6j de grimpe en Jordanie
Ca faisait un petit moment que cette destination me trottait dans la tête, et j’avais déjà vu de sublimes images de grimpe dans le coin. Ne restait qu’à convaincre mon conjoint… C’est finalement un des films du Reel Rock Tour de l’année dernière qui a fini de le convaincre : décision fut prise en rentrant de se programmer ça pour la fin de l’année.
Il ne restait plus qu’à trouver un guide. Pas mal de guides proposent cette destination en automne, notre choix se porte sur Rémi Thivel, un guide originaire des Pyrénées avec beaucoup d’expérience dans le coin (il y va quasi tous les ans depuis 20ans). On finalise les quelques détails pratiques, et on se met d’accord pour 6j de grimpe mi-octobre (lui enchainera 2 autres semaines avec d’autres clients derrière).
Le Wadi Rum est un désert situé dans le sud de la Jordanie, à la limite de la frontière avec l’Arabie Saoudite. Il est ponctué de falaises de grès qui offrent une variété de paysages, de couleurs mais aussi de styles d’escalade assez impressionnante. Si le rocher est assez typique du coin (du grès très adhérent pour les pieds, mais aussi un peu friable et très abrasif pour les cordes…), l’escalade y est très variée : fissures, dièdres lisses, murs de taffoni avec un rocher merveilleusement sculpté… bref, chacun y trouvera son compte.
Par contre, c’est quasiment uniquement de la grande voie en terrain d’aventure. Il existe quelques rares GV équipées, mais dans des niveaux élevés (La Guerre Sainte, en 7b+ de mémoire…). Il faudra donc sortir les coinceurs et les friends, ainsi que de nombreuses sangles pour tirer profit des lunules.
Niveau logement, nous avons logé chez Atayek : repère de grimpeurs, vous trouverez sur place les topos du coin, mais surtout d’autres grimpeurs avec qui partager vos bons et mauvais plans.
En terme de date, octobre est un peu limite, il peut encore y faire très chaud : une trentaine de degrés en moyenne quand on y était, ce qui nous a obligé à jouer avec l’orientation des falaises pour ne pas nous retrouver à cuire sur la paroi en plein soleil. En plein cœur de l’hiver, par contre, il n’est pas rare de devoir grimper en doudoune car le thermomètre peut très vite chuter…
Allez, récit de nos aventures.
J1 : premières longueurs d’IBM
Après un vol de nuit et 4 longues heures de route au petit matin, on a du mal à se motiver à aller grimper tôt. On profite donc de l’ombre apportée par la fin d’après-midi pour aller faire connaissance avec le rocher sur le massif du Djebel Rum, une des plus hautes montagnes du Wadi Rum qui se situe juste en face du village.
La marche d’approche n’est pas très longue, mais en plein soleil, il fait chaud, et ca grimpe déjà pour atteindre le bas de la voie.
Rémi nous laisse le choix entre du simple et du un peu plus dur : on optera pour le simple pour commencer.
On part donc dans les 3 premières longueurs d’IBM, sur le sommet E du Djebel Rum (5 sup), qu’on fera en 5 longueurs :
- La première avec un petit surplomb à passer avec un coincement dans une fissure
- 2/3/4 plutôt en joli dièdre avec rocher adhérent et très agréable à grimper
- L5 qui passe dans une cheminée rigolote puis un petit pas en dalle un peu lisse ou il faut faire confiance à ses pieds
Topo C2C : https://www.camptocamp.org/routes/5 [...] t-e-i-b-m-
C’est une jolie mise en bouche qui nous permet de nous familariser avec les caractéristiques du coin.
J2 : découverte du Khazali
Aujourd’hui, c’est une voie bédouine au programme, qui doit rejoindre le sommet du Khazali, une montagne située à une vingtaine d emn de 4x4 du village. La montée est plutôt facile, l’itinéraire globalement évident/bien balisé sur les 600m de D+ qui permettent de rejoindre le sommet. Ce dernier offre un panorama superbe sur les environs.
La descente peut se faire soit par le même chemin, soit par une série de rappels qui descendent à l’intérieur du canyon. Nous optons pour cette solution. L’itinéraire est nettement moins bien balisé, et on galère un peu à trouver le chelmin. Rémi nous abandonne parfois un long moment pour chercher l’itinéaire qui est censé etre facile, mais c’est loin d’être le cas. On pense avoir trouvé le 1er rappel, mais l’accès aux suivants est compliqué. On finira par les rejoindre non sans mal (et finalement, ce premier rappel n’était pas le bon) : on enchaine une vingtaine de rappels au cœur du canyon sculpté, c’est magnifique. On finit la journée éreintée.
