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Auteur Sujet :

Ecriture d'un roman d'heroic fantasy

n°2012053
jeunejedi
Posté le 09-02-2004 à 00:50:26  profilanswer
 

Reprise du message précédent :

LoneCat a écrit :

Oh my god, mais il est partout :D.


 
ah bon ou ca aussi? [:ddr555]
 
sinon tu as été membre d'un comité de lecture, qqchose comme ca?

mood
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Posté le 09-02-2004 à 00:50:26  profilanswer
 

n°2012058
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 09-02-2004 à 00:51:27  profilanswer
 

Voilà une réponse qui a le mérite d'être claire.
 
Le fait est que je ne m'attends clairement pas à faire de la grande littérature. Mais, comme tu le fais remarquer, il y a eu bien pire d'édité.
 
Dans ces conditions, pourquoi broyer du noir ? :D
 
EDIT: Lonecat est un vieil ami de JeuxOnline  :kaola:
EDIT2: Je serais intéressé par savoir:
 
1. Quelles parties tu as eu l'occasion de lire
2. Ce qui t'a rebuté
 
Quitte à critiquer, autant que ce soit constructif pour moi ;)


Message édité par Grenouille Bleue le 09-02-2004 à 00:55:29
n°2012792
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 09-02-2004 à 08:56:13  profilanswer
 

Ouf... jviens de rentrer de week-end, y a deux nouveaux chapitres à lire  :ouch: bon va falloir que je trouve un moment.  
Pour ma part et d'après ce que j'ai lu (c'est-à-dire surtout en considérant le style, puisqu'on ne peut pas avoir une idée vraiment nette de l'histoire pour le moment) je pense que ça a des chances d'être publié un jour, peut-être quitte à faire des modifs. Je trouve que dans le même genre cela vaut bien un roman comme "Le trône de fer" par exemple (de GRR Martin), publié chez j'ai lu...  
 
Par contre je pense que tes envois aux éditeurs ne sont pas assez diversifiés. Là où Lonecat pourrait bien avoir raison (pour le reste je lui laisse  :sarcastic: ) c'est que chez l'Atalante, qui est un petit éditeur, on prend en général moins de risques que dans une grosse boîte où on peut se permettre d'amortir un titre qui se vend moins bien par un titre qui se vend bien... d'où chez l'Atalante une grosse proportion d'auteurs connus (Pratchett, Scott Card, etc. ) au détriment d'auteurs débutants... que l'on retrouve surtout chez Fleuve Noir (ça me semble pas mal pour ce que tu écris, tu devrais essayer chez eux), certaines collections de poche comme J'ai Lu, etc.  
 
et Courage !!  
 
En tous cas moi je veux toujours  :bounce: la suite ! :bounce:

n°2013039
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 09-02-2004 à 10:24:00  profilanswer
 

Panem a écrit :

Ouf... jviens de rentrer de week-end, y a deux nouveaux chapitres à lire  :ouch: bon va falloir que je trouve un moment.  
Pour ma part et d'après ce que j'ai lu (c'est-à-dire surtout en considérant le style, puisqu'on ne peut pas avoir une idée vraiment nette de l'histoire pour le moment) je pense que ça a des chances d'être publié un jour, peut-être quitte à faire des modifs. Je trouve que dans le même genre cela vaut bien un roman comme "Le trône de fer" par exemple (de GRR Martin), publié chez j'ai lu...


 
C'est probablement le plus beau compliment que tu puisses me faire. Je suis un fan inconditionnel de GRR Martin et de Song of Ice & Fire. Mais je doute vraiment d'arriver un jour au niveau d'intérêt et de complexité de son cycle.
 

