Un Lurkeur Serieux Un lulu Sérieux, hein voilà. | Oui, il se donne le beau rôle, dans son bouquin, il est scénariste pour des séries, paraît-il, qu'il est bon, je n'en sais rien, j'y connais rien, ceux qui ont suivi son travail, nous dirons.
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Une épidémie de quenelles s’abat sur le monde des rappeurs. Dans un titre, Médine adresse un clin d’œil à mon livre sur le rap : « Je vais tuer ce métier comme un bouquin de Mathias Cardet. » Il a beau parler de geste « anti-système », il sait ce qu’il fait lorsqu’il lève le bras devant une réplique du mur de Bethléem. Les autres, c’est moins sûr. À travers chacun d’eux, ce sont des centaines de gamins enrôlés pour la boutique – et bientôt le parti – de Soral et Dieudonné. Je n’aimais déjà pas les rappeurs, je commence à les détester. Et c’est sur moi que Soral compte pour monter son label de rap anti-système : « Bras d’honneur » ! Depuis qu’il a été annoncé sur le site du mouvement et dans quelques médias, la page Facebook du label engrange. 90 000 visiteurs dès le premier mois. Je reçois des dizaines de propositions par jour. Une flopée d’apprentis rappeurs et chanteurs, dont plusieurs dingos que je signale aussitôt à Antoine. Ça l’intéresse. Certains sont réellement radicaux. D’autres simplement barrés. Comme ce type qui précise jouer « de la flûte traversière antisystème ». Valentin est mort de rire. Parfois, je reçois des messages plus sérieux. Des rappeurs confirmés m’envoient des maquettes et des morceaux qui vomissent pêle-mêle le nouvel ordre mondial, le lobby LGBT, le Crif, les francs-maçons et ceux qui « étouffent Faurisson ». L’un d’eux a composé un morceau intitulé « SS », pour « Suceur de sioniste ». Soral est ravi. Moi j’ai besoin de gagner du temps pour préparer ma sortie. Je développe des maquettes avec Stéphane Pérone, qui a produit quelques hits de musique urbaine, pour faire patienter Soral. Et j’en profite pour lister des dingos.
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En février 2014, on m’invite à Fort de la Briche pour une réunion sur le parti. Autour de la table, il y a Julien et son haleine, Franck et sa couperose, Jean-Marie et sa Terre creuse, et un homme que je n’ai encore jamais rencontré mais qu’ils écoutent comme le maître des clefs : appelons-le Stanislas. Un gars malin, avec les dents qui rayent le parquet, propre sur lui et sûr de son pouvoir. Je lui demande de quoi il s’occupe. Il me répond par un long regard mystérieux. On me le présente comme le trésorier. Je découvre que c’est un homme du Front, et qu’il gère désormais les finances d’Égalité & Réconciliation. D’où vient l’argent ? De ces « partenariats étrangers » dont m’a parlé Romain ? Depuis que le mouvement s’apprête à muter en parti, les dépenses risquent d’augmenter. Il faut donc trouver de nouvelles recettes. Stanislas est arrivé il y a quatre mois pour s’en assurer. C’est lui qui pilote la mise en orbite du parti : Réconciliation nationale. Lors du dîner des cadres, quelques jours plus tard, je réalise qu’il se considère comme le supérieur de Soral. Le vin aidant, ils se disputent à propos de CasaPound, le nouveau parti fasciste italien. Aviné, Soral soutient qu’il est possible de faire la même chose en France, qu’Égalité & Réconciliation prend cette voie. Stanislas lui rétorque que ce n’est pas possible, ni le projet. Il lui tient tête devant tout le monde. Le ton monte. Soral est odieux. Mais contrairement à Mister Mayo, Stanislas ne s’écrase pas. Il le regarde comme un appât à cons, dont ses supérieurs tirent les ficelles. Et le clown se rassoit. Pas de sortie en mode Kadhafi ce soir. À Fort de la Briche, on m’a présenté le futur organigramme du parti, avec Jean-Marie Terre Creuse, Franck le serveur et Stanislas à la trésorerie. Ils m’ont demandé si je voulais adhérer pour m’occuper des banlieues. J’ai décliné, toujours avec la même excuse : « Non les mecs, je vous l’ai déjà dit, je fais des trucs sales, c’est mieux que je n’apparaisse pas pour vous protéger… » Ils comprennent. Je promets de me consacrer à Bras d’honneur. Me vient l’idée de monter une arnaque grâce au label. Un piège pour les racketter et les monter les uns contre les autres. Je sens une aigreur chez Jean-Marie et Franck, surtout depuis qu’ils ont pris du galon grâce au parti. Ils ne trouvent pas très juste d’être les seuls à ne pas profiter du chiffre d’affaires de Kontre Kulture. Je leur propose de s’associer au label : « Prenez des parts dans la société. » Leurs yeux s’allument. L’idée de devenir producteurs de rap les excite. Stanislas est très partant : « Je connais très bien la culture black. » Je souris intérieurement. Malgré leur fafitude, tous sont fascinés par mon côté grand noir viril. J’en joue. Et je retrouve mes anciens réflexes de voyou. Je vais trouver mon pote Clovis et je lui demande de créer un faux compte de société, valorisée à 100 000 euros. « Ah ça, je sais faire ! » me dit-il. Il me sort un RIB de société en moins de deux. Stanislas me serine pour obtenir un Kbis. Je finis par l’endormir. Jean-Marie me file 5 000 euros, Franck met toutes ses économies (20 000 euros) et Stanislas mise 7 000 euros. Mais surtout, je récupère leurs papiers, que je transmets aussitôt à Valentin. C’est là que je découvre que Julien Limes ne milite pas sous son vrai nom. Ce qui explique pourquoi il était si patient malgré ma réticence à donner ma carte d’identité. Les autres sont persuadés d’avoir conclu l’affaire du siècle, comme Soral avec sa boutique. Ils finiront bien par réaliser l’arnaque. Un sablier s’écoule dans ma tête. Je fais feu de tout bois. J’imagine même un moyen de plomber leur trésorerie. Kontre Kulture se remplit les poches en vendant des T-shirts, une marge énorme qui fait saliver Jean-Marie. Une rivalité sourde gronde entre le petit noyau d’Égalité & Réconciliation qui profite des recettes et le premier cercle du parti qui rêve d’en croquer. Jean-Marie me le dit ouvertement : « C’est quand même moi qui ai ramené l’imprimeur