comme acte pur, est pure présence. Le désir, le télos, est pur, le pur et auprès de soi qui n'a pas de dehors (cf. Plotin) et rassemble en les effaçant son temps et sa différence dans sa présence à soi. Pensée de la pensée, le premier moteur, acte pur, se tient immobile, n'est asservi à aucune extériorité, aucune objectivité, immobile dans le mouvement infini du cercle et du retour sur soi.
Comment sortir de l'aporie de la "phusis", comment penser l'identité et l'unité du temps sinon dialectiquement ? La dialectique est dialectique des contraires et solution des contradictions qui apparaissent dans l'espace : le maintenant est en un certain sens le même, en un autre il est autre. Le temps est continu ou divisé selon le maintenant... Et, conformément à la métaphysique d'Aristote (paraphrase...), le maintenant dialectique est commandé par la division de la puissance et de l'acte, les contradictions se résolvant dès qu'on rend compte du rapport selon lequel on les considère : puissance ou acte. Ce rapport est asymétrique, puisque l'acte est présence, non la puissance, qui n'est rien, qui est néantisée. La présence est constituée comme l'impossibilité de la coexistence des maintenants, c'est à dire non avec un autre, mais avec un autre même que soi. Le maintenant est l'impossibilité de coexister avec soi, avec un autre même. Dire cette impossibilité, cela implique que l'on l'a déjà constitué l'impossible possibilité comme totalité unifiée : le temps. L'aporie du temps n'est que l'expression même de sa déjà résolution.
C'est l'espace qui en réalité est l'impossible coexistence, puisque la coexistence spatiale est impossible sans l'idée de simultanéité, qui est déjà temporelle. L'avec spatial ne naît que de l'avec le temps. Le temps composé d'instants n'existe donc pas car : d'une part l'instant est immédiatement détruit par le suivant = pas de temps, d'autre part l'instant non immédiatement détruit par le suivant implique que les maintenants intervalles sont simultanés = pas de temps. Rester dans le même intervalle veut dire que des événements d'il y a dix mille ans coexistent avec moi = ici évidence du "en même temps" qui dénonce et constitue encore l'aporie de la représentation spatiale du temps.
Mais si le concept "d'en même temps" permet de sortir de l'aporie, n'est-ce pas dire alors qu'il faut temporaliser le temps, le faire être en acte ?
D'après la Physique d'Aristote nous savons que le temps n'est ni le mouvement, ni le changement, qui concernent seulement le maintenant. Le temps rend possible leur mouvement, leur changement, leur mesure et les différences de vitesse. Le temps est donc définissant. Mais, par expérience, pas de temps sans mouvement non plus. Or, ce sont les catégories d'analyse et de correspondance qui reproduisent le "en même temps". La grandeur est continue. Le mouvement suit la grandeur. L'antéro-postérieur est une situation locale. Ils sont donc dans la grandeur, donc par analogie antérieur et postérieur sont dans le mouvement, donc dans le temps. Même chose pour le temps continu : il est nombre du mouvement. Il n'y a donc du temps que dans la mesure où le mouvement a du nombre, mais le temps n'est ni le mouvement ni le nombre : il se laisse nombrer en tant qu'il a rapport au mouvement selon l'avant et l'après. Et l'unité de mesure du temps nombré, qui permet de différencier avant et après, c'est le maintenant. Le point serait donc à la ligne ce que le maintenant est au temps ? L'essence du temps passerait sans dommages et intacte dans sa représentation linéaire et dans le déroulement continu de la ponctualité ? Il n'en est rien. Car le maintenant n'est pas le point parce qu'il n'est pas la limite du temps en tant qu'il est dans le temps. Ce que Heidegger refuse ici, c'est le point comme composition de parties qui seraient chacune une limite arrêtée. Mais si au lieu d'exister en acte, le point est en puissance et tenant son existence de la ligne en acte, le temps peut être pensé comme présence.
