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Auteur Sujet :

la philosophie et vous...

n°2482256
lecentredu​monde
Conséquence future ,le présent
Posté le 15-04-2004 à 01:31:08  profilanswer
 

Reprise du message précédent :
ça me surprend. T4as demandé à revoir ta copie? ça devrait pouvoir justifier cette ignominie... mais attends, si t'as lu le commentaire c'est que tu as du voir ta copie... alors pourquoi douter ainsi de ce correcteur qui ne faisait que faire son travail?
Peut etre que t'as fait ta copie en alexandrins........
t'as fait quelle prépa au lieu? ;)


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l'instinct RATIONNEL, immortelle et c élèste voix, guide assuré d'un être ignorant et borné, mais intelligent et libre...
mood
Publicité
Posté le 15-04-2004 à 01:31:08  profilanswer
 

n°2482442
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 15-04-2004 à 01:58:04  profilanswer
 

Lecentredumonde a écrit :

ça me surprend. T4as demandé à revoir ta copie? ça devrait pouvoir justifier cette ignominie... mais attends, si t'as lu le commentaire c'est que tu as du voir ta copie... alors pourquoi douter ainsi de ce correcteur qui ne faisait que faire son travail?
Peut etre que t'as fait ta copie en alexandrins........
t'as fait quelle prépa au lieu? ;)


 
Oui, j'avais demandé ma copie. Je me demandais s'il n'y avait pas eu une faute de frappe lors de la saisie des notes, parce que le 1 me semblait difficile à avaler.
 
Au final, il n'y avait hélas pas d'erreur. Mon prof de philo a lu la copie et l'a trouvée plutôt moyenne, mais jugeait également la note complètement hors de proportion. Malheureusement, même si je contestais, c'était foutu pour Le Parc :p
 
Donc finalement, j'ai fait Stanislas à Paris - l'horreur chez les catholiques intégristes. Mais quoi qu'il en soit, je reste beau et fier dans ma douleur. Car une mention au bac, ça ne sert finalement pas à grand chose à part entrer en prépa. Alors qu'avoir eu un "1", ça permet d'alimenter les discussions et les repas en ville pendant des années !  :D

n°2482514
porcherie6​6
Posté le 15-04-2004 à 02:10:59  profilanswer
 

Aristark a écrit :


 
exact, suffit de connaitre 2-3 citaions, auteurs et thèse vachement générale et les recaser un peu nimporte ou nimporte quand et t'assure le 8


 
je n'ai jamais mis de citations dans un devoir de philo que ça soit au bac ou au lycée
j'ai eu 14 au bac et je devais avoir 13/14 de moyenne dans l'année dans cette matière
je connais aucun courrant philosophique, aucun auteur... rien ! par contre ça me dit bien maintenant de lire ce style de bouquin

n°2482616
ptol
Posté le 15-04-2004 à 02:27:40  profilanswer
 

Rasthor a écrit :

J'ai suivi les cours de philo pendant une année (celle avant l'année du bac)
Au début je pensais que j'aimerais ça.
Plus les semaines avançaient, plus je croyais comprendre.
Plus les semaines avançaient, plus je me prenais des plantées lors des tests que je pensais avoir réussi.
Résultat: moi j'aime pas la philo. (façon schtroumpf grognon)


 
Idem pour moi ...
En rentrant en terminale, je pensais que la philo ça allait super sympa (échange d'idées et de perceptions des choses) puis en fait pas du tout. On s'est tapé 6 mois de Freud (bonjour les pervers) et 6 mois de Marx/Engels (no comment). Une moyenne annuelle qui devait tourner autour de 3 (oui oui sur 20).
 
Depuis j'ai eu une discussion avec un prof de philo un poil plus ouvert et je pense être passé à côté de pas mal de choses. (bergson et nietzsche entre autre)
 
Le truc que je trouve en revanche complètement anormal c'est la moyenne de philo au bac (généralement moins de 7). Soit la matière est trop dure et faut pas l'enseigner au lycée soit faut virer tous les profs de philo  :whistle: ("la philo s'adresse à une élite, on ne devrait pas l'enseigner aux masses" comme disait ma prof de philo <- s*lope)

n°2482996
l'Antichri​st
Posté le 15-04-2004 à 06:28:39  profilanswer
 

Citation :

Je suis étudiante en philosophie, et je voulais savoir ce que pensait en général les gens de cette matière. Quand je dis que je suis en philo, on me regarde avec des yeux l'air de dire que je suis folle. Mais pourquoi la philosophie est-elle aussi détestée alors que c'est passionnant !!!


 
Rassure toi Anncha, nous sommes tous passé par là ! Si tu vas jusqu'au bout de tes études, c'est que l'exercice philosophique était bien pour toi un mode d'être (non l'effet accidentel et passager de circonstances extérieures), une exigence profonde, signe de ta différence. Assume là dès maintenant, avec orgueil et fierté, elle t'apportera une joie sans limite car elle te rendra plus lucide, ouverte, disponible. La philosophie ne rend pas plus savant... elle fait de nous des humains à part entière : en cultivant ses vertus (étonnement devant les faits, rigueur de l'analyse conceptuelle, nécessité de penser l'universel, de développer sa pensée de manière systématique...), tu pourras fondamentalement te révéler à toi-même ! A l'intelligence désincarnée et manipulatrice du scientifique spécialisé, objectif, détaché de sa propre humanité, la philosophie oppose la pensée réfléchie de l'homme profondément engagé dans le milieu humain où il est appelé à vivre et jouer son rôle et qui, de fait, s'interroge sur lui-même, sur le monde et sur les problèmes posés par sa situation dans ce monde. Philosopher, c'est s'orienter dans la pensée c'est-à-dire se mettre soi-même en question. Mais c'est aussi privilégier un mode de penser et poser un certain type de question. Car la philosophie ne consiste pas seulement à penser par concepts (la science se fonde précisément sur cette capacité), mais à percevoir la signification générale de l'expérience concrète ; elle est l'affirmation de la capacité humaine de passer du singulier à l'universel. La pensée philosophique n?est donc pas la totalité du savoir (c'est le privilège de la science), mais elle constitue plutôt un savoir sur la totalité ; elle n'est pas la science de tout mais la science du tout. Or, dans cet effort vers l'universalité, l'homme-philosophe se retrouve. Son élévation vers les hauteurs de la pensée abstraite et générale est la condition d'une compréhension plus juste de son existence concrète et singulière : rechercher l'essence de l?homme, le caractère universel de la nature humaine, s?interroger sur les valeurs et les fins qui permettent de définir l?humain, c?est d?abord, pour l?homme-philosophe, ressaisir sa propre vérité intérieure. S'oublier dans la saisie purement intelligible d'une vérité universelle qui s'impose par son évidence, c'est se séparer de soi, c'est-à-dire nier sa subjectivité unilatérale et improductive, pour mieux se retrouver soi-même comme subjectivité devenue, comme expression vivante de cet universel-singulier qu'est la pensée consciente d'elle-même, présente à elle-même, comme forme universelle, dans chacun de ses contenus particuliers (on voit par-là que la science, en tant précisément qu?elle se veut une activité consciente de ses objectifs et de ses résultats, ne contredit pas cette logique de la conscience de soi : dans chacune des découvertes spécialisées se trouve la possibilité pour le sujet de se découvrir lui-même comme source universelle de vérité, comme pouvoir de connaître, comme forme intemporelle, s'actualisant dans l'histoire selon les modalités du temps).
 
Cela dit, il est possible d'expliquer les raisons du dénigrement de la philosophie. Tout tient en un mot : réflexion ! En effet, en tant que réflexion sur la condition humaine, la philosophie est une activité totalement désintéressée qui trouve sa signification beaucoup plus dans les questions que le philosophe est amené à poser que dans ses réponses éventuelles. Son rejet par les hommes provient alors de la nécessité de pratiquer un doute universel et méthodique c'est-à-dire de rejeter les croyances toutes faites, d'élucider les multiples illusions qui transforment notre pouvoir d'agir (notre libre-arbitre) en aveuglement et impuissance. Car, en général, les individus veulent croire sans douter. C'est ce qu'illustre fort bien l'allégorie de la caverne chez Platon. Alors que la méthode dialectique, en particulier dans le dialogue bien conduit, a pour but, non pas d?apprendre un savoir, mais de faire prendre conscience qu?on ne sait pas, provoquant ainsi le désir d?apprendre, l'attitude commune consiste au contraire à adhérer à des représentations sans les questionner (ce qu'on appelle l'opinion !). En effet, la réalité première est la réalité concrète de l'homme en situation cherchant, par la conscience, à maîtriser son rapport au monde, à se le représenter afin de donner un sens à son existence. Or, cette quête d?un sens prend d'abord la forme d?une entreprise de justification de ce qui est c'est-à-dire des pesanteurs et des limites qui nous font souffrir. La condition première de l'homme en situation est celle d'une aliénation idéologique : Au lieu d'offrir les moyens d?une réappropriation critique et objective de ce qui nous entoure et nous détermine, nos représentations ne servent qu?à masquer, à cacher le sens véritable de la réalité vécue, à rendre acceptable, admissible, ce qui autrement rendrait l'existence insupportable. En s'opposant à l'illusion d'un pouvoir absolu de la volonté (ce qu'on appelle le libre-arbitre), capable de se déterminer par elle-même indépendamment de toute raison déterminante, en considérant la volonté d?abord comme passion (elle exprime l'extériorité) et non comme action (pure causalité), en privilégiant de ce fait une démarche réflexive dont la fonction est de problématiser les représentations ordinaires, de réélaborer de manière critique les cadres psychologiques et affectifs de notre existence, les valeurs idéologiques transformées en dogmes ou en traditions, la philosophie ne peut donc que s'attirer les foudres de la communauté des hommes qui ne voit en elle, au mieux, qu'une discipline iconoclaste incapable de servir les désirs des hommes. En tant que réflexion, la philosophie au contraire est une source de souffrance ; comme le montre Platon dans le mythe de la caverne, elle puise dans la douleur de l'homme qui a le courage de se détourner de l'obscurité rassurante ou se déroule son existence, pour s'orienter vers la lumière éclatante du soleil de la connaissance, le moteur de la recherche et de l'étude. Contrairement à la science dont la réussite et le succès proviennent de ses résultats positifs, mais dont le bruit triomphant couvre aussi les soupirs et les plaintes du sujet métaphysique et moral, ne laissant apparent que l'homme tranquille et confiant en l'avenir, la réflexion philosophique est essentiellement une activité de nettoyage critique de l'esprit dont le sujet ne peut tirer qu?un sentiment de malaise, d?embarras (aporia). Cette étape de " détachement " (lysis), d?affranchissement par rapport au passé, qui cependant nous tourne du côté qu?il faut et nous pousse en avant, exige donc des prédispositions naturelles, pas seulement intellectuelles, mais aussi morales : avoir la force de résister à toutes les séductions, à toutes les fatigues, à toutes les craintes. Telle est l'exemple que nous donne Platon dans le Ménon. Ménon éprouve pour la première fois cette incertitude angoissée devant la conscience de l?opposition entre ce qu'il croyait savoir et ce qu?en réalité il ignore. Son esprit se sent alors paralysé, engourdi, par la perplexité et le doute concernant son illusion de savoir. C?est pourquoi Ménon ne peut profiter de son propre embarras ; car au lieu de faire face et d'assumer son ignorance, il prétend être libre d?aller où bon lui semble et d?adhérer à des vérités qui lui sont familières plutôt que de rechercher la vérité. De même, dans le Théétète, Platon compare le désarroi de l'esprit, au moment où il s'aperçoit que quelque chose germe en lui, aux douleurs de l'enfantement. L'homme lâche ou intéressé, l'homme dont les qualités naturelles ont été corrompues par les conditions extérieures, principalement sociales, a donc mille raisons de ne pas pratiquer la réflexion philosophique. On ne reproche d'ailleurs pas seulement à la philosophie son absence d?intérêt pratique mais aussi une radicale inutilité du point de vue théorique. L?histoire de la philosophie semble offrir le spectacle d?un cimetière de doctrines qui se succèdent et se détruisent sans apporter de réponse définitive aux questions qu'elles soulèvent. Pire ! Dire de la philosophie, comme nous l'avons fait, quelle est une perpétuelle remise en question et que les problèmes quelle soulève sont plus importants que les réponses qu?elle propose risque de faire effectivement considérer l'histoire de la philosophie si-non comme un cimetière du moins comme un musée. A cause de sa multiplicité ou de sa nature réflexive, la philosophie passe pour une discipline seulement capable de s'intéresser à des problèmes insolubles, contrairement à la science qui progresse en apportant des réponses efficaces. Du point de vue théorique elle apparaît donc totalement inutile. N?est-elle pas semblable au vain travail de Sisyphe condamné par les dieux à hisser sur une montagne un rocher qui lui échappait sans cesse ? C'est une mince consolation de dire, comme Roger Caillois : " Il n?y a pas de travail inutile : Sisyphe se faisait les muscles. " L'homme préfère toujours exercer son corps et son esprit sur des travaux dont le sens lui est clair. S'il n'y a pas de progrès philosophique, à quoi bon philosopher ? Et s'il y a un progrès philosophique, en quoi consiste-t-il ? Si l'on affirme maintenant que la philosophie consiste en une réflexion personnelle, laquelle exigerait un engagement dont le sens ne saurait être remis en question par le progrès scientifique, un nouvel argument surgit alors pour reprocher à la réflexion sa subjectivité. A l'objectivité de la science qui établit des relations s'imposant nécessairement à l'esprit de tous, on oppose la subjectivité des systèmes philosophiques, en tant que constructions arbitraires reflétant simplement l?opinion personnelle d?un auteur. Cette subjectivité de la philosophie explique le dédain pour l'enseignement rigoureux et approfondi qu'elle propose, puisqu'on peut alors considérer que toutes les questions philosophiques ne possèdent que des réponses individuelles, personnelles et privées.
 
Cependant, aucun de ces arguments ne sauraient venir à bout d?une activité qui trouve toujours en elle-même sa raison d?être et sa justification.
 