du Front. Il leur fait économiser des sommes folles ! » La perche est tendue. Je la saisis et lui demande de me présenter l’imprimeur : « Mets-nous en contact pour Bras d’honneur. On peut faire des T-shirts. » Soudain, Terre Creuse s’illumine. Il sourit. Soral apprend l’idée et nous bombarde de mails dans la nuit : « Il faut faire quelque chose de marrant. Faites des T-shirts “anti-suceurs de sionistes”, mais écrit “anti-SS” ! » Il propose un bras d’honneur en guise de logo. Ça l’amuse beaucoup. Et moi j’imagine sa tête quand il réalisera que le bras d’honneur est pour lui. Nous avons rendez-vous chez l’imprimeur. Une grosse boîte, boulevard Richard-Lenoir, qui imprime des T-shirts pour des marques connues. Non seulement Terre Creuse m’accompagne, mais il me recommande chaudement : « On est en train de lancer un label dont je suis actionnaire. Je te présente Mathias Cardet. » L’imprimeur a entendu parler de moi : « Ah oui, je vois qui tu es, c’est un honneur. » Il nous demande de le suivre dans l’arrière-boutique. J’aperçois les flocages de Kontre Kulture qui attendent d’être emballés. J’embrouille le patron, je lui explique qu’on n’a pas encore les fonds avec le label et lui demande s’il est possible d’ouvrir un compte pour la commande. « Pas de soucis, dit-il, si E & R et Jean-Marie me garantissent l’affaire, je peux commencer et vous me paierez plus tard. Alain est un ami. » En gros, c’est sur le compte de Soral. Tant mieux. Je commande pour 30 000 euros de T-shirts… Sans déposer la moindre avance. Julien tiquera en apprenant le montant de la commande : « Mathias, j’ai appris pour les T-shirts. 30 000 euros, tu es sûr que tu auras l’argent ? On a regardé. On ne trouve pas le Kbis du label. » Mon assurance l’apaise : « T’inquiète. Le Kbis ça met un moment. Si, entre-temps, on a un souci pour le décaissement, je paierai en espèces, ne t’en fais pas. » Il n’ose pas me contredire et fantasme sur mes trafics mystérieux. Sans savoir que Stanislas, Franck et Jean-Marie ont investi dans le label. Je gagne du temps, j’avance. * Début de l’été 2014, l’imprimeur m’appelle : « Vos T-shirts sont prêts. » Valentin loue une voiture et on passe les récupérer. Quinze cartons remplis de T-shirts nazis. Au moment de les charger dans le van, l’imprimeur se met à tiquer : « En général, ce n’est pas comme ça que ça se passe… » Je le rassure : « Ne vous inquiétez pas, je vais vous faire le virement. » Juste avant de monter, Julien me laisse un message inquiet : « Tout se passe bien ? N’oublie pas le paiement. Attention, on veut garder de bonnes relations avec cet imprimeur. » Je fais écouter son message à Valentin. On se marre. Et on démarre. Le dos cassé, on monte les cartons dans une planque de Valentin. Tout est là. 2 000 T-shirts noirs avec écriture rouge à la con. Soral rêve de voir toute la banlieue les porter. Il pense que je vais leur fourguer. Le bras d’honneur est pour lui. Spéciale dédicace. Mais on fait quoi des T-shirts ? « Viens, on les détruit », lance Valentin en mode gosse. On part acheter des ciseaux chez Leroy Merlin et on commence à les découper. Au bout d’un carton et de trente T-shirts, j’en ai marre. « Vas-y, on les jette. » Valentin approuve. Et si des mecs tombaient dessus dans les poubelles et se mettaient à les porter ? On doit salir la marchandise, la rendre importable. On part chercher des trucs dans la cuisine, qu’on déverse dans les cartons. De l’huile d’olive, du vinaigre, de la mayo (« Mister Mayo ! ») et du ketchup. Ça pue et ça coule. On doit les redescendre, dégoulinants, pour les répartir discrètement dans toutes les poubelles du quartier. Ça nous prend la nuit. À l’aube, épuisé, au bord des larmes, Valentin me raconte l’histoire de sa grand-mère. Cachée dans un meuble pendant la guerre, elle a vu toute sa famille se faire arrêter par la police de Vichy. Neuf frères et sœurs, et ses parents. Tous disparus dans les camps. Son père, un Juif laïque né d’une survivante, ne lui avait jamais raconté cette histoire jusqu’à une altercation dans son lycée. De jeunes franco-musulmans soutenant le GIA en Algérie s’en sont pris à l’un de ses camarades, « Ça sent le Juif ici », et Valentin a instinctivement choisi de le défendre, alors qu’ils ne s’entendaient guère. Lorsque son père a eu vent de cet épisode, très ému, il lui a raconté l’histoire de sa famille et de sa grand-mère. Ce jour-là, Valentin a compris les sentiments qui vivaient en lui depuis toujours. Un signal, qui s’est réveillé lorsque Dieudonné et Soral ont commencé à souffler sur les braises de la haine antisémite. La raison vive, profonde, pour laquelle il veut les mettre hors de nuire. Son émotion me bouleverse. La Shoah, ce n’est plus un chapitre appris à l’école. C’est la haine qui a tué la famille de mon pote, et nous savons tous les deux que la bête immonde revient. À cause de Soral et Dieudonné. Le lendemain, mon téléphone n’arrête pas de sonner. L’imprimeur me réclame l’argent. Je me sens piégé. Pour une fois, je demande un service à Antoine. On ne s’est pas vus depuis quelque temps. Je lui raconte tout, le label et les T-shirts. Il se gratte la gorge : — Tu as pris des sous, personnellement, sur ton compte ? — Non, rien. C’est parti sur un faux compte. — Tu es sûr ? — Sûr. Je n’ai rien à voir avec tout ça. Ce n’est ni ma signature ni mon vrai nom, ils n’ont aucune preuve. Pas même un mail ou un texto. — Mais ce compte ? — C’est un compte ballot. Je n’y ai pas accès. Par contre, j’ai leurs noms, prénoms et adresses si tu veux. Il note les noms, sans s’y intéresser vraiment. L’histoire des T-shirts le fait marrer. C’est le moment de lui dire. — Écoute Antoine. Je ne sais pas ce que tu peux faire. Mais mon idée, c’est de tout arrêter. Il hoche la tête, compréhensif. C’est un tournant dans notre relation. Je sens bien qu’il s’en veut de m’avoir envoyé si loin en première ligne. Il est sincèrement désolé pour Jour de colère. Et pour une fois, c’est moi qui en joue. Je n’entendrai plus parler de l’imprimeur, ni de la facture impayée.
