Ton CR
CR Hardware : "Future Shock" : SHADOW - Le cloud gaming à la française
(CR en partie synthétisé depuis un article préparé pour un canard de gamers, avec l'aimable autorisation de mon bien-aimé rédac'-chef )
PS : oui le timing est étrange avec Stoon & consorts qui ont fait leur propre topo lors de l'émission GK la semaine dernière. Mon opinion étant fort sensiblement différente, je me dis : "osef".
Se brancher à un ordinateur haut de gamme via internet et profiter de la puissance monstrueuse de la bête pour jouer à ses titres favoris, en réglages tout à fond pour décoller sa rétine et avec des perf FPS et fluidité au top ? En gros, du véritable coud-gaming, cloud-computing même, qui fonctionne et qui déchire ? C'est la promesse de BLADE, une start-up française qui arrive sur le marché avec son offre « Shadow » : pour une somme fixe par mois, vous profitez d'une machine avec une GTX 1070 dédiée, processeur Xeon de 6 threads dédiées, 12 Go RAM dédiée et le SDD qui va bien (évidemment lui aussi dédié).
Le pari est-il réussi ? Votre serviteur a pu tester l'offre grand public en conditions réelles depuis plusieurs jours et il est tenté de répondre « Oui ». Avec les mesures de prudence qui s'imposent.
Mais on va pas se mentir : toute cette affaire sent bon. Très bon même !
TL,DR - la conclusion en 2 mots : Ca marche pas mal, voire même que ça marche en fait carrément bien en général ! Pour peu qu'on ne fasse pas parti du % d'utilisateurs qui expérimentent des problèmes, les résultats sont bluffants. Latence imperceptible, stabilité de la machine, performances au taquet de ce que propose une GTX 1070, simplicité d'utilisation, liberté totale sur sa bécane, etc...
Moi je suis conquis, toutefois je demeure vigilant. Reste à voir comment l'entreprise gérera les problèmes récurrents que rencontrent certains de ses clients (lag malgré de la fibre, qualité d'image dégradé, ou de la "pixellisation" comme dirait Stoon) et enfin surtout comment se comportera le dispositif dans son mode "boitier" qui est censé procurer l'expérience optimale de Shadow.
On recommandera donc de tester d'abord avec un peu de prudence, mais si le concept vous tente et que vous y voyez votre intérêt, et bien foncez sans hésiter !
Cloud-gaming ? Cloud-computing ?
Oui parce que bon, c'est bien gentil tous ces termes, mais on s'y perd un peu à force. Surtout que l'utilisateur averti ou simplement un peu malin sait bien qu'avec les solutions « miracles » il y a bien souvent anguille sous roche.
Ces dernières années plusieurs grands acteurs du jeu vidéo et de matériel ont lancé des offres dites de « cloud », c'est-à-dire d'un service dématérialisé accessible via une connexion internet et qui permettait d'utiliser le contenu mis à disposition par l'opérateur. Sony, NVIDIA, par exemple, mais la liste est longue et les services proposés sont multiples.
Qu'avons-nous dans Shadow ? À première vue du cloud computing classique : l'entreprise nous propose d'accéder à son matériel informatique via une connexion internet.
Mais à la différence d'un NVIDIA qui partage sa carte graphique entre tous les utilisateurs, Shadow lui a mis en place du matériel dédié. C'est-à-dire ? Et bien concrètement mon abonnement me met à disposition intégrale une GTX 1070 : quand je ne l'utilise pas, cette dernière n'est pas employée par un autre abonné. Idem pour la mémoire vive : mes 12 GO de RAM sont à moi et rien qu'à moi, en aucun cas mutualisés avec les autres. Pareil pour mon espace disque (250 Go en SSD) et enfin reste le processeur où l'on me dédie 6 cœurs rien qu'à mon utilisation personnelle. Si j'ai envie de laisser ma machine inutilisée pendant des jours ou des semaines, Shadow n'y touchera jamais.
En conséquence, d'un point de vue matériel, la solution employée m'assure une disponibilité à 100 % sans rupture de charge ou ralentissement dû à un engorgement par les utilisateurs. C'est un point extrêmement important et impératif, à moins sens, pour assurer la viabilité des performances.