En effet, l'argument de constatation selon lequel la majorité des hommes ne pratique pas la philosophie parce que celle-ci serait inutile, est d?une valeur bien médiocre. Le consensus ne peut servir d?argument valable contre la philosophie car les erreurs sont aussi collectives. Se sont même celles qui sont le plus difficile à déraciner précisément parce qu?elles sont pour l'individu le moyen de s'intégrer dans le milieu social, de se retrouver en situation. Si le rejet de la philosophie émane d'un jugement collectif, souvent pour des raisons politiques, la conscience individuelle, prédisposée comme nous l'avons vu à fuir la tâche courageuse de réfléchir le monde, ne peut que s'y complaire. L'hostilité à l'égard de la philosophie n'a rien de théorique et d'idéaliste : elle ne répond pas, comme dans la critique marxiste, à la dénonciation des idéologies, ni comme chez Nietzsche, à une généalogie des principes moraux, mais à une volonté de maîtriser les libertés individuelles, de dominer le social dans ses effets, pervers pour la finalité et l'ambition des pouvoirs, d'élévation vers des idéaux d?égalité et de justice. Par ailleurs, la philosophie n?est pas la seule discipline à être rejetée par la majorité des hommes. Le nombre ici ne fait rien à l'affaire. La grande masse des hommes ne s'intéresse pas plus à la philosophie qu'à la science ou à la littérature. Cela prouve uniquement qu?un grand effort d'éducation reste à accomplir. La philosophie est sans doute d'un abord difficile, mais la majorité des hommes n'est nullement indifférente aux thèmes de la réflexion qu'elle propose. Tout homme au contraire est intéressé, concerné, par les questions qu'elle soulève puisque celles-ci convergent toutes vers l'homme lui-même et les grands problèmes humains. On retrouve ici les trois grandes questions dont Kant disait qu'elles représentaient l'ensemble du programme de la  philosophie : " Que pouvons nous connaître ? Que devons nous faire ? Que pouvons nous espérer ? " Ces questions répondent aux préoccupations de tout homme, philosophe ou non. Elles n'émanent pas d'un besoin du coeur (la philosophie serait fille du sentiment), puisque dans ce cas l'échec historique de la Métaphysique comme science, les aurait depuis longtemps fait disparaître. Ces questions émanent d'un besoin de la raison humaine. Elles ne relèvent pas du contenu spécifique des grands systèmes philosophiques, mais d?un besoin irréductible de la raison dont nous pouvons voir les effets dans les questions parfois surprenantes des enfants, au moment ou leur quête d'absolu commence à s'éveiller et avant que des préoccupations plus ordinaires ne s'imposent et les fassent disparaître. L'origine de l'homme, son destin, le pourquoi de son existence, le problème du mal, la coexistence de l'ordre et du désordre, la raison d'être de l'ordre du monde (pourquoi y a-t-il des lois scientifiques et pourquoi sont-elles ce quelles sont et non pas autres ?), le sens même de mon être et de l'être en général (pour-quoi suis-je ? pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?), telles sont les grandes questions qui définissent les inévitables inquiétudes que l'homme cultive sous le nom de philosophie. La philosophie, de ce point de vue, est donc nécessaire puisqu'elle permet, en thématisant ces questions, de renvoyer tout homme à son propre questionnement intérieur. De manière plus terre-à-terre, il apparaît également que les hommes ont des raisons vitales de s'intéresser à la politique. Or toute éducation politique s'appuie sur une philosophie plus ou moins explicite (par exemple la politique marxiste s'appuie sur le matérialisme dialectique). Aujourd'hui et plus que jamais, la philosophie est un besoin dont nous constatons l'existence. Ce besoin dépasse l'étonnement ou le séculaire désir de connaître que maintes disciplines peuvent satisfaires. Au contraire, il est en grande partie issu des questions auxquelles ces disciplines ne peuvent répondre. Le besoin philosophique se manifeste " en laissant libre cours aux interrogations que l'homme porte en lui et que l'envoûtement par les techniques et la crainte de nouvelles mystifications idéologiques l'empêchent d'exprimer. " Ainsi la philosophie est plus que jamais nécessaire puisqu?elle exprime " ce besoin irrépressible que la technicisation de l'existence a purifié et exaspéré au lieu d'abolir " (Cf. Fougeyrollas, La philosophie en question). Certes, l?exercice philosophie surtout sous sa forme systématique, demeure pour beaucoup impraticable, inaccessible. Mais cette difficulté existe surtout parce que la réflexion exige une activité de l'esprit qui s'oppose à l'acceptation passive des évidences. De ce point de vue, la philosophie répond à l'accusation d?être une forme de culture purement historique c'est-à-dire sans cesse dépassée par l?évolution de la réalité. En effet, dire de la philosophie qu?elle est inutile parce que son histoire est comparable à un musée présentant des doctrines périmées, c'est oublier que la philosophie est d'abord un parcours. Cela signifie que chacun doit tenter de résoudre pour lui-même les grandes questions qui intéressent le destin de l'homme en général. Mais une telle démarche n'est possible que si l'on prend la peine d'étudier les concepts intemporels dont chacune des grandes philosophies du passé est porteuse, afin de pouvoir confronter l?expérience singulière que l?on vit dans l'immédiateté et la relativité unilatérale du moment, à l'expérience fondamentale des essences, de ce qui échappe aux fluctuations de la subjectivité, à la succession anarchique des contraires. Il ne s'agit pas d'adopter telle ou telle grande philosophie mais, en s'aidant des philosophies existantes, de s'entraîner à construire sa propre philosophie. Apprendre à philosopher c'est adopter pour devise cette phrase de Kant : " jusqu'ici, il n?y a pas de philosophie qu'on puisse apprendre, car où est-elle ? Qui l'a en sa possession, et à quels caractères la  reconnaître ? On ne peut qu'apprendre à philosopher. " Apprendre à philosopher, c'est ne pas refuser d?examiner un problème sous prétexte qu'il est insoluble tant qu'on a pas déterminé par soi-même ce qu'il est convenu d'appeler la solution d'un problème. En ce sens, le service suprême de la philosophie, c'est de faire du philosophe un homme qui n?a pas peur de penser, c?est-à-dire de conquérir sa liberté. Ainsi, si on ne peut parler d'un progrès philosophique au sens ou l'on parle du progrès des sciences (accumulation des connaissances, création de nouvelles lois, précision des mesures, etc...), le progrès philosophique existe néanmoins. Il consiste dans le renouvellement, dans la réactualisation des grandes questions philosophiques, sous l'effet d?une pensée qui se cherche elle-même, qui commence absolument à chaque fois qu'elle recommence l'étude d'une philosophie. On ne peut donc nier qu?il y ait des réponses, historiquement et philosophiquement déterminées. Mais ces réponses ne sont jamais données comme un savoir que l?on puisse apprendre, mais au contraire comme une occasion de questionner et de discuter c?est-à-dire comme le point de départ d?une pensée personnelle. Les questions manifestent finalement le caractère proprement philosophique de l?histoire de la philosophie, contre le point de vue simplement historique. La philosophie, en effet, n'a pas d?histoire parce que, comme le précise très justement Hegel, l'histoire des idées philosophiques n?est pas une véritable histoire. Certes, la critique des apparences trompeuses dans le mythe de la caverne chez Platon, le cogito chez Descartes, la problématisation de la raison et de l'expérience chez Kant, appartiennent à des moments distincts du développement historique et, comme tels, ne nous concernent pas directement. Mais, au-delà de l'aspect proprement historique, voire idéologique ou contingent, par lequel chaque philosophie est l?expression spontanée de la conscience de son temps, demeure l'aspect proprement philosophique et substantiel, celui par lequel chacune d'elle contient des principes qui n'ont rien d?éphémères puisqu?elles sont des acquisitions de la pensée et font donc partie intégrante de son exercice actuel. Ainsi, non seulement la diversité des philosophies n?est pas un argument contre la philosophie mais, de plus, c'est dans l'histoire de la philosophie que l'esprit philosophique peut se développer puisque dans cette histoire se sont ses propres déterminations logiques que l?esprit retrouve. Le progrès philosophique prend donc la forme d'une réflexion de l'esprit en lui-même, d'une prise de conscience des moments successifs de son développement dans le temps ; l'esprit humain est le vecteur d?une conscience universelle chaque fois plus précise et plus étendue. L'histoire est donc une histoire vivante qui ne se vit jamais au passé mais au présent. La nécessité de la philosophie vient de là : dans l'histoire de la philosophie le sujet singulier se découvre comme raison universelle incarnée selon les multiples et diverses modalités du temps. La philosophie est éternellement jeune puisqu?elle n?est rien d?autre que la manière qu?a le passé de vivre dans le présent, de participer activement à la juste compréhension de ce présent et au mûrissement de l'avenir. Du coup, la philosophie répond à l'argument qui opposait l?objectivité  de la science imposant à l'esprit de tous ses relations nécessaires, à la subjectivité de la pensée philosophique reflétant seulement l'opinion personnelle de son auteur. Dans la mesure où le problème de l'objectivité est lié à celui de l'universalité, la question a été précédemment examinée. La philosophie, en effet, est avant tout une ?uvre de la raison et non l'expression d?un tempérament. C'est ce que nous montre la métaphysique cartésienne. Tout en affirmant que la volonté est une véritable cause première, une puissance absolue de commencement qui échappe à toute détermination et qui est capable de choisir par elle-même entre des possibles également contradictoires, Descartes insiste sur l'importance de l'évidence rationnelle, sur la priorité logique, psychologique et ontologique de la raison sur la volonté, sur la capacité de la raison à reconnaître la forme universelle du vrai. Autrement dit, selon Descartes, notre liberté autonome et infinie est naturellement affectée par la grâce divine. Descartes en effet n'est pas Kant : l'esprit humain ne constitue pas son objet puisque Dieu a fixé une fois pour toutes les relations que les essences soutiennent entre elles. La vérité du discours provient donc de notre participation à la perfection divine ; il s'agit de développer, de dérouler dans l'entendement l'ordre nécessaire des relations essentielles. On aperçoit ici l'héritage platonicien. Tout se passe alors comme si c'est Dieu lui-même qui affirmait son être propre par l'entremise de notre volonté. Pour atteindre le vrai il suffit de laisser s'exprimer notre " lumière surnaturelle ". Cette vérité n?est donc pas subjective au sens ou elle manifesterait le goût de se singulariser et le caprice de la fantaisie gratuite. Au contraire, la véritable liberté s'expérimente ici dans le mouvement irrésistible et pourtant non-violent (puisqu?il n'exprime que nous-mêmes), par lequel la volonté, enfin éclairée, choisit l'un des possibles et l'accomplit de préférence aux autres. Mais même en mobilisant la " lumière naturelle ", nous ne pouvons échapper à notre propre nature qui nous renvoie à Dieu. En effet, si nous adhérons nécessairement aux idées claires et distinctes, qui ici aussi semblent exprimer notre subjectivité c'est-à-dire nous-mêmes, l'effort que nous produisons, le courage que nous manifestons dans notre travail, c'est en tant quelles viennent de Dieu. La clarté et la distinction, marques de l'activité de notre esprit, témoins du rôle que nous jouons dans la connaissance, ne sont, d?un autre côté, que les signes de la cohésion intérieure, de l'absolue densité d?être de l'idée. Et c'est précisément parce quelle pèse sur nous de tout son être et de toute son absolue positivité que nous inclinons irrésistiblement à affirmer l'idée claire et distincte. Au fond, on peut même dire que c'est cet être pur et dense, sans défaut, sans manque, qui s'affirme dans nos jugements par son propre poids. Or, la puissance de Dieu justifie qu'il soit la source de tout être et de toute positivité. Par la " lumière naturelle " nous sommes donc capables de reconnaître l'évidence, mais l'essence elle-même ne vient pas de nous puisque l'expérience la plus commune suffit à nous apprendre que notre être n?est pas mais devient, c'est-à-dire manque de cette perfection qui n'appartient qu'a Dieu. L'essence, objet du discours scientifique, possède donc une objectivité qui met ce discours à l'abri des délires d'une pensée subjective c'est-à-dire strictement personnelle. Cependant Descartes retrouvera la liberté d'un sujet pleinement en accord avec lui-même. Si connaître c'est saisir l'évidence et si cette évidence ne montre pas seulement le vrai, n'est donc pas seulement constatée, mais s?explique entièrement en se donnant, montre aussi pourquoi ce vrai est vrai, l'activité de connaissance ne désigne rien d?autre qu?un effort de compréhension. Comprendre, c'est intérioriser la contrainte qui nous oblige à nous rendre à l'évidence, par quoi elle est acceptée librement. C'est reconnaître que le vrai a raison d?être ce qu?il est, qu?il ne pouvait pas, en effet, être autre. Ainsi comprendre, c'est découvrir que l'on savait déjà ce que l'on découvre et qu?on avait, en quelque sorte, oublié. Descartes retrouve ici le mythe platonicien de la réminiscence (Cf. Ménon/Phédon). Pour lui cependant, ce que manifeste ce genre d'expérience incontestable, plutôt que l'existence d'une vie antérieure, c'est que le vrai ne nous est pas étranger, mais " s?accorde avec notre nature ". Autrement dit, nous portons en nous la forme universelle du vrai, ce qui explique que la vérité soit pour nous de l'ordre de la raison est non du fait. La vérité a donc beau être celle des essences, comme chez Platon, les idées de ces essences sont innées. Nées avec nous, elles sont notre raison même en action. Elles incarnent notre aspiration à la perfection de l?être c'est-à-dire au divin qui est en nous. En elles, nous nous retrouvons, nous coïncidons parfaitement avec notre essence, au lieu de nous perdre dans la confusion des choix arbitraires. Si donc la vérité philosophique n?est pas subjective, il est vrai quelle est et qu?elle ne peut pas ne pas être l'expression d'une personnalité. L'universalité du discours philosophique ne contredit nullement la singularité de l'expérience dans laquelle elle s'enracine. La référence à l'histoire de la philosophie nous l'a bien montré. Si la philosophie est inséparable de la personne qui la pratique c'est parce qu'elle n'est pas la méditation abstraite d?un esprit désintéressé, désincarné, indifférent au monde, mais la réflexion d?un homme sur le sens ultime des expériences dans lesquelles il se trouve lui-même profondément engagé.


Message édité par l'Antichrist le 15-04-2004 à 06:58:25
n°2483000
Ars Magna
Digitale Gaudium
Posté le 15-04-2004 à 06:46:29  profilanswer
 

octopuspuspus a écrit :

vi c'est vrai :D mais est-ce que ca existe vraiment des livres de philo abordables sans prof :??:


 
''Kierkegaard pour les nuls'' :lol:


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Amoureux du Te Deum de Berlioz.
n°2485460
jcdenton18​2
Back in business
Posté le 15-04-2004 à 14:22:17  profilanswer
 

Je comprends pas pourquoi on entend tellement "si t'es pas d'accord avec le prof t'as une bâche" :heink:  
Je trouve ca ridicule, c'est souvent une excuse pour ne pas voir en face qu'on n'a pas réussi a argumenter et du coup se déculpabiliser de cette sale note qu'on vient se taper. Il est possible de discuter des sujets avec le prof, il est aussi là pour ca...
Pendant mon année de Term j'ai pas eu que des bonnes notes et je sais que les plus mauvaises bah je les méritait parceque j'avais rien foutu pour avoir une bonne note (devoir fait le Dimanche soir a 22h pour le Lundi, etc... vous voyez tous de quoi je parle :D ). Un peu d'humilité bordel :o
 
-JCD


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Nihilistes !
n°2485526
lecentredu​monde
Conséquence future ,le présent
Posté le 15-04-2004 à 14:29:22  profilanswer
 

je suis d'accord.
Et il n'y a que les élèves qui, en terminale ,s'y sont vraiment intéressé et qui ont approfondi leurs lectures qui y ont pris gout. ( en tout cas dans mon lycée) . Le programme de terminale est ridicule, du déca instantané de mauvaise qualité de philo......