Panem a écrit :


Par contre je pense que tes envois aux éditeurs ne sont pas assez diversifiés. Là où Lonecat pourrait bien avoir raison (pour le reste je lui laisse  :sarcastic: ) c'est que chez l'Atalante, qui est un petit éditeur, on prend en général moins de risques que dans une grosse boîte où on peut se permettre d'amortir un titre qui se vend moins bien par un titre qui se vend bien... d'où chez l'Atalante une grosse proportion d'auteurs connus (Pratchett, Scott Card, etc. ) au détriment d'auteurs débutants... que l'on retrouve surtout chez Fleuve Noir (ça me semble pas mal pour ce que tu écris, tu devrais essayer chez eux), certaines collections de poche comme J'ai Lu, etc.


 
L'ennui, c'est que la plupart de ces maisons font uniquement de la réédition. Je ne crois pas que J'ai Lu ait jamais publié un premier roman, et j'ai des doutes sur Fleuve Noir. A voir... dans tous les cas, ça fera un gros volume de papier, tout ça...  :bounce:  
 
 

Panem a écrit :


En tous cas moi je veux toujours  :bounce: la suite ! :bounce:  


 
Coa ?
Les deux chapitres que tu avais en retard ne t'ont pas suffi ? Mais tu es un goinfre !  :D

n°2013097
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 09-02-2004 à 10:41:01  profilanswer
 

Grenouille Bleue a écrit :


 
C'est probablement le plus beau compliment que tu puisses me faire. Je suis un fan inconditionnel de GRR Martin et de Song of Ice & Fire. Mais je doute vraiment d'arriver un jour au niveau d'intérêt et de complexité de son cycle.
 


 
Mais si, mais si... bon j'ai pas tout lu le cycle, mais quand même, c'est pas Marcel Proust G.R.R Martin ! C'est bien écrit, c'est efficace, mais le niveau est atteignable ! Persévère et y a pas de pb  :hello:  
 

Citation :

L'ennui, c'est que la plupart de ces maisons font uniquement de la réédition. Je ne crois pas que J'ai Lu ait jamais publié un premier roman, et j'ai des doutes sur Fleuve Noir. A voir... dans tous les cas, ça fera un gros volume de papier, tout ça...  :bounce:


 
Je connais un auteur, Hervé Jubert, dont les romans ont été édités directement en J'ai Lu. Et j'ai eu une prof de français éditée chez J'ai Lu également. Premier bouquin de SF (des nouvelles). Quant à Fleuve Noir je sais qu'ils rééditent beaucoup mais tu ne perdra rien à tenter. Pis y a des tonnes de collections en Fantasy, c'est pas ce qui manque. Fais tourner la photocopieuse de Papa, du patron ou autre :lol:  
 
 

Citation :

Coa ?
Les deux chapitres que tu avais en retard ne t'ont pas suffi ? Mais tu es un goinfre !  :D


 
Et encore, je reste calme ! :pt1cable:

n°2013142
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 09-02-2004 à 10:49:22  profilanswer
 

Bon, je crois que je vais intensifier le rythme des chapitres à ce point.
 
Mon idée était effectivement d'envoyer le roman en entier (40 chapitres) à un éditeur, mais on m'a finalement fortement suggéré de n'envoyer que le premier tome (23 chapitres). Dans ces conditions, ça veut dire que je vais probablement le faire partir le week-end prochain, et que ça accélère tout (ooooh, toute cette pression  :D)
 
Donc, sans plus attendre, voici le chapitre 7.
Il devrait plaire aux amateurs d'hémoglobine...
 
 
_____________________________________________________
 
Petit à petit, la neige se raréfiait.
Ce ne furent d?abord que quelques rochers qui émergeaient de l?immensite blanche, sur lesquels s?aggripaient désespérément la mousse et le lichen. Puis les arbres remplacèrent les arbustes. Le marron se mêlait au blanc sur le sol, et les sabots des chevaux s'enfonçaient dans la boue avec un horrible bruit de succion. Les animaux se faisaient plus nombreux, et les signes de présence humaine se multiplièrent au fil des lieues. La toundra laissait lentement la place à la civilisation.
 
