cguignol c'est toi, satan? | La traversée du Golfe de Gascogne (partie 2), par le Moussaillon Guignol ... Il est 1h15 du matin quand Lucien vient me demander si je suis en état de prendre mon quart. Je n'ai pas du tout dormi, encore faiblard mais je me dis que les deux loustics doivent être bien crevés. Je me lève, enfile mon équipement et me cale dans la descente, le capot tiré de façon à ce que la pluie ne tombe pas à l'intérieur. Le pilote automatique est enclenché, il faut faire une surveillance des alentours, on est passés entre les orages et après 3 ris dans la grand-voile, nous sommes sous tourmentin seul... et ça avance encore, poussés par les vagues qui font rouler le bateau par l'arrière Il fait nuit noir, pas de lune ni d'étoiles, les seuls lueurs sont celles des bateaux de pêche qui quadrillent la zone et dont je vois les projecteurs une fois toutes les 20 secondes, le reste du temps la houle masquant l'ensemble. Je veille à ce qu'aucun navire ne soit trop près, fort heureusement l'AIS est enclenché et les pêcheurs restent loin de notre embarcation. Ce quart est l'occasion de contempler l'océan, de faire des pauses cérébrales (en fermant les yeux et en comptant jusqu'à 10, je suis crevé ) et finalement, les 2h passent bien vite. Ca souffle, il pleut mais mon équipement décath est très efficace et je n'ai ni froid et ne suit pas mouillé.
3h30, je file dans ma couchette en me mettant la tête aux pieds, et arrive enfin à trouver le sommeil vu que je suis enfin calé et certain que je ne vais pas finir en ventriglisse.
7h, on m'appelle sur le pont et je prends la barre au petit matin. Les conditions se présentent mieux et même si le vent reste établi, les conditions se calment un peu, notamment la houle. Une banane avalée en 1/2h, je sens la nausée qui revient.
Je décide d'aller me coucher quand les camarades sont sur le pied de guerre, non sans avoir rendu la banane, qui passe aussi bien dans un sens que de l'autre . J'arrive pas à bouffer, je dégueule, je commence à être inquiet et à m'interroger sur la pénibilité du reste de la traversée... sans compter qu'au bout d'un moment, je vais avoir du mal à m'hydrater et garder de l'énergie
Après une grosse sieste matinale, je sors sur le pont : on ne voit plus la terre, nous sommes en plein océan. La Galice a été visible très longtemps avec ses falaises, mais là c'est terminé, nous sommes au milieu de l'eau... et ça ne me fait pas grand-chose au final Je ne me sens plus nauséeux, et mon mal-être semble s'être dissipé avec le sommeil. Cool
La navigation se passe tranquillement sur la journée, avec des changements de voile successifs histoire de faire marcher le bateau, pour l'instant nous sommes à 6 nœuds de moyenne, et nous sommes passés sur un vent de travers. Le soleil parvient même à se monter, histoire d'égayer la vue (et le coucher de soleil ). La navigation est confortable, j'arrive enfin à manger et à profiter... mais impossible de prendre le repas du soir dans le carré, je partagerai ce moment convivial dans la descente, la tête dehors
20h, il nous reste 180 milles pour arriver à Port-Médoc.
J'ai barré une grande partie de la journée, et je prends une nouvelle fois mon quart en pleine nuit, ayant choisi de me reposer en premier. Durant mon sommeil, le bateau fait une embardée, j'ai le réflexe de lofer un grand-coup avec ma main droite, me frappant le torse d'un coup sec, ce qui me réveille... allongé dans ma couchette Je suis un peu trop vigilant
Je sors sur le pont, peu de vagues et le bateau file à 8 nœuds, pépère sous un ciel limpide et étoilé, c'est magnifique. De temps en temps je vais à la barre pour vérifier que le pilote ne force pas (en cas de montée du vent par exemple, le bateau trop toilé est moins contrôlable et nécessite un effort plus important sur le safran). Soudain, j'ai le sentiment que ça souffle un peu plus, je vais à la barre : je tiens le bateau mais sent que ça commence à être sportif. Je gagne en cap le temps de la risée, usant de l'adonnante, mais ça ne suffit pas et le Sélection commence à partir au tas, lentement mais sûrement. Je rends de la grand-voile et tente d'abattre, mais ça devient super sport à tenir Les conditions ont changé en l'espace de quelques minutes, et à présent ça souffle la pute. Tapant sur le pont, j'appelle le capitaine qui dormait paisiblement Il déboule, m'indique qu'il faut encore lâcher de la GV et qu'abattre suffira... effectivement j'étais dans ma tête sur un Laser, et lâcher 20cm en dériveur, c'est lâcher 2m d'écoute sur un canot de 11m, petit détail insignifiant
Je termine mon quart avec un ris supplémentaire dans la GV (ça en fait deux, on en avait pris un en préventif avant de nous coucher... et on a bien fait vu que les conditions étaient montées pendant la nuit) : C'est la bascule du vent qui a généré cette accélération soudaine, comme quoi la météo n'avait pas menti
En parlant de ça, c'est incroyable la précision de prévisions sur 3 jours, que ce soit pour la houle ou le vent. Même les grains locaux qui étaient annoncés se sont produits La journée du vendredi se déroule en mode croisière : soleil malgré quelques grains entre lesquels nous nous faufilons, un vent et une houle qui faiblissent encore. à 9h, nous regardons combien il nous reste à parcourir : 78 milles. En 13h, nous avons fait plus de 100 milles... soit 7,7 knt de moyenne durant la nuit Le vent molli, c'est parfois un peu chiant, on se traine la bite mais c'est reposant. Cela étant on doit arriver bien calé sur la marée à Cordouan pour ne pas se prendre la renverse en pleine gueule et ramer à mort en rentrant dans l'estuaire, sans compter le vent qui va faiblir... le timing est serré
Les premiers oiseaux pointent le bout de leur bec, et nous envoyons une traîne, un peu au hasard et un peu parce que le plancher océanique remonte de 4000 à 120 mètres d'un coup. 5 minutes plus tard, on remonte un thon blanc de 5kg sur le pont, après l'avoir ferré à 8 noeuds et en cargant les voiles pour arriver à tirer la bête
Un coup d'alcool dans la gueule et zouip, rip le poiscaille Le lendemain, on se le fera à la poêle et en marinade de citron, on s'est pétés le bide, j'avais les artères pleines de métaux lourds pour l'année après ça (et la vache, c'est dingue comment c'est facile à découper ce poisson-là, avec peux de viscères et 95% de muscle)
Je file me coucher en début de soirée pour être d'attaque avec l'arrivée sur la côte. Il est 21h15, et des grains s'approchent et ça souffle un peu plus. Je cherche le sommeil, flippant à nouveau qu'un des vieux passe à l'eau.