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l'instinct RATIONNEL, immortelle et c élèste voix, guide assuré d'un être ignorant et borné, mais intelligent et libre...
n°2485727
yuggoth
Plus optimiste que jamais...
Posté le 15-04-2004 à 14:52:34  profilanswer
 

Le pb avec la philo dans un contexte scolaire c'est l'évaluation. Avoir 2/20 signifie en gros que tu n'as pas pensé ce que ton prof voulais que tu penses.
Quand il n'y a pas une mais plusieurs réponses possibles, comment décidé que telle ou telle réponse sera bonne et pas les autres?
Par ailleurs, la philo est intéressante quand on reste rigoureux. Malheureusement, certains se permettent d'y rattacher psychanalyse et autres parapsychologies à 2 balles.
Je me rappelle de mon prof de term qui nous a dit le premier jour de nous détacher de nos opinons et qui quelques jours plus tard nous sorait "les catho c'est des connards potentiels".
Bref, la philo je pense que tout le monde aime à sa manière, dans certains contextes (moi c'est complètement torché). En revanche, la plupart des prof de philo desservent leur dicipline.

n°2486002
jcdenton18​2
Back in business
Posté le 15-04-2004 à 15:22:17  profilanswer
 

yuggoth a écrit :

Le pb avec la philo dans un contexte scolaire c'est l'évaluation. Avoir 2/20 signifie en gros que tu n'as pas pensé ce que ton prof voulais que tu penses.
Quand il n'y a pas une mais plusieurs réponses possibles, comment décidé que telle ou telle réponse sera bonne et pas les autres?
Par ailleurs, la philo est intéressante quand on reste rigoureux. Malheureusement, certains se permettent d'y rattacher psychanalyse et autres parapsychologies à 2 balles.
Je me rappelle de mon prof de term qui nous a dit le premier jour de nous détacher de nos opinons et qui quelques jours plus tard nous sorait "les catho c'est des connards potentiels".
Bref, la philo je pense que tout le monde aime à sa manière, dans certains contextes (moi c'est complètement torché). En revanche, la plupart des prof de philo desservent leur dicipline.


 
Pas d'accord, non  :non:  
Ca veut dire que tu n'as pas argumenté comme il fallait, que ta réflexion est bancale. Le prof est pas là pour te dire "je veux que tu penses ca un point c'est tout!", mon prof nous expliquait que si notre reflexion était bien menée c'était le principal, après les opinions sur les sujets divergent et il peut etre intéressant d'en parler... :)
 
-JCD :hello:


Message édité par jcdenton182 le 15-04-2004 à 15:22:50

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Nihilistes !
mood
Publicité
Posté le 15-04-2004 à 15:22:17  profilanswer
 

n°2488059
rahsaan
Posté le 15-04-2004 à 19:16:20  profilanswer
 

Disons-le franchement : si votre prof de philo est honnête, il se branle de ce que vous pensez, et ne notera pas l'accord de votre pensée à la sienne, mais la rigueur de votre argumentation.  
 
Précision : non, on ne peut pas pour autant écrire n'importe quoi en faisant des tournures pseudos-argumentatives... Le racisme et le négationnisme, ce ne sont pas des pensées.
En revanche, ya pas de raison que vous ne puissiez utiliser Marx et pointer les contradictions du capitalisme, ou argumenter en faveur de l'existence de l'âme contre le matérialisme.  :o


Message édité par rahsaan le 15-04-2004 à 19:20:24
n°2488141
Profil sup​primé
Posté le 15-04-2004 à 19:26:02  answer
 

Bonjour !
 
Je vois que tu es de 1984, moi aussi !
Je suis en deug de philosophie à Paris IV, donc mon avis est le suivant : vive la philo ! En cours j'ai les yeux ecarquillés tellement je suis passionée. Par les avis exterieurs, on nos confond souvent avec la psycho ou la socio, on nous dit "C'est formidable!" ou "ça ne sert à rien dans la vie" (no comment).
 
Même si on te dit que cela n'est pas lucratif, ou n'a pas de débouchés (ou je ne sais quelles ignominies encore), crois en toi... Je suis enfin en accord avec moi-même dans les études que je fais. Et je rigole au fond de moi quand un amis me dit que dans ses cours de marketing on lui apprend à vendre des choses inutiles à ceux qui n'en ont pas besoin.
 
J'aimerais ecrire plus longuement, je repasserais plus tard sur le topic. Merci d'avoir lancé le sujet, je me sens moins seule.
Mais dit-moi, où étudies-tu ?
 
L'Antichrist > !!!!! Mais malheuresement seulement quelques-uns auront lu la totalité. Je me reconnais bien dans tes mots ! Il faut vivre la philosophie pour en saisir sa portée je crois, tout comme le vertige qui me prend lorsque j'essaie de saisir la Dialectique tanscendantale ou la passion lorsque je lis les textes de Nietzsche :)
 
Déborah


Message édité par Profil supprimé le 15-04-2004 à 19:38:56
n°2488852
rahsaan
Posté le 15-04-2004 à 21:18:39  profilanswer
 

>Déborah  : moi je passe l'agreg de philo à Paris-IV.  :)
 
>L'Antichrist : tu as sans doute bien plus d'expérience que moi en la matière... mais je t'avoue que je ne pratique qu'à petites doses la dialectique systématique hégélienne. Je la trouve lourde, empesée, à ressasser sans cesse la même thématique, comme un interminable Boléro de Ravel. Car elle propose une progression que pour autant qu'elle clôture ce savoir dans un système monolithique, où l'on respire mal.  
C'est notamment le cas de la Phénoménologie de l'Esprit (pour ce que j'en ai lu). A t-on idée d'écrire un livre si long ?... Monumental certes, mais n'est-on pas écrasé par cette architecture démesurée ?
Je préfère de loin l'Esthétique, où le discours est affiné, plus nuancé. Hegel y avance moins à gros sabots et semble laisser de l'air, du jeu, dans son système. Du coup, le texte est moins ronflant, comme si l'Esprit du monde, après ses 6000 ans de formation, abandonnait enfin son idéalisme massif pour se confronter plus finement au réel...


Message édité par rahsaan le 15-04-2004 à 21:30:15
n°2489592
lecentredu​monde
Conséquence future ,le présent
Posté le 15-04-2004 à 22:34:42  profilanswer
 

Nietzsche est le maitre qui a su combiner poésie et Pensée. Mon prof a fait une maitrise sur le role du corps dans ses écrits et principalement ses lettres, mais je trouve ça petit et mesquin de juger un auteur sur sa biographie. Nietzsche etait fou? avait la syphilis? Au diable! "Aurore" est un recueil de sagesse brute, à l'état pur, où la pensée n'est pas logique comme une dissertation, mais où elle est saccadée, pleine de chocs et de beauté originelle. C'est une forme parfaitement à l'image de ce qui rode dans les abimes instinctifs, où les volontés de puissance prennent le dessus , bien en dessous de la conscience illusoire...


Message édité par lecentredumonde le 16-04-2004 à 13:49:56

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l'instinct RATIONNEL, immortelle et c élèste voix, guide assuré d'un être ignorant et borné, mais intelligent et libre...
n°2501286
Evolvox
Toujours y croire, toujours...
Posté le 17-04-2004 à 14:17:07  profilanswer
 

Dessin retrouvé dans mes notes de cours :
 
http://membres.lycos.fr/forever2f/evolvox/philo.jpg
 
(Vous noterez la présence de sympoles mathématiques tout en haut; j'avais un test le jour d'après, faut utiliser le temps à disposition :o)
 
Blague à part, j'aime bien cette branche dans le sens où ça nous permet de voir le monde sous des angles auxquels on aurait peut-être même pas pensé. Mais ce qui est gavant, ce sont les textes philosophiques. On dirait que les auteurs s'amusent à jouer à "j'essaye de caser le plus de mots hepta-syllabiques par phrase de 20 lignes". Et malheureusement, sans avoir lu des textes de philosophes, comment avoir une discussion philosophique qui tienne bien la route ?  
 
Donc en théorie, la philo, c'est captivant, mais en pratique, c'est limite chiant (et j'ai même l'impression que les profs n'y peuvent pas grand chose).
 
(edit ortho :o)


Message édité par Evolvox le 17-04-2004 à 14:18:25

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gaymer's est la personne la plus formidable jamais rencontrée dans toute ma vie, je lui achèterais un makato et au moins les 4 news pourries quotidiennes qui vont avec
n°2504255
rahsaan
Posté le 17-04-2004 à 21:45:11  profilanswer
 

>Evolvox : c'est vrai qu'on ne s'improvise pas philosophe. Ça demande un long apprentissage avant de pouvoir tenir une conversation conceptuelle sérieuse.

n°2504385
ptol
Posté le 17-04-2004 à 21:56:55  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

>Evolvox : c'est vrai qu'on ne s'improvise pas philosophe. Ça demande un long apprentissage avant de pouvoir tenir une conversation conceptuelle sérieuse.  


Ouais
Faudrait arrêter de se la péter déjà. C'est un point commun qu'ont tous les philosophes  :pfff:  

n°2504610
rahsaan
Posté le 17-04-2004 à 22:22:56  profilanswer
 

Je crois que beaucoup de gens pensent cela de la philo car elle permet à la pensée de prétendre à des choses que le sens commun ne peut pas aborder. [:spamafote]

n°2504662
satchie
http://satchie.free.fr
Posté le 17-04-2004 à 22:29:08  profilanswer
 

L'Antichrist a écrit :


Rassure toi Anncha, nous sommes tous passé par là ...


 
 :fou:  c'est surement très interessant mais tu pourrais formater ton texte  :pfff:


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.::Le Topic du Plus Beau Bureau.::. Mes Desks ::.
n°2504666
pascal-san
Posté le 17-04-2004 à 22:29:50  profilanswer
 

ptol a écrit :


Ouais
Faudrait arrêter de se la péter déjà. C'est un point commun qu'ont tous les philosophes  :pfff:  
 


Contrairement à ce que tu dis, les grands philosophes ont une grande humilité par rapport à ce qu'ils font, même les plus ambitieux. Ils ne se la pètent pas comme tu crois le savoir : quand tu cherches dans un domaine, philosophie ou autre, c'est bien parce que tu te dis que tu ne sais pas. La soif de connaissance qui les anime est le contraire de la suffisance.

n°2504705
rahsaan
Posté le 17-04-2004 à 22:33:58  profilanswer
 

C'est en effet vrai que les plus grands scientifiques sont modestes, car parfaitement conscient de l'étendue de l'ignorance et de la fragilité de leurs connaissances.  
De même, un philosophe, s'étant purgé de bien des orgueils et ayant desespéré de beaucoup de choses, il n'est pas enclin à croire n'importe quoi, ni à se fabriquer une idée surfaite de sa personne.

n°2504721
ptol
Posté le 17-04-2004 à 22:35:06  profilanswer
 

pascal-san a écrit :


Contrairement à ce que tu dis, les grands philosophes ont une grande humilité par rapport à ce qu'ils font, même les plus ambitieux. Ils ne se la pètent pas comme tu crois le savoir : quand tu cherches dans un domaine, philosophie ou autre, c'est bien parce que tu te dis que tu ne sais pas. La soif de connaissance qui les anime est le contraire de la suffisance.


 
Les grands philosophes oui (encore que Freud était assez imbu du lui-même) mais les profs de philo non. Pour avoir un pote prof de philo qui m'a fait rencontré pas mal de ses collègues, je peux dire que c'est un trait de caractère qu'ils ont en commun: il se croient au-dessus du lot.  [:razorbak83]  

n°2504727
pascal-san
Posté le 17-04-2004 à 22:35:51  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

C'est en effet vrai que les plus grands scientifiques sont modestes, car parfaitement conscient de l'étendue de l'ignorance et de la fragilité de leurs connaissances.  
De même, un philosophe, s'étant purgé de bien des orgueils et ayant desespéré de beaucoup de choses, il n'est pas enclin à croire n'importe quoi, ni à se fabriquer une idée surfaite de sa personne.  


Voilà :jap:
Les grands philosophes ne sont jamais contents d'eux-mêmes. Ils sont seulement parfois satisfaits d'avoir contribuer à comprendre qqc, à développer un concept...


Message édité par pascal-san le 17-04-2004 à 22:36:01
n°2504734
ptol
Posté le 17-04-2004 à 22:36:34  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

C'est en effet vrai que les plus grands scientifiques sont modestes, car parfaitement conscient de l'étendue de l'ignorance et de la fragilité de leurs connaissances.  
De même, un philosophe, s'étant purgé de bien des orgueils et ayant desespéré de beaucoup de choses, il n'est pas enclin à croire n'importe quoi, ni à se fabriquer une idée surfaite de sa personne.  


 
C'est déjà bien présomptueux ... [:mlc2]  
 

n°2504742
rahsaan
Posté le 17-04-2004 à 22:37:25  profilanswer
 

ptol a écrit :


Les grands philosophes oui (encore que Freud était assez imbu du lui-même) mais les profs de philo non. Pour avoir un pote prof de philo qui m'a fait rencontré pas mal de ses collègues, je peux dire que c'est un trait de caractère qu'ils ont en commun: il se croient au-dessus du lot.  [:razorbak83]  


 
Je pense que c'est bien dommage. C'est bien dommage que l'exercice de la philo amène ces gens se croient imbus d'eux-mêmes, et plein de pouvoir et de supériorité.  
Je pense pour ma part que le discours conceptuel devrait nous vider de ça...

n°2504749
pascal-san
Posté le 17-04-2004 à 22:38:04  profilanswer
 

ptol a écrit :


 
Les grands philosophes oui (encore que Freud était assez imbu du lui-même) mais les profs de philo non. Pour avoir un pote prof de philo qui m'a fait rencontré pas mal de ses collègues, je peux dire que c'est un trait de caractère qu'ils ont en commun: il se croient au-dessus du lot.  [:razorbak83]  
 


T'as fait des statistiques sur la question :lol:
Sérieusement, pas plus de profs de philo que d'un autre domaine. C'est un problème personnel, pas relatif à la matière qu'ils enseignent.

n°2506266
Ars Magna
Digitale Gaudium
Posté le 18-04-2004 à 03:22:23  profilanswer
 

ptol a écrit :


Ouais
Faudrait arrêter de se la péter déjà. C'est un point commun qu'ont tous les philosophes  :pfff:  
 


 
Je suppose que tu parles des 'philosophes' qu'on voit défiler dans les émissions télévisées et autres ? Finkielkraut, Lévy, Comte-Sponville, Ferry (dans son ministère :p).
C'est vrai que leur attitude fait rarement la publicité de la discipline qu'ils prétendent servir ! :D


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Amoureux du Te Deum de Berlioz.
n°2506284
AlexandreI​II
Kicking Ass and Taking Names
Posté le 18-04-2004 à 03:27:31  profilanswer
 

anncha a écrit :

Je suis étudiante en philosophie, et je voulais savoir ce que pensait en général les gens de cette matière. Quand je dis que je suis en philo, on me regarde avec des yeux l'air de dire que je suis folle. Mais pourquoi la philosophie est-elle aussi détestée alors que c'est passionnant !!!  

peut etre aprce que la plupart des conepts de la philosophie sont hors de portée de l'intellect de la plupart des gens :o


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MetaRidley j'aurai ta peau :fou:
n°2506329
ptol
Posté le 18-04-2004 à 03:37:33  profilanswer
 

AlexandreIII a écrit :

peut etre aprce que la plupart des conepts de la philosophie sont hors de portée de l'intellect de la plupart des gens :o


 
Et voilà ... c'est toujours la même chose  :lol:  

n°2506481
phyllo
scopus inornatus
Posté le 18-04-2004 à 08:55:03  profilanswer
 

Ars Magna a écrit :


 
Je suppose que tu parles des 'philosophes' qu'on voit défiler dans les émissions télévisées et autres ? Finkielkraut, Lévy, Comte-Sponville, Ferry (dans son ministère :p).
C'est vrai que leur attitude fait rarement la publicité de la discipline qu'ils prétendent servir ! :D


 
Be moi, c'est pourtant la télé qui m'a accroché à la philo.
 
C'était Michel Onfray, hautement criticable s'il en est, lors d'une émission de Pivot.
 
Mais cela n'arrivera plus, maintenant, je ne regarde plus trop la télé (plus trop le temps avec Nietsche, Kant, Locke et Hume à finir).
 
