Le 12 janvier 1997, en villégiature à Deauville à lhôtel Normandy, Jean-Édern comme dhabitude se lève tôt. Bien quà moitié aveugle, il enfourche sa bicyclette pour rallier le Cyrano, bar des jockeys. Toujours très entouré, cette escapade matinale, est lun des très rares moments de solitude du polémiste. En guise de petit-déjeuner, un viandox. Cest sur le chemin du retour, peu avant 8 heures que se produit laccident. Sans témoins. Cest lemployé dun casino qui découvre son corps. Son visage face contre le bitume baigne dans une mare de sang. Des ecchymoses sur le dessus des mains laissent à penser quil na pas eu le réflexe de se protéger lorsquil a chuté, sans doute déjà inconscient. « Malaise cardiaque » pour les uns, « embolie cérébrale » pour dautres, autant dhypothèses qui ne seront jamais confirmées. Faute dautopsie.
Une autopsie relève de lautorité judiciaire lors dun accident sur la voie publique. Elle est réclamée par le Parquet dans le cas dune mort brutale ou simplement suspecte. Nimporte quel quidam un tant soit peu connu a droit à son autopsie. Cest le privilège de la notoriété, une façon pour les autorités de se prémunir contre les rumeurs qui accompagnent souvent le décès dune « personnalité ».
Hallier ny a donc pas droit. On prend quand même soin de lui pourtant.
Moins de deux heures après son décès, ses proches ont la surprise de constater que son visage a été embaumé à la morgue. Il est comme « plâtré ». Initiative prise sans autorisation de la famille, par on ne sait qui, avec pour seule explication le souci de le rendre « présentable ».
Au même moment, sa suite de lhôtel Normandy reçoit beaucoup de visiteurs. Un mystérieux policier qui exhibe une carte tricolore, dautres non identifiés mais bien renseignés. Dans la confusion des allées et venues qui suivent le décès, disparaissent du coffre de sa chambre une importante somme dargent (1 million de francs), un dessin de Picasso et plusieurs dossiers confidentiels concernant ses têtes de turcs préférées : Mitterrand, Dumas et quelques autres. Indélicatesse dun proche ? Barbouzerie ? Aucune enquête ne sattachera à lélucider. Toutes les plaintes déposées par sa garde rapprochée et notamment pour « assassinat » sont classées sans suite sous des prétextes divers.
Mais y a-t-il une affaire Hallier ? Pas pour la presse. Pourtant habituellement friande de « mort mystérieuse », elle traite cette disparition comme un non événement. Depuis des années sa religion est faite. Mythomane, maître chanteur, alcoolique, mégalo, escroc, le triste sire ne mérite guère que lon sattarde sur son cas.
Voilà le portrait que dresse Dominique Jamet : « Menteur, mythomane, escroc, plagiaire, comploteur, cynique, voyou. Hallier navait pas lombre dune conviction. La bassesse conformiste de lépoque a seule fait de léquipée de lIdiot international, pépinière de talents, une aventure, la routine de la télévision a donné du relief à son émission littéraire. Ci-gît Jean-Édern Hallier, connu surtout par sa notoriété. » Tontonphile notoire, Jamet sera remercié de sa fidélité par la présidence de la Très Grande Bibliothèque de France, mais cest lui qui tient à souligner dans cette nécro la « bassesse conformiste » des années Mitterrand.
Hallier lui, pour le dixième anniversaire de sa disparition refait néanmoins surface dans plusieurs ouvrages.
Le plus captivant, La mise à mort de Jean-Édern Hallier [1], nest pas le plus chroniqué. Rien que de très normal. Ne commettant pas lerreur de sembarquer sur des hypothèses invérifiables, de vraies fausses pistes sur ce qui a pu se passer ou pas à Deauville ce 12 janvier, les auteurs Dominique Lacout et Christian Lançon se contentent, si lon peut dire, de nous faire revivre la longue traque dont Hallier fut lobjet sous deux septennats sans que personne ny trouve à redire.
Ils dressent en particulier linventaire effarant des moyens de lÉtat et dailleurs, mobilisés pendant ces années pour réduire au silence un homme qui, quoique puissent être par ailleurs ses diverses tares, y avait ajouté celle de refuser de se taire ou tout simplement de se soumettre. Enjeu principal de ce duel, on le sait, la vie privée du chef de lÉtat, sa deuxième famille et bien au-delà son passé interdit : les relations avec Pétain, la Francisque, et encore son cancer que Jean-Édern Hallier avait tenté - sans succès - de mettre sur la place publique quelques semaines seulement après le 10 mai 1981, dans son bloc-notes du Matin de Paris.