Ce petit boîtier c'est lui qu'on appelle « Shadow ». Il se connecte au datacenter de Blade où sont logées les machines et optimise les flux réseau et compression via un algorithme maison traité directement dans le hardware du boîtier, autrement dit dans un traitement de streaming local qui permet d'optimiser le rapport « qualité-réactivité » et donc d'afficher des performances théoriques bien supérieures aux services de streaming classiques comme celui de NVIDIA.
Pour streamer efficacement en utilisant la pleine puissance de la machine on s'attend évidemment à obtenir une connexion internet à toute épreuve. Seule cette exigence permet de garantir 1) un framerate élevé et constant en haute qualité graphique et 2) une latence minimale, voire imperceptible, qui assure une réactivité immédiate dans les commandes.
Et côté utilisateur alors ? Et bien c'est là que tout va se jouer. À titre d'exemple, on nous indique qu'un bon 20 Mbps permet d'être en full HD à 60 fps constant ce qui reste le but ciblé par la grande partie des joueurs PCs que nous sommes, assez à cheval voir intégristes sur ces questions.
En deçà, Shadow considère qu'une connexion de 5-7 Mbps peut convenir pour une performance acceptable, soit grosso modo moins de 1 Mo/s pouvant accessible par une ligne classique ADSL ou VDSL. Reste à définir ce que peut être cet « acceptable » pour chacun (résolution, fps, etc…). L'entreprise insiste toutefois avec force sur la nécessité de posséder une connexion stable, dont le débit ne joue pas au yoyo. En conséquence de quoi il semble tout à fait impératif de disposer d'une connexion fibrée ou a minimum d'une connexion cuivre VDSL performante. Ne pas s'y conformer serait s'exposer à un risque réel.
La promesse et les résultats : bluffant
Bluffant, voilà, le mot est lâché. Je m'attendais à des bugs, des problèmes ici et là, et peut-être même un peu de déception. J'ai eu quelques bugs et il existe des soucis, suffisamment significatif pour que j'en parle après, mais la déception ? Non. Pas une seconde.
Précisons un peu les choses et les conditions de l'expérience :
• D'abord je n'ai pas reçu mon boîtier à temps au moment de l'écriture de cet article, car l'entreprise était à la bourre (cf les problèmes évoqués ). Je me suis donc connecté à ma machine via le client serveur disponible depuis peu. La différence ? Je ne suis en conditions « non optimales » car je n'ai donc pas le boîtier et son algorithme pour optimiser les flux et la compression.
• Ma connexion est fibrée : 3ms de latence et 100 Mbps facile en débit descendant (l'avantage de l'IDF versus ses inconvénients )
• J'emploie une connexion wifi entre ma box et mon ordinateur personnel : j'ajoute donc du ping, un peu de latence entre les systèmes, et de la fluctuation dans le débit.
• L'expérience est menée sur mon laptop, une bécane très honnête, mais limitée : je n'ai à disposition qu'une carte 960M (donc un équivalent d'une GTX 660) et un processeur certes i7 avec 4 cœurs et 2.5 GHz max.
Pourquoi m'être imposé tout ça ? Parce que je voulais vraiment pousser le système dans ses conditions « réelles » et pas uniquement rester dans des cas « optimisé ». Je pars du principe que « qui peut le plus peut le moins », par conséquent si Shadow me propose une expérience correcte dans de telles circonstances et bien nous pouvons nous sentir confiants sur le reste.
J'ai testé plusieurs jeux dont la version PC est connue soit pour être fort bien optimisée, soit pour mettre à genou les cartes graphiques, soit pour décoller la rétine tant la qualité visuelle éclate l'œil. Je me suis néanmoins restreint à la résolution en 1080p, d'une part car c'est le maximum que peut atteindre l'écran de mon portable et d'autre part car pour le moment encore la majorité des joueurs PC potentiellement intéressés par Shadow sont dans ces résolutions.
Mad Max :
Le titre d'Avalanche Studios est un petit bijou de portage et d'optimisation. La plupart des machines même modestes le font tourner formidablement bien avec un beau niveau de détails.
