C'est la dernière chronique de Machin, de l'excellent Zippiz (http://www.zipiz.com). Je n'ai pas pu m'empêcher de vous la faire partager.
Bien gérer son administrateur système.
Rares sont de nos jours les domaines d'activités qui ne sont pas investis pour partie ou en totalité par l'informatique. Cette démocratisation heureuse d'une technologie autrefois dispendieuse, fait que l'ordinateur jadis réservé à une élite, compose désormais au même titre que le furent hier, machine à calculer, manchettes de lustrine ou sous-main pur skaï travaillé à l'ancienne, le bagage minimal fourni au nouvel embauché.
Si l'on se félicite de ce que la crise de nerfs et le naufrage productiviste, entre autres bénéfices résultants d'une utilisation rationnelle de l'informatique, ne soient plus uniquement le fait de quelques élus, on constate néanmoins que cette banalisation laisse sans précautions, un nombre croissant de populations, parfois non averties mais toujours mal préparées, au contact direct de l'administrateur système.
On ne laisserait personne cueillir des pâquerettes sous le nez d'un rhinocéros. Pourtant c'est à un danger similaire que l'on abandonne des malheureux, confrontés à un être farouche, vivant aux parages immédiats des concentrations d'ordinateurs, capable de colères imprévisibles et pouvant charger, alors que rien dans son attitude ne le laisserait supposer.
De l'administrateur système, que nous nommerons admin par commodité , nous allons brosser à grands traits un portrait suivi de quelques conseils, fruits d'une longue pratique, qui seront destinés sinon à l'apprivoiser (ce qui est impossible) du moins à rendre le contact avec lui chaque fois que nécessaire, un peu moins hasardeux.
Même si beaucoup sont persuadés qu'un abruti vivant en symbiose autistique avec des machines et semblant en tirer du plaisir ne peut l'être, posons tout d'abord qu'il s'agit d'un humain. Le contraire nous emmènerait un peu trop loin sur la voie divagante des mutations opportunistes. Bien qu'étrange, c'est donc un être humain. Ce qu'atteste la présence de bras et de jambes en nombre raisonnable. En tout cas habituel.
Le plus souvent renfrogné et mutique, des témoins dignes de foi rapportent cependant qu'il est capable de communication orale. Il semble maîtriser des rudiments de langage qui composent quelques expressions qu'il lui arrive d'utiliser, toujours à regret, et qui sont : " Pas possible ", " Merde " et " Pas le temps ". Rarement plus de trois, souvent moins, mais parfois quatre avec : " Font tous chier ".
C'est un être fuyant qui fera tout pour vous éviter. La mention devant lui du seul terme " utilisateur " donne lieu sur sa personne à d'intéressantes mutations physiologiques. Dont les moins spectaculaires sont des tremblements incoercibles précédant l'apparition d'une abondante bave, clapotant en grosses bulles verdâtres aux commissures de ses lèvres. C'est là généralement qu'il lui arrive d'utiliser la quatrième expression de son bagage communicant.
C'est un fait navrant mais une dure loi de l'existence, il vous arrivera parfois d'avoir besoin de lui . Par exemple chaque fois que, pas vous bien sûr, mais qu'un lutin malfaisant qui sévit impunément à votre insu, aura supprimé des fichiers indispensables à la bonne marche de votre machine.
Chaque fois que le même lutin aura installé par devers vous, des programmes dont la vocation essentielle semble être de montrer à quel point votre machine se porterait mieux sans eux, en exacerbant jusqu'à complète émancipation la volonté d'indépendance déjà forte, qui anime les éléments disparates chargés en temps normal d'assurer à votre système d'exploitation un fonctionnement normalement chaotique.
De cette confrontation hélas inévitable il ne tient qu'à vous d'en sortir sans traumatisme durable. Ce sera possible, pour peu que vous ayez pris la précaution de mettre en pratique chaque fois que possible, le plus souvent, quelques conseils qu'une longue fréquentation de l'admin dans son milieu, m'a permis de recueillir à l'intention des malheureux n'ayant pas eu l'occasion de l'approcher aussi souvent que ça m'est arrivé.
Voici donc ce qu'il faudra faire pour vous attirer à défaut de sa sympathie, la neutralité presque bienveillante de votre admin.
Comme vous le verrez, tout cela ne relève que du simple bon sens.
- Demandez lui très souvent quelle peut bien être son utilité. S'il ne s'ennuie pas trop à ne rien faire toute la journée devant sa console et s'il n'est pas trop nombreux à lui tout seul pour gérer un parc de 500 machines en réseau. Vous verrez alors apparaître dans le regard habituellement vide qu'il porte sur son entourage, une lueur attestant que vous avez pu établir avec lui un début de communication. Persévérez. Au bout d'un temps variable avec les individus, les réactions devraient largement dépasser vos plus folles espérances.
- Faites lui part à tous propos, du retard incompréhensible dont souffre l'informatique maison, alors que dans la boîte de votre femme, de votre cousin ou de votre beau-frère tous, y compris les cafetières et les photocopieurs sont déjà passés sous Windows XXL.
