"Mes 10 jours à Fleury-Mérogis
Octobre 1997, 6 h 30 du matin
On frappe violemment à la porte. Ma mère ouvre. J'entends des voix qui l'interrogent : "votre fils est là ?" A moitié somnolant, j'ouvre les yeux. Ils sont cinq ou six. Ils sont policiers, ils viennent de Paris et veulent perquisitionner chez moi. Nous descendons dans ma cave qui me sert de bureau. Les fouilles commencent.
Ils me racontent qu'un certain X... a été attrapé en vendant des Doctor V64 (DV64) sur l'internet. Mes esprits me reviennent au bout de quinze minutes (c'est dur, le matin !). J'avais oublié ce type, nous n'avions plus de contact depuis notre retour en France. Je l'avais rencontré sur le net, nous avions rapidement sympathisé. En mai 1997, ce passionné d'informatique et de jeux vidéo m'a proposé d'aller faire une virée à Hong Kong. Je ramènerai de ce voyage quatre DV64, mon compagnon de route beaucoup plus, pensant pouvoir les revendre à bon prix.
Je montre la facture bien gentiment à mes visiteurs. Apparemment, cela ne leur suffit pas. Ils me demandent pourquoi je n'ai pas de graveur, de CD vierges, etc. Je tente de leur expliquer que je ne vends pas ce type de matériels. Rien à faire, ils persistent, cherchent et recherchent dans toute la maison. Ils me confisquent mon PC, tous les logiciels utilisés étaient pourtant des originaux. Dans l'histoire, je perds une partie de la comptabilité de ma société. (A ce jour, je n'ai toujours rien récupéré.) Pas le temps de s'habiller décemment !
Deux heures s'écoulent
Ils préviennent ma mère : "On va prendre la déposition de votre fils, il sera de retour cet après-midi." Je n'avais pas eu le temps de mettre ni caleçon, ni chaussettes, juste un jean, un tee-shirt et une paire de baskets. Je demande à pouvoir m'habiller correctement. "Pas la peine !", me dit-on ,"cela ne durera pas longtemps." Arrivé au poste, on me jette dans une petite cage. "Garde à vue", qu'ils appellent ça !
Plusieurs heures passent. On vient enfin me chercher et on m'interroge. Puis, on me ramène en cage : je dois passer la nuit ici. Mais au fait de quoi suis-je accusé ? "Contrefaçon, import parallèle illicite." Ah ? Je n'étais pas au courant. Mais bon, je me dis que je sortirai le lendemain.
Le lendemain matin, rebelote !
Petit interrogatoire. Il paraît qu'on attend la décision du juge d'instruction. Allez, v'lan, le temps qu'elle réfléchisse et je passe encore la journée en garde à vue ! Le soir, j'apprends que le juge désire me voir et faire une confrontation. Il y a un mandat d'amener, je vais être transféré à la prison de ma ville pour la nuit, avant de partir pour Paris le lendemain. Le juge n'y connaît que dalle !
Le lendemain, menottes aux poignets, je monte dans une camionnette. On arrive à la gare. Quatre policiers m'accompagnent jusqu'à Paris. Ils étaient sympa ceux-là. Ils ne comprenaient rien à cette histoire et se demandaient pourquoi l'on me faisait ça. Ils pensaient qu'il y avait d'autres choses plus importantes à faire qu'humilier un type comme moi : attraper les pédophiles, les violeurs, les meurtriers, etc.
Enfin, nous voilà arrivés. Je salue mon escorte et me voilà dans une autre camionnette, direction le tribunal ! Je me retrouve dans une grande salle, en attendant que le juge d'instruction se libère. Six heures au moins. Je vois passer ce que, moi, j'appelle des délinquants. Je me fais insulter, cracher dessus. Mais je ne peux pas vraiment l'ouvrir, je ne suis là pour rien à mes yeux, je ne veux pas leur donner quoi que ce soit qui pourrait les conforter dans leurs préjugés. Après ces quelques incidents, dont apparemment tout le tribunal se moque, j'arrive devant madame le juge d'instruction.
Pas le temps d'en placer une ! Ce n'est pas que je ne l'aime pas ce juge d'instruction, au contraire, elle avait l'air de bonne foi. Mais voilà : elle doit avoir plus de 50 ans. Apparemment, elle ne connaît rien à la technologie et quelqu'un l'a briefé en lui faisant croire que les DV64 étaient des copieurs plein de jeux N64. Comment lui faire comprendre qu'il ne s'agit que d'un simple lecteur ?
Elle m'annonce clairement son intention de me garder en prison jusqu'à la confrontation (je croyais que c'était aujourd'hui ?). Mon avocat commis d'office ne fait pas grand chose, il se contente de répéter que je suis "un petit jeune qui n'a jamais rien fait de mal."