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CHAPITRE 26 La guerre des quenelles La guerre des quenelles couve depuis des mois, bien avant Jour de colère et la perquisition. Noémie est de plus en plus remontée contre son mari, surtout depuis que son ancien garde du corps raconte en détail leurs virées. Entre ses confidences et celles de sa femme, on regorge d’anecdotes savoureuses sur Dieudonné. Avec Valentin, il nous arrive de l’appeler Winnie l’Ourson. Un clin d’œil à une anecdote très privée. Se marrer permet d’évacuer la pression. L’horloge tourne. Valentin ne croit plus à la possibilité de briser l’alliance entre Soral et Dieudonné. Dans un accès de rage, Noémie lui a raconté qu’ils sont partis se réconcilier à Montretout, à la demande de Jean-Marie Le Pen. « Ces deux-là ne se fâcheront jamais », me dit Valentin. Il a pourtant tout essayé. Depuis des mois, il fait remarquer à Noémie que Soral ne cesse de récupérer la « quenelle » pour tenter de doubler Dieudonné. Ce n’est pas faux. Il dégaine à tour de bras, devant tous les objectifs qu’il peut trouver. Après un énième cliché, Noémie a fini par lui envoyer un courriel agacé : « La quenelle est une marque déposée, tu n’as pas le droit de l’utiliser sans autorisation, sinon on t’attaque. » Dieudonné est en copie. Soral devient fou. Au milieu de la nuit, la boucle de mails du mouvement se met à vibrer d’insultes. Soral revient sur les services rendus pour récupérer le disque dur et s’en prend violemment à Noémie. Des échanges meurtriers que récupère Valentin, et qu’il fait fuiter dans la presse. « Soral contre Dieudonné : La guerre du quenelle-business », « Querelle pour une quenelle ». Des articles ravageurs. Leurs bisbilles de boutiquiers s’étalent au grand jour. Et ça tache. Le succès de Jour de colère, la honte semée par la perquisition chez Dieudonné aggravent les dissensions. Au point que Jean-Marie Le Pen est à nouveau obligé d’intervenir pour sauver le projet de parti. Dieudonné est prêt à tourner la page. Soral, lui, est rancunier. La préparation du bal des quenelles, qui a lieu chaque année dans sa propriété, vient rallumer la guerre. Soral veut tenir un stand et venir avec ses vidéastes. Noémie tarde à lui répondre. Il s’agace. La femme de Dieudonné ne supporte plus ses sautes d’humeur : « J’avais d’autres choses à faire ! On se croirait à l’école avec toi ! » Soral se vexe : « J’avais autre chose à faire… Je vous la replacerai celle-là un jour où vous aurez besoin de moi et des miens. » Noémie le mouche : « Prends pas la grosse tête, Soral ! Rappelle-toi quand on te payait tes billets de train pour venir nous voir ! Je n’ai aucune obligation envers toi ! » Soral bombe le torse : « Vous ne m’avez jamais rien payé et je crois me souvenir que j’ai publié mon premier best-seller en 1984 (si tu ignores que, contrairement à toi, j’ai eu une vie avant la Main d’Or, tu peux aller t’instruire sur Amazon et Wikipédia). Je pense, en revanche, qu’il est dangereux de faire reposer tout un business sur une hystérique qui, elle, a visiblement pris la grosse tête… Bref, cette année les quenelles ce sera sans moi. » L’« hystérique » l’envoie paître : « Pauvre type ! Allez j’ai pas de temps à te consacrer en plus que ce mail ! Dommage qu’humainement tu ne sois pas plus humble et plus sympathique », avant de retropédaler et de retirer « pauvre type » : « Je t’aime bien parce que tu es punk et talentueux dans tes analyses géopolitiques, mais alors qu’est-ce que tu es fatigant toi aussi ! » On devine que le « toi aussi » vise son mari. Soral, toujours délicat, la renvoie à son statut d’épouse émotive : « Il serait temps que tu réalises que nous sommes – aussi – dans le sérieux (E & R est devenue une organisation de plusieurs milliers de membres) et que tu ne peux pas tout te permettre sous prétexte de sautes d’humeur, d’hormones ou de lassitude. Le talent de Dieudonné aide à supporter beaucoup, mais il y a des limites. » Le bal des quenelles, ce sera sans lui. Il boude. C’est moi qu’il envoie pour le représenter. * L’événement a lieu tous les ans dans le parc de la propriété que Dieudonné possède à Saint-Lubin-de-la-Haye, à une soixantaine de kilomètres de Paris. Une sorte de Woodstock antiseum (antisémite), rempli de gauchos et de fachos venus rire ensemble à des blagues nazies. Mille personnes. Un carton. À part moi et Tepa, un grand black qui anime la chaîne complotiste Meta TV, je vois surtout des blancs, en mode rasta, qui n’arrêtent pas de dire : « C’est horrible ce qui est arrivé à Dieudonné. » Des anti-Valls, des provinciaux, des happy few qui feignent d’ignorer que l’ogre a mal tourné. Très peu de mecs des quartiers, toujours fâchés après la découverte de l’oseille sous le matelas. Comme toujours avec Dieudonné, l’entrée est payante. 15 euros, de mémoire. Une fois la gabelle versée, le châtelain sait régaler ses paysans. Jeux et spectacles, tout est prévu, jusqu’aux bouffons du roi. Julien est là, avec l’un de mes T-shirts prototypes « Anti-SS ». Et bien sûr, il me redemande quand je compte payer l’imprimeur. Je dis que ça vient, le temps de les vendre aux cités. Ce qui ne risque pas d’arriver. Moi-même je porte l’une des rares versions sauvées des poubelles du T-shirt SS. Les conspis de l’Agence Info libre adorent. Ils veulent m’interviewer. Je fais mon numéro d’allié apprivoisé, niant l’antisémitisme du « bal des quenelles », saluant la convivialité de ce « Woodstock de la dissidence » de « toutes les couleurs », « comme une boîte à crayons » célébrant la diversité. Un pro du vocabulaire camouflé. Le ton n’y est pas, mes yeux fuient, tout mon corps veut abréger, mais ça leur plaît. J’ai dit ce qu’ils voulaient entendre. Je poursuis la visite, concentré sur l’objectif que je me suis fixé. Finir le travail de sape de Valentin. Ruiner ce business qui me file la