Shareen avançait le dos très droit, les sourcils froncés. Elle était mécontente, et elle entendait bien que Malek le sache. Si seulement il voulait bien faire l'effort de regarder dans sa direction, elle pourrait lui montrer clairement comme elle désapprouvait sa décision de suivre Rekk. Et s'il décidait de parler avec elle, elle parviendrait à lui expliquer qu'il ne devait surtout pas faire ça.
Mais il ne faisait ni l'un ni l'autre. Depuis deux jours, elle pouvait tout aussi bien avoir disparu, pour toute l'attention qu'il lui portait. Obstinément, la mâchoire serrée et le regard étincelant, il tentait de convaincre Rekk du bien fondé de sa démarche. Encore maintenant, comme un chien obstiné qui refusait de lâcher sa proie, il chevauchait aux côtés du Boucher, et ses mains s'agitaient pour renforcer ses arguments.
 
Shareen leva les yeux au ciel. Pourquoi les hommes se comportaient-ils toujours comme des enfants ? Cette histoire de vengeance était absolument ridicule. Ca ne pouvait que tourner mal. Rien de constructif ne pourrait venir de leur haine mutuelle. Shareen se refusait à haïr. Honorer le souvenir de Deria était une chose, mais éviscérer vivant son assassin ? Malgré les températures plus clémentes, la jeune fille resserra les pans de son manteau contre elle. Un frisson lui parcourait l'échine, qui n'avait rien à voir avec le froid.
"Je connais la ville comme ma poche !" insistait Malek, la voix montant bien malgré lui dans les aigüs. "Ses rues, ses tavernes ! Je connais certains gardes, et je connais des nobles au palais ! Je pourrais vous être utile !"
Rekk secoua la tête, muet. Les premières heures, sa réponse n'avait été qu'un non péremptoire. Depuis quelques temps, il n'en prenait même plus la peine, et se bornait à hausser les épaules de temps en temps. Malgré sa réputation, il semblait avoir d'infinies réserves de patience dans certains domaines. A sa place, Shareen aurait déjà étranglé depuis longtemps le jeune noble. Il était parfois?
Shareen ne put s'empêcher de glousser en réalisant où ses pensées la menaient. Comment pouvait-elle se permettre de critiquer le jeune duc ?
Mais d'un autre côté, il était tellement gamin?
 
"Je sais me battre !" répétait Malek pour la dixième fois. Ses mains agitaient une épée imaginaire. "J'étais la deuxième lame de l'Académie de Musheim. Je ne serai pas un poids mort, je vous le promets. Je sais tirer à l'arc, aussi. Et je peux?"
Rekk fit brutalement volter sa monture, et se retrouva face au jeune noble. Son visage habituellement impassible était crispé en une grimace d'exaspération. Shareen gémit intérieurement. Il y avait bien des limites à sa patience.
Le Boucher pointa son doigt comme s'il s'agissait d'une arme, et le piqua dans le flanc de Malek avec force. Instinctivement, le jeune homme recula, mais le Boucher avançait au même rythme, et son doigt ne cessait pas de fouailler ses côtés jusqu'à provoquer une grimace de douleur.
 
"Maintenant écoute-moi bien, gamin" cracha-t-il. "La seule raison pour laquelle vous êtes avec moi jusqu'à présent, c'est parce que vous étiez des amis de ma fille et que vous avez honoré sa mémoire. Les routes ne sont pas sûres pour des enfants comme vous, et j'ai bien l'intention de vous ramener à Musheim sains et saufs. Si ça veut dire que je dois vous traîner par la peau des fesses, je le ferai. Mais une fois là-bas, je ne veux pas entendre parler de vous. Plus jamais. Plus une seule fois. Est-ce que je suis bien clair ?"
Il n'avait pas haussé le ton, mais ses yeux brûlaient dans son visage émacié, et Malek ne parvenait pas à le regarder en face.
"Mais?" balbutia-t-il.
"Une autre chose. Ca ne me plaît pas particulièrement de jouer les nounous. Si en plus il faut que je t'écoute parler, ça devient insupportable. Si tu me parles encore une seule fois de la manière dont tu seras utile à Musheim, tu fais le reste du voyage avec un baillon."
Sans attendre le hochement de tête incertain de Malek, le Banni se remit en route. Une pression sur les rênes fit partir sa monture au trot sur le chemin boueux, les sabots projetant des éclaboussures dans tous les sens.
 