Mon bizutage en prison
Voilà, comment de son lit à 6 heures du mat, on se trouve 72 heures plus tard, à Fleury-Mérogis, une des plus grandes prisons d'Europe ! A l'arrivée, prise d'empreintes. Certains employés me demandent ce que je fais ici. Je réponds, ils disent qu'ils sont cinglés de m'envoyer là, que je ne devrais pas être ici pour cela, ou alors tous ceux qui achètent un magnétoscope ou un graveur aussi. Ensuite vient le moment le plus humiliant de ma vie. J'arrive dans une grande pièce blanche. Au fond, trois gardiens avec le sourire en coin. Sur le sol, au milieu, je vois des traces de mains et de pieds dessinées. Je ne comprends pas encore. Un d'eux me demande de m'avancer. Je dois me déshabiller, tout nu. Ils fouillent mes habits (jusque-là, ça va, puisque, depuis le début, j'ai dû être cinq ou six fois foutu à poil !). Je dois mettre mes pieds sur les traces au centre, puis me mettre accroupi les mains sur les traces. Un des gardiens fait le tour et regarde mon cul. Je dois tousser une fois, deux fois (...), cinq ou six fois en tout. Pourquoi ? Pour voir si je n'ai pas de drogue ou autre corps étranger dans l'anus ! Cela fait maintenant 72 heures que je suis surveillé 24 heures sur 24. Je l'aurais déjà chié leur merde si j'avais eu quelque chose !
Mes copensionnaires
Quelques heures après, je me retrouve en cellule avec un gars un peu chétif. Il est camé, apparemment, et surtout en manque. Il n'arrête pas de vomir et de tousser. Le lendemain matin, il y a plein de vomi par terre. Pas moyen de descendre du lit superposé. Passé deux jours là-dedans, je suis transféré dans mes vrais appartements. Je passe 24 heures avec un type qui ne parle pas, à part pour répéter : "Ils disent que j'ai tué mon beau-frère !" Pas moyen de dormir cette nuit-là. Le lendemain, j'arrive dans une piaule où je vais passer six jours. Avec moi un Black hyper sympa. Lui, il est en France depuis 18 ans, et maintenant ils n'en veulent plus ! Au bout de 18 ans, sans prévenir, ils sont allés le cueillir un peu comme moi, alors qu'il est très bien intégré, très cultivé, et surtout très honnête, sûrement plus que certains hommes politiques au pouvoir dont on entend chaque jour des choses plus honteuses. Il me conseille de ne pas sortir, car les gardiens adorent les bagarres et ne séparent que quand tout est fini. J'ai bien fait de l'écouter. Le seul jour où j'ai eu le droit de sortir de ma piaule, c'était pour prendre une douche. Je me suis battu avec quatre types. Personne n'est venu m'aider. J'ai dû me débrouiller seul pour réussir à sortir des douches et rejoindre ma piaule. La tête éclatée, mais tout le monde s'en fout !
A ma sortie, on me colle une amende !
Enfin, je me retrouve à nouveau devant le juge d'instruction. Je suis libre en attendant que l'instruction se termine, mais je n'ai pas le droit de quitter le territoire. De retour à la cellule, je dois préparer mes affaires (faut dire que c'était vite fait !). Je vais sortir, il est 19 heures. A 20 heures, on me transfère au rez-de-chaussée dans une petite pièce, j'attends une camionnette. Elle arrive, peu après minuit. Il y a pas mal de mecs dedans, on va tous sortir. Ils ont l'air heureux. On nous dépose à la gare, je regarde les trains pour Paris Est, je viens de louper le dernier de cinq minutes (cela ne serait pas fait exprès, par hasard ?). Je marche. Je n'ai toujours pas un centime sur moi. Il pleut, je n'ai ni chaussettes, ni slip depuis dix jours. Je me sens comme une merde. Je demande 10 F à une personne pour appeler un ami. Je lui dit que je rentre bientôt qu'il reste éveillé. Je continue de marcher, encore et encore. Je manque de me faire agresser deux fois. J'arrive enfin gare de l'Est. Il doit être 3 h 30 du mat. J'ai faim, j'ai soif. Il y a pas de train avant 7 heures. Je reste éveillé, pas moyen de dormir. Le train arrive enfin. Je vais directement dans les w.-c. pour boire un peu mais, surtout, pour regarder ma tête. Je ne le saurai que plus tard mais j'ai perdu 7 kg en une semaine. J'ai des boutons partout, des cernes sous les yeux, et le sentiment de n'être plus rien. Je n'ai jamais ressenti ça avant, ça fait mal. Le contrôleur arrive, me demande mon billet. Je n'en ai pas, je n'ai pas d'argent ! Je lui explique mon histoire. Malgré la gueule que j'ai, il a du mal à me croire : il me verbalise ! De rage, je déchirerai le billet un peu plus tard (la SCNF me réclame aujourd'hui 2.500 F). J'arrive enfin, après cinq heures de train. Je taxe un peu de sous à un mec, qui a l'air de me les donner par peur. J'ai honte. Je téléphone, un ami passe me prendre. Je ne sais pas quoi lui dire, j'ai envie d'un bain, envie d'oublier. Je n'ai pas pu en parler pendant quinze jours. Je ne me sens plus comme avant.
Ce n'est pas fini ! C'était il y a un an. Depuis, la nuit, je dors mal. J'ai toujours le sentiment qu'on va venir me chercher, demain à 6 h du mat'. Même si je n'avais plus eu bruit de cette histoire. Mais elle vient de resurgir, il y a quelques jours. La lenteur des procédures m'avait fait croire à une erreur oubliée, à tort. Je viens de recevoir une lettre du juge d'instruction : l'instruction est terminée, je vais être jugé. Mais jugé de quoi ? D'avoir importé un appareil en vente libre partout dans le monde ?
Un présumé coupable
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