Edition du 12 Décembre 2004
Le pôle d'excellence de soin de la dystonie est menacé
La technique, mise au point il y a presque dix ans, a fait ses preuves et au delà : depuis 1996, le professeur Philippe Coubes, chef du service de neurochirurgie B au CHU de Montpellier, a sauvé la vie de dizaines de patients, beaucoup d'enfants souffrant de dystonie musculaire, une maladie rare qui se manifeste par des mouvements musculaires incontrôlés.
Un implant, fiché dans le cerveau, stimule une zone sensible et permet le quasi retour à une vie normale chez des personnes condamnées à devenir grabataires. Le procédé est également utilisé dans le traitement de la maladie de Parkinson, des TOC, les troubles obsessionnels compulsifs avec des gestes répétitifs qui polluent le quotidien, et ouvre un champ de réflexion sur le traitement des maladies psychiatriques (1).
A Gui-de Chauliac, 150 malades ont ainsi reçu l'implant salvateur, le CHU est devenu un centre de référence national et international.
Des Anglais, des Australiens, sont opérés à Montpellier, le procédé a été récompensé par de nombreux prix dont ceux de la Fondation pour la recherche médicale, un article élogieux dans le prestigieux "Journal of neurosurgery", en août 2004. Une unité de recherche Inserm a été créée.
Mais faute de moyens, l'expérience va s'arrêter, alors qu'une centaine de candidats sont sur liste d'attente. En mars, Philippe Coubes cessera d'implanter les électrodes salvatrices. Dans la foulée, il annonce qu'il ne renouvellera pas sa chefferie de service : « Je continuerai à suivre les malades opérés et je vais redevenir un neurochirurgien de base. On n'a plus les moyens logistiques et humains de continuer », poursuit-il.
C'est-à-dire « plus de médecin ». « Il faudrait un praticien hospitalier pour chaque malade implanté. Cette méthode, comme les traitements médicamenteux lourds, demande une surveillance rapprochée pendant les dix-huit premiers mois. On n'en a aucun, je n'ai jamais eu d'équipe ».
Les ingénieurs qui travaillent sur les stimulateurs et l'IRM sont « payés par la recherche » - l'implant est pratiqué sur une zone très sensible et très profonde du noyau cérébral, délimitée avec précision via l'imagerie à résonance magnétique. A Gui-de-Chauliac, l'installation d'un IRM chirurgical, qui aurait permis aux chirurgiens de disposer immédiatement de l'outil sans déplacer les malades, a été quasiment validée avant d'être annulée. Des chambres ont été transformées en bureaux, l'ex service de soins intensifs est affecté à la radiologie...
« J'ai perdu un tiers de l'espace du service », constate Philippe Coubes. Le poste de pédiatre a été supprimé, l'unité Inserm de Philippe Coubes va être rattachée à l'institut de neurosciences marseillais.
« On fonctionne depuis des années avec des bouts de ficelle, les dons des associations, du Téléthon... Tout le monde considère que je fais bien mon travail sans juger de l'utilité de me donner des moyens supplémentaires. Je ne peux pas poursuivre sans mettre en danger la vie des patients. Je ne veux pas dénaturer ce traitement », ajoute-t-il. « Sans accuser personne ».
Le CHU a payé les stimulateurs (20 000 l'unité). Le directeur général adjoint, Jean-Louis Billy, soutient d'ailleurs que « le CHU a demandé des budgets qui n'ont pas été accordés ».
Mais à l'Agence régionale d'hospitalisation, où transitent les demandes, la directrice Catherine Dardé « n'a rien à dire sur le sujet », et renvoie vers la direction du CHU.
« Face à une inertie massive », Philippe Coubes baisse les bras. « J'ai rencontré le directeur général de l'hospitalisation, fait le tour des fondations. Je livre ma dernière bataille. On est au bout des possibilités. Je ne prendrai pas de risque de santé publique. C'est un constat d'échec. J'ai tout sacrifié à l'image hospitalo-universitaire de ma spécialité, et j'ai eu la naïveté de croire qu'en travaillant, on avait une reconnaissance. Je vis assez mal l'absence totale de respect. Je ne comprends pas ».
150 malades sont actuellement sur liste d'attente, 25 interventions chirurgicales étaient pratiquées chaque année à Montpellier. Le professeur Coubes continuera à opérer... à l'étranger.