- N'hésitez pas pour la millième fois, à propager aux 500 abonnés de la messagerie interne un avertissement extrêmement urgent et sérieux, reçu d'un copain qui connaît parfaitement la concierge de la cousine d'un type qui travaille pour une section tellement secrète de lutte contre la cybercriminalité, qu'il n'est même pas conscient de sa propre existence. Message mentionnant l'arrivée imminente du ver/troyen/virus mutant CANULARPOURGROSNAZE, qui se relève la nuit pour entre autres facéties aux conséquences apocalyptiques, transformer votre machine en gaufrier, ou déclencher une guerre thermonucléaire en infiltrant et rendant fous les ordinateurs du Norad.
- Lorsque vous échouez systématiquement à graver des CD en papier mâché, métallisés à la main par de le main d'oeuvre malgache dans des ateliers clandestins du Monténégro et achetés au moindre prix sous le manteau à des intermédiaires Tchétchènes, faites part bien haut et à tout le monde, de ce que vous pensez des jean-foutre du service informatique incapables de vous fournir un graveur de bonne qualité.
- Personnalisez à outrance votre machine. Agrémentez là de quatre haut-parleurs et d'un caisson de basse poussés au maximum. C'est très utile pour sonoriser à l'aide de chants tyroliens tous les déplacements du pointeur. Mélangez le plus de thèmes possible, utilisez des icônes n'ayant aucun rapport avec les fonctions qu'elles sont censées matérialiser. Lorsque l'admin interviendra sur votre machine, la perte de tous ses repères familiers et l'effort qu'il aura à faire pour associer l'explorateur à un calamar géant, le poste de travail à la cathédrale de Chartres et le voisinage réseau à un tyrannosaure, se révèlera un heureux dérivatif à une existence routinière gagnée par la sclérose intellectuelle.
- Lorsque vous recevrez le dernier virus à la mode pas encore filtré, émanant d'un parfait inconnu, sous la forme d'un fichier dont vous ne voyez pas l'utilité, surtout n'oubliez pas de l'ouvrir. Vous rendrez ainsi service à votre admin, qui pourra occuper très tard à tenter de récupérer des machines sinistrées, une soirée dont il n'aurait certainement pas su que faire.
- Choisissez pour mot de passe vos initiales, toto ou foobar, que vous aurez pris soin de noter sur un post-it collé bien en vu en haut de l'écran. N'arrêtez jamais votre machine pour éviter d'avoir à l'entrer. Hurlez en parallèle à l'incurie du service informatique qui n'est pas fichu d'assurer la confidentialité de vos données.
- Exigez de ces fainéants du service informatique qu'ils interviennent immédiatement sur votre imprimante, qu'une mouche a mise en panne en tombant à l'intérieur.
- L'accès à Internet étant devenu un droit sacré qui ne saurait tarder à être inscrit dans celui du travail, exigez de façon tout aussi catégorique que précédemment, une disponibilité totale de la liaison à haut débit, louée à un prix babylonien, qui vous relie à Internet. Liaison sans laquelle votre travail quotidien sur boursicotage.com, voici.fr et youyou.com devient impossible.
- Faites lui part très souvent des jugements pertinents mais peu flatteurs, que porte la revue Fientes&Avanies Micro, sur le matériel que l'on vous a fourni. Dites lui bien que le cache L2 mal dimensionné, n'exploite pas comme il le faudrait l'Integral ProActive Pipelinning du front side bus à architecture massivement parallèle. Il sera heureux de l'apprendre.
- N'hésitez pas à pratiquer de façon intensive ce que l'on appelle " l'expression du besoin diffus en informatique ". Réclamez à corps et à cris des choses dont vous n'avez pas vraiment besoin, mais qui devraient se révéler utiles si par hasard vous en auriez l'usage. Au passage stigmatisez bien haut ces branleurs du service informatique, endormis sur leur gros derrière tout mou, incapables d'assurer un minimum de veille technologique.
- N'oubliez pas de lui apporter tous les PC que vous avez promis de retaper pour vous faire bien voir de vos amis, de votre famille ou de vos voisins. Il prendra encore une fois pour les remettre à neuf, sur un temps personnel qu'il n'aurait pas su autrement à quoi employer
- N'adressez jamais la parole à votre admin autrement que pour lui faire savoir de façon positive, ce que vous pensez des immenses lacunes de l'informatique maison. Ne lui dites jamais bonjour, ni merci, il pourrait prendre de mauvaises habitudes. De toute façon l'honneur que vous consentez à lui faire en vous servant de lui comme d'un paillasson, est sa seule récompense et probablement son unique raison d'être.
Il ne s'agit là que de quelques façons de faire, en une liste qui n'a rien d'exhaustive (vous en trouverez certainement d'autres) mais à l'efficacité avérée par la pratique. Aucun admin de mes connaissances ne saurait y résister bien longtemps. Paradoxalement ce sont les plus vieux dans le métier, les plus expérimentés qui y seront le plus immédiatement sensibles.
Gageons qu'après cela de nouvelles relations s'établiront entre vous et votre admin que vous apprendrez à considérer d' un autre ?il, en vous émerveillant de ce qu'il n'ait jamais cédé aux appels parfois pressants du meurtre en série.
MachiN