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Par Tony Timmermans - Agoravox - Mardi 2 octobre, 14h03
Tout récemment, en septembre dernier, l'hôpital psychiatrique de Sainte-Anne a ouvert ses portes au public. Les visiteurs ont pu découvrir ce qui est resté une énigme pour les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale : les profondeurs des catacombes, à 30 mètres sous le centre hospitalier. Jadis, un réseau de médecins résistants s'y donnait rendez-vous. Depuis, ce sont les cataphiles, autrement dit les amateurs de cavités souterraines, qui y festoient le week-end, entre les murs tagués. Les catacombes ont leur lot de mystères. Une vie parallèle s'y déroule.
Il n'y a pas si longtemps, le 3 septembre 2004, le parquet de Paris avait ouvert une enquête pour une affaire de « vol d'électricité ». La police, informée par un cataphile, venait de découvrir deux cavités souterraines à 18 mètres de profondeur sous le Trocadéro (dans le 16e arrondissement). L'une des deux était une salle de cinéma de 400 mètres carrés avec un matériel en état de marche. Cette salle de projection sauvage comportait un écran, des chaises et des gradins taillés dans la pierre. Juste à côté, un espace avait été aménagé en salle à manger avec bar. On y a retrouvé des bouteilles d'alcool et des films noirs des années 1950 et 1960. Il y avait même un téléphone. Un dispositif avait été mis en place pour faire fuir les curieux : à l'entrée, toute présence humaine déclenchait un bruit d'aboiements de chiens.
Lorsque les policiers sont redescendus avec des agents EDF pour établir l'origine du courant, tout avait été débranché. Une affichette avait été apposée, vraisemblablement par les utilisateurs des lieux, indiquant « Ne nous cherchez pas ». Personne n'a été interpellé. Cela étonne à première vue, mais le service des carrières de la ville de Paris ne connaissait pas cette salle. Dans le même temps, quelques détenus au niveau inférieur de la prison de la Santé, construite sur un gruyère, signalent aux gardiens des bruits étranges qui proviennent des sous-sols. Il ne s'agissait pas d'une tentative d'évasion mais de cataphiles qui faisaient la fête dans une salle aménagée des catacombes. Là encore, personne n'a été retrouvé.
Il y a 300 kilomètres de galeries qui s'étendent sous la ville des lumières. Ce sont d'anciennes carrières de gypse et de calcaire dont l'exploitation, qui a démarré au XIIe siècle, servait à fournir les matières premières nécessaires pour la construction de la ville. Abandonnées, elles sont recouvertes progressivement, et accueillent les ossements des cimetières parisiens depuis 1786. Aucun plan n'avait été tracé et aujourd'hui seule une infime partie du réseau est ouverte au public, là où les ossements de générations de parisiens s'empilent pour former des murs : ce sont les catacombes officielles, à Denfert-Rochereau. Ailleurs, c'est l'aventure. C'est dans les années 1960 et 1970 que la cataphilie atteint son sommet. Les étudiants s'en servaient pour contourner les CRS en mai 68, et « descendre dans les catas » était devenu une pratique courante, aussi dangereuse qu'interdite, chez les lycéens et étudiants.
Des cartes s'échangent, et l'on se réunit dans les salles souterraines après avoir marché sur des centaines de mètres en file indienne et le dos courbé, une torche à la main. Il faut ramper, se faufiler dans des chatières où l'on peut à peine passer et traverser des galeries parfois inondées où l'eau monte jusqu'aux genoux. On est à près de 20 mètres sous terre, plus bas encore que le métro et les égouts. Il y fait 15 degrés l'été comme l'hiver et le silence est roi. C'est une entrée dans un autre monde. Le dépaysement est radical. On y tombe sur d'anciens abris anti-aériens, d'anciens bunkers allemands, des ossuaires, des fontaines... Certaines salles ont une histoire vieille de plus de deux siècles, à l'exemple de la tombe de Philibert Aspairt, le portier du Val-de-Grâce qui a perdu son chemin dans les souterrains de Paris en 1793.