Le jeune garçon resta seul, incrédule. Ses yeux étaient écarquilés, trop grands pour ce visage juvénile. Sa main se posa sur son épée l'espace d'un spasme, puis ses doigts s'en écartèrent. Sa bouche s'agitait furieusement sans qu'aucun bruit n'en sorte.
"Démon !" finit-il par hurler lorsqu'il eut retrouvé sa voix. "Comment oses-tu me donner des ordres ! Je vais te faire empaler !"
Shareen étouffa un sourire. Le jeune noble était fier, mais il n'aurait jamais osé injurier comme ça le Boucher s'il n'avait pas été sûr qu'il était assez loin pour que le vent emporte ses paroles. Doucement, elle s'approcha.
"Malek? tout va bien ?" Elle fit une pause. "Ce n'est pas grave, tu sais. Je t'ai déjà dit qu'il était complètement fou. Nous ferions mieux de rentrer tranquillement à l'Académie. Ce serait plus?"
"Ah, ne commence pas, toi, hein ?"
Le jeune homme ne lui adressa pas un regard. Il semblait au bord de l'apoplexie, et il cravacha sa monture comme si sa vie en dépendait. Le fier destrier se lança aussitôt au galop. Et Shareen se retrouva seule.
 
"Attends une seconde ! Malek ! Je ne sais pas?"
Peine perdue. Rekk avait déjà disparu au loin, et Malek commençait à diminuer rapidement contre l'horizon. Shareen ferma les yeux, rassembla ses rênes, et pria la Déesse Vierge de lui accorder une nouvelle vie. Elle talonna sa monture.
La jument n'attendait que cela. Restreinte depuis plusieurs jours par l'épais manteau neigeux, elle bondit aussitôt que la pression sur les rênes se relâcha. Shareen poussa un cri de surprise, et ses mains s'agrippèrent sur le pommeau de la selle pour tenter de rester debout. Le vent de la course lui piquait les yeux. Elle ne voyait plus rien, et des larmes commencèrent à couler alors qu'elle agitait la tête. Ses cheveux coulaient librement sur ses épaules, deux rivières qui débordaient soudain de leur lit et qui lui inondaient le visage. Elle était terrifiée. Elle était agonisante. Elle était?
?heureuse. Un sourire béat monta lentement sur ses lèvres alors que la peur se volatilisait. Les foulées régulières de la jument n'avaient rien à voir avec le trot difficile qui lui brisait le dos. Elle se sentait unie avec sa monture, comme par un lien secret et sacré, et elle acommpagnait sa course dans un mouvement fluide et éternel. Autour d'elle, le paysage se dévidait à toute vitesse, des arbres, des plantes et des rochers. Quelques fermes, aussi, et des visages incrédules qui regardaient passer la jeune amazone sans avoir le temps de se demander si cette apparition était réelle ou non.
 
La forme de Malek ne diminuait plus dans le lointain. Petit à petit, elle gagnait sur lui. L'exultation monta en elle. Elle se sentait euphorique, alors qu'elle se penchait sur l'encolure de sa jument et la flattait du plat de la main.
"Courage, ma belle ! On va le rejoindre !"
Comme si elle avait entendu ses paroles, la fière monture secoua la tête et lança toutes ses forces dans la course. Ses foulées avalaient la distance. Comme dans un rêve, elle dépassa le jeune homme et poussa un cri d'exultation.
Ce ne fut que quelques coudées plus loin qu'elle se rendit compte qu'il s'était arrêté aux côtés de Rekk, et que les deux la regardaient avec incrédulité.
Docilement, la jument répondit à ses sollicitations pour rejoindre les autres montures, et elle put enfin reprendre son souffle. Son c?ur battait la chamade.
"Shareen !" murmura Malek, l'air véritablement inquiet. "Tu vas bien ? Ton cheval s'est emballé ?" Il grimaça. "Je suis vraiment désolé. J'ai été un peu dur avec toi tout à l'heure."
 
