Allen Carr, la multinationale pour arrêter de fumer.
En publiant sa «Méthode simple pour arrêter de fumer», cet ancien expert-comptable est devenu riche. Il a ouvert des centres anti-cigarette dans 18 pays.
PAR SANDRINE WILHELM
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J'avais arrêté de fumer depuis une semaine quand j'ai découvert le livre d'Allen Carr, «La Méthode simple pour arrêter de fumer». Un client le commandait dans une librairie française de Zurich. Ce livre m'a intriguée et je l'ai acheté.
Ce n'est que peu après que j'ai appris qu'il s'agissait d'un best-seller traduit en 25 langues et qu'Allen Carr était devenu une véritable industrie. Depuis qu'il a publié son livre en 1985, cet ancien expert-comptable anglais se consacre exclusivement à ses frères fumeurs.
En plus du livre, la méthode s'accompagne de cours donnés dans des centres spécialisés qui rappellent les méthodes scientologues, en moins addictifs, mais presque aussi chers. La thérapie, qui ne dure qu'une seule après-midi, coûte 490 francs en Suisse. On peut la suivre à Zurich, dans plusieurs autres villes alémaniques et à Lausanne.
En France, le premier centre a été ouvert il y a trois ans et il y en a maintenant six. De tels centres existent aujourd'hui dans 18 pays, de l'Equateur à Hong-Kong. Pour preuve de bonne foi, ces centres Allen Carr s'engagent à rembourser les clients en cas d'échec, c'est-à-dire en cas de rechute dans les trois mois.
Le pourcentage d'échecs serait de 25% et toucherait essentiellement les adolescents forcés par leurs parents à entreprendre la démarche. A part ça, des milliers de personnes de par le monde cesseraient chaque jour de fumer grâce à Allen Carr.
Pour tenter de percer le secret, il faut lire le livre, comme dirait Jésus ou Ron Hubbard. Je me suis donc plongée dans ce best-seller traduit en 25 langues. Parce qu'il prône une méthode miraculeuse, le remède des remèdes à une maladie très difficilement curable: la maladie de fumer. Son titre en forme de publicité s'accompagne d'un slogan vendeur: «Arrêter de fumer, en fait c'est facile!»
Pourtant, la technique du Britannique Allen Carr s'apparente à celle, plus ancienne, qu'on appelle «méthode Coué». L'auteur utilise la technique de la répétition, comme un prédicateur. Pour asseoir sa crédibilité, il part de son expérience personnelle. Il a fumé pendant trente ans, jusqu'à cinq paquets (une centaine de cigarettes) les mauvais jours.
Il a essayé plusieurs fois d'arrêter, sans succès. Malgré la toux, malgré sa femme le menaçant de divorce, malgré les sommes folles qui partaient en fumée.
Pourtant, un beau jour, sans y croire, il a réussi à arrêter, du jour au lendemain. Avec un suspens digne d'un thriller, l'auteur joue avec le désir du lecteur de comprendre le pourquoi et le comment. Il a l'art de faire croire qu'il livre son secret, tout en noyant le poisson.
En fait, avec un peu de recul, on comprend que la méthode se résume à une sorte d'auto-persuasion imprégnée d'une pseudomystique.
Allen Carr se présente comme celui qui apporte la bonne parole et vient sauver ses pauvres frères fumeurs. Il a découvert ce que «l'humanité attendait», est-il écrit dans la courte préface.
Tout au long de son livre, Allen Carr a largement recours à un vocabulaire christique, qui atteint son apogée à la fin: l'ex-fumeur qui a arrêté de fumer depuis trois semaines aurait tout à coup une «révélation». Il sait qu'il n'aura plus jamais besoin de fumer et qu'il n'a fait aucun sacrifice, au contraire. Il éprouverait même de la pitié pour les fumeurs qui persistent dans leur vice. Enfin, si l'idée d'une cigarette lui venait, il devrait immédiatement se dire: «Non! Dieu merci je suis libre!»
L'une des conditions essentielles étant qu'il ne faut jamais, au grand jamais, s'accorder la moindre cigarette ou quoi que ce soit qui lui ressemble. Enfin, pour filer la métaphore, il est recommandé d'avoir toujours le livre d'Allen Carr avec soi à la façon d'une Bible.
Bien entendu, sa méthode ne présente que des avantages: elle est instantanée, efficace avec tous les types de fumeurs, ne provoque aucune angoisse, ne fait pas grossir et elle est définitive.
J'ai lu le bouquin d'Alan Carr et je sais donc que, selon lui, je suis toujours une fumeuse car je m'accorde entre un et trois cigarillos par jour. Je suis donc toujours une «droguée», condamnée à rechuter. Je pense pourtant être sincèrement dégoûtée de la cigarette, le cigarillo étant un pur plaisir et un moindre mal. Je ne pense pas qu'il n'y ait qu'une vérité ni une seule méthode. N'en déplaise à Monsieur Carr et à la sienne.
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Sandrine Wilhelm, journaliste, vit et travaille à Zurich.