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Par Petaramesh : http://petaramesh.org/ Cent jours et mèche pour Julien Coupat Ben voilà, notre otage national, qui ne va pas tarder à devenir un symbole, peut-être même à force un symbole historique, lui qui ne briguait sûrement pas tant d'honneurs, reste en cabane. Ça fait cent jours et mèche qu'il est sous lettre de cachet. Ce qui me frappe le plus et me terrifie, là-dedans, outre toute la sympathie que je peux avoir pour lui sans le connaître, dans de telles circonstances, outre la révolte et le dégoût que cela m'occasionne, c'est quelque chose qui va encore au-delà. Que des flics puissent avoir la main lourde et monter une opération d'envergure pour arrêter comme terroristes quelques voleurs de poules présumés, dont rien ne démontre qu'ils aient jamais volé quoi que ce soit ni ne se soient jamais approché d'une poule, ça ne me surprend pas. Dans tout système il y a des dérapages, dans toute organisation répressive, des dérapages répressifs. Qu'un gouvernement, un ministère, puisse téléguider et instrumentaliser une telle opération dans un total cynisme, ça me fout la gerbe en éventail, mais ça ne me surprend absolument pas du gouvernement qui est le nôtre dont je n'espère absolument rien de bon dans aucun domaine, et dont aucun mensonge, vilenie crasse, malhonnêteté, injustice, magouille, forfaiture ou déni de droit ne me surprend. Ils peuvent me faire vomir plusieurs fois par jour, mais m'étonner serait plus difficile. Qu'un procureur puisse y prêter la main ne me surprend pas beaucoup plus. Maillon du système répressif, en étroite subordination de la chancellerie, son boulot est de demander qu'on incarcère, il n'est point surprenant qu'il le fasse. Et les problèmes de conscience, s'ils existent, que peut lui donner la vacuité du dossier ne sont pas les miens, c'est une affaire entre son miroir et lui quand il se rase le matin. Qu'un juge des "libertés" et certes, de la détention, puisse avaliser ceci et maintenir un bonhomme sous les verrous quand aucun élément sérieux ne figure au dossier, quand l'incrimination de "terrorisme" est sans aucun rapport avec la gravité des faits dont Julien Coupat est présumé innocent, quand la détention préventive d'un présumé innocent est censée être l'exception et non la règle, là, ça commence à me trouer sérieusement le cul. Que, quand un tel juge décide la mise en liberté, le parquet aux ordres du ministère fasse aussitôt appel, rien d'étonnant, mais que la chambre de l'instruction le suive, voilà qui a fini par me libérer des dernières illusions que je pouvais entretenir sur la justice, avec un tout petit "j", de ce pays. OK, OK, j'avais déjà entendu de la bouche de quelques dangereux bolchéviques d'ultra-gauche au couteau entre les dents des mots comme "justice de classe", ça restait un peu abstrait, mais c'est avec des démonstrations concrètes qu'on finit par comprendre, alors voilà, je suis un peu con et lent, mais moi aussi ça a fini par me venir : ça veut dire que, loin d'être au service de la Justice, la justice... loin d'être au service des citoyens, ni même de la République en tant que belle et noble idée, non, non. La j-minuscule-ustice est purement au service du maintien de la stabilité d'un système social et politique, ce qui veut dire qu'elle est purement et uniquement au service des intérêts de ce système, et que les intérêts du système se confondent avec ceux de ses dirigeants. Voilà. La j-minuscule-ustice est une manière de donner une apparence respectable à la répression de tout ce qui pourrait aller à l'encontre du bon plaisir des chefs. Ça fait plus long que "justice de classe", mais comme ça, j'ai enfin compris. - Tu la troubles, reprit cette bête cruelle, Et je sais que de moi tu médis l'an passé. - Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ? Reprit l'agneau ; je tette encor ma mère - Si ce n'est toi, c'est donc ton frère ! [...] - On me l'a dit : il faut que je me venge ! Là-dessus, au fond des forêts Le loup l'emporte et puis le mange, Sans autre forme de procès. Bon jusque là, j'ai gerbé mon quatre-heures et j'ai appris des trucs, perdu des illusions, ce qui est toujours bon à perdre, mais je n'ai pas encore touché le fond. Là où je commence vraiment à flipper, c'est quand je me rappelle que dans tout pays "libre et démocratique", s'il peut y avoir des bavures ou des dérapages ici ou là, il y a cependant des systèmes de sécurité en série destinés à garantir en fin de compte les libertés, et à arrêter les dérapages avant qu'ils ne dérapent trop loin sur les plate-bandes des Droits de l'Homme. Le premier de ces systèmes de sécurité s'appelant la séparation des pouvoirs, qui en principe permet de bloquer les abus commis par un pouvoir s'il n'a pas l'aval de tous les autres. Or là que constate-t-on ? Que jusqu'ici tous les systèmes de sécurité qui auraient pu sortir Julien de sa triste situation ont dysfonctionné foireusement. Car il n'y a pas eu, ou il n'y a plus, de séparation des pouvoirs. Le gouvernement a voulu "faire un exemple" et un joli coup médiatique. La police, au ordres du premier, a fait son boulot. Le parquet, aux ordres du même, p'tit doigt sur la couture du pantalon. La justice ? Ah oui mais là on parle d'une justice un peu spéciale, hein, pas de la juridiction de proximité au tribunal d'instance. Non, on