Ainsi, il était désolé ? Shareen sourit langoureusement.
"Pas de problèmes. Je voulais juste galoper un peu. Ca n'avait rien à voir avec toi"
Malek grogna comme si on l'avait frappé. Mais Rekk s'imposa entre les deux jeunes gens. Son visage était un véritable masque de pierre alors qu'il regardait tour à tour leurs montures.
"Il va falloir marcher un moment au pas. Vous avez épuisé les pauvres bêtes." Il soupira. "Nous devrions arriver à Carnogel dans quelques heures. Ce sera l'occasion de les reposer."
Malek fronça les sourcils.
"Nous allons entrer à Carnogel ?"
"Il faut acheter quelques provisions, et du fourrage pour nos montures. Elles se reposeront mieux ainsi." Il leur lança un regard mauvais. "Bien entendu, aucune mention de mon nom à qui que ce soit. Pour vous, je suis le Baron FroidVal, c'est bien compris ? Je n'ai pas envie que quelqu'un me reconnaisse"
Malek ricana de manière déplaisante.
"Vous avez peur, c'est ça ?"
Rekk se contenta de le regarder pour qu'il baisse les yeux.
 
La route jusqu'à Carnogel était en meilleur état que le chemin qu'ils avaient emprunté jusqu'à maintenant. Brusquement, sans la moindre transition, les pavés remplacèrent la boue et la terre. Ils n'étaient pas arrangés avec l'habileté qu'on pouvait voir sur les Routes Royales qui sortaient de Musheim, mais c'était une amélioration certaine. Les sabots des chevaux claquèrent contre la pierre alors qu'ils avançaient.
Shareen se sentait heureuse. Pour la première fois, elle avait l'impression d'avoir pris sa vie en main, avec cette course folle. C'était ridicule. Elle n'avait rien contrôlé du tout, et sa jument s'était emballée seule. Pourtant, il y avait bien quelque chose qu'elle avait maîtrisé. Sa peur. C'était déjà beaucoup, et son sourire était éclatant alors qu'elle avançait.
 
Carnogel n'était pas une très grande ville, mais c'était la première qu'ils voyaient depuis plus d'un mois, et ça la rendait d'autant plus impressionnante. Le grand château ducal s'élevait sur une colline au centre, et les maisons s'étaient construites tout autour en une forme de spirale étrange, comme la carapace d'un escargot. Les murailles étaient hautes et renforcées, comme si la ville avait eu à subir de nombreux assauts dans son histoire. Lorsqu'ils passèrent la grande porte, Shareen se rendit compte que ces murs n'avaient pas été entretenus depuis longtemps. De véritables pans manquaient par endroits, et les oiseaux avaient établi leurs nids sur les parapets. Elle sourit vaguement. Si les gens faisaient aussi peu attention à leurs défenses ici, c'est qu'ils devaient être en sécurité. C'était un retour vers la civilisation, et la fin d'un voyage épuisant. Si seulement elle parvenait à convaincre Malek de fausser compagnie à leur désagréable gardien, elle pourrait réellement se détendre et reprendre sa vie tranquille de servante.
Ils suivirent Rekk à la queu-leu-leu dans un dédale de rues plus étroites les unes que les autres. Le Banni paraissait savoir où il allait, et ne montrait pas la moindre hésitation.
 