nausée. Passé l’entrée, j’ai droit au privilège d’être accueilli par Noémie, dont j’ai tant entendu parler par Valentin, mais que je rencontre pour la première fois. À peine m’a-t-elle dit bonjour qu’elle se met à pourrir Soral auprès de moi. Elle est visiblement toujours remontée. Je feins de comprendre sa colère, le défend mollement, pour la vitrine, avant d’insister pour régler ça avec son mari : « J’aimerais en parler à Dieudonné, mais il refuse. J’ai l’impression qu’il ne m’aime pas. » Noémie hausse les épaules : « Je ne parle plus de ça avec lui. Il fait ce qu’il veut avec son pote ! » Elle s’éloigne, et je la vois papillonner d’un invité à l’autre, visiblement pompette et la tête ailleurs. Sans se douter une seconde que je sais tout de ses conversations avec Valentin, qu’elle rêve de partir et joue sûrement à la châtelaine du bal des quenelles pour la dernière fois. Depuis la perquisition, Dieudonné a mis au nom de sa femme tous ses comptes et toutes ses arnaques (« Ananacrédit », « Ananassurance »), pour être insolvable et ne pas payer les impôts en retard. Si Noémie le quitte, il perd sa boutique. À nous de trouver la meilleure carte à jouer. Je cherche le coin VIP. Le coin du domaine où le gratin de l’antisémitisme trinque au champagne. Laurent Louis et Jany Le Pen, la femme du Menhir, sont déjà arrivés. Trônant au milieu de sa cour, toujours avec le même rictus méprisant au coin des lèvres, Dieudonné me bat froid, pour changer. Il me dit juste : « Je ne me fâcherai jamais avec Alain. » Je n’ai aucune prise sur lui. Cet homme me méprise du plus profond de son être. Pendant qu’il me parle, il tend sa coupe en l’air et je vois un serviteur accourir de nulle part pour la remplir de champagne. Un pygmée majordome, qui obéit au moindre geste, sans même recevoir un regard de son maître. Une scène surréaliste. En traversant le parc, j’ai vu des rangées de mobil-homes. Il se dit que Dieudonné y loge sa famille pygmée. Des cousins qu’il ferait venir du Cameroun. Soudain, je comprends tout. Dieudonné est un blond à mèche, le digne héritier de ses ancêtres blancs. Pas du genre à rester en cale, plutôt du style à trinquer sur le pont avec ses amis suprémacistes. S’il ressemblait à Soral, tout le monde le verrait. Par chance, il a les cheveux crépus et un teint hâlé. On échange quand même nos numéros de téléphone, au forceps, lorsque son regard s’illumine. Un vieux monsieur blanc vient d’arriver dans le carré VIP. Dieudonné se lève de joie : « Ah, le pape est là ! » Lui qui déteste toucher les gens, il le prend dans ses bras, obséquieux comme jamais. Une admiration sincère et fraternelle. Tout le carré VIP le regarde comme un trésor vivant. Et je réalise qui se tient devant moi… Robert Faurisson. Le pape du négationnisme. Minuscule et rabougri. C’est ça Faurisson ? Les diables sont toujours décevants en vrai.
Dieudonné et Jany Le Pen se retirent avec lui dans un coin plus privé de la propriété, à rideaux fermés. De quoi ces trois-là peuvent-ils bien parler quand ils sont entre eux ? Ce n’est pas comme si le bal des quenelles ne permettait pas de se lâcher sur les Juifs. Toute la journée y est dédiée. Au hangar, le bal des quenelles a commencé par des morceaux de rap estampillés « Bras d’honneur ». On rappe du « SS » pour « Suceurs de sionistes ». Mes oreilles saignent. Mon T-shirt me gratte. J’ai envie de le brûler. Le clou du spectacle, c’est la remise des « quenelles d’or ». Déambulant sur scène entre deux immenses statuettes dorées levant le bras, Dieudonné remet les prix dans un état d’ébriété avancé. Laurent Louis rafle la « quenelle politique ». Joe le Corbeau une quenelle pour son site Croah. Et Kontre Kulture remporte la « quenelle littéraire ». Une façon d’encourager Soral à se réconcilier. En l’absence de son allié, Dieudonné ne lésine pas sur les compliments. Il salue le travail effectué, malgré la pression des procès et de la LICRA. Il fait taire les grognements dans la salle lorsqu’il explique qu’« Alain Soral n’est pas là ce soir » et cherche quelqu’un pour recevoir le prix à sa place. On m’a envoyé pour ça. Je lève le bras. Pour une fois, Dieudonné se montre chaleureux : « Ah ben Cardet, très bien. Comme ça, ce sera l’occasion de parler de Mathias. » Il doit être vraiment saoul parce qu’il me fait une bise sur le front. Alors qu’on s’est déjà parlé et qu’il ne peut pas m’encadrer. Son désir de se réconcilier avec Soral doit jouer. La statuette en main, je fais le con. « Soral n’a pas pu venir. 500 000 euros de procès. Donc à mon avis, il fait les 3/8… Je dédie le prix à son équipe. » Dieudonné encourage le public à lire les bouquins édités par Kontre Kulture, en ripant sur les mots, « C’est pas Fernand Nathan. C’est une autre façon de voir l’histoire. » Le public rit. J’en profite pour revenir sur une altercation entre la LDJ et deux dieudonnistes pour lancer un message bidon : « Faut que la peur change de camp. » Du cinoche. Ils sont contents. On passe à la « quenelle de la performance », qui encourage des anonymes à faire la quenelle derrière un journaliste ou dans le public d’une émission. Une hécatombe de bras levés. Le public jouit. Deux jeunes militants noirs « anti-système » montent sur scène : « C’est la plus belle récompense que j’aurais pu imaginer. Les César, on en a rien à foutre. Merci Dieudo pour ton courage. Les moutons peuvent rien face aux lions. Lui, c’est le roi Lion ! » S’ensuit un prix pour la quenelle de militaires. Leur avocat vient la chercher en Fred Perry. La soirée se termine par une photo des lauréats avec leurs statuettes. Je me cache derrière eux, en levant la statuette pour éviter de faire la quenelle. Dieudonné chante « François la sens-tu, qui se glisse dans ton cul, la quenelle… », sur l’air du Chant des partisans. Je repense à la grand-mère de Valentin. J’ai envie de vomir.