J3 : Floute ma Pioute et The Beauty
Direction le Kaerazeh canyon pour grimper « Ca floute ma Ploute », une voie ouverte par Simon Destombes : 5longueurs en 6a (L1), 5sup pour les suivantes, assez facile. Ca s’enchaîne bien, on grimpe à l’ombre, on arrive au sommet en 2h30 environ. La redescente se fait à moitié en rappels, à moitié en serpentant à flanc de montagne. Un petit passage nous oblige à nous faire mouliner jusqu’à la vire 30m plus bas, d’où on regarde ensuite notre guide desescalader avec angoisse.
On enchaîne ensuite les 2 premières longueurs de Beauty sur le Djebel Um Ejil. Remi tient à nous la faire grimper car c’est une grande classique du coin, et on comprend pourquoi :
- L1 en 5sup sur une superbe fissure
- 6a/5c un peu plus technique pour l2/3 qu’on a enchaînées.
On est crevé, on ne connaît pas du tout ce style d’escalade, c’est fatigant le dulfer. On s’arrête là car les 2 longueurs suivantes sont en plein soleil, mais c’était très sympa !
Topo C2C : https://www.camptocamp.org/routes/5 [...] the-beauty
J4 : LA journée épique sur Mazyed, au Khazali
Retour au Khazali aujourd’hui, pour grimper Mazyed, une voie toujours à l’ombre à l’entrée du canyon. Voie de 220m ouverte par les frère Rémy, elle est prévue en 7 longueurs, pour 2h30 de grimpe environ. Julien déclare forfait, il fatigue un peu, et préfère se balader dans le coin pendant qu’on grimpe.
Il nous suit quand même sur la marche d’approche qui remonte un éboulis au creux d’un dièdre, permettant d’accéder à une courte longueur en 4 qui permet d’accéder réellement au début de la voie.
La voie serpente sur un superbe mur de taffonies hyper sculpté.
Je ne sais pas si c’est la fatigue qui commence à s’accumuler un peu, mais je transpire déjà sur la 2ème longueur. 4ème longueur, je découvre les joies de l’escalade au Wadi Rum dans les voies pas classiques : un énorme bloc se détache sous mon pied pour aller s’écraser 100m plus bas. Je m’en tire avec une belle dermabrasion du bras, mais ca fait bizarre. Heureusement qu’il n’y a personne au relai.
Rémi est obligé de zigzaguer pas mal pour trouver son chemin au milieu de ce mur : on comprend vite que les 2h30, ca sera même pas en rêve.
Y a quelques jolis pas, dont un petit réta avec un talon dont je ne suis pas peu fière. Je fais encore un peu la maligne, je prends des photos aux relais, c’est beau.
La longueur suivante est aussi très jolie : elle commence par une courte fissure, suivie de queques pas en dalle lisse, puis de quelques pas un peu plus athlétiques, c’est varié, c’est beau, je savoure. Le sommet se rapproche enfin, on arrive à l’avant dernier relai. Il m’inspire moyen confiance : relai suspendu, sur un gros pilier, certes, mais on sent que les cordelettes en place ont commencé à « creuser » la base du pilier. Boarf, de toutes façons y a pas le choix, faisons avec.
Rémi se lance dans la dernière longueur : un 6a dalle super expo, difficile à protéger. S’il chute, c’est direct sur relai. A ce moment-là, quelques gouttes de pluie commencent à tomber : ah oui, c’est vrai, ils avaient prévu un orage vers 15h. Rémi est pas serein, je l’entends répéter comme un mantra « ne pas tomber, ne pas tomber… ». je l’ai pas en visu, donc je vois pas trop ce qu’il se passe. Il finit la longueur sous la pluie, encore modérée. Je lui propose de l’attendre au relai, mais il me dit que je peux monter. Juste à ce moment-là, la pluie s’arrête. Bon, c’est quand même con d’arriver là sans atteindre le sommet : j’y vais. Je comprends vite pourquoi il n’était pas serein : de la dalle lisse improtégeable, sous la pluie c’est que du bonheur. D’ailleurs, celle-ci s’y remet, accompagnée des grondements du tonnerre. Je ne suis pas du genre à paniquer, mais là je commence à avoir un peu peur ? Je finis la longueur. Non sans mal, sous la pluie qui s’intensifie. Je le rejoins au sommet, j’ai juste le temps d’embrasser la vue depuis là-haut, et on descend le 1er rappel sous des trombes d’eau. On retrouve mon relai suspendu chéri, je me mets à l’abri dans une mini grotte où je rentre à peine pliée en 2 pendant qu’il rappelle la corde. Enfin qu’il essaye de rappeler la corde : ca vient pas. La pluie redouble d’intensité, il abandonne pour le moment et vient se mettre à l’abri avec moi. On restera bloqué une petite demi-heure spis les grondements du tonnerre, la pluie, puis la grêle. L’eau me ruisselle dessus, je suis trempée de la tête aux pieds. Les bédouins s’amassent en bas pour essayer de nous repérer sur la paroi. Tout d’un coup, on aperçoit en bas l’eau qui sort brutalement du canyon, c’est impressionnant (et on comprend pourquoi il vaut mieux ne pas être coincés dans le canyon à ce moment-là).