Partout, les gens s'écartaient pour les laisser passer. Certains les regardaient curieusement. Habillé comme il l'était, Malek ne ressemblait plus tellement à un grand seigneur, mais son destrier attirait les regards. Plusieurs fois, Shareen crut apercevoir une lueur de cupidité dans les yeux des passants. Mais tous se détournaient lorsqu'ils croisaient le regard de Rekk.
Ils chevauchèrent pendant près d'une demi-heure avant que le Banni ne mette enfin pied à terre. Malgré son visage impassible, on pouvait sentir une satisfaction presque palpable alors qu'il regardait le panneau qui se balançait doucement.
"L'auberge du Cheval Vert"
 
Il eut un rire bref et poussa la porte. Shareen lança un regard à Malek. Ils n'avaient pas d'autre choix que de suivre le mouvement.
"C'est la première fois que je rentre dans une taverne" murmura la jeune fille.
"Les voyages forment la jeunesse" sourit Malek.
Shareen lui tira la langue, et il éclata de rire. Tout semblait enfin rentrer à la normale.
La salle commune n'était pas très fréquentée. Une dizaine de personnes à peine y prenaient un verre ou terminaient leur repas. Vue l'heure avancée dans l'après-midi, ce devaient être des voyageurs comme eux. La plupart des habitants de la ville ne viendraient pas avant le début de la soirée.
Quelques regards curieux se tournèrent vers eux lorsqu'ils rentrèrent. Shareen esquissa un sourire poli. Mais son expression se figea alors qu'un des clients, gros et gras comme un cochon amené au marché, poussait un juron et frappait du plat de la main sur la table pour attirer l'attention de ses camarades.
"C'est eux ! Par la mamelle gelée des neuf truies nordiques ! C'est eux !"
Rekk fronça les sourcils. Il avait semblé détendu, aussi détendu qu?un tel homme puisse paraître, durant le voyage. Mais, maintenant, il émettait un sourd grondement de gorge, comme un loup devant le danger.  
"Eux ?" fit-il doucement.
 
Les compagnons de l'homme se retournèrent lentement. Ils étaient huit en tout, des hommes rudes et marqués par les conflits. La plupart arboraient des cicatrices qui leur déformaient le visage. Ils portaient des vestes de cuir épais qui les protégaient du froid comme des lames. Ils portaient l?un une épée, l?autre une hache, l?autre encore une lance, et leurs armures étaient tout aussi dépareillées.
"Il y a quelque chose qui ne va pas, ici" murmura Malek.  
Shareen se rapprocha instinctivement de lui. Elle sentait les regards hostiles, et elle ne parvenait pas à comprendre pourquoi. Un gémissement s'échappa de ses lèvres, la plainte d'un chien qui ne comprend pas pourquoi on le punit. L'excitation et la liberté de la chevauchée étaient bien passées.
"Je vous ai entendu dire c'est eux" répéta Rekk en avançant d'un pas. Son attitude n'était pas particulièrement menaçante, mais les hommes reculèrent machinalement, comme si un mur se pressait contre eux. "Pourquoi ?"
Personne ne répondit. Les hommes étaient huit, et il était seul. Pourtant, aucun ne bougea. Le gros client qui avait parlé se lécha les lèvres avant de se rasseoir lentement. Ses yeux ne cessaient d'aller et venir entre ses compagnons, comme pour quêter du soutien.
Rekk se détourna, apparemment satisfait.
"Aubergiste. Je souhaiterais prendre une chambre pour ce soir. Et trouve-nous une table. J'aimerais?"
Tout en parlant, il se laissa négligemment tomber sur le sol, et le carreau d'arbalète qui lui était destiné heurta le mur.
Puis l?enfer se déchaîna.
 