parle d'une justice anti-terroriste, créée par des lois ad-hoc réduisant les droits de la défense, prolongeant les gardes à vue... D'un pôle judiciaire assis comme qui dirait pas bien loin de la droite du seigneur... une justice avec du pouvoir en plus, et des garanties (et des jurés) en moins. Bon, bon, bon. Au trou monsieur Coupat. Tu la troubles ! on t'a dit. Bon euh... C'est tout ce qu'on a comme pouvoirs dans une démocratie ? Ah ben non tiens, on a aussi le quatrième pouvoir, la presse, quoi. Ce pouvoir si puissant qui ne devrait pas laisser passer une injustice d'une telle taille sans en faire ses grosses colonnes. Et justement, la presse, c'est cool, a beau avoir commencé par se laisser balader par le barnum politico-flico-judiciaire, a quand même fini par mettre le nez dessus et par se rendre compte de la tronche de la bavure. Alors, nous avons eu en Une le superbe "J'accuse !" de monsieur Zola. Ah non, on me sussure dans l'oreillette que monsieur Zola a été empêché pour cause de décès. Alors, nous avons eu en Une du Monde le flamboyant "J'accuse !" de monsieur Edwy Plenel. Ah non, on me sussure dans l'oreillette que monsieur Plenel a été empêché pour cause de décès. Ou tout comme. Alors, nous avons eu en Une de Libé le magistral "J'accuse !" de monsieur Laurent Joffrin né Mouchard. Ah non, on me sussure dans l'oreillette que monsieur Mouchard a été empêché par l'idée de risquer de se prendre un doigt dans le cul comme monsieur de Filippis. Bon, alors nous avons eu droit à quelques articlounets et autres entrefilets en page 8 pour nous apprendre que la presse n'est pas dupe et qu'on ne la leur fait pas, ils ne sera pas dit qu'ils se seront laissés berner. Circulez, y'a rien à voir. Le quatrième pouvoir s'étant pas mal chié dessus le nez sur ses courbes de vente en se demandant "Oh my Lord ! Mais pourquoi plongent-elles si bas ? Pourquoi ne nous lisent-ils plus ? Monsieur de Rotschild, pourriez-vous nous aider ?", la partie n'était pas finie. Car dans une démocratie que c'est trop de la balle, il reste l'op-po-si-tion ! Alors, nous avons eu en Une de Marianne le démocratique, républicain, citoyen et outré "J'accuse !" rédigé par un collectif de 343 personnalités parmi lesquelles Ségolène Royal, Marie-George Buffet, François Bayrou, Bernard-Henri Lévy, Bernard Kouchner, Julien Courbet, Alain Finkielkraut, Alain Minc, Jean-Pierre Chevènement, Lionel Jospin et Sylviane Agacinski, Dominique Voynet, Nicolas Dupont-Aignant et l'amical soutien de Jacques Chirac et Dominique de Villepin. Pendant ce temps-là l'hémicycle retentissait des questions et protestations enflammées de l'opposition, parmi laquelle on remarqua particulièrement les discours de Jack Lang et François Hollande ainsi que les apostrophes de Jean-Marc Ayrault, Bertrand Delanoë, Laurent Fabius et la mise en demeure finale, par Martine Aubry, qui fit littéralement vaciller les colonnes de l'hémicycle. Devant une telle levée de boucliers, le bras armé du pouvoir trembla et fléchit, et Julien fut aussitôt libéré. Euh non. En fait, non, En fait rien. Parce que l'opposition s'en fout, que y'a pas de sièges à gagner, que les gauchistes c'est rien que des méchants pas fréquentables que c'est bien fait pour leurs pieds si y sont en cabane, na ! Et puis que les sondages disent que le Peuple y se méfie vachement des anars d'ultra-gauche et qu'il veut de la sé-cu-ri-té, alors que les défendre, ça la fout mal pour le baromètre de l'Express, alors vaut mieux regarder discrètement ailleurs et faire comme si de rien n'était. Mais on rapporte que dans les couloirs de l'assemblée, un député socialiste somnolent sur sa digestion aurait confié "off" à un journaliste du Figaro, que quand même, garder cet homme en prison, c'était pas bien. Alors voilà vraiment la raison pour laquelle, au bout du compte, je suis vraiment at-ter-ré : parce que tous les systèmes de sécurité et tous le contre-pouvoirs qu'est censée posséder une démocratie, tous ont lamentablement foiré. Les flics ont bien fliqué mais les juges n'ont pas jugé, les journaleux n'ont pas journalé et l'opposition n'a rien opposé. Certes, un comité de soutien s'est formé, quelques voix d'inconnus qui crient dans le désert - sans le micro, ça porte moins loin - sans aucun ténor ou soprano en porte-étendard, et puis si y manifestent on les coffre aussi, comme ça c'est plus simple. Aujourd'hui en France, un homme peut être jeté arbitrairement au cachot pour une durée indéterminée (Chouette ! Un C.D.I. !) sans autre raison que le délit d'opinion et la manipulation politique et tout le monde s'en fout. En tout cas tout le monde qui cause dans le poste.
Si Julien Coupat reste en taule aujourd'hui, c'est avec la complicité active ou passive de l'ensemble des pouvoirs et des "contre"-pouvoirs, de la majorité, de l'opposition, de la presse, des élites machinbidule, les autres s'en cognent, bref, il est bien en taule au nom de toute la société qui en porte collectivement la responsabilité, mais que Dieu merci ça n'empêche pas trop de dormir. Ça, ça me fout vraiment les jetons.
Demain, à qui le tour ? Vous, moi ? Toi là-bas qui fais semblant de regarder ailleurs ? Heureusement qu'on est dans une démocratie, dans un état de droit madame Ginette ! Pas vrai m'sieur Martin ? Vive la République, vive la France !
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