 
[:drapo]


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Avant, j'étais sceptique, aujourd'hui, je n'en suis plus aussi sûr.
n°2506740
l'Antichri​st
Posté le 18-04-2004 à 11:26:41  profilanswer
 

Citation :

... mais je t'avoue que je ne pratique qu'à petites doses la dialectique systématique hégélienne. Je la trouve lourde, empesée, à ressasser sans cesse la même thématique, comme un interminable Boléro de Ravel. Car elle propose une progression que pour autant qu'elle clôture ce savoir dans un système monolithique, où l'on respire mal.C'est notamment le cas de la Phénoménologie de l'Esprit (pour ce que j'en ai lu). A t-on idée d'écrire un livre si long ?... Monumental certes, mais n'est-on pas écrasé par cette architecture démesurée ? Je préfère de loin l'Esthétique, où le discours est affiné, plus nuancé. Hegel y avance moins à gros sabots et semble laisser de l'air, du jeu, dans son système. Du coup, le texte est moins ronflant, comme si l'Esprit du monde, après ses 6000 ans de formation, abandonnait enfin son idéalisme massif pour se confronter plus finement au réel...


 
Prendre la défense d?une pensée systématique c?est fondamentalement reconnaître que la raison est intériorisation. On peut certes s?inquiéter que la raison veuille la totalité, comme si les différents moments de vie n?avaient aucune signification en eux-mêmes mais seulement au sein de la totalité. C?est d?ailleurs ainsi que l?on interprète souvent la pensée de Hegel. Mais, comme je l?ai déjà dit dans un autre topic, tout le projet Hégélien est précisément de lutter contre la Totalité indifférenciée, contre la totalité considérée comme un bloc (à la manière du système leibnizien qui ne pense pas l?histoire). La totalité est dans chaque moment mais il faut accepter de lâcher les différents moments pour connaître la totalité comme totalité. La totalité comme tout indifférencié ne livre rien : elle est du côté de l?obscurité et de la mort. A l?inverse, la totalité comme parcours du désir dans lequel le désir cherche son objet est une totalité vivante. Passer par l?épreuve des bribes c?est passer par des totalités qui ne sont pas telles parce qu?en elles, se joue le manque. Mais se jouent également le revers positif et le ressort connaissant : le désir. Celui-ci permet de dépasser les stades nécessaires des bribes pour ouvrir à une totalité où le manque a disparu c?est-à-dire à la connaissance. La vérité se donne alors comme totalité mais dans des moments fugaces, dans des visions fugitives et évanescentes. Dans la bribe peut se donner à voir la totalité mais cela ne dure qu?un instant. La vérité, et donc la totalité se donne sous le mode de l?éclair, en un éclair. On ne peut pas s?installer dans la totalité parce que celle-ci est toujours dans l?équilibre instable d?un morceau évanescent (tel que, par exemple, nous le donne à penser l?art). Il n?y a de totalité que pour autant et qu?autant que le morceau le soutient. Sans cela, aucune totalité ne peut se donner. La totalité n?est donc pas un milieu (comme dans l?expression un " milieu marin " ) : elle est plutôt l?ouverture, ce que laisse entrevoir la bribe et qui n?est pas elle. En ce sens, la totalité est le moment où la bribe donne à voir autre chose qu?elle-même tout en étant elle-même. C?est précisément ce que me fait vivre l?expérience du désir. Et tel est le savoir absolu hégélien : celui-ci est le règne du SANS-IMAGE, de L?AU-DELA DE LA REPRESENTATION (de la distinction entre essence et apparence). En ce sens, une seule question mérite vraiment d?être posée : est-il possible de dépasser Hegel et comment ?
 
Petite leçon sur la Phénoménologie de l?Esprit en forme de critique du kantisme. Pour Hegel, nous nous débarrassons difficilement de la représentation de la connaissance comme d?un milieu à travers lequel nous parvient la vérité ou comme d?un instrument à l?aide duquel nous nous en emparons. Mais instrument et milieu nous séparent toujours de l?Etre que nous voulons penser, de sorte que la conséquence de cette représentation est, inévitablement, soit un scepticisme intégral, soit une philosophie critique (celle de Kant) qui distingue une vérité objective relative à l?entendement humain et un en-soi absolu qui ne peut être que la position d?une transcendance radicale. La philosophie hégélienne est le refus de toute transcendance ; elle prétend rester dans l?immanence du concept. Pour la métaphysique classique, le concept est une médiation : construit par l?entendement, il permet de supprimer l?opposition du sujet connaissant et de l?objet connu. Un discours vrai réfléchit l?objet dont il est l?expression conceptuelle : c?est la vérité-correspondance comme adéquation jugement-être. Or, Hegel renonce à cette définition de la vérité. Le concept est le centre immanent de toute représentation et de tout discours. C?est l?identité dans l?immédiat de l?Etre et du Sens. Il n?y a pas un au-delà du discours, un " objet " (Idée, Forme, Essence...) dont le concept serait la copie. Il n?y a pas d?autre monde, il n?y a pas de chose-en-soi, il n?y a pas de transcendance. On peut considérer la Phénoménologie de l?Esprit comme une réponse à la conviction première de la conscience que l?Etre est autre qu?elle et que sa certitude subjective est distincte de la vérité objective qu?elle cherche à atteindre. Or, il faut bien voir que pour Kant chaque chose participe de cette matière originaire qu?est Dieu et est de par elle-même exclue de toute participation. C?est à partir de cette matière que Kant, en dévoilant ce théâtre dogmatique, fait lui-même la différence entre les usages légitimes ou illégitimes des concepts. Selon les domaines d?usage, le concept sera bien fondé ou illégitime, selon qu?il sera employé dans SON domaine ou en dehors. Il est clair que le principe apparaît identique à celui de Platon (l?essence ne peut être identique qu?à elle-même et se donne en participation à des copies plus ou moins défectueuses). Une partie de la copie participe du modèle, mais le reste lui est extérieur.
 
C?est dans cette perspective que s?inscrit la théorie du schématisme chez Kant. Le schème n?est pas l?image. Qu?apporte le schème que n?apporte pas l?image ? L?image (Das Bild) est un produit du pouvoir empirique de l?imagination tandis que le schème est en liaison avec un concept. Le schème est pour un concept " la représentation d?une méthode générale dont use l?imagination pour procurer à un concept son image ". Il y a donc deux faces dans l?imagination : quand celle-ci est productrice, elle est du côté du schème, quand elle est reproductrice, elle est du côté de l?image. Le schème apparaît en ce sens comme le procédé de l?imagination pour se représenter les choses en général. Le schème n?est donc pas une image mais la représentation d?une méthode servant à procurer au concept son image. Il est " le monogramme de l?imagination pure a priori au moyen duquel et suivant lequel les images sont tout d?abord possibles " (cf. Critique de la raison pure, Analytique transcendantale, " Du schématisme des concepts purs de l?entendement " ). Ainsi le schème du nombre n?est aucun nombre particulier mais ce par quoi je puis me procurer l?image de tel ou tel nombre. Le schème du triangle n?est en lui-même aucune image déterminée de triangle mais le moyen par lequel je peux construire l?image de tel ou tel triangle. Pourquoi cela ? Parce qu?il n?y a pas d?image du triangle qui puisse être adéquate au concept d?un triangle en général. C?est pourquoi le concept ne peut être engendré par les images par une sorte d?inspiration qui ferait que les images se transformeraient en concepts dès que le sujet voudrait les connaître. C?est donc le schème qui permet la liaison des images données phénoménalement dans l?intuition et les concepts présents dans l?entendement. Autrement dit, le schème permet de répondre à la question " comment les cadres mentaux que sont les catégories peuvent-elles appréhender le divers sensible ? " Il faut un médiateur qui assure le rapport homogène entre deux entités hétérogènes. Le schème apparaît comme une méthode ou un procédé général pour procurer à un concept son image. L?image construite entre en correspondance avec le concept non parce qu?elle lui ressemble mais parce qu?elle enveloppe la règle de construction permettant l?application du concept.
 
Autrement dit, Kant tire la leçon d?Aristote : l?être est un terme unique auquel se rapportent tous les concepts ; l?être est un sens commun de tous les sens. L?ensemble de nos sens est harmonisé et tout le réel de notre pensée est téléologique (il y aurait a priori un bon-sens des facultés). La notion d?être a un sens, hiérarchiquement : il est la mesure de toute chose ; il est aussi, distributivement, un sens commun : l?être a plusieurs sens, et il est donc équivoque ; cette pluralité des sens nous oblige à refermer la pensée sur le modèle du jugement. Qui peut en effet mesurer et distribuer, sinon le jugement ? D?où finalement la position de Kant : " penser, c?est juger ". Mais toute pensée comme jugement fonctionne comme une machine à sélectionner, à séparer : se représenter le réel (ce qui est), c?est légitimer le principe d?identité puisque c?est lui qui fonde la représentation du modèle ! La représentation veut faire triompher la copie-icône (Platon, Kant, le christianisme...). Et c?est pourquoi, dans le schématisme, l?image n?est pas une manifestation trompeuse ou illusoire comme l?est l?image de Dieu, du Moi ou du Monde. La raison peut dépasser les limites de son pouvoir et utiliser des principes transcendants pour expliquer le réel. La folle du logis dans la demeure kantienne c?est la raison et non l?imagination : il est constitutif de la raison (c?est-à-dire naturel et inévitable) qu?elle subisse l?illusion transcendantale à savoir l?illusion qui consiste à penser que l?on peut utiliser des méta-concepts séparés de l?expérience et que l?on puisse connaître (c?est-à-dire glisser une expérience sous un concept) Dieu, le Moi et le Monde. Le schème de l?imagination nous confinerait dans la région du savoir (des mathématiques et de la physique) là où la raison se laisserait emporter par une illusion constitutive d?elle-même.
 
Or, pour Hegel, la pensée humaine (finie) n?est pas condamnée à rester prisonnière de sa finitude : elle se dépasse elle-même, et ce qu?elle révèle ou manifeste, c?est l?Etre même. Ce n?est pas l?homme qui dit plus ou moins l?Etre ; c?est l?Etre qui en l?homme se dit et s?exprime. Ainsi, le " simulacre " chez Deleuze ou fantasme, possibilité de répétition en tant que création, permet certes d?échapper à la représentation, rendant enfin la pensée à son fondement subversif. Mais il est toujours du côté de l?image ! L?éternel-retour (comme anti-représentation) n?est certes pas un retour du même : la pensée vraie est par nature révolutionnaire et donc agressive, intempestive. La pensée consacre le monde des singularités anonymes et il y a, en ce sens, une fulgurance de la pensée qui échappe à la pensée elle-même. C?est dire que la pensée a toujours un fond obscure et délirant et qui est sa propre puissance d?affirmation ! Mais tout cela relève encore du monde de l?image, du simulacre ! Dans la Phénoménologie de l?Esprit, Hegel présente au contraire la conscience qui cherche dramatiquement à se reconnaître comme Esprit, c?est-à-dire les figures successives qu?elle prend lorsqu?elle accepte de vivre, comme conscience, les moments de sa constitution. Ce faisant, Hegel détermine un modèle logique, une méthodologie qui n?est certes pas un procédé que la pensée a élaboré dans son intériorité avant d?entrer en contact avec l?Etre. Elle est la connaissance des moments nécessaires selon lesquels la pensée tente de savoir ce qu?elle pense effectivement et ce qu?est ce qu?elle pense. C?est pourquoi cette phénoménologie est à la fois une introduction au système hégélien mais en même temps, fait pleinement partie de celui-ci. Le mouvement qu?elle décrit n?a de sens que par rapport à son résultat. Autrement dit, l?Esprit est déjà là : il est la conscience elle-même qui ne sait pas encore qu?elle doit devenir Esprit. Ce modèle logique est la dialectique c?est-à-dire le mouvement par lequel l?immédiat se médiatise en se réfléchissant dans son contraire, lequel en le limitant, le détermine. L?immédiat est son contraire puisqu?en lui il puise sa signification. Cependant, il ne s?y épuise pas. Réfléchi en son contraire, il demeure le même. En sa vérité, il est donc le mouvement qui le conduit de soi à l?autre. L?Esprit est précisément ce mouvement de se faire vrai soi-même, mouvement dans et par lequel l?immédiat en vient à se définir autrement, à s?enrichir de nouvelles déterminations, à se comprendre comme synthèse de soi et de l?autre.
 
Dans la Phénoménologie de l?Esprit, Hegel part donc de la conscience immédiate qui distingue le subjectif (le sens) et l?objectif (l?être), la certitude sensible et la vérité, même si c?est sur le fond d?une identité primordiale. La Phénoménologie décrit l?itinéraire de la conscience finie, c?est-à-dire humaine pour dépasser cette différence dont elle est partie et qui est la source de son devenir. En tant que conscience finie et singulière, celle-ci éprouve l?Etre, le vit, le pose comme une vérité à atteindre et tente de le connaître c?est-à-dire de formuler d?une façon exacte ce qui s?est donné à elle immédiatement. A son premier stade, la conscience est donc " savoir de l?immédiat " : elle est certitude sensible. L?exigence du dire force la conscience à révéler ce qu?elle éprouve lorsqu?elle croit être en possession de la Vérité. C?est à cette certitude que s?arrête le réalisme naïf (l?empirisme) ; il fonde sa croyance en elle, c?est elle qu?il invoque lorsqu?il témoigne de l?irréductible brutalité des faits. Cependant que se passe-t-il lorsque la conscience prend conscience d?elle-même dans la saisie immédiate et sensible de ce qui se donne à elle ? Elle s?abandonne à sa plénitude immédiate et se satisfait de l?indéfinie richesse de ses déterminations. Elle connaît sa certitude comme vérité ; se confondant avec ce qu?elle sent, elle trouve son achèvement dans l?objet. Mais la conscience finie pose cet objet comme transcendant à elle et existant en-soi. Ainsi cet objet contraint-il la conscience à se justifier, à se définir. C?est le travail de la preuve. Or dès qu?elle tente d?énoncer ce qu?elle expérimente, une altérité se révèle en elle. La conscience se découvre comme " Moi " pur et vide qui ne trouve d?autre fondement à son être que cet objet (le " pur sentir immédiat " qu?elle éprouve) ; sa vérité est hors d?elle-même, dans le ceci, dans le hic et le nunc. L?objet renvoie la conscience à elle-même c?est-à-dire à l?opposition du sujet et de l?objet. Alors la certitude est toujours en deçà d?une vérité qui est un au-delà ; et cette vérité est bien aussi Logos, concept mais c?est un Logos transcendant qui échappe toujours aussitôt que la conscience veut le saisir. La conscience finie qui pense saisir la vérité dans son expérience vécue la voit toujours reculer vers une vérité pour elle et non en-soi. Confrontée avec ce qu?elle est en-soi, la conscience se transforme et détermine un nouveau mode d?apparaître à soi, un autre pour-soi qui à son tour pose un nouvel en-soi légitimant.
 