Shareen poussa un cri. Quatre des hommes avaient sorti des arbalètes de sous la table. Un trait lui frôla le visage et vint se planter dans un pan de mur. Deux autres carreaux sifflèrent en direction du Banni. Le premier le manqua de quelques pouces alors que le second traçait une ligne sanguinolente sur son avant-bras.
"Rechargez, bande d'abrutis !" hurla un homme à la barbe poivre-et-sel en agitant une rapière. "Rechargez !"
Quatre hommes se déployèrent dans la pièce, arme au poing. Les autres restaient en arrière, remontant frénétiquement le rouet de leur arme.
Bizarrement, Shareen n?avait pas peur. Les événements de ces derniers jours avaient été tellement surprenants que plus rien soudain ne semblait avoir de sens. Calmement, elle tira son épée. Elle ne savait pas s'en servir, mais il y avait bien un début à tout. Malek, à ses côtés, dégaina à son tour et lui lança un sourire contrit.
"Je suis désolé" murmura-t-il.
Ce que Shareen détestait, chez les hommes, c'était leur manière de culpabiliser sur des choses pour lesquelles il n'avait rien à voir. Et refuser d'admettre lorsqu'ils avaient réellement tort.
"Les gamins, vous plongez sous une table et vous y restez" gronda Rekk, poussant abruptement les deux jeunes gens vers le fond de la pièce de sa main gauche. La droite tenait sa lame avec une négligence coupable.
Puis il sourit, un rictus où toute la méchanceté du monde aurait pu trouver sa place. Il leva son avant-bras à la hauteur de sa bouche, et lécha le sang qui en coulait.  
"Depuis le temps que je voulais me calmer les nerfs?"
Il tira une dague dans sa main gauche, assura sa prise sur son épée de la droite, cracha sur le sol, et avança pour faire face aux brigands. Poivre-et-sel avança d?un pas. Dans sa main gauche, il tenait encore la cuisse de poulet qu'il était en train de manger. Il arracha un morceau de viande d'un coup de dents.
 
"Quelle chance, quand même. Ca fait quinze jours qu'on commence la traque, et vous nous tombez dessus? comme ça. C'est incroyable, eh ? Ce soir, vos têtes vont tomber. Et nous serons riches. Riches !"
"Sais-tu chanter ?" interrompit Rekk, un étrange sourire aux lèvres.
"Chanter ? Qu'est-ce que tu racontes ?"
"Chantes avec moi, petit homme. Chante le sang et l'acier !"
Et il bondit en avant au moment où les quatre arbalètes se dressaient vers lui.
L?homme leva son arme, bloquant la lame alors qu?elle cherchait sa gorge, mais la dague trouva son flanc avant qu?il puisse bouger, et perça les anneaux de la maille, entre la deuxième et la troisième côte. Poivre-et-sel poussa un hurlement, la vie s?échappant de lui. Rekk ne lui accorda pas un regard. Avant même que la dague ait fini de fouiller la chair, il la lâchait pour prendre son épée à deux mains et bondir sur les autres brigands. Abattant sa lame en un violent arc de cercle, il la retint alors qu?elle allait heurter la hampe de la lance de son ennemi, et changea de trajectoire pour aller trancher la gorge d?un autre. Puis, se ramassant sur lui-même, il se détendit comme un chat et son épée s?enfonça de plusieurs pouces dans la poitrine du lancier. Le dernier homme recula vers ses compagnons. Les trois cadavres s?affaissèrent lentement sur le sol, comme des marionettes dont on aurait coupé les cordes.
 