Finalement, l’orage se calme, et on peut enfin reprendre notre tentative de rapatriement en bas de la voie. Cette fois, ouf, la corde vient. On enchaine les rappels suivants en 4ème vitesse, au cas où l’orage viendrait à reprendre. On arrive enfin en bas. Rémi m’avoue à ce moment-là qu’il a cru à un moment qu’on devrait passer la nuit dans notre abri de fortune. Les bédouins viennent tous nous voir pour savoir comment on va et nous offrir une tasse de thé chaud, c’est pas de refus.
On aura au final passé quasiment 7h sur la paroi, et beaucoup d’émotions !
Le topo de Rémi (qui diffère un peu de la voie telle qu'elle était ré-vue) :
J5 : Arche de Burdah
Voie bédouine aujourd’hui pour se remettre de nos émotions de la veille. On roule une petite heure en 4x4 pour rejoindre l’arche de Burdah, une arche en pierre au sommet d’une petite montagne, très connue dans le coin. Il y a plusieurs façons de la rejoindre : voies d’escalade, et voies bédouines. On tente une voie bédouine que Rémi ne connait pas encore. On part en basket, corde tendue, de toutes facons il n’a pas pris de protection.
Y a quand même quelques passages pas évidents, mais ca passe plutôt bien, jusqu’à la fameuse arche.
On retrouve d’autres touristes au sommet, amenés par des bédouins par une autre voie plus simple. On profite un peu de la vue magnifique du sommet, et on redescend par une alternative à la voie normale.
L’alternative a quelques passages pas forcément évidents (merci la descente sur les fesses!) et nous amène en haut d’une paroi verticale du haut de laquelle Rémi nous mouline. Pas de problème pour nous, par contre le rappel passera pas pour lui, la longueur doit faire 35m. On finit la voie seuls pendant qu’il retrouve la voie normale pour nous rejoindre en bas.
Petite journée plus calme, mais bien sympathique après nos aventures de la veille !
J6 : last but not least
En ce dernier jour de grimpe, on repart sur le Djebel Rum pour s’essayer à Inferno, une voie pas loin d’IBM un cran au dessus. La voie suit une fissure, en 3 longueurs, environ 150m :
- L1 : 5 sup, 2 petits surplombs un peu athlétiques mais qui se passent sans problème
- L2 : une jolie fissure, suivie d’un petit passage en dalle en 6b pas évident
- L3 : poursuite de la fissure en 6a, très joli
Une voie agréable, sur un rocher solide pour clôturer notre petite semaine au Wadi Rum. Je ne manquerai pas de faire une belle connerie quand même en oubliant un mousqueton au dernier relai, qui coincera la corde à la fin de notre rappel de 50m. Rémi est obligé de regrimper la moitié de la voie en auto-assurage, avec moi en second, pour pouvoir l’assurer ensuite à mi-parcours pour pouvoir récupérer le matériel et libérer la corde… J’avais pas encore fait de connerie, il fallait bien que j’en fasse une ! Et puis la journée aurait été bien morne sinon !
En gros, une super semaine d'escalade, où on sent bien l'ambiance montagne même sans l'altitude, mais entre l'isolement, l'exposition de pas mal de longueurs et la nature un peu "hostile", il faut parfois réussir à rester serein.
On a combiné ça avec quelques jours de visite en suivant (Pétra, la mer Morte et Jerash), avant de rentrer prendre un repos bien mérité, fourbus par ce voyage!
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« Moi, je suis un désespéré joyeux. J'ai cette mélancolie slave collée à l'âme. J'aime boire et pleurer. »