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Justement, je termine, avec une partie de la fin, pour vous donner des nouvelles de sa vie, au sympathique Thomas. CHAPITRE 27 Gaza Firm je passe, mais chap intéressant. CHAPITRE 29 Coup de pression & CHAPITRE 30 L’affaire Binti sont les meilleurs chap je pense. Citation :
CHAPITRE 32 Sorti de l’enfer Ma femme accouche le 6 janvier 2015. Le lendemain, j’apprends l’attentat contre Charlie Hebdo. Et bientôt celui contre l’Hyper Cacher. Kouachi. Coulibaly. Typiquement le genre de dingos que j’aurais pu signaler. Je le vis comme un signe du destin. Je ne songe plus qu’à mettre des kilomètres entre eux et moi, ma famille et leurs délires. Tu parles d’un Front de la foi. Le Front pour le Front, oui. Un monde où les extrêmes se renforcent. Tant mieux, si j’ai pu desserrer l’étau. Avec Jo et Valentin, on est heureux de les avoir affaiblis. Si Soral et Dieudonné étaient restés tout-puissants, le pays serait plus déchiré encore.
Ma sœur Rachel meurt peu après. Je me réconcilie avec mes parents sur son lit de mort. Ils me croient enfin. Même s’ils ne comprennent pas toute mon histoire, ni ses rebondissements. Ce livre est une façon de leur raconter.
Je suis tellement soulagé d’arrêter l’infiltration. Quitter ma fausse identité n’a pas été si facile ni sans dégâts. Soral s’est excité contre « l’indic Cardet » pendant des mois dans ses vidéos. Il n’en finit plus de se débattre avec l’affaire Binti. Tente d’effacer le contenu raciste de ses textos (le vrai problème) en insistant sur le complot qui a permis de les révéler. Dans ses confessions radio, particulièrement pathétiques, il raconte qu’il a envoyé la photo de sa bite pour prouver à Binti qu’il n’était pas « circoncis », tente de se faire passer pour un homme harcelé : « Je suis contacté presque quotidiennement par des femmes plus ou moins jeunes qui me disent qu’elles aiment mon travail et qui m’envoient des photos d’elles… » Puis, soudainement féministe, il amalgame Jo Dalton aux crimes et aux viols de jeunes Black Dragons de la branche junior, qui n’ont rien à voir avec son époque, ses valeurs et sa section. De sa retraite, Jo lui-même s’est ému de ces crimes qui salissent l’image qu’il se fait des Black Dragons. C’est bien sûr à Mathias Cardet que Soral réserve les flèches les plus rancunières. Il ne se remet pas de ne pas m’avoir vu venir. Comme je le comprends. Mais à force de se méfier des Juifs et de prendre les noirs pour ses esclaves, ça lui pendait au nez. Il me cherche partout pour me le faire payer. Le courage physique qu’il n’a pas eu face à moi, des hommes à lui pourraient s’en charger. Les premières années, sa pression s’abat sur Romain, le militant sympa de Lille qui m’a mis au parfum. Lorsque les rumeurs ont commencé à circuler sur moi, il m’a tout de suite contacté pour en parler : « Ce serait bien qu’on se voie, je suis abasourdi par cette histoire de flics, je ne veux pas y croire. » J’ai accepté de le revoir pour lui expliquer, sûr de sa sincérité. Romain n’a suivi Soral que parce qu’il cherche un père. Ce n’est pas un salaud. Ce jour-là, il arrive et me dit : — Dis-moi que c’est pas vrai. Je lui réponds que si, qu’il doit quitter ce mouvement de fous. Je sens qu’il hésite, qu’il est blessé. — Mais est-ce qu’on était vraiment amis ? me demande-t-il. — On n’a jamais été amis, Romain. Mais je t’aime bien. — Et la cause ? — Il n’y a pas de cause, Romain, réveille-toi. Ils vous manipulent.
— J’ai toujours voulu réformer, je suis chevènementiste… — C’est des salades, ça. Ils se fichent de toi. Tu ne vois rien de ce qui se passe sur Paris. Ils ne pensent qu’à leurs gueules. Derrière eux, il y a le grand méchant loup. C’est dangereux. Tu sais qu’à Jour de colère, ils voulaient aller rue des Rosiers ? — C’est pas vrai ? — C’est la pire des choses, ce mouvement. Il faut que tu partes. Romain se décompose, sincèrement ébranlé. Pourtant, il n’arrive pas à couper les ponts avec son seul réseau de sociabilité. Par amitié pour moi, il va se mettre à me défendre, à nous renseigner, Valentin et moi. Quand le mouvement apprend qu’il nous parle toujours, ils vont le pressuriser et l’humilier. En menaçant de révéler ses engagements à son employeur, pour qu’il ait peur et balance ce qu’il sait sur Valentin et moi. Romain a refusé, terrorisé.