C?est notamment par ce biais que la conscience devient " malheureuse " : elle projette en un Dieu transcendant et toujours lointain l?identité fondamentale de la certitude et de la vérité. La Phénoménologie de l?Esprit décrit le dépassement historique (et/ou transcendantal...) de cette conscience malheureuse. Elle décrit comment la conscience se heurtant à l?en-soi prend des figures diverses jusqu?à la découverte de l?identité du pour-soi et de l?en-soi dans le pour-nous. Il y a donc une histoire de l?Esprit en ce sens que la conscience humaine surmonte son aliénation. Au commencement comme au terme de cette histoire, on retrouve toujours l?identité dans l?immédiat de l?Etre et du Sens. La conscience naïve est l?Etre même  dont elle commence à se distinguer pour le dire ; le savoir absolu à la fin de la Phénoménologie est l?Etre même qui se dit parce que cette réflexion qui apparaît dans la conscience comme dualité sujet-objet apparaît dans l?Etre même comme une réflexion interne, une réflexion de l?Etre en soi-même qui s?apparaît et se fait sens mais aussi se comprend en se faisant. Hegel peut dire " Le Vrai est donc le Tout ", mais le Tout présentant ses articulations c?est-à-dire les moments différents par lesquels il s?institue comme totalité. C?est en ce sens que l?Absolu est Sujet. Le Vrai est le sujet de son propre développement. A l?issue de son parcours, il se retrouve tel qu?en lui-même mais le devenir l?a changé.
 
Voila donc pour la lettre ! Comment échapper à Hegel c?est-à-dire à l?image de la pensée ? Qu?est-ce que le savoir absolu ? Prenons la figure du Christ (dépassement historique/transcendantal ?). La Phénoménologie de l?Esprit est le mouvement de la conscience. Le radicalement Autre (Dieu) est donc toujours en ma conscience : la conscience est intériorisation. La conscience est Jésus oublié : la conscience est mouvement car elle veut être esprit absolu c?est-à-dire l?esprit sans figures (donc Jésus oublié). Sans cela, pas de monde humain. Le monde humain n?est pas l?identité mais le mouvement c?est-à-dire la déperdition de la chair (le spirituel). Avec Jésus, la substance (le radicalement Autre) est devenu sujet (ce qui dit " je " ). Dans la figure du Christ, on a brisé le dieu sans fondement en le faisant passer dans la forme d?un homme. A cela s?ajoute la mise à mort (la véritable violence est celle qui consiste en ceci que la mort doit être infligée, sinon quelque chose de l?esprit fiche le camp : on est toujours barbare par spiritualisme). Il faut le mettre à mort, car c?est ainsi qu?on le spiritualise. Jésus est dans la douleur du négatif : il sent la chair sur le mont des Oliviers. Cela s?appelle l?angoisse ou l?agonie. Le dernier moment sera alors celui de la résurrection. On veut retrouver Dieu (sens de l?hostie). De toute chose on veut garder un petit bout. D?où la question essentielle : peut-on accepter de perdre sans garder un bout ? La perte qui ne consent pas à la perte totale est le fondement du psychisme. On en garde un bout. Mais aller au delà de la figure, c?est justement ne pas garder un bout. C?est ne pas attendre le retour de Jésus dans une église. C?est être Jésus. Donc, il faut tout oublier. C?est donc oublier toute représentation, tout fantasme, tout bout qui se donne à voir. Mais Problème : Peut-on lire la Logique de Hegel sans l?ouvrir ? Peut-on penser un au-delà de la représentation ? Peut-on oublier Jésus ? Peut-on vraiment l?oublier c?est-à-dire sans garder des gri-gri ? Si la Logique est l?au-delà de la figure, si c?est oublier Jésus (la figure des figures), on peut lâcher tous les petits bouts. Qu?est donc Jésus ? Le mouvement de la conscience qui ne se sait pas mouvement de la conscience.
 
Pour comprendre tout cela il faut concevoir le lien entre le désir et l?image. Quand nous désirons, nous désirons d?abord une image. En cela désirer, c?est toujours désirer le morceau qui manque. Telle est la méditation de Platon dans Le Banquet. Dans un beau corps, qui est l?image de la Beauté, j?éprouve le manque de tous les beaux corps. Dans l?amour de tous les beaux corps, j?éprouve le manque des belles occupations et ainsi de suite pour les belles sciences jusqu?à la science qui n?est science " que d?elle-même " (cf. 211 c) à savoir la science du Beau. C?est pourquoi la connaissance n?est possible que lorsque sont surmontés tous les manques et toutes les images dans lesquelles nous vivons la connaissance sous la tonalité de l?absence. La connaissance est donc le règne du sans-image, non pas de l?absence pure et simple de toutes les images mais leur dépassement : il s?agit " d?enfanter non des idoles de la vertu, puisque ce n?est pas une image qu?il a atteinte, mais la vertu véritable, parce que c?est le vrai qu?il a atteint " (cf. 212 a). Il s?agit d?aimer les images pour aller au-delà d?elles. Le passage par des images est donc nécessaire pour dépasser les apparences. Ce qui soutient ce processus, c?est le désir. Celui-ci est la présence de l?image qui révèle en creux ce qu?elle n?est pas et ce que je veux connaître. Si nous connaissions, nous ne chercherions pas à connaître. Il faut donc le désir pour motiver la connaissance. Pour s?élever à la connaissance, il faut un parcours c?est-à-dire ici un parcours d?images que nous dépassons au fur et à mesure. L?imbrication des images passe précisément par le ressort du désir. Petit à petit, le processus de connaissance se délivre des images puisqu?il va vers des images de plus en plus générales (un beau corps puis des beaux corps puis des belles sciences...). Se diriger vers le sans-image signifie dépasser les images particulières de la vérité pour atteindre la vérité elle-même. Faut-il mettre à mort les images pour aller vers la vérité ? Oui ! Ainsi, face à la diversité des figures de Dieu, il s?agit pour Hegel de replacer celles-ci dans la totalité historique. L?histoire est la succession philosophique des figures de Dieu. Dieu prend différents visages, de l?animisme au polythéisme grec en passant par le polythéisme égyptien ; Dieu enfin se fait homme. Cette humanisation culmine dans le christianisme. C?est avec lui que bon nombre de philosophes entrent en discussion : le dieu parfait cartésien puis le dieu harmoniste et architecte leibnizien dans un processus qui culmine dans le dieu moral c?est-à-dire le dieu kantien. Hegel prend conscience de l'importance de la figure christique. Toutes les images du dieu des philosophes se lisent à travers le schème (Kant !) du Christ. Ainsi Hegel écrit-il à propos de ce dernier : " La mort du médiateur n?est pas seulement la mort de son aspect naturel ou de son être-en-soi particulier ; ne meurt pas seulement l?enveloppe déjà morte, soustraite à l?essence mais encore l?abstraction de l?essence divine. " (cf. Phénoménologie de l?esprit, II, 7, traduction Jean Hyppolite, éditions Aubier, p. 287)
 
Le fantasme est ce qui soutient le désir (la chose que je peux mettre à l?intérieur). Le savoir absolu montre que la logique du désir est d?aller vers le sans-image. En ce sens, la psychanalyse apparaît comme le dernier mot du désir. La psychanalyse est un mouvement qui laisse tomber les images. L?image, c?est garder le deuil, et inversement. Quand je tiens à l?image, je tiens à la perte, à moi endeuillé. La fin du désir est donc le lâcher d?image, de la dernière image. Il y a un au-delà qui est la pulsion de mort. Je veux dépenser le moins possible. C?est le désir. C?est le désir du rien, de n?être rien. C?est un désir contre la vie, contre l?Eros. Le désir veut Rien, veut le moins possible : au plus faible degré, et à peine possible (ne pas être). C'est pourquoi on a une traversée de toutes les images. Il y a une volonté de reproduire pour se débarrasser. La psychanalyse est une manifestation de ce que veut le désir. Le psychanalyste n?est pas un spécialiste de la sexualité. La psychanalyse n?est qu?une manifestation du mouvement de destruction de tout objet qu?est le désir.
 
Perdre l?image, c?est comme perdre sa mère ou faire de la philosophie ! Comment écrire le deuil de sa mère, de l?image de la mère morte : la pleurer, être neutre, être dans l?abandon. Il faut perdre la mère dans l?image. Il faut oublier pour vivre le deuil. Dans l?image, j?endure le tourment et dans le tourment, je la fais disparaître. Il faut tuer sa mère une fois et encore et encore et encore pour se libérer de l?image. Comment laisse filer l?image ? C?est la leçon de Hegel. Le désir est de ne pas rester dans le deuil. Existe-t-il dans le deuil ? On veut tout garder et on assiste alors à un travail de dissipation du désir. La fin du désir est la " rienalisation ". On a plus quand on a perdu et qu?on l?a voulu, que quand on a : comme Jésus qui ne voit pas sa mort comme événement. Il y a plus dans la perte que dans la possession. Cela va plus loin que Freud qui dit qu?on a quand on garde. Hegel montre que non.
 
Au final, je reformule la question : pas moyen de dépasser Hegel ? Peut-être avec Pierre Michel Klein dans Logique de la mort (éd. Verdier). Il essaye de penser une mort qui ne passe pas. Il essaye donc de " désérotiser " la mort. Il y a deux morts : L?aimé comme mort : alors, l?aimé est érotisé. On se souvient de son corps glorieux (de son corps sans corps : je me souviens de sa voix...). Là, c?est du spirituel. Pour qu?il y ait mort sans phrase, il faut bloquer le souvenir. Si je ne veux pas du spirituel, si je veux un rapport à la mort (et non du désir de sa mort), donc à côté de l?autre, si je refuse que sa mort passe, alors je dois garder l?autre comme mort. L?érotisme dépasse la perception, je regarde une forme spirituelle (mon amour). Peut-on dire " mon amour " à un corps mort ? Klein tient un discours sérieux au-delà de la psychanalyse : c?est un discours du côté d?une mort qui ne passe pas, qui ne se sublime pas.

n°2506902
rahsaan
Posté le 18-04-2004 à 12:13:18  profilanswer
 

Merci pour cette longue réponse. Je la lirai bientôt.  ;)  
Cependant, à lire ton dernier paragraphe, je répéterais après Spinoza que la pensée est pensée de la vie, non de la mort.  
La composition des mouvements, non la rupture de la mort.
 

L'Antichrist a écrit :


Ainsi, le " simulacre " chez Deleuze ou fantasme, possibilité de répétition en tant que création, permet certes d?échapper à la représentation, rendant enfin la pensée à son fondement subversif. Mais il est toujours du côté de l?image ! L?éternel-retour (comme anti-représentation) n?est certes pas un retour du même : la pensée vraie est par nature révolutionnaire et donc agressive, intempestive. La pensée consacre le monde des singularités anonymes et il y a, en ce sens, une fulgurance de la pensée qui échappe à la pensée elle-même. C?est dire que la pensée a toujours un fond obscure et délirant et qui est sa propre puissance d?affirmation ! Mais tout cela relève encore du monde de l?image, du simulacre !


 
A ma connaissance, sujective et limitée  :D , Deleuze n'est jamais parti de la représentation, non plus qu'il n'a cherché à atteindre un quelconque au-delà de la représentation, non plus que la représentation comme une médiation du sensible vers l'intelligible. Son paradigme, ses valeurs de pensée, sont vraiment différentes.  
Or, Hegel ne conçoit pas que la différence puisse exister sans que l'on doive la rabattre sur une contradiction afin de la dépasser. Dogmatiquement, il refuse de laisser vivre le multiple. Il le tyrannise pour le refermer sur l'un. Il clôt les devenirs sur l'histoire unique de l'Esprit.  
 
Je dirais que, chez Deleuze, le concept d'image provient de l'image-mouvement développée par Bergson au début de Matière et Mémoire. Or, à lire Bergson, il m'a semblé que l'image, qui est moins qu'une chose en soi et plus qu'une représentation, est en réalité non un tableau à contempler, mais un mouvement.  
Loin que, dans l'image-mouvement, le mouvement découle de l'image, c'est au contraire le mouvement qui emporte l'image, et l'image qui n'est qu'une repercussion secondaire du mouvement que conduisent mes centres nerveux et que la mémoire restitue.  
Je connais mal le simulacre, mais il ne s'agit pas je pense de fantasme, ni d'un tableau en tant qu'image d'un être intelligible.  
L'affirmation n'est pas la représentation ; ce n'est pas la production d'images sur un fond aveugle et délirant. Le délire et le désir ne se représentent pas des objets, mais construisent le désir en composant des mouvements, en tissant des relations où se joue les processus du devenir.
 
Si cela a un sens d'opposer Deleuze à Hegel (mais ce sens ne serait-il pas hégélien...), je dirais que Deleuze part du multiple et y soustrait l'un, tandis que Hegel fait se mouvoir le multiple sur fond d'un auquel il le ramène au bout du compte : c'était toujours l'identique du concept à l'oeuvre derrière et par-delà les bribes de la totalité, nous dit Hegel -mais pour Deleuze, le concept embrasse et développe le multiple pour lui-même, sans fantasme d'une origine à dévoiler.  
L'herbe pousse par le milieu.


Message édité par rahsaan le 18-04-2004 à 12:19:48
n°2513730
l'Antichri​st
Posté le 19-04-2004 à 12:56:50  profilanswer
 

Bien sûr je ne cherche pas à créer une vaine polémique sur l?interprétation de la pensée de Deleuze ! Je ne l?ai cité que pour signaler les limites de sa critique de l?image de la pensée au regard de la philosophie hégélienne (j'y reviendrai à la fin). Maintenant, concernant les différents points de désaccords, je ne peux que renvoyer aux passages incriminés dans l?oeuvre de Deleuze : pour comprendre comment chez Deleuze la problématique de la représentation, qui d?après lui structure toute l?histoire de la philosophie, de Platon à Kant, aliène la pensée dans l?image, lire ou relire en priorité les annexes de La Logique du sens, et notamment " Platon et les simulacres " (cf. p. 292, éd. de minuit, coll. " critique " ), mais aussi les p. 86-89 de Nietzsche et la philosophie. Pour le simulacre (point de départ de la philosophie deleuzienne. Comment peut-on ne pas bien maîtriser cet aspect si l?on s?intéresse à la pensée de Deleuze !!!) comme fantasme, relire dans la Logique du sens la « 31e série, de la pensée », p. 256-257 (Ibidem). Relire aussi les textes de Deleuze sur la littérature toujours dans les annexes de la Logique du sens et notamment celui intitulé " Closowsky et les corps-langages " (Ibidem, p. 342-344) :  
 
Avant de revenir sur les points en question, je pense qu?il ne sera pas inutile de rappeler les grands enjeux du projet deleuzien !!! En étayant sa thèse sur Nietzsche, Deleuze se situe dans une tâche de " philosophie de l?avenir " qui passe pour un renversement du platonisme c?est-à-dire du monde de la représentation (distinction entre essence et apparence). La question nietzschéenne qui interroge la philosophie est : " par quelle motivation telle philosophie est-elle animée ? Qui - ou qu?est-ce qui - se cache derrière ? Que veut celui qui construit - en l?occurrence - le monde de la distinction des apparences et des essences ? " Selon Deleuze-Nietzsche, ce " qui " renvoie à Dionysos, ou plus précisément à la volonté de puissance (cf. Nietzsche et la philosophie, p.86-89 : se demander " qui ? ", c?est poser la question tragique : " qui " est Dionysos ; il est vouloir, il est celui-qui ; il est volonté de puissance). Deleuze voit donc surgir Dionysos chez Platon, où il y a une volonté de puissance (de pouvoir), de sélectionner, de trier et de faire la différence et, en quelque sorte, de nier la différence. C?est une volonté de trier : Platon instaure le modèle du monde des Idées et, par l'introduction du temps et de la matière, oppose a ce monde intelligible le monde sensible (qui n'est pas autonome ; c'est le monde des apparences, et qui n'a de consistance que dans son rapport au monde intelligible). La distinction se pose entre chose et copie, entre original et dérivé... Ainsi les dialogues de Platon développent une dialectique des rivaux ; chaque locuteur revendique la vérité. Le problème que se pose alors Platon est celui du tri : quels sont les vrais et les faux prétendants ? Par exemple, le Phèdre et le Politique développent cette dialectique, en recherchant qui porte le véritable amour ou la véritable politique. Il s'agit de traquer le simulacre, la différence entre les copies de l'essence, afin de choisir la meilleure copie. C?est, selon Deleuze, la dialectique la plus profonde du platonisme. Il y a les bonnes différences, et les mauvaises (qui ne se subsument pas sous le modèle) qui doivent être exclues. Le modèle de la pensée de Platon va être celui du tribunal. Pour juger du bon prétendant, il faut effectuer une remontée aux principes (ce que Deleuze appelle l' " ironie " ). Cette ironie socratique est la mise en place d'un fondement : l'ironiste veut un fondement pour faire la différence entre les rivaux. Dans le Phèdre, le mythe-fondement qui permet de juger et donne son critère à la sélection est celui de la procession des âmes. La fausse prétention enveloppe elle-même l'illusion : les êtres humains sont hiérarchisés en fonction de ce modèle-fondement. On a ainsi un jeu à trois termes :
 
Fondement, qui ne participe pas.         →          La Justice.
                                ↓                                        ↓
Le participé, qui ne prétend pas
et qui a quelque chose du fondement.     →      La qualité de juste
                       ↓                                                        ↓
Le prétendant, qui veut s?emparer de
l?objet de sa prétention, mais qui doit     →     Prétendant d?être juste être sélectionné par le fondement (ou
en référence à lui).
 