Sur Shadow, le jeu explose littéralement le compteur : tous les réglages sont poussés à fond, avec filtre anisotropique à x16 (gros impact de perfs en général), gestion des effets particules et lumières au max + occlusion ambiante, et tutti quanti. Le résultat est magique : les fps s'envolent et ne baissent jamais sous les 60, on ne ressent pas la plus petite latence ! Vraiment, toute la patate et la nervosité de cet excellent jeu sont bien là. On ne penserait jamais qu'il tourne en réalité sur une machine à une centaine de kilomètres de chez soit.
Un sans-faute donc. Mais Mad Max était une épreuve « facile », bien qu'indispensable. Passons maintenant à du plus lourd.
Witcher 3 :
Le meilleur jeu de l'univers (ou presque, enfin ça dépend des goûts ) est un petit bijou de qualité graphique et de performance. Les polonais de CDPR ont réalisé un boulot incroyable en nous offrant ce très très beau jeu, qui tourne de manière correcte sur des configurations modestes. Néanmoins il faut savoir muscler sa machine si l'on veut profiter à fond de ses qualités artistiques et de la pléthore d'effets qu'il propose.
Sur Shadow, on est à nouveau conquis. En 1080p, avec les réglages poussés de nouveau à fond pour la plupart, on atteint sans le moindre problème le 60 FPS. C'est vraiment beau, très très beau même, quand le vent souffle dans les herbes, que les rayons de soleil crépusculaires découpent la silhouette de Géralt, quand les particules de cendres d'une ville en feu entourent notre personnage, ou encore quand le bateau gigote dans tous les sens à Skellige.
Malheureusement, même la GTX 1070 de Shadow montre des signes de faiblesses quand les options les plus gourmandes sont activées. Difficile de tenir tout le temps son framerate avec le hairworks de Nvidia activé ou le MSAO en x8. Néanmoins nous touchons là à l'exigence du moteur du jeu, qui plus est en open-world massif : ces limitations existaient déjà avec les configurations « hardcore » et seuls les possesseurs de carte 980 Titan, ou utilisant plusieurs cartes graphiques en parallèle, parvenaient en partie à s'en affranchir. Difficile donc d'en vouloir à Shadow qui n'a jamais eu pour vocation de concurrencer de tels monstres.
La latence est à nouveau excellente, j'oserai même dire imperceptible (en tout cas pour moi). C'est un véritable plaisir de parcourir le jeu avec une configuration vraiment solide et sur une qualité graphique si excellente.
Épreuve de nouveau concluante donc ! Il est désormais l'heure de passer au dernier round.
Deus Ex - Mankind Divided :
L'épreuve de vérité s'il en est. Le titre d'Eidos Montréal est hélas connu pour son extrême gourmandise en termes de performance. Il faut dire que le jeu n'y va pas de main morte avec une ville de Prague superbe et des effets de lumière volumétrique parmi les plus puissants de ce qui se fait dans la production actuelle. Son optimisation n'est pas la panacée, mais on reste dans du tout à fait correcte, surtout comparé à un Dishonored 2 ou à Mass Effect Andromedra (qui, s'il est joli, est tout de même largement un cran en dessous quand on pousse les réglages à fond).
Les configurations classiques à coup de GTX 970 ont du mal avec ce Deus Ex : en 1080p, il est difficile de tenir 60 FPS sans sacrifier plusieurs options assez significatives. Exit donc le MSAA (l'antialiasing le plus gourmand du monde ou presque), les textures en qualité Ultra, et quelques autres trucs comme le détail des particules.
Avec shadow, on retrouve certaines de ses limitations, mais force est de constater qu'un vrai bond qualitatif est accessible. En 1080p, voici dans le détail ce qu'on peut retrouver :
• En Ultra tous paramètres + MSAA x4, nous voici à 35-40 Fps. Un résultat honorable, mais on sent bien qu'on atteint les limites de la machine. Il suffit de baisser le MSAA en x2 pour gratter tout de suite 10 Fps. En désactivant l'option, on atteint cash le 60 fps et on est tranquille, malgré quelques drops
• En Very High tous paramètres et MSAA désactivé, le Shadow nous bombarde du 60 Fps constant sans le moindre drop. Rappelons que ce chiffre constitue un « lock » par le jeu, que l'on peut faire sauter en bidouillant les .ini : Shadow nous donne alors du 80 Fps sans problème et parfois plus.
La latence, dans tous les cas, demeure à nouveau complètement imperceptible. Même en Ultra avec le MSAA activé en x4. Un résultat vraiment bluffant.