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Un matin, Valentin m’apprend son suicide. Un journal du Nord annonce qu’un jeune cadre s’est allongé sur les rails et qu’il est mort sur le coup. Sa mère a trouvé une lettre d’adieu où il parle de nous comme étant ses seuls amis. Comme Valentin est l’un des derniers à l’avoir eu au téléphone, la police l’a prévenu. Son suicide nous a marqués tous les deux. Nous avons rencontré sa mère, effondrée, qui cherche à comprendre. Pour elle, Soral et sa secte l’ont poussé à se tuer. La pression sur Romain, c’est une alerte à l’intention de tous ceux qui fricotent avec ce genre d’organisation : ils ne vous laissent pas partir comme ça. Même pour moi, malgré la peur que j’inspire à Soral, la sortie de l’enfer a été longue. J’ai dû déménager trois fois. Quatre mois après la fin de mon infiltration, ma femme m’appelle en catastrophe : « Des gens sont venus chez nous, ils cherchaient Mathias ! » Et encore, j’ai des protections. Cela fait des mois que Jo et ses équipes mettent des coups de pression dans la rue aux mecs qui me traquent, notamment aux islamistes soraliens qui réclament mon scalp. J’appelle Antoine qui ne décroche pas. Aucun de ses numéros ne répond. Il a littéralement disparu des radars. Je dois faire face tout seul et déménager en urgence, avec mes trois enfants sous le bras. Je n’ai jamais autant stressé de ma vie. Pendant ces quarante-huit heures, j’ai dû l’appeler cent soixante-cinq fois, en lui laissant des messages d’insulte : « Vous me laissez tomber, vous êtes des fils de pute, je vais porter plainte, tout raconter à la presse. Vous m’avez utilisé. Et maintenant vous me laissez tomber ! Bande d’ordures ! » Silence radio. Pour déménager aussi vite, sans fiches d’imposition, j’ai dû proposer de payer six mois d’avance. Quelques mois plus tard, le cauchemar recommence. On sonne à l’interphone de notre appartement du 9e arrondissement. Quelqu’un demande à « Mathias » de descendre. Comment peuvent-ils avoir retrouvé cette adresse ? Valentin est le seul à la connaître. On est restés très amis. Et cela ne peut pas venir de lui. Mon hypothèse, c’est qu’ils tiennent un allié dans les services, un facho qui les renseigne. J’en sais rien. Je deviens peut-être parano. Tout ce que je sais, c’est que je dois à nouveau déménager. J’écris à Antoine. Toujours pas de réponse. Sur le coup, je lui en veux à mort. Valentin et Jo sont toujours à mes côtés. Jo passe sa vie entre la France et l’Afrique. Et Valentin s’est découvert une nouvelle obsession : être classé au tennis. Et de fait, en quelques mois, il joue comme un pro. Ce mec est inouï.
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On se voit souvent, pour un café, à la maison. Il fait partie de ma nouvelle existence, et me rappelle le meilleur de l’ancienne. Après avoir dit adieu à Mathias Cardet, il a fallu me réinventer, retrouver un sens à ma vie. Devenir enfin l’homme que je rêvais d’être. Le cinéma me passionne depuis l’enfance. Après deux faux livres, une vie de voyou et d’indic, j’ose enfin devenir scénariste. N’ayant rien à perdre, je contacte l’ami d’un ami qui bosse dans le milieu de la série, et je lui propose des textes qu’il trouve bons. Il me présente Franck Simier, chargé de développement chez Kabo, qui produit Scènes de ménages pour M6. Le contact passe direct. Je ne cache rien de mon passé, je lui raconte tout. Ça le fait marrer. Il prépare justement une série sur la police, Commissariat central. Puisque j’ai l’air de connaître le sujet, il m’invite à proposer des textes, qui sont acceptés. Me voilà entré dans la grande famille de la création. Cette fois, c’est la bonne porte d’entrée, celle d’un métier qui me passionne, où je n’ai plus besoin de mentir, juste d’imaginer. À cause de mon passé et des articles qui me collent aux basques sur Internet, je choisis de prendre le nom italien de ma femme. Pone. Ce Thomas-là, Thomas Pone, me ressemble pour de vrai. Il a soif de travailler. Ça marche fort. À quarante ans passés, je savoure cette troisième vie comme une chance inespérée. En plus, j’ai trouvé mon double, Varante Soudjian, le showrunner d’Access, une série pour laquelle j’écris. Comme Valentin, Varante a une histoire familiale très forte. Ses grands-parents arméniens ont échappé de peu au génocide. Son père, chanteur, est arrivé du Liban sans un sou. Nous savons, lui comme moi, le mal que peut faire le racisme exterminateur. Et de par nos caractères, on aime rire de tout. Ce qui nous soude comme des frères. Très vite, on imagine notre premier long métrage, Walter, puis un second, Inséparables. Ahmed Sylla y joue un peu mon rôle. Un jeune escroc qui tente de refaire sa vie et se voit rattrapé par l’amitié envahissante de son ancien codétenu, un personnage aussi dingo qu’hilarant, très fan de Poutine, joué par Alban Ivanov. Beaucoup de fous rires retenus pendant mon infiltration ne demandaient qu’à sortir. Écrire des films qui réconcilient au lieu de filer La Haine, c’est ma passion. Tant pis si je dois renoncer au tapis rouge des festivals, je refuse de faire des films misérabilistes qui nous enferment dans notre condition d’éternelles victimes, exotiques et viriles. Mes héros sont positifs et déconneurs. Leur identité, c’est le second degré, pas le premier. Mon cinéma, c’est celui des comédies populaires métissées comme Les Inconnus. Sans cynisme. Et ça marche. Plus d’un million d’entrées pour Inséparables. La voie royale pour monter d’autres projets. Mais comme dans le film, mon passé me rattrape de temps en temps. Mes mauvaises habitudes aussi. Surtout si je me sens en danger.