Le problème principal est la différence dans les apparences entre les bonnes et les mauvaises images. Deleuze pointe alors dans certains dialogues (comme par exemple le Sophiste) la traque du faux prétendant, pour définir, en le traquant, l'être ou plutôt le non-être du simulacre. Le sophiste est l'être du simulacre - paradoxe, puisque le simulacre n'a pour être que le non-être. A la fin du Sophiste, le simulacre subvertit la problématique de la représentation : à force de traquer le simulacre pour l'exclure, on découvre en lui ce qui subvertit toute la problématique ; la traque brouille la distinction essentielle à partir de quoi elle s?organise. La distinction entre Socrate et le sophiste est alors impossible.
 
De même, l?on trouve dans l?annexe de la Logique du sens intitulé " Closowsky et les corps-langages " une critique similaire de la problématique de la représentation chez Kant. Selon que l?usage du concept est légitime ou illégitime (utilisé dans SON domaine ou non) il y a participation ou non participation au modèle. La ressemblance avec le modèle est interne, par degrés, et spirituelle. Le rapport est donc intrinsèque. Le simulacre (partie de l?être qui est non-être, non-participante) relève d?une autre ressemblance (non-interne et non-spirituelle), extrinsèque et qui échappe à l?impérialisme du modèle ou du fondement. Or, c?est là qu?apparaissent véritablement pour Deleuze la différence (qui n?a pas de modèle) et la répétition (non de l?identique mais de la pure nouveauté).
 
C?est donc à partir du simulacre que Deleuze va construire sa philosophie de la différence et de la répétition, qui se pose en critique de l?identité.
     
Monde de la création       /       Monde de la représentation
        Dionysos               /                      Dieu
 
Une copie-icône respecte la même identité que le modèle ; le simulacre est une copie dont la ressemblance est externe (et non spirituelle) et échappe au principe de la représentation. C?est pourquoi, comme dit dans mon post précédent (de façon beaucoup plus directe) la critique de la représentation est la critique, finalement, de l?identité elle-même (qui fonde la représentation DU modèle). En définitive, c?est une critique du monde comme unité (Hegel en point de mire). Toute la problématique de la représentation est une volonté de traquer le simulacre. Le combat est celui de la philosophie-représentation, cadenassée par le principe d?identité, et de la philosophie-création (ou répétition). Deleuze fait surgir une problématique anti-participation.
 
Toute pensée d?entendement, tout jugement fonctionne comme une machine de sélection. Le simulacre va donc porter sur le détournement essentiel (la perversion est en effet une manière de détourner une action de son but). Le simulacre (partie de l'être qui est non-être, non-participante au modèle) est cette copie qui voudrait se faire passer pour la bonne copie alors qu?elle ne l?est pas puisqu?elle s?enracine dans un monde qui n?en est plus un (le chaos sous la rationalité de l?âme humaine). Or, la représentation veut faire triompher l?image-idole, la pensée-toujours-déjà-pensée (Platon, le christianisme) sur le simulacre qui devient alors un fantasme c?est-à-dire la possibilité d?une vraie pensée créatrice et subversive. Autrement dit, le simulacre est fantasme car il doit se cacher même s?il agit toujours avec violence. Les différences et les répétitions apparaissent toujours de manière subversive, en deçà ou au-delà de la problématique de la représentation, contre la volonté de faire triompher les bonnes images sur le simulacre. Par exemple, l'homme est image de Dieu, copie conforme dans sa détermination ; le péché, usage illégitime de la liberté (Kant), est la partie de l'homme qui n'appartient qu'à lui ; et par le péché, l'homme devient simulacre de l'image de Dieu, en niant et en se séparant du modèle. C?est pourquoi, le christianisme vise l?homme dans sa dimension de simulacre en cherchant, par la répression à la fois théorique et politique à le faire entrer de nouveau dans la représentation. L?homme, par le pêché, garde l?image mais perd la ressemblance spirituelle.
 
En ce sens, la problématique de la représentation chez Deleuze est une problématique du pouvoir ! A travers sa thématique diabolique et satanique, le christianisme affirme que le simulacre est trompeur. Mais dire que le simulacre est trompeur c?est penser moralement et donc être dans le cadre d?une pensée identitaire (celle du modèle que rejette Deleuze). Or, le " trompeur " est du côté de la vie !!! Il s?affirme positivement mettant sans cesse en péril l?appareil de la représentation (oui " l'affirmation n'est pas la représentation ", déjà dit dans mon post précédent !). Il faut être fou sans sombrer dans la folie ! Face à la vampirisation de la puissance de vie de la pensée créative (ce que tu appelles le " multiple " ) par le modèle de la représentation identitaire (ce que tu appelles " l?un " ) s?affirme un anti-modèle qui est le modèle de l?autre (et n?est, à partir de là, modèle de rien) et qui, surtout, emporte en lui la différence que la pensée d?entendement (de Platon à Kant) combat. Il faut alors comprendre le simulacre chez Deleuze comme un devenir subversif des profondeurs, ce qui est littéralement une sorte de folie aux yeux du principe d?identité. C'est comme si le réel et son mouvement étaient en permanence en excès de nos pensées-images. La puissance est en excès. L?à-venir est démoniaque c?est-à-dire qu?il éclate toute pensée claire et distincte (d?où la critique du cogito cartésien !). Je le répète encore, pour Deleuze, la pensée a bien un fond obscur et délirant qui est sa propre puissance d?affirmation. Penser n'est pas juger (subsumer le réel sous des notions), penser n'est pas avoir des idées. Tu as raison de dire que Deleuze " part du multiple " : dans Différence et répétition, l'univers de la répétition n'est autre que celui des singularités. Il y a une universalité des singularités chez Deleuze là où il y a une pluralité des identités (???) chez Hegel. Nous retrouvons alors l'opposition à Hegel que tu présentes très classiquement mais qui n'a pas du tout " un sens hégélien " : pour s'en convaincre, relire l?avant-propos de Différence et répétition ! Chez Deleuze, la différence et la répétition vont prendre la place de l'identité et de la contradiction. Autrement dit, Deleuze refuse le mouvement hégélien par la négation. Il défend une " dialectique " se mouvant par la seule affirmation productive, c'est-à-dire par le mouvement du réel.
 
Or, ce qui me semble justement fondamental dans la pensée de Hegel, c'est qu'il renvoie dos-à-dos le dogmatique, qui isole et réifie les déterminations (ce qui se contredit n?est rien, donc la contradiction ne se laisse pas penser) et le sceptique, qui pétrifie la négation, en fait une négation abstraite, capable seulement d?attendre que se succèdent devant elle, d?une manière strictement contingente, les contenus de pensée. Ainsi dire " Or, Hegel ne conçoit pas que la différence puisse exister sans que l'on doive la rabattre sur une contradiction afin de la dépasser " ou encore " Dogmatiquement, il refuse de laisser vivre le multiple... " est précisément le signe d?une pensée qui aspire au dogmatisme (ou pire qui ne voit pas en quoi elle est dogmatique !) : aucune pensée philosophique non dogmatique ne peut faire l?impasse sur la prise en considération de la négation (ce que tu appelles la " contradiction " ). D?ailleurs, en prétendant enfermer la vérité de l?Être dans des assertions unilatérales (" l?Être est matière ", ou au contraire " l?Être est esprit ", etc...) qui recèlent les apories traditionnelles de la métaphysique, le dogmatique révèle pour le moins et à son insu combien ses affirmations supposent l?exclusion des points de vue non retenus et ainsi reposent, de fait, sur la négation. L?ignorance de la négation participe d?une véritable idéologie du langage, qui consiste à tenir fermement séparées les déterminations de pensée, sans voir que cette fixité signe l?arrêt de mort de la philosophie, étouffée sous les décombres des énoncés dont elle a elle-même forgé le caractère fini, c?est-à-dire contradictoire et aporétique. La dialectique est " négation de la négation " c?est-à-dire la négation se prenant elle-même comme objet, " la négativité se rapportant à elle-même " afin de s?arracher aussi bien à la positivité immédiate et, partant, aporétique, du dogmatisme, qu?à la négation abstraite du scepticisme ; par où l?authentique positivité du savoir, " l?affirmation infinie ", qui n?est telle que dans la mesure où elle est médiatisée par le travail du négatif, peut être enfin mise au jour.
 
On peut certes montrer, comme tu le fais, que la dialectique est un mouvement qui finit par se retourner contre lui-même, cesse d?être une dialectique en se rabattant, contre sa propre logique, sur l?identité. Il y aurait chez Hegel une identité de l?identité (l?immédiateté, ce qui relève de l'image) et de la différence (l'épreuve du négatif c'est-à-dire de la mort) qui signerait la rupture inavouée avec la logique dialectique. Car si le mouvement dialectique arrache les catégories logiques à la fixité de leur identité à soi, c'est alors la position de toute identité qui devient impossible ! Comme tu le dis, Hegel finirait par rabattre les différences sur l'unité absolue de l'Esprit (dans la Phénoménologie de l'Esprit, le savoir absolu, résorbant l?opposition du sujet et de l?objet, prononcerait le couronnement de la théorie de la connaissance, telle que l?inaugura le cogito cartésien) ou du Concept (dans la Science de la logique, l?incessante mobilité des catégories s'acheverait dans la coïncidence enfin localisée, au travers d?un concept " transparent ", du mot et de la chose, de l?exprimé et de l?énoncé). Retour hégélien au vieux rêve du dogmatisme ? Négation idolâtrée ? Position du sens comme totalité rationnelle, immanente à ses " moments " contradictoires ? N'y aurait-il pas chez Hegel un coup de force méthodologique, anti-dialectique, par lequel l'issue réconciliatrice du mouvement dialectique serait visé comme un tout, où identité et positivité coïncideraient enfin, incluant en elles l?ensemble du " non-identique " ?
 
N'y a t-il pas, au contraire, un Hegel pluriel ? Est-il encore légitime de proposer une lecture univoque de Hegel ? On continue à affirmer (cf. J. Derrida, Le Puits et la pyramide. Introduction à la sémiologie de Hegel (1968), repris dans Marges de la philosophie, Paris, Minuit, 1972, p. 81) que chez Hegel, la vérité doit s'entendre comme unité de la pensée et de l?être dans la pensée. Or, le Savoir hégélien peut ne pas se comprendre comme articulation du signe et du référent selon l?ordre de la représentation de l?objet dans le sujet, ce qui permet de montrer  que Hegel cherchait sans doute moins à porter une telle organisation du sens à son apogée et ainsi à rassembler en lui l?histoire de la métaphysique, qu?à rompre avec une telle histoire. Loin de constituer une théorie absolue de la connaissance, le Savoir absolu formulerait incessamment la critique des formes catégoriales investies dans toute théorie de la connaissance. C'est, par exemple, la thèse que défend Gérard Lebrun dans La Patience du Concept. Essai sur le Discours hégélien (cf. Gallimard, " Bibliothèque de philosophie ", 1972). le Savoir hégélien viserait moins à circonscrire le pays de la " Vérité ", qu?à abolir un tel concept de la vérité ; l?" absolu " ne déterminerait pas la plus dogmatique des ontologies (ou des théo-téléo-logies) mais, libéré du souci de parler sur l?" Être " (ou sur " Dieu " ou sur le " monde ", etc...), serait au contraire " la première philosophie à se contenter d?explorer le fonctionnement de son langage et à ne jamais utiliser ce langage. " (cf. Ibidem, p.410) Ce qui est en jeu ici, c?est le sens du concept d?identité : s?agit-il encore de l?identité des classiques, donc de la représentation menée à son comble, ou assiste-t-on, chez Hegel, à l?élaboration d?une identité comprise " en un sens inédit " ? (cf. Ibidem, p. 290) Or Deleuze, dans la conclusion de Différence et répétition, défend la thèse inverse : " Tant que la différence est soumise aux exigences de la représentation, elle n'est pas pensée en elle-même, et ne peut pas l'être... La contradiction hégélienne a l'air de pousser la différence jusqu'au bout ; mais ce chemin, c'est chemin sans issue qui la ramène à l'identité, et qui rend l'identité suffisante pour la faire être et être pensée. C'est seulement par rapport à l'identique, en fonction de l'identique, que la contradiction est la plus grande différence. Les ivresses et les étourdissements sont feints ; l'obscur est déjà éclairci dès le début " (cf. PUF, p. 337-338). Face à ces lignes, le problème serait de savoir ce qu'est cette " identité " qui est chargée d'acclimater la plus grande différences ? s'agit-il bien encore de l'identité des classiques ? Revoir alors mon post précédent !


Message édité par l'Antichrist le 19-04-2004 à 13:30:44
n°2515903
rahsaan
Posté le 19-04-2004 à 17:14:39  profilanswer
 

>L'Antichrist : hé bien, j'ai fini par tout lire.  [:r2 d2]  
Merci pour ton exposé du simulacre chez Deleuze. J'ignore si c'est son projet principal (je doute qu'il y ait vraiment un point de départ chez Deleuze), mais c'est un concept que je connaissais mal chez lui -même s'il vient s'enclencher heureusement dans la chaîne de ce que j'ai saisi de sa pensée. Je connais mieux les ouvrages "L'Anti-Oedipe" et "Mille Plateaux", qui élaborent un nouveau langage, comme annoncé au début de "Différence et Répétition", nouveau langage qui n'est plus du tout celui de la métaphysique classique, même subverti par le concept de différence.  
 