ffffffffFSSHHHHHHHHHHHHHFSHHHHHHHHHHHHHHHH FOPFOPFOPFOPOFOP FOP FOP FOP FOP
Je me réveille en sursaut, mode semi panique. Le bateau s'est arrêté comme sur un quai de gare, et ne bouge plus. Il est 22h20, on n'est pas arrivé. J'entends un *bonk* métallique sur le pont, des pas lourds et plus rien. Bordel, on est à l'arrêt, comme si on était sur un quai de gare, mais c'est dingue!!! Ou alors... à couple d'un bateau.
Putain, des pirates espagnols. Lucien m'avait parlé du fait que les pêcheurs espagnols pouvaient remonter sur nos eaux territoriales pour pêcher, ça doit être des pirates espagnols. Non mais non, c'est pas possible, réfléchit un peu.
Putain mais n'empêche, on est à l'arrêt complet au milieu de nulle part, personne ne répond quand j'appelle, le carré est vide... on s'est fait aborder. Va falloir se défendre, je suis le dernier rempart, il va falloir que je sauve mes camarades. Les poings serrés, j'attends fermement dans ma couchette, prêt à bondir sauvagement sur le premier pirate qui montrera le bout de son nez.
Une silhouette se montre : prêt à bondir, je lâche doucement : "
- Hervé?
- oui? - ...
- prêt à monter sur le pont mon camarade, t'as pu dormir un peu? - heu ouais ouais héhé j'arrive "
Je vous dit pas les barres de rire des deux compères quand je leur ai raconté l'histoire Alors ce qu'il s'est passé, c'est qu'un gros orage nous est tombé sur la gueule, du coup plutôt que partir en fuite et perdre une heure, les deux loulous ont préférer mettre le bateau en panne et affaler tout. D'où les bruits, l'arrêt brutal, etc.
Pour la petite histoire, dans des contextes suffisamment stimulants, je suis sujets aux hallucinations nocturnes et à la paralysie du sommeil. Il en résulte souvent des histoires assez étranges comme celle-ci
Nous arrivons face au chenal après avoir passé la bouée BXA, et c'est parti pour de longues heures de navigation en pleine nuit avec votre serviteur à la barre, à moitié aveuglé par les lumières de la côte. Vu que je distingue mal les couleurs, je fais vérifier mes amères à Hervé pour m'assurer que je cape sur la bonne bouée. J'arrive à identifier la première verte, et après 10 minutes de navigation, je me rends compte qu'on s'était mis d'accord sur une description qui faisait que je pensais à une verte, mais c'était une autre
Bref le vent tombe complètement, et on finit au moteur. Hervé m'avait filé la gestion de cap parce qu'il avait les yeux explosés par la fatigue, et Lucien tente de barrer mais c'est une catastrophe. On fait route vers 120°, d'un coup on se retrouve à 50°.
"- Hé lulu, c'est cap 120.
- hein ah euh ouihoui gnmngf nbgzvc (?)
- si tu veux je prends la barre, moi ça va.
- oui heu parce que c'est chiant de barrer au moteur."
Deux minutes plus tard, lucien était en pls dans sa couchette en train de ronquer
On touche le ponton de Port Médoc à 3h10 le samedi matin, après être partis le mercredi à 11h30. 6 Noeuds de moyenne jusqu'à l'entrée de l'estuaire depuis La Corogne, et puis après on s'est trainés la bite à 4 noeuds, mais nous sommes passés avant la renverse. C'est l'heure de tout plier et d'aller se coucher pour un sommeil bien mérité, avant la première douche depuis 3 jours (cette sensation, l'eau chaude sur le corps et la découverte devant le miroir du bronzage raton laveur ), une journée à la cool et la remontée de la Garonne jusqu'à Bordeaux le dimanche.
Bref, c'était putain de pur comme expérience, j'ai surkiffé, ça m'a éclairé sur les équipements indispensables pour mon bateau et revue ma copie sur pas mal de trucs. Bordel de dieu, c'était bieng
---------------
* Le Gros Connard, youtubeur moto* *RIP Brains et Grojulius * Chignolement votre, le blog de la haine et de la rageance
|