Lhomme le plus écouté de France
Secrets de famille, secrets de jeunesse, secrets médicaux, que la raison dÉtat imposait à Mitterrand de préserver. Hallier allait, plus tard, aggraver son cas en sattaquant à quelques-uns des puissants barons de la mitterrandie. Avec ceux-là Dumas, Kiejman, Lang, Hernu, Tapie, Charasse, Hallier navait jamais rien partagé. Mitterrand lui avait octroyé le privilège rare dêtre son avocat, et cest le même Mitterrand qui lavait placé comme écrivain « au premier plan de sa génération ».
En vertu de quoi, Hallier sera lhomme le plus écouté de France. 640 écoutes téléphoniques illégales (prouvées !) pour la seule période du 4 septembre 1985 au 19 mars 1986 et réalisées par la fameuse cellule de lÉlysée dont la mission originelle consistait à lutter contre le terrorisme. Femmes de chambre, imprimeurs, relations, bistrots fréquentés par lécrivain, aucune ligne néchappe ainsi à lindiscrétion des hommes du Président. Autant dinformations quil sagit ensuite dexploiter. Cest lensemble des moyens de lÉtat qui est ainsi mis à contribution pour le réduire au silence. Les banques sont invitées à lui couper les vivres, le fisc à lui réclamer subitement de régler ses impôts. Éditeurs, imprimeurs sont eux informés des « risques » encourus à le publier.
Soumis à pareil harcèlement, la vie quotidienne devient rapidement très difficile. Ainsi partant du constat que Hallier, personnage excentrique qui revendique « 2 litres de vodka et 30 à 40 paquets (sic) de cigarettes jour » est déjà à « demi-fou », la cellule entreprend de le rendre totalement fou et de le brouiller avec les rares amis qui lui restent fidèles au sein de « lestablishment ».
Un individu est ainsi recruté aux seules fins de shabiller avec suffisamment doriginalité pour être remarqué puis de se placer plusieurs fois par jour sur le trajet de Jean-Édern. De quoi alimenter la « parano » de la cible. Lécrivain Michel Guy est aussi approché et reçoit en confidences les propos odieux que son « ami Jean-Édern » est supposé colporter dans son dos. Il sen émeut, Édern est contraint de se justifier
On va te buter ! On va te buter !
Patron de LIdiot International, Hallier est à ce titre lhomme le plus poursuivi de France. Les poursuites sont parfois largement fondées. Mais le montant astronomique des condamnations dont écope le journal témoigne surtout du zèle dune justice à la botte qui a reçu mission de létrangler financièrement. Son appartement est ainsi mis aux enchères au profit de
Bernard Tapie. Bien que le nouveau ministre de la Ville traîne une réputation sulfureuse, les archives auraient été bien nettoyées. Ce qui autorise Tapie à fanfaronner sur les plateaux télé en mettant au défi de prouver quil ait fait lobjet dune condamnation. Ses condamnations sont multiples mais amnistiées. LIdiot relève le défie et publie néanmoins son casier judicaire. Coût de lopération « vérité judicaire » : près de deux millions de francs damendes pénales.
Tapie et Hallier ont déjà eu loccasion de se croiser en 1989 lors des élections législatives à Marseille. Jean-Édern avait estimé que ce serait un bon coup de pub que de descendre sur la Canebière afin de porter contradiction à « laffairiste ».
Et de lire le récit hallucinant des auteurs de cette équipe de tueurs liés à Francis Le Belge investissant calibre au poing sa chambre dhôtel en hurlant « on va te buter ! on va te buter ! ». Une scène à laquelle, affirment les auteurs, assisterait le candidat Tapie qui, sans approuver lintervention de ces gangsters, explique son impuissance à contrôler les hommes de mains qui « encadrent » sa campagne. Hallier porte plainte. Il alerte la presse. Laffaire est classée et na pas droit à une ligne dans la presse.
Ce nest pas le seul moment où lon croise la pègre. Un ex-lieutenant de Mesrine confie finalement quil a reçu la mission très spéciale de sarranger pour que lon retrouve le patron de LIdiot attaché à un arbre du bois de Boulogne, drogué et sodomisé, ce qui ne devrait pas étonner grand monde
Il y a encore laffaire Bistoquet, un petit truand qui se fera pincer après avoir pris en otage le conseiller fiscal (placé sur écoutes par la cellule) de Jean-Édern. En dépit de son peu denvergure (et de moyens), le voyou saura sattacher pour sa défense, les services dun des avocats les plus chers de Paris qui mais cest bien entendu un hasard se trouve aussi être le conseil de lun des responsables de la cellule.
Soumis à un tel harcèlement Hallier plie parfois mais en définitive ne rompt pas. Cest ainsi quil négocie sa reddition auprès du Président en acceptant de livrer son fameux manuscrit : Lhonneur perdu de François Mitterrand. Ceci en échange de labandon de 300 000 francs de dettes fiscales. Cest Roland Dumas lui-même qui, dans ses mémoires, relate la scène dun François Mitterrand prenant possession du livre scandale et qui se plonge aussitôt, stylo à la main dans une lecture concentrée.
