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A Cuba, les opposants tentent de préparer l'après-Fidel Castro
LE MONDE | 10.02.04 | 13h28 L'après-Castro a commencé. A La Havane, l'opposition relève la tête et reprend l'initiative politique. Deux dirigeants de la dissidence, Elizardo Sanchez et Vladimiro Roca, rendent public un programme en 36 points pour amorcer une transition démocratique. Alors que le régime dépeint les opposants comme des "contre-révolutionnaires"et des "mercenaires" des Etats-Unis, les propositions du mouvement Todos Unidos (Tous unis) sont situés à gauche, dans le large spectre politique représenté à l'intérieur de Cuba comme en exil. L'évolution des mentalités à l'?uvre parmi les partisans du castrisme est corroborée par les propos d'une ancienne vedette de la télévision cubaine, dont l'espoir dans une perestroïka tropicale était partagé par bon nombre de militaires, traditionnellement liés à l'Union soviétique.
L'opposition à Fidel Castro relève la tête, après la répression de mars-avril 2003 qui a envoyé en prison 75 dissidents, condamnés à de lourdes peines. Elizardo Sanchez, président de la Commission cubaine des droits de l'homme et de la réconciliation nationale, et Vladimiro Roca, coordinateur de Todos Unidos (Tous unis), deux mouvements non reconnus par les autorités, devaient rendre public à La Havane, mardi 10 février, un programme en 36 points "pour sortir Cuba de la crise".
Alors que le pouvoir ne cesse de dépeindre l'opposition et l'exil, en bloc, comme des "contre-révolutionnaires" disposés à rétablir l'ancien régime, le programme de Todos Unidos est plutôt ancré à gauche. Dans l'entretien accordé au Monde par les deux opposants, Elizardo Sanchez prône "des réformes modernisatrices, sans recul social". Ainsi, "les logements resteront avec leurs propriétaires actuels", ce qui écarterait les réclamations des détenteurs d'anciens titres de propriété partis en exil. Face à l'existence d'un double marché, en monnaie cubaine et en dollars, le programme propose la réduction des prix des produits alimentaires, des médicaments et des articles de première nécessité.
Anciens prisonniers politiques, Elizardo Sanchez et Vladimiro Roca poussent leur légalisme jusqu'à s'appuyer sur la Constitution socialiste, comme l'avait fait le chrétien Oswaldo Paya avec le Projet Varela, qui demande un référendum sur les réformes proposées. Il y a sans doute une analogie avec la démarche empruntée par la dissidence soviétique.
Paradoxe, Vladimiro Roca est le fils du dirigeant historique du communisme cubain, Blas Roca, chargé jadis de la rédaction de la Constitution. Comme Elizardo Sanchez, ancien professeur de marxisme-léninisme à l'université de La Havane, Vladimiro Roca symbolise de par son histoire familiale l'évolution des mentalités. Le témoignage d'une ancienne journaliste vedette de la télévision, Lissette Bustamante, le corrobore. Le procès et l'exécution du général Arnaldo Ochoa et d'autres officiers respectés par leurs pairs, comme Tony de la Guardia, a traumatisé les militaires, qui contrôlent désormais les principaux leviers économiques du pays.
Malgré son caractère fragmentaire et minutieux, les 36 points de Todos Unidos - qui seront diffusés dans leur intégralité par l'association Sin Visa ("Sans visa" ) et le Comité pour la démocratie à Cuba (Paris) - constituent un programme destiné à amorcer une transition à Cuba et à préparer l'après-Castro. La démocratisation revient à l'opposition intérieure, sans exclure pour autant la collaboration de l'exil cubain. Aucune transition, en Amérique latine ou en Europe, n'a compté une communauté d'exilés aussi nombreuse (20 % de la population) et puissante, par sa réussite dans les affaires.
Loin de se cantonner au rôle de victime qui réclame solidarité, les opposants cubains reprennent l'initiative politique. Pourtant, "la situation des condamnés se dégrade, assure Elizardo Sanchez.Après des sentences qui s'élèvent en moyenne à 19 ou 20 ans de prison, les autorités ont poussé la cruauté jusqu'à les emprisonner dans des endroits très éloignés, parfois à 1 000 km de leur résidence. Dans un pays où le transport s'est effondré, la visite autorisée une fois tous les trois mois devient une agonie pour les familles".
TENSIONS AVEC L'EUROPE
"L'île compte plus de 300 prisonniers politiques, ajoute M. Sanchez, dont 87 prisonniers de conscience adoptés par Amnesty International, ce qui place Cuba au premier rang mondial du nombre de prisonniers d'opinion par rapport à la population. Cela donne une indication sur la réponse faite par le gouvernement aux demandes de transformations modernisatrices."
La Foire internationale du livre se tient en ce moment à La Havane, jusqu'au 15 février, dans un climat de guerre froide contre l'Union européenne (UE). L'Allemagne, à l'honneur cette année, a respecté les directives de l'UE, qui préconisent de ne pas participer aux manifestations officielles, à la suite de la répression de 2003. Les éditeurs et les écrivains présents à La Havane le sont à titre privé.
Du coup, les autorités cubaines accusent l'Europe d'avoir adopté un "blocus culturel", analogue à l'embargo américain. En réalité, les Etats-Unis sont d'ores et déjà un des principaux fournisseurs de l'île, payés rubis sur ongle, alors que la dette de La Havane vis-à-vis des autres pays, avec lesquels elle commerce librement, explose.
A la Foire du livre, les autorités vendent deux ouvrages concoctés par les services de sécurité pour discréditer les dissidents, dont Elizardo Sanchez. La Foire a pour cadre la forteresse de La Cabaña, monument colonial utilisé après 1959 pour fusiller les opposants au régime de Fidel Castro, après des jugements sommaires.
Paulo A. Paranagua
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Des mesures pour changer de régime
Voici quelques-uns des 36 points du programme qui devait être présenté le 10 février : paiement en dollars d'une partie du salaire de ceux qui travaillent dans les entreprises ou services utilisant cette monnaie ; liberté d'entreprise ; libre achat et vente des véhicules, possibilité de les utiliser pour le transport public ; liberté d'entrée et sortie du pays pour tous les Cubains ; libre accès à Internet, au cable et au satellite, fin du monopole d'Etat sur l'information ; fin du service militaire, démilitarisation de la société, modernisation des forces armées ; libre choix de la carrière universitaire, sans discrimination d'ordre politique, religieux ou d'orientation sexuelle ; dépolitisation de l'enseignement, interdiction de l'endoctrinement ; libération de tous les prisonniers politiques ; abolition de la peine de mort, réforme du code pénal ; liberté syndicale et d'association ; transparence sur la situation économique et la dette extérieure ; accès des Églises aux médias.
? ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 11.02.04
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