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Pour ne pas risquer d’être identifié par les soraliens, j’évite de monter sur scène aux côtés de Varante lors des avant-premières, alors que nous formons un vrai duo, un peu comme Nakache et Toledano. Je ne peux pas non plus donner d’interviews. Si je ne peux pas y aller, ma famille n’en profite pas non plus. Mes enfants ne peuvent pas dire à leurs camarades : « Ce film, c’est mon père. » On leur répondrait : « Ah ouais, pourquoi tu t’appelles pas comme lui ? » Tous mes partenaires sont au courant de ma vie d’avant. Mais comment expliquer cette histoire si compliquée au grand public ou sur les réseaux ? Je vis avec ce regret. Ma plus grande peur est arrivée pendant le premier confinement lié au coronavirus. Enfermé à la maison comme tout le monde, mon fils de 13 ans passe ses journées à tourner en rond sur Internet. Un jour, il tape « Thomas NLend » sur Google. J’entends ma femme crier depuis sa chambre, « Thom, viens ! » J’accours et je trouve mon fils en crise de spasmophilie. Son ordinateur est ouvert sur la page « Mathias Cardet ». Il ne verbalise pas, il répète seulement : « Papa, je t’aime. Mais j’ai peur. » Le petit a souvent des angoisses. Il dort la lumière allumée. Quand ma femme m’en veut, elle me rappelle qu’il était avec nous le soir du fameux dîner avec Soral, dans la chambre d’à côté. Ses ondes de fou ont dû le traumatiser. La vérité, c’est qu’il a grandi pendant mes années d’infiltration et de stress maximal. Je tente de la calmer, perdu comme jamais. Dans mes bras, mon gamin se met à pleurer : « Je ne savais pas que tu avais été un facho. Moi, je t’aime, c’est pas grave, mais mes amis vont se moquer de toi, ils ne savent pas que tu as changé. » Je fonds en larmes : « Papa n’a jamais été facho, mon cœur, je te le jure. » En voyant son petit frère pris de spasmes, ma fille aînée me colle un uppercut : « Ça devait arriver. » Ma fille aînée est brillante, étudiante à l’École normale supérieure. Elle me regarde et me lance : « Tu sais papa, j’ai toujours voulu faire de la politique, mais je sais qu’avec mon nom, ça ne sera jamais possible. » Je n’ai jamais eu si mal au ventre. Ce jour-là, j’ai décidé qu’il fallait tout raconter. Mes enfants ne peuvent pas payer parce que mon histoire est compliquée. Pour la première fois depuis notre dernier déménagement, j’envoie un message à Antoine : « C’est Thomas (Mathias Cardet, Georges Tron). Je ne sais pas si tu te souviens de moi mais j’aimerais bien qu’on se revoie, j’ai besoin de toi. » Et pour la première fois en six ans, il me répond. Lui aussi est confiné. Comme moi, il s’ennuie, il a passé en revue toutes ses vieilles boîtes emails, et il tombé sur mes anciens messages. On se donne rendez-vous pour le déconfinement et on se tombe dans les bras comme de vieux amis. Il a changé. Moi aussi. Antoine est désolé de ne pas avoir pu répondre à mes messages. C’est la règle, surtout vu la pagaille que j’ai fichue en partant. Il devait attendre que toute action illégale soit prescrite. Six ans. Mon dernier message est arrivé juste à temps.
Pour la première fois aussi, il me raconte un peu sa vie, qu’il s’appelle en réalité Noël Dubus, pourquoi il était difficile à joindre, et parfois irascible, les services qu’il a rendus au SIAT, ses ennuis avec le PKK qui a mis sa tête à prix, sa déception vis-à-vis des services français. Il ne rend plus service, sauf très ponctuellement. Le reste du temps, il utilise ses contacts en Afrique et ses connexions, sa capacité à monter des opérations d’infiltration, pour retrouver des criminels de guerre ou filer des tuyaux aux Américains, qu’il trouve plus généreux. J’apprends qu’il a lui-même financé mon infiltration. Ce qui explique pourquoi il me payait au lance-pierre. Je n’étais que la source d’une source, l’indic d’un indic. Comme moi, il s’est senti parfois manipulé, parfois lâché. Par peur de représailles du PKK, il a dû déménager, quitter sa copine et changer de vie. Au fond, nous avons beaucoup en commun, un côté voyou et un certain sens du devoir. Cela nous rapproche. Il accepte de rencontrer ma famille, mes enfants, de témoigner auprès d’eux que je n’ai pas déliré. Je dois absolument expliquer mon infiltration. C’est d’autant plus urgent qu’elle commence à être racontée contre moi à l’occasion d’un conflit commercial avec deux producteurs. Un passé aussi complexe, c’est une source perpétuelle d’emmerdements. Au premier accroc, il vous revient comme un boomerang. Ces producteurs nous ont signés pour deux films, un très bon contrat, mais ils ont eu les yeux plus gros que le ventre. Après quelques mois, ils refusent de payer pour la deuxième version du scénario, dans l’attente de financements extérieurs. Ce n’est pas prévu par le contrat et nos relations s’enveniment. Je leur ai raconté mon infiltration chez Soral, nous en avons souvent plaisanté ensemble, mais ils font semblant de tomber de l’armoire, appellent tout Paris pour me faire passer pour un ancien soralien qui tente d’infiltrer le cinéma français ! Une version rocambolesque que va acheter un journaliste de Marianne. Sans avoir voulu me rencontrer ni avoir lu notre scénario, il prétend que nous ne l’avons pas rendu, prend fait et cause pour la version des deux producteurs, pour lesquels il va même témoigner en justice, et me présente comme un escroc venu de chez Soral. Un repenti, et non infiltré. Un journaliste plus rigoureux aurait pu facilement démonter cette version. Demander à lire notre scénario, consulter les courriers de distributeurs qui l’ont reçu et aimé. Il aurait relevé que ces deux producteurs prétendent s’émouvoir de mon passé soralien, mais font tourner dans presque tous leurs films, y compris le tout dernier, un boxeur proche de Soral et de Frédéric Chatillon, Jérôme Le Banner, qui fait des quenelles ! Bizarrement, ce fait est omis. J’en deviens fou. Ces articles peuvent me coûter ma carrière. Je suis présenté comme un voyou, condamné à plusieurs reprises pour escroquerie (ce qui est faux), et comme un « apprenti scénariste ». Alors que je travaille comme scénariste