Pour ce que tu dis de Henry à propos du dépassement de Hegel... sincérement je n'y crois pas trop. Je sais bien que c'est le fantasme secret de tout hégélien de vouloir dépasser Hegel... mais c'est un fantasme non moins puissant de tout hégélien que de se savoir par avance impuissant à réussir, et à se sentir récupéré par la pensée du maître.  
Hegel, vainqueur par KO en bout de course, et tout le match n'aura été que la révélation de cette victoire acquise en fait dès le début. Voilà l'histoire qu'ils se racontent, qu'ils nous racontent, tous ces commentateurs de Hegel qui peinent à trouver leur singularité au sein de ce système. Et l'élève de se réjouir d'avoir démontré, du fond de sa subjectivité, à quel point Hegel est invincible, indépassable, triomphant du haut de son panthéon conceptuel.  [:maestro]  
 
Plus sérieusement, je ne vois pas trop à quoi rime cette dialectique de la mort et d'Eros. J'ai l'impression qu'il s'agit d'un sous-freudisme archaïque, où les mots de Mort, Manque, Désir, Privation et Oedipe jouent un étrange ballet mortuaire... J'estime que l'Anti-Oedipe a carbonisé au lance-flamme ce genre de pensée de cimetière, et je ne m'y attarde plus...  [:yajing] Mais peut-être suis-je très injuste pour la dialectique de Henry.  :ange:  
 
Par ailleurs, j'ai beaucoup de sympathie pour le livre La patience du concept de gérard Lebrun (je ne l'ai pas lu en entier il est vrai), qui présente une version très originale de Hegel, non-dogmatique et très convaincante.  :) Un bon antidote à l'hégélianisme droit dans ses bottes.  ;)  
 
Ca me rappelle cette assertion selon laquelle, si Hegel dépasse toute subjectivité et totalise ce qui fut pensé jusqu'à lui, alors il n'y a pas de philosophie hégélienne, car elle n'est que la description objective du réel-devenu, et non une position particulière.  
Mais je ne goûte que jusqu'à un certain point ce paradoxe. Car vient un moment où la différence, la vie charnelle, singulière, affirmative doit finir par trancher sur l'individu impersonnel dont les déterminations s'incluent dans l'harmonie du tout réconcilié... sans quoi c'est l'abîme de la folie qui nous menace. A force de tourner en rond dans le système de Hegel, de la psychanalyse ou de qui que ce soit d'autre, comment ne pas devenir fou, comme un personnage de Kafka dans une bureaucratie vidée d'âme !  
Je pense à cette assertion de Deleuze, selon laquelle il s'est intéressé à des philosophes qui avaient l'air d'appartenir à l'histoire de la philosophie (Spinoza, Lucrèce, Nietzsche, Deleuze), mais s'en échappait en réalité de toutes parts. Le mouvement des devenirs, et plus la contradiction de l'Histoire.  
 
Tu penses que, critiquant la notion de contradiction, je reste dogmatique, car je refuse d'affronter la négation. Mais c'est très amusant, car tel n'est pas du tout ce que je pense. Loin de nier la "négation", je dis justement, à la suite de Deleuze et comme tu l'expliques toi-même dans l'exposé que tu en fais, que Hegel ne propose qu'une fausse négation, une fausse contradiction, un faux mouvement de pensée. Et ce qui est faux dans cette doctrine de la dialectique, c'est qu'elle ne saisit qu'une pellicule morte et superficielle de la durée (au sens bergsonien).  
Il lui manque la précision qui lui permettrait de ne parler que du réel, et pas d'un monde abstrait, qui pourrait bien être ce monde-ci comme bien d'autres mondes possibles.
La négation est une fausse différence. Je reprends la citation que tu fais de Deleuze (Différence et Répétition) :
"La contradiction hégélienne a l'air de pousser la différence jusqu'au bout ; mais ce chemin, c'est chemin sans issue qui la ramène à l'identité, et qui rend l'identité suffisante pour la faire être et être pensée. C'est seulement par rapport à l'identique, en fonction de l'identique, que la contradiction est la plus grande différence. Les ivresses et les étourdissements sont feints ; l'obscur est déjà éclairci dès le début "
 
C'est bien ce que je disais quand j'affirmais que Hegel rabat la différence, qui est le mouvement réel de la pensée, sur la contradiction, qui est un faux mouvement, car il fait mine de se mouvoir dans le différentiel alors qu'il n'a de cesse de nier la différence pour retrouver le stable et l'identique.  
Je pensais également à Bergson, dans la préface de Matière et Mémoire :
"Les habitudes contractées dans l'action, remontant dans la sphère de la spéculation, y créent des problèmes factices, et que la métaphysique doit commencer par dissiper ces obscurités artificielles."
 
C'est pourquoi je ne crois pas qu'on puisse faire disparaître Hegel derrière sa phénoménologie, l'homme derrière l'édifice impersonnel du système. Il y a bien une philosophie hégélienne, comme il y a une philosophie kantienne ou heideggerienne (et ceci malgré le désir répété de ses hauteurs de se faire passer pour de simples instances intellectuelles -ou pour faire passer cette instance comme la partie la plus haute de leur être...)
 
Dernier point que je veux aborder : je me demande qui a inventé l'idée d'une "histoire de la philosophie". J'imagine que c'est justement Hegel et à sa suite Heidegger, qui se sont imaginés qu'il y avait objectivement un moment platonicien de l'esprit, puis un moment cartésien, à la suite duquel vint enfin Kant pour dépasser empirisme et dogmatique... avant que Hegel ou Heidegger ne déboule sur scène pour nous raconter toute la pièce... Une bonne preuve que ces auteurs continuent à se mouvoir dans des versions, plus ou moins aménagées, de la représentation, c'est qu'ils ne cessent de parler d'un théâtre où Platon, Descartes, Kant et d'autres représentent les actes, et eux le point final, où tout le monde se met d'accord...  
 
Je ne crois pas trop que la philosophie se meuve dans un champ clos de questions éternelles que les hommes affrontent et ont affronté de tout temps. Belles entités, vides de sens... A mon sens, la philosophie n'a pas pour but de répondre à des questions toutes faites, mais de susciter de nouveaux problèmes tout en éliminant les faux. En quoi j'admets parfaitement la richesse de Hegel, de Kant et des autres (prosaïquement, je m'en sers volontiers dans mes commentaires), sans croire à un quelconque édifice architectonique toujours à faire. D'accord avec Nietzsche, je me permets de suggérer modestement qu'il n'y a pas du tout de besoins naturels en l'homme de spéculer sur les questions "d'où viens-je ? où vais-je ? dans quel état j'erre ?", ni sur leur équivalents kantiens... ce qui ne donne que plus de valeurs aux philosophes qui parviennent à formuler des questions dont la portée est effectivement universelle.
 
C'est pourquoi la philosophie, si elle doit être une orientation dans la pensée, n'est pas une inclusion dans le Tout, mais le détachement vis-à-vis de toute pensée, la capacité à se nourrir de tous les philosophes sans être prisonnier d'aucun... comme tu le fais si bien, puisque tu nous parles le même jour de la réconciliation hégélienne et de la pensée du conflit et du tragique de Nietzsche.  ;)


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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°2529220
l'Antichri​st
Posté le 21-04-2004 à 10:16:58  profilanswer
 

Décidément, ton discours anti-hégélien me paraît vraiment trop " classique " ! Je suis bien d?accord pour dire que l?idée de totalisation contredit la logique dialectique du penser (comme ouverture au dehors de toute pensée). Mais il me paraît très réducteur de lire Hegel d?une manière unilatérale et de décider autoritairement que son choix s?est porté sur la première voie ! Il s?agit là, ni plus ni moins, d?une des lectures possibles du texte hégélien qui, je le reconnais, recèle en lui cette " tentation ". Mais n?oublions jamais que Hegel est aussi le premier philosophe à avoir forgé les instruments conceptuels susceptibles de définir une véritable dialectique. Hegel a bel et bien fait travailler les catégories, sa dialectique les a fait littéralement " sortir de leurs gonds " : à nous maintenant de faire travailler le Discours hégélien ! Et si l?on doit encore dire de Hegel qu?il a achevé la métaphysique (en ce sens, tu as malheureusement raison de désigner Heidegger comme une référence majeure, lorsqu?il s?agit de lire un Hegel censé accomplir majestueusement la " Métaphysique " ), c?est en prenant garde à ne pas trahir la polysémie de l?expression - accomplissement et mise à mort. Je le répète, il est possible de faire la critique " classique " de la dialectique pensée comme vecteur de la positivité absolue, du rétablissement, par-delà la contradiction, de l?identité subjective du sujet et de l?objet. Beaucoup l?on signalé, le texte hégélien est ambigu mais cette ambiguïté est inhérente à la pensée hégélienne car une pensée qui s?est attachée, par la dialectique, à mettre au jour le caractère limité et fatalement dogmatique de toute détermination fixe, unilatérale, du vrai, refuse pour elle-même d?être enfermée dans une compréhension univoque. Au-delà de la critique classique de Hegel (philosophe de la totalité, de la positivité absolue, etc...) il s?agit donc d?abord de reconnaître chez lui un travail philosophique sur le discours philosophique en forme de rupture qui, certes, n?est jamais consommée. Ainsi, lorsqu?on n?hésite pas à accuser Hegel d?avoir " fait " l?histoire de la philosophie et de lui attribuer telle ou telle thèse philosophique (" monisme ", " dualisme ", etc...) cela suppose que l?on sache ce qu?est une thèse philosophique alors même que Hegel nous invite à nous poser cette question. N?est-ce pas cela la philosophie ? Déslors, est-ce encore tenir un discours philosophique sur un auteur que de procéder à une lecture qui ne fait pas question ? Hegel est-il le plus dogmatique des métaphysiciens ou, au contraire, le premier philosophe à balayer, par la puissance de sa langue, les repères traditionnels de la métaphysique ? L?enjeu d?une relecture de Hegel est de le comprendre afin d?élaborer " une pensée du dehors " (cet extérieur qui n?est tel qu?en tant qu?indissociablement il hante l?intérieur, le coeur de la pensée et du langage), en retrouvant l?écart, la discordance, la dissonance, bref la différence irréductible du réel (accueillir " la douleur du monde élevée au concept " !). Comment montrer que chez Hegel le " non-identique ", qui travaille de l?intérieur la pensée (et donc les concepts fondamentaux de l?histoire de la philosophie) ne vaut nullement comme fondement nouveau (comme modèle) pour la pensée ? La différence n?est-elle pas au contraire cette dynamique qui permet de définir un penser sans lieu ? Mais que la pensée ne se reconnaisse plus aucun " chez soi " ne signifie nullement que la philosophie puisse devenir un simple jeu de langage se condamnant à se clore silencieusement sur elle-même dans une espèce de délire schizophrénique ! La philosophie et son dispositif conceptuel doit penser le seul lieu qu?elle a à penser : le dehors, délivré de toutes les représentations qui ordonnent toujours déjà la négativité à un ensemble d?images où le sens retrouve toujours sa mise, où " l?obscur est déjà éclairci dès le début " (Deleuze). Comment, sans abandonner les concepts, les configurer autrement ? Il s?agit d?arracher le langage à sa fonction strictement cognitive que lui assigna l?idéal traditionnel de la théorie de la connaissance : il s?agit, non plus de se soumettre l?objet, au sein du sujet représentant, mais bien de faire jouer l?hétérogénéité au sein même de la langue, d?" ausculter " des tensions et des déséquilibres, par lesquels, de l?intérieur de l?objet lui-même, ce que l?idéologie instrumentale du langage avait amputé par le concept, puisse enfin " passer ", surgir " à fleur de mot " pour ainsi dire. Identité dans le mot du mot et de la chose chez Hegel ou simple " affinité " asymptotique de l?identité, approche jamais achevée de la chose comme dans l?expression artistique ? Comment faire pour que la vérité du jugement s?efface devant l?énigmatique teneur de vérité ? Il faut que le travail de la syntaxe puisse créer, dans les interstices du langage, dans ses écarts, un autre langage ! Bref, peut-on être porteur d?une vérité sans le savoir ? Quittons donc ce langage programmatique d?un Hegel " nouveau " pour nous livrer à cette auto-réflexion critique du penser dans laquelle s?engage un rapport différent à l?objet.
 
Porter une vérité sans le savoir : Quelle figure à traverser pour visualiser cela ? On peut penser à l?esclave tatoué de Lacan. Cet esclave illettré s?endort et est tatoué sur le front pendant son sommeil. Il ignore qu?il est tatoué et il est envoyé chez un roi qui prend connaissance du message sur son front. L?esclave est un messager : il portait une vérité sans le savoir. Vérité hautement importante puisqu?il est mis à mort dès que le roi a pris connaissance de cette vérité. Nous voyons ici la figure qui domine le conte : le personnage se reconnaît à un détail physique qui fait par exemple que le fils de pauvre est fils d?aristocrate (un grain de beauté par exemple). La réunion des détails physiques crée un monde. Nous avons ici le caractère symbolique du message. Symbolique parce que le message décale la logique : ici, 1 et 1 ne vaut pas 2. Ici, 1 vaut 0. Ce qui fait le 2, c?est le " plus ". Autrement dit, le " plus " est la réunion. Pour qu?il y ait vérité, il faut la réunion de deux choses indifférentes. Ce qui porte la différence, c?est la réunion.
 
Autrement dit, la réunion est dans le processus. Pour qu?il y ait de la vérité, il faut un processus où deux choses qui ne sont rien sont de l?être. Le problème de la réunion a été mis en lumière par Balint dans Le médecin, le malade et la maladie. La vérité ne peut naître que dans la réunion de mots qui sont faux : " La maladie n?est pas le travail du médecin, c?est celui du psychologue ". Ce préjugé est corollaire d?un autre : " Je ne sais pas, mais quelqu?un sait ". Balint montre que si des examens disent qu?un patient n?a rien, il ne faut pas oublier qu?il y a quelque chose : la plainte. Ainsi, les médecins sont comme des élèves qui sont des haut-parleurs des maîtres qu?ils ont eus. Un mal de dos se réduit à une somme de symptômes. Cependant, il faut abjurer cette vérité tatouée au fond de leur cervelle : le spécialiste sait. Il faut faire le deuil de cette idée : le médecin doit se tenir volontairement dans le non-savoir. Il faut faire le choix d?exercer un métier où j?en sais un minimum. Je voulais bien être dans l?ignorance mais à la condition que mon métier sache. Je dois m?interdire deux discours : " mon collègue sait " et " Mon malade n?a rien ".
 