Une identité cataphile se développe, et une forme d'art contemporain prend forme : aménagement et décoration de salles, sculptures étonnantes (parfois des villes miniatures entières sont taillées dans la roche, à côté de gargouilles), graphes et fresques. Chaque médaille a cependant son revers. La police, narguée, reçoit des plaintes de cataphiles eux-mêmes qui se sont retrouvés dépouillés, agressés ou violés dans les catacombes. Les autorités dotent alors l'Inspection Générale des Carrières (IGC) de moyens renforcés. En 1981 le commandant Jean-Claude Sarratte obtient une équipe complète. Le jeu du chat et de la souris commence. Les Renseignements Généraux infiltrent les groupes de cataphiles pour mieux les connaître. Ils s'aperçoivent qu'il ne s'agit en rien de grand banditisme, de groupuscules, de sectes ou de gens manipulés. Pas de messe noire ou de trafic de drogue. Aucune récupération ou revendication mis à part le cas de quelques militants d'extrême-droite de la faculté d'Assas. Ce qui motive « l'accroc des catas » est une passion pour le patrimoine méconnu. Un profil type a été établi. Le cataphile est jeune (68% n'ont pas même 25 ans), masculin (il n'y a que 16% de femmes), étudiant (c'est le cas de 41% d'entre eux) et descend dans la majorité des cas le week-end.
Alors que les médias sont dans les deux camps, la police bétonne les entrées des galeries, mais les cataphiles parviennent à tout déboucher. L'IGC actionne le frein. Alors les cataphiles, qui se comptaient par milliers à la fin des années 1970 ne sont plus que 250 au début des années 1990. Ceux qui restent sont passionnés, tenaces et courageux. Il faut en effet contourner les CRS, les accidents et les mauvaises rencontres et éviter la leptospirose. La partie la plus intéressante des catacombes s'étend aujourd'hui sur le 14e et une partie du 13e arrondissement.
L'on y accède par une entrée creusée dans le tunnel de la Petite Ceinture, sous le Parc Montsouris. Il s'agit d'une voie de chemin de fer désaffectée, et bordée par une végétation luxuriante, qui longe les boulevards extérieurs de Paris. Fréquemment bouchée puis débouchée, l'entrée semble comme indiquée par les célèbres petits hommes blancs peints par Jerôme Mesnager à l'entrée du tunnel, côté Alésia, comme à l'intérieur même des galeries. Alors que le soleil se couche, des cataphiles, par groupe de quatre ou cinq, marchent sur les rails jusqu'à l'entrée, armés d'un casque avec lampe frontale. Taara, une blonde au visage très pâle, empreinte ce passage depuis une dizaine d'années, elle en connaît tous les recoins et témoigne d'une solidarité entre les cataphiles. « On s'échange des infos. Les rencontres soudaines sont amicales. C'est comme des aventuriers qui se croisent à l'autre bout du monde. » Le célèbre graffeur Bando s'est également illustré dans les catacombes, emportant dans son sillage l'auteur du livre Paris Tonkar, Tarek ben Yakhlef.
Au rang des espaces remarquables, notons la « salle Z » et ses voûtes, tournées, consolidées et inspirées de l'art roman. La salle Z est un lieu de prédilection pour les fêtes cataphiles, même si la fréquentation a beaucoup diminué. Un nom qui revient assez souvent également est « la plage ». Il s'agit d'une salle construite depuis une vingtaine d'années et dont le sol est constitué de sable de comblement. L'on remarquera sur ses murs une réplique d'une peinture du Japonais Hokusai. Enfin, on ne peut descendre dans les catas sans passer par « le château ». Cette grande salle ornée de gargouilles comporte une table ronde cernée par des bancs. Un château fort miniature y a été sculpté et un chandelier en fer forgé se dresse au milieu.
Les cataphiles s'appellent tous par leur pseudonyme. Certains grands noms sont incontournables. On retiendra Vox Cataphilus, Caron l'ange gardien, L'Araignée noire, Hamster jovial, Sas le prince des catacombes, Le baron blanc, Gaspe le lézard, La Mouette du 13e, Krapulax, Doc Tintin, Le Faux Boss, Frank en stein, Phantom, Cataschtroumpf, Barbara Glowceski, Fredy Panzer, Dragon buveur, K-taclysme et Hypnose. Beaucoup ont ouvert des sites dédiés à leur passion sur Internet. Mais attention, les cartes qu'ils mettent à disposition peuvent ne plus être d'actualité. Alors attention à ne pas se perdre.
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