depuis plus de dix ans, que j’ai signé l’un des films les plus téléchargés de l’année (Digital d’or) et que Varante est en train de tourner notre prochain long métrage avec Alban Ivanov à Marseille… Pas dit non plus. Comme si toute ma nouvelle vie ne comptait plus. Comme si un seul article malveillant pouvait l’effacer. La tornade empire après l’affaire Takieddine-Paris Match. À force de coller Noël Dubus pour m’assurer qu’il confirmera mon infiltration comme « Monsieur Antoine », je me retrouve mêlé à ses carambouilles. À suivre les coulisses d’une interview avec Ziad Takieddine, que connaît bien Noël, et qu’il facilite pour Paris Match. Ce qui me vaut d’être placé en garde en vue, le temps que les juges comprennent ce que je fiche dans les parages. Je me le demande encore. Je leur explique que je voulais rendre service à Noël pour l’amadouer, qu’il confirme mon infiltration et me lave du soupçon d’être un ancien soralien. Ce qui est vrai, mais pas malin. Je voulais sortir de l’enfer, j’y suis retourné tête baissée. Ma femme pensait enfin avoir la paix. Raté. Elle revit le cauchemar de mes années « Monsieur Antoine ». Et la campagne lancée contre moi par les deux producteurs avec qui nous sommes en procès avec Varante reprend de plus belle. Mon nom s’alourdit sur Internet. Mes enfants vont encore avoir honte. Et moi je ne sais plus où me mettre. On me rapporte des rumeurs insensées. Que je me fais passer pour un policier. Que ma femme serait voilée ! Prissi, voilée ! Elle voudrait m’engueuler. Mais elle voit bien que je vais craquer. La presse et ces rumeurs me renvoient une image déformante qui m’effraie. Si je ne connaissais pas mon histoire, jamais je ne ferais confiance à un gars qu’on présente ainsi. Dans un milieu aussi frileux que le cinéma, ma seconde chance peut en mourir. Les gens avec qui j’ai déjà travaillé m’appellent pour me soutenir. Eux me croient. Mais ceux qui ne me connaissent pas ? En plus de l’affaire, des soupçons et des articles dégueulasses, les menaces ont repris. Le premier article de Marianne est sorti la semaine où Soral a été arrêté. Furie chez les soraliens, qui redoublent de rage contre Mathias Cardet. Des hommes viennent frapper à la porte en demandant « Mathias ». Mon adresse se met à circuler sur les réseaux de la LDJ, dont certains membres communiquent avec les soraliens. Je dois porter plainte contre X pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Nouveau déménagement en catastrophe. Mes enfants ne déballent plus leurs cartons. Prissi ne supporte plus de vivre avec cette peur. Et moi, je repars en vrille. J'appelle Jo et des gros bras, des Black Dragons, pour mimer une descente dans le quartier de Soral. Une vidéo burlesque, digne d’un sketch, ridicule, mais au moins Soral reçoit le message. Le seul qu’il comprend. Ne pas m’approcher. Que je puisse retrouver le sommeil. Moins je dors, plus j’angoisse. Sans le soutien de mes amis et de ma femme, j’aurais craqué. Un médecin me prescrit du repos et des cachets. Mais c’est peut-être la perspective de ce livre, l’occasion de pouvoir tout dire, qui me tient debout. Quelques mois avant le retour de l’enfer, j’ai croisé la route d’un jeune producteur, Léo Maidenberg, qui se met en quatre pour m’aider : « Il faut que je te présente quelqu’un. Si elle te croit, elle t’aidera comme personne ». Léo vient de produire Sœurs d’armes, le premier film de Caroline Fourest. De tous leurs ennemis, c’est peut-être celle que détestent le plus les soraliens. Soral lui-même ne prononce jamais son nom, tellement il garde un souvenir traumatique de leur face-à-face sur RTL en 2009. Dieudonné vient de faire monter Faurisson sur scène, Soral prétend défendre la liberté d’expression. Fourest le renvoie à sa haine et le terrasse en direct. Un uppercut dont il se remet mal venant d’une femme, lesbienne qui plus est, tout ce qu’il déteste. Grâce à Léo, Caroline accepte de me rencontrer, moi et Varante, pour entendre mon histoire. Je m’attends à ce qu’elle soit méfiante, intraitable comme l’est sa réputation. Elle l’est, mais le courant passe immédiatement. Nous sommes nés la même année, nous avons mille références en commun. À commencer par Louis de Funès, ce que je n’avais pas prévu ! Comme moi, Caroline a infiltré l’extrême droite il y a des années, pour ses enquêtes. C’est un état d’esprit qu’elle comprend. Elle connaît surtout très bien la mouvance soralienne, me pose des questions très précises, me demande de raconter chaque épisode mille fois, en revenant sans cesse sur le moindre détail pour recouper… Pendant un an, elle m’a demandé les emails, les documents, téléphoné à ceux qui m’ont croisé avant et pendant mon infiltration, a exigé de rencontrer Antoine, d’autres membres du SIAT, et Valentin le méfiant, qui l’a immédiatement adoptée. Comme une famille de combattants, désireux de barrer la route aux fascistes, d’où qu’ils viennent. Une fois convaincue de ma sincérité, son soutien a été total. Elle a tenté d’alerter son journal, de le convaincre d’entendre ma version, et l’a payé. Elle m’a surtout encouragé à écrire ce livre. Pas seulement pour me défendre. Mais pour alerter sur la France qui monte. Plus le projet se rapprochait, plus les obstacles se dressaient. Monsieur Antoine, qui ne pensait pas le projet si sérieux, a voulu faire machine arrière. Je l’ai fréquenté pendant des mois pour m’assurer qu’il n’allait pas me lâcher et je me suis retrouvé à côtoyer tous les mondes que je voulais oublier. Jusqu’à « l’affaire » qui nous a de nouveau éloignés.
Le récit de cette infiltration, au milieu d’une tornade médiatique et d’un procès, peut embarrasser. Tant pis, c’est mon histoire. Et j’ai besoin de la raconter.
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Après il y a l'épilogue, mais ça résume plus ou moins ce qui a été dit. Message édité par Un Lurkeur Serieux le 24-01-2022 à 12:22:31 ---------------
Membre de la TEPA, la "Troupe d'Enculeurs de Pyramides Atlante", et pas de la TEMA, la "Troupe d'Enculeurs de Mouches Atlante", à ne pas confondre hein.
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