Toujours est-il que Hallier a alors bien négocié avec le pouvoir. Mais « le marché » ne tient en réalité que quelques heures. « On peut payer Jean-Édern mais on ne lachète pas » assurent les auteurs pour démentir les accusations récurrentes de chantage portées contre Hallier.
Et de rapporter comment lÉlysée, quelques heures après avoir récupéré le brûlot, décide dexpédier une équipe télé au domicile dÉdern pour officialiser médiatiquement sa reddition. Ce dernier considère quune dépêche AFP cest déjà beaucoup. Alors oui, bien volontiers il confirme. À sa façon. Tandis que la caméra tourne, il ouvre la fenêtre de son appartement de la place des Vosges et commence à rameuter les badauds en déclamant les passages les plus diffamatoires dun livre dont il a naturellement conservé de nombreuses copies.
Tout le monde ne rit pas.
Les « puissances du mal »
Ce nest quen février 1996 que sera publié Lhonneur perdu de François Mitterrand, manuscrit refusé durant 13 ans par toutes les maisons déditions. François Mitterrand est mort le 8 janvier précédent
Les volontaires pour la curée retrouvent le chemin du courage. Avec 400 000 exemplaires vendus Hallier récupère de loxygène, de la notoriété, et même de la notabilité. Il retrouve le chemin des plateaux de télévision. Son « Jean Ederns club » sur le câble est à la fois objet de scandales mais aussi un succès daudimat. Hallier y balance les livres qui ne lui plaisent pas, en arrache les pages. Mais il y reçoit aussi Giscard dEstaing quil a pourtant contribué à faire battre en 1981 avec sa fameuse « lettre au colin froid ».
Redevenu fréquentable, Mitterrand mort, Hallier a t-il cessé dinquiéter ? Non à en croire un personnage aussi influent quAndré Rousselet qui lappelle pour le mettre sérieusement en garde:
http://www.bakchich.info/article732.html
Hallier sest en effet trouvé une nouvelle croisade. Contre « Les puissances du mal », titre de son nouveau pamphlet (100 000 exemplaires) publié à lautomne 96. Une charge féroce contre ceux quil nomme les « tontons flingueurs » et qui vise particulièrement Roland Dumas dont il entreprend de revisiter le passé sous loccupation. Autre cible, un très vieil ami de Dumas et de Mitterrand, le « banquier mystère » Jean-Pierre François. Souvent présenté sans preuves comme le banquier occulte de Mitterrand, J.P François nest pas un rigolo et certains « maîtres chanteurs » ont déjà payé le prix fort pour le savoir. Dans le collimateur également « Michou-les-belles-bretelles-et-les-gros cigares » soit Michel Charasse, un autre dur à cuire. À son propos les auteurs assurent que Hallier avait décidé de « se le garder pour plus tard, pour la bonne bouche ».
Autant de « cibles » idéalement placées pour apprécier la puissance de feu du pamphlétaire comme sa capacité à résister aux pressions ordinaires.
Depuis 1995 cest Jacques Chirac qui est à lÉlysée.
Cherchant à se couvrir, Hallier le courtise honteusement. De Chirac, Édern assure ainsi que « cest un honnête homme [qui] a admirablement géré la ville de Paris » . Quant à Bernadette il sadresse désormais à elle en lappellant « ma chère cousine » ce quapprécie très modérément lintéressée.
Hallier fréquente beaucoup Bernard Pons comme Jean-Louis Debré. Ce dernier est alors ministre de lIntérieur. Cest Debré qui à lautomne 96 prend la décision de placer Hallier sous protection policière. Sur quelle base ? Pour lui faire plaisir ? Seul le futur Président du Conseil Constitutionnel pourrait le dire.
Unique certitude, cette protection (trois fonctionnaires qui laccompagnent dans tous ses déplacements) est levée fin novembre de la même année.
Hallier avait toutefois rendez-vous avec Jean-Louis Debré le 23 janvier pour en demander le renouvellement.
Cest dans ce contexte hors du commun celui dun homme qui fut incontestablement lobjet de persécutions durant plus dune décennie, que le Parquet na pas jugé nécessaire dordonner une autopsie.
[1] La mise à mort de Jean-Édern Hallier par Dominique Lacout et Christian Lançon. Presse de la renaissance. 21 euros
http://www4.fnac.com/Shelf/article.aspx?PRID=1864302
http://www.amazon.fr/mise-%C3%A0-m [...] 2750902207
Les auteurs sont passés chez Ruquier le 18 novembre 2006:
http://forums.france2.fr/france2/O [...] 7756_1.htm
Chez Bern: http://www.radiofrance.fr/francein [...] p?id=49288