La force et la potentialité sont toujours pensés comme présence inachevée de l'horizon d'une pensée, et renvoie selon le cercle à une archéologie. Le mouvement a bien quelque chose à voir avec le mouvement de la pensée. Tout texte de la métaphysique porte en lui à la fois le concept vulgaire de temps et les ressources nécessaires pour critiquer ce concept, dans la mesure où le signe "temps" se met à fonctionner dans un discours. C'est encore une fois ce que Heidegger montre avec Aristote (comme avec Kant et Hegel) : la délimitation est encore gouvernée par les mêmes concepts que la limitation : comme le point par rapport à la ligne, le maintenant est accidentel par rapport au temps. Il n'est pas le temps, mais il est son accident. Le temps n'est donc pas pensé à partir du maintenant, qui est accidentel en tant que limite. D'autre part, il est nombre sans appartenir à la chose nombrée. De la même façon, le maintenant n'appartient pas à l'essence du temps, il est ailleurs, étranger au temps comme son accident, sa virtualité. Le maintenant est partie constitutive et nombre étranger du/au temps. Il est partie constitutive et partie étrangère du/au temps. On peut donc fort bien le considérer "en tant que" ou "en tant que", c'est à dire sous le rapport puissance/acte. Or le mouvement, acte de la puissance en tant que telle, a une conséquence sur le temps. D'une part le temps comme nombre du mouvement est du côté de la puissance, du non-être, parce que l'être en acte est présence éternelle, non le temps. D'autre part le temps n'est pas le non-être et les non-êtres ne sont pas le temps. Pour être, il faut commencer à être, avoir commencé à tendre, comme puissance vers l'acte et la forme. Compris à partir de l'être comme présence en acte, mouvement et temps ne sont ni vides ni étants.
Au final, pour Heidegger, la métaphysique est "clôture de la présence" (la pensée est à la fois découvrante et recouvrante et c'est bien ce qui apparaît chez Platon et Aristote, Kant ou Hegel...), ce qui signifie que l'être est Ouverture, Anwesen ("le laisser se déployer dans la présence" ) et qu'il se manifeste comme "trace de la différence". En effet, peut être n'y a-t-il pas de concept "vulgaire", mais le concept de temps appartiendrait à la métaphysique comme domination de la présence... Vouloir construire un autre concept revient toujours à le faire dans les termes de la métaphysique ("Il me faudrait une nouvelle expression pour dire que la vie est union de l'union et de la non-union", cf. Hegel, Science de la Logique). Accéder à la temporalité originale, non en tant que l'esprit tombe "dans le temps", mais en tant qu'il tombe depuis l'authentique, conduit naturellement à un questionnement sur le sens de l'être. Mais en même temps l'opposition originaire/dérivé reste une opposition de métaphysicien, en quête de l'originaire, mais esclave de la transcendance, c'est-à-dire de la causalité transitive (médiation) et incapable de penser l'immanence... C'est pourquoi, le questionnement sur la temporalité originaire concernant le sens de l'être n'est pas un programme de Sein und Zeit. Le thème de la présence se rétrécit dans ce texte autour de la subjectivité et de la représentation (Heidegger n'échappe pas à la tradition philosophique grecque et l'être ne peut pas encore ici se manifester par soi-même : l'étant fait parti de l'être, à titre constitutif. L'être n'est pensé que par rapport à l'étant qui se pose la question de l'être : le Dasein), et aussi donne lieu à un élargissement, à une remontée du présent vers une pensée plus originaire de l'être comme présence : il s'agit de penser un wesen. Car le rapport entre la présence et ce qui l'excède ne peut de toutes façons se donner à "lire" sous la forme de la présence. Il n'est pas intégralement absent, sinon il serait encore une modification de la présence. Il lui faut être excédant, toute présence absente, et pourtant se signifier encore. Il faut pour excéder la métaphysique qu'une trace soit inscrite dans le texte métaphysique tout en faisant signe, non pas vers une autre présence ou vers une autre forme de la présence, mais vers un autre texte. Et elle est ce qui doit se dérober à la maîtrise. Seule la présence se maîtrise (dans l'art : toute poiësis est une praxis de l'être, une parousie : la révélation à soi de l'essence dans sa relation originaire à soi-même). Et comme la trace doit s'être effacée, cet effacement doit s'être tracé dans le texte métaphysique. La présence, loin d'être ce que signifie le signe, ce à quoi renvoie une trace, est alors trace de la trace, trace de l'effacement de la trace. C'est à cette seule condition que notre langue de métaphysique peut faire route vers sa propre transgression. Pas de distinction entre l'effacé et le tracé de la trace. Et elle ne peut jamais être nommée comme telle, dans sa présence. C'est le "comme tel" qui précisément comme tel se dérobe à jamais.
Et pour rebondir sur cette notion de "trace de la différence", je recommande vivement sur ce topic (page 1) l'excellent article du regretté Foutre de : "Il n'y a pas de hors-texte" pour Derrida ! |