En parallèle, plusieurs journalistes de la presse spécialisée plutôt crédibles ont eu l'occasion de poncer leurs impressions sur du jeu multi. Battlefield 1, Counter-strike GO, Overwatch ou encore Street fighter V : tous remontent l'excellence de l'expérience, avec une latence soit a priori complètement absence soit si minime que son intact ne faisait nullement ressentir. On vous conseillera ainsi la lecture du très bon article de Gamekult sur le sujet.
Shadow réussit donc brillamment ses performances techniques et sa promesse d'une expérience de cloud-gaming en stream à très haut niveau. Pas de ralentissement, pas de déconnexion, pas de chute de framerate intempestif, pas de latence insupportable. La barre est haute, très haute, et la concurrence nous fait l'effet d'être à une année-lumière de distance. Bravo à la start-up française ! Le pari est remporté.
Est-ce pour autant un sans-faute ? Non. Shadow souffre de plusieurs problèmes et de quelques soucis encore en cours de correction. Nul doute que ces derniers seront résolus à terme, suite aux patchs de rigueur et au suivi de l'entreprise qui ne risque pas d'abandonner son produit après trois mois comme peuvent le faire certains éditeurs peu scrupuleux (je vise personne, mais suivez mon regard : vous savez où il pointe).
Les limitations de Shadow et ses problèmes actuels
Un certain nombre d'utilisateurs remonte aujourd'hui des soucis de périphériques non reconnus : particulièrement gênant quand il s'agit de la télévision ou d'un écran 72 » à résolution 4K ou 3D ! Blade nous explique qu'il explique beaucoup de modèles et de technologies et qu'ils n'ont pas encore réussi à tout couvrir car malheureusement l'industrie n'a pas suivi de normes globales et chaque constructeur a tendance à faire à sa sauce. À l'heure d'aujourd'hui, l'entreprise considère avoir résolu la plupart de ces problèmes et se piquerait même de réfléchir à une future solution qui permettrait de jouer en VR à haut niveau de performance.
Nous n'en sommes toutefois pas encore tout à fait là et l'on rencontrera parfois quelques problèmes en ce qui concerne les détections des claviers et souris en wireless, quoique de manière ici beaucoup plus occasionnelle. Cela reste néanmoins assez ennuyeux quand on fait partie de la minorité en question. Côté manette en revanche, a priori les soucis sont rares et corrigibles sans trop d'embêtements.
Je ne jette pourtant pas la pierre à Blade : pour bosser moi-même sur des projets très importants, dans des entreprises structurées et avec des équipes conséquentes, je sais à quel point tout peut soudain partir en cacahouète à partir de rien. Et qui parmi nous peut avoir oublié la nullité absolue de Blizzard au lancement de Diablo 3, quand les serveurs sont tombés ? Ou les premières bêtises d'Ubisoft avec ses jeux multi en ligne ? Le lancement catastrophique de Batman Arkham Knight sur PC ou, plus récemment, le gouffre abyssal de qualité que nous proposent les modélisations faciales de Mass Effect Andromedra ? Les plus grands eux-mêmes ont leur lot de casseroles et certains ont su tirer les leçons de leurs erreurs pour offrir de la vraie qualité ; gageons que Blade saura se structurer et faire de même.
Conclusion
La technologie de Blade est renversante sur ses possibilités et ce qu'elle offre. On osait à peine l'espérer et ces Français l'ont fait. C'est un résultat remarquable, salué par une levée de fonds de 17 M€ et d'aujourd'hui plus de 3000 clients en service. Demain c'est l'Europe et le reste de l'International que vise Blade : une belle ambition, que ne dédaigneraient pas les esprits libres et forts que représentent les joueurs exigeants que nous sommes.
Tout n'est pas encore parfait et l'on sera très vigilant sur l'évolution de la société. Les promesses sont belles et bien là et l'on se surprend à parier du meilleur pour la suite. Souhaitons que Blade ait les épaules assez solides et une vision assez claire de son marché pour confirmer sa lancée et devenir l'acteur incontournable du cloud gaming qu'elle est en droit d'ambitionner.
Rendez-vous pour la suite à l'occasion de la livraison du boîtier et du test final ! Mais aujourd'hui, voilà qui est déjà fort prometteur.
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#AOC2024 & #2028