Pourquoi s?interdire le second discours ? Parce qu?il y a la plainte. La plainte existe. Je découvre cela négativement, à force d?aveugler cette béance d?où me revient la plainte sans objet. Une béance surgit : je suis un médecin inutile qui ne dit que " Oui, j?entends que vous avez mal ". Le travail du médecin est de transformer la plainte en parole. Le savoir médical consiste à ne pas entendre un fait mais sa parole. Ainsi la médecine est-elle l?espace du regard (comme le montre Foucault dans Naissance de la clinique). Le " oui " comble la plainte de l?autre. Le niveau de la vérité ne peut pas être détaché du niveau de l?autre. La plainte en appelle à la vérité. Ainsi la vérité est-elle un moment de pure élision : on ne saisit aucun passé et aucun avenir. Le symbole est le moment où la reconnaissance est là. La vérité est celle du sym-bole, du tesson, du bord à bord. C?est le bord à bord pour ne plus faire bord. Il faut ouvrir de nouveau ce qui veut se fermer. Si nous pensons que la philosophie c?est ce que nous savons, alors nous ne pouvons arriver à la vérité du tesson. Peut-on penser une vérité sans le savoir ? Si l?on sait, alors on n?a pas d?accès à la vérité. Voici le problème : comment traiter une plainte sans objet ? Si je fais appel à l?enfance, au travail, je retombe dans l?hypostase. On retombe dans la vérité de fait, dans le positif. On tombe dans le psychisme qui somatise. Il faut comprendre que la plainte sans objet est véritablement sans objet : personne ne saura jamais. La plainte permet donc une bonne réunion. Rien de la réalité ne se capture. Approfondissons notre figure : l?esclave de Lacan est mis à mort. D?où l?idée que la vérité est liée à la mortification. L?autre est toujours l?occasion du surgissement de la vérité que je ne pouvais supporter seul. Alors la mort surgit. Soit je reste identifié à mon savoir et le discours du patient est mis à mort. Si je m?embarque avec le patient, je mets à mort mon savoir. Dans la seconde option, je me tiens dans l?impossible (je ne sais pas quoi faire). Dans la relation de parole, je mets à mort celui qui sait. S?embarquer vers la vérité, c?est faire que quelque chose meurt. Si je ne veux rien savoir de la vérité, cette dernière est sous un certain mode de la hantise. Si je ne veux pas élaborer ce possible, alors le médecin et le patient ont le sentiment de la hantise : ils ont un mécontentement. Ils ont un désir indéfini qui est comme un scrupule, comme quelque chose qui gêne (comme dans le rêve : le rêve me hante et il me faut un autre qui me permette de me l?approprier). L?autre m?est nécessaire pour que moi-même je m?approprie des choses qui sans cela ne seraient pas miennes. Ainsi, la mémoire hégélienne est la figure de ce qui revient et de ce qui nie. Quand le rêve me revient, j?appelle pour interpréter mon rêve. Pourquoi ? Pour me l?approprier. C?est ce que cherche Lacan en pensant l?autre : les choses nous apparaissent et nous arrivent chez l?autre. Je m?envoie quelque chose par un autre, mais je me l?envoie. De fait, je me l?approprie. L?autre est nécessaire pour que cela me revienne. Nécessaire car il faut un rêveur et un interprète. Il faut donc interroger un mode de présence qu?est la hantise. Nous pouvons penser au travail de Freud : quand on rêve, il ne se passe rien. Le rêve ne commence qu?au moment du récit (d?où le concept de l?" Autre " chez Lacan. L?inconscient comme discours est un discours de l?autre. On tait une image du rêve ; je prends comme référence un autre qui pourrait être choquée...).
 
Une " vérité sans le savoir ", c?est l?autre qui est mis en jeu d?une altérité qui est nécessaire. Le " je " du savoir doit mourir. C?est un autre qui doit naître et qui va naître au-delà. Comme dans le domaine de la médecine qui est un rapport qui met en jeu la santé et la vérité. Comme la philosophie et la médecine ont depuis toujours un colloque plus nourri qu?on ne le pense. L?enjeu est la question de la vérité (à quel autre faisait-on plaisir en disant " sang contaminé " et pas " SIDA " ?). Ne sommes-nous pas forcés d?analyser une nécessité logique dans le langage qui contraint à penser autrement la question de la vérité et du sens ?
 
Par exemple, la sociologie de Durkheim est-elle une vérité sans le savoir ? Il s?agit de traiter les faits sociaux comme des choses. Le droit est une réalité qui est une réalité de la conscience et non consciente. Nous commençons alors à lever quelque chose de l?énigme de l?être en société pour l?être humain. Je suis engagé dans une dynamique du changement social : la sociologie fait apparaître des choses qui ne sont que dans la conscience. Je propose alors une alternative à la relation aux choses avec conscience et aux choses sans conscience. Dans l?Essai sur la division sociale du travail, Durkheim met en lumière que c?est l?augmentation des relations d?interdépendance économique qui est liée à l?affaiblissement de la sphère du pénal. On punit de moins en moins car la société crée des liens : l?excès des lois pénales est superflu. On ne peut plus tenir le même discours sur l?économie. L?économie produit des conceptions juridiques, et pas seulement des biens et des services. Dans le phénomène de la sociologie, il y a le rythme de la mortification que nous trouvons dans notre figure de l?esclave tatoué. Quelqu?un qui commence à lire tous les droits de l?histoire voit dans la réunion un savoir qui n?était nulle part. Donc sa prise de position change sur le crime, les prisons, etc... Quelque chose en moi est mortifié : quand je me réapproprie les choses, celui qui les récupère n?est plus le même que celui qui les a lancés.
 
Comment comprendre cela ? Par la lecture. La lecture fonctionne sur le mode de l?intériorisation. En lisant Madame Bovary, je deviens elle, je deviens le livre. Mais comment décrire cet événement ? Ce qui est dehors est dedans, comme dans la perception. Contrairement à la perception cependant, je m?incorpore un discours. C?est fondamentalement le discours d?un autre. La lecture est une technique d?identification à l?autre. La lecture est la réunion du moi et de l?auteur. L?étranger au moi fait exploser le moi. C?est l?expérience de l?érotisme pour Bataille. L?érotisme ne laisse plus la possibilité de penser à partir du moi. La séduction n?a aucun passé. C?est la reprise de l?enseignement de Kierkegaard (Ou bien... ou bien) : le caractère essentiel de la séduction est qu?elle n?a ni passé ni réflexion. L?autre et moi : l?autre est moi. On pense l?autre comme moi. Donc, je ne le pense pas comme un autre. La sociologie montre qu?elle communique des choses qui ne se communique à personne. Durkheim communique l?énigme du droit, l?articulation du civil et du pénal. Le civil est le noeud des relations avec les autres ; le pénal est le noeud des relations à la loi. La loi dit ce qu?elle dit mais elle dit quelque chose d?énigmatique sur le monde humain. Comme la littérature : on lit l?histoire mais on lit autre chose. Cela donne un nouveau visage à la communication : Le langage ne se communique pas par les mots mais dans les mots. Les choses ont un sens (et non une signification !) où elles communiquent quelque chose qui est en travail. Comment lire Hamlet ou Oedipe-roi pour que quelque chose continue à s?y communiquer ?
 
Un autre sociologue, Simmel dans Psychologie de la coquetterie, peut répondre à cette question en montrant que la coquetterie est un art spécifiquement humain. Depuis qu?il y a des femmes, les femmes soignent l?être féminin. On ne peut pas être femme n?importe comment. Cela provoque toujours l?étonnement des hommes : on essaie de réduire cela à la violence (" Ce sont des putes ", " La femme, c?est l?immondice " dit Tertullien). Le violent face à la féminité est Alceste : il s?énerve car le monde tend à se céliminiser. La coquetterie féminine n?est pour lui qu?une coquetterie sociale : les femmes deviennent des faux-semblants, des apparences, ne savent plus qui elles aiment ou pas. L?indécidable prolifère et prolifère... Cela est la marque pour Simmel du fait qu?on ne regarde pas la coquetterie comme coquetterie. Celle-ci donne à comprendre que l?art féminin par excellence est la danse. Ce que veut dire le mouvement se comprend dans la danse. L?existence féminine toute simple est une espèce de mise en vie de la danse. Si la femme est mouvement, il faut s?appuyer sur la danse pour la comprendre ; Le monde féminin n?est pas une femme qui danse car elle n?est ni une femme ni une danseuse. C?est pour cela que la danse est quelque chose de sérieux. La danse existe chez la femme hors du moment où elle danse. C?est pour cela que le bon danseur n?est pas quelqu?un qui danse remarquablement seul mais celui qui soutient la danseuse. Le bon danseur est celui qui sait faire danser, et non celui qui danse. La réunion de ces termes m?introduit à une vérité que je ne pouvais pas apercevoir. Si je regarde la coquetterie et la danse comme des choses qui communiquent, alors je comprends l?humanité comme femme et je comprends les mots qui donnent à voir un mouvement dans le monde. La danse est un langage à l?oeuvre. La féminité est au travail, elle est histoire, elle est en recherche. Célimène est la femme : elle dit aux hommes d?accepter de n?être pas eux parce que les hommes ne sont pas en mouvement mais sont des forteresses vides. Le mouvement de la danse indique le mouvement " être femme ".
 
Ce que met en lumière Simmel, c?est que la séduction vise à la réunion de l?homme et de la femme, mais que quand tout s?arrête pour l?homme, tout commence pour la femme. Simmel ne libère-t-il pas ce qu?il y avait dans le premier geste de la coquetterie ? Il faut un travail du sens où la coquetterie se communique. Elle n?est pas un instrument par laquelle un message magistral apparaît. Elle ne travaille pas pour autre chose qu?elle-même. Elle est quelque chose qui attend constamment qu?on retourne à elle. Elle porte une vérité sans le savoir et le retour vers elle n?est-elle pas le moyen de faire advenir la vérité ?
 
Ne faut-il pas considérer le message ? Et le performatif n?est-il pas d?une grande aide ? Avec Austin (Quand dire, c?est faire), nous savons que dire ne fait pas que dire mais fait. Quand je dis " oui " pour le mariage au maire ou au prêtre, je ne fais pas que dire, je le fais : je me marie. Une véritable rigueur est exigée par le performatif. Austin attire notre attention sur la promesse du sens. Quand j?écris un texte, je ne connais pas tous les sens qui pourront circuler mais j?en envoie la promesse. Mais je me porte garant de tout ce qui reviendra. Platon a plus de sens pour nous que pour un grec de son époque ou que pour lui-même. L?être humain maintient la possibilité du texte. De même qu?il faut des êtres séduits pour que la gravité du message de la coquetterie ne meure pas il faut des lecteurs pour que les livres ne meurent pas. La chose n?est donc rien d?autre que la promesse du sens. Tout le savoir qu?on a d?elle ne s?épuise pas. Très simplement, le support, la promesse, l?animation de ce mouvement est le sens. Dès que nous parlons nous sommes l?esclave tatoué qui porte un message qu?il ignore.
 
Cela n?est pas sceptique : cela ouvre sur des positions, sur la nécessité de trouver des accès rigoureux à ces sens ignorés. Quand Benjamin lit Baudelaire, il décrit la disparition du temps de l?expérience. " Aube passante " décrit le côté fugace d?une rencontre mais décrit en même temps ce que notre temps fait en rappelant au souvenir du temps de l?expérience. Le poème ne dit pas que le Paris de Haussmann n?est plus le Paris vraie de l?expérience. Il dit que nous ne sommes plus dans le temps de l?expérience mais dans un temps qui a été. Nous ne pouvons plus construire des récits épiques car le temps n?est plus. Aujourd?hui, nous ne pouvons plus voir des films en noir et blanc muets. L?oubli radical, violent, agressif est peut-être plus pieux que la maniaquerie de la conservation à tout prix. On peut penser au Cid dans le côté bouleversant de l?expérience qui consiste dans l?attente de quelque chose que l?on vit déjà. On peut également penser à Dante dans sa différence des choses créées (à partir de rien) et des choses produites (produites à partir d?un support). Il faut créer pour produire. L?amour, création ou production ?
 
Tout échappe à la mort, sans que la mort soit niée. Proust est la figure de cela, de la jouissance esthétique. Dans la madeleine, on héberge le passé qui est tellement puissant qu?on ne sait pas tout ce qu?il peut me donner. L?histoire n?existe qu?à partir de celui qui pense la distance. Bacon donne à comprendre Giotto et pas l?inverse. Il faut sortir de la cause (des influences) pour aller vers la lumière. Je comprends l?icône quand il n?est plus possible de dépeindre l?icône, quand elle n?est plus mystère.


Message édité par l'Antichrist le 21-04-2004 à 12:49:01
n°2530037
rahsaan
Posté le 21-04-2004 à 12:02:22  profilanswer
 

Hé bien merci pour cette longue réponse.  :) J'y trouve plein de fiches de lectures intéressantes (Austin, Simmel, Lacan...) et utilisables pour l'oral de l'agreg.  [:maestro]  
 
Pour la lecture que tu proposes de Hegel, je la trouve très intéressante. J'essaierais de revoir mes idées préconçues sur Hegel. Je dois toutefois préciser que c'est un auteur que j'aime beaucoup lire. Et sur le coup, je ne le trouve pas dogmatique... mais souvent, le livre refermé, je trouve que toute sa dialectique s'enchaine trop facilement... Je ne suis sans doute pas assez attentif aux tensions du texte. [:spamafote]
Je ne dis pourtant pas que Hegel soit un auteur figé, car indéniablement, il a été le premier à montrer la dynamique interne de l'Esprit, là où la philosophie "classique" pensait sur des idées intemporelles et figées.  ;)


---------------
Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°2530090
Thief
Posté le 21-04-2004 à 12:08:00  profilanswer
 

rassurez moi,vous tentez le record du post le plus long?   :D

n°2530102
rahsaan
Posté le 21-04-2004 à 12:10:03  profilanswer
 

Thief a écrit :

rassurez moi,vous tentez le record du post le plus long?   :D  


 
Notre discussion me prend déjà plus de 22 pages Word !  [:r2 d2]


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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°2530172
lucky_arf
ChocK Le :/
Posté le 21-04-2004 à 12:15:27  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

Notre discussion me prend déjà plus de 22 pages Word !  [:r2 d2]  


y'en a qui aime taper au clavier  :pt1cable:

n°2530510
KillMe
My heart goes out to you !
Posté le 21-04-2004 à 12:48:11  profilanswer
 

Ben, je vais être direct (parce que je n'aime pas parler pour rien dire), et n'ai aucunement l'intention de troller : la philo, je trouve pas ça ennuyeux, mais je pense que ca ne sert effectivement pas à grand chose (à part peut-être à refaire le monde :sarcastic:).
 
Je dirais que, pour moi, c'est une matière à reserver aux rêveurs.  
 
J'ai évidemment un esprit plutôt technique que théorique (ce qui ne m'empêche pas de refléchir à ce que je vais faire pour ne pas partir dans un projet dans le flou total), mais ce n'est certainement pas la philosophie qui nous a amenés là où on en est aujourd'hui (je veux parler du confort sans lequel vous ne pourriez pas poster sur le forum aujourd'hui :)).
 
En fait, je dirais que c'est une chose bien trop abstraite pour être rééllement utile ...
 
En éxagérant un peu, on peut même dire qu'elle ne sert même pas la morale, puisque les lois sont faites par des personnes qui, bien qu'ayant les facultés de débattre pendant des heures sur un sujet, aussi épineux ou vague soit-il, n'ont finalement aucun autre but que d'accéder à la plus concrête des choses : l'argent.


Message édité par KillMe le 21-04-2004 à 12:50:27
n°2530602
newbie_arg​ent
Posté le 21-04-2004 à 12:58:50  profilanswer
 

KillMe a écrit :

Ben, je vais être direct (parce que je n'aime pas parler pour rien dire), et n'ai aucunement l'intention de troller : la philo, je trouve pas ça ennuyeux, mais je pense que ca ne sert effectivement pas à grand chose (à part peut-être à refaire le monde :sarcastic:).
 
Je dirais que, pour moi, c'est une matière à reserver aux rêveurs.  
 
J'ai évidemment un esprit plutôt technique que théorique (ce qui ne m'empêche pas de refléchir à ce que je vais faire pour ne pas partir dans un projet dans le flou total), mais ce n'est certainement pas la philosophie qui nous a amenés là où on en est aujourd'hui (je veux parler du confort sans lequel vous ne pourriez pas poster sur le forum aujourd'hui :)).
 
En fait, je dirais que c'est une chose bien trop abstraite pour être rééllement utile ...
 
En éxagérant un peu, on peut même dire qu'elle ne sert même pas la morale, puisque les lois sont faites par des personnes qui, bien qu'ayant les facultés de débattre pendant des heures sur un sujet, aussi épineux ou vague soit-il, n'ont finalement aucun autre but que d'accéder à la plus concrête des choses : l'argent.


 
pourquoi tout devrait servir a quelque chose, la philo sert a l'enrichissement personnel et a l'ouverture d'esprit, et ca c'est deja beaucoup

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