"Démon !" cracha un arbalétrier, jetant son arme de côté pour tirer son épée. Il n'y avait plus le temps de recharger.
Rekk eut un sourire mauvais, puis fouetta l'air de sa lame.
"On ne vous a pas prévenus ? Moi, je suis un méchant"
"Ne dis pas n'importe quoi !" hurla l'un des brigands, rassemblant son courage. "Tu es seul, et nous sommes huit ! Tuons-le !"
"Cinq" corrigea Rekk alors que tous se jetaient sur lui, armes en avant. "Vous pensez vraiment que ça va suffire ?"
Shareen observa la scène, à travers la fenêtre de la maison. C?était incompréhensible. Rekk l?avait dit mieux que personne : c?était un chant. Un chant de fureur et d?acier, de sang et de lames, une symphonie de violence et de douleur. Rekk semblait partout et nulle part à la fois. Ses adversaires étaient trop nombreux et peu coordonnés, ils se gênaient mutuellement. Leurs armes s?abattaient là où Rekk était, là où il aurait dû être, mais jamais il n?y était, et toujours il ripostait, son épée trouvant le défaut des armures, tranchant le cuir et perçant la maille. Le sang éclaboussait son visage, coulait dans ses cheveux, trempait ses vêtements, mais ce n?était pas le sien. Ce n?était jamais le sien. Il esquiva un furieux coup de lance, s?empara de la hampe de la main gauche et, tirant l?homme à lui, lui planta son épée dans le c?ur. Se servant du corps comme bouclier, il para quelques coups, lança l?homme sur ses compagnons, et profita de l?ouverture pour placer un nouveau coup de taille, qui sectionna une main au niveau du poignet. L?homme hurla, un cri déchirant d?angoisse et de douleur, mais l?épée revint et mit un terme à son agonie en lui tranchant la gorge.
 
Et puis ce fut fini. Aussi vite que le combat avait commencé, il était terminé. Les corps jonchaient la taverne, dans des positions invraisemblables. Une rivière de sang s?était formée et se mêlait doucement au vin. Les râles des mourants envahissaient , sur la gauche, alors que les râles des mourants envahissaient le crépuscule. Rekk s?immobilisa. Il avait une expression extatique sur le visage alors qu?il léchait le sang sur ses lèvres. A ses pieds, sept corps. Le huitième homme était à genoux, prostré. Il avait lâché la hache qu?il portait et tremblait de tous ses membres.
Rekk posa doucement son épée sur son cou.
"Ne me tuez pas !" gémit-il.
"Supplie-moi."
"Ne me tuez pas !" pleura l'homme de plus belle, tendant ses mains vides. " Je vous en supplie, épargnez-moi !"
"Implore-moi."
"Ne me tuez pas ! Ne me tuez pas !" répéta le chasseur de primes comme une litanie. Les larmes coulaient sur ses joues.
"Tu n'écoutes jamais les légendes ?" sourit doucement Rekk. "Le Démon Cornu n'a pas de pitié"
L'homme leva des yeux épouvantés vers le Banni, mais déjà l'épée s'abattait sur lui. Sa tête roula au sol.
Et ce fut le silence.
 
Les quelques clients de la Taverne s'étaient évaporés comme neige au soleil, et la porte de derrière battait dans le vent. Le tavernier avait fui, lui aussi. Sans aucun doute, il n'allait pas tarder à revenir avec la garde.
Il y avait du sang partout, des entrailles répandues sur les chaises brisées, et l'odeur écoeurante des boyaux qui se vident à la mort.
Malgré la puanter, Shareen prit une grande inspiration en regardant Rekk se pencher vers les cadavres. Ce ne fut qu'alors qu'elle se rendit compte qu'elle retenait son souffle depuis longtemps. Depuis le début du combat, peut-être ?
Malek rengaina doucement l'épée dont il n'avait pas eu à se servir. Lui aussi avait l'air hagard, et son regard était vitreux.
"Je n'aurais jamais cru?" murmura-t-il. "Je ne pensais pas? je ne croyais pas qu'on puisse se battre comme ça. C'est? formidable ! Cet homme est un dieu du combat !"
"Un démon, plutôt" grimaça Shareen. Elle sentait des points danser devant ses yeux, et ses genoux flanchaient. Seule la présence de Malek l'empêchait de sombrer dans un évanouissement agréable. "Tu? tu as vu comment il a massacré celui qui voulait se rendre ?"
Une ombre lui couvrit le visage, et elle se rendit compte que Rekk s'était approché. Il se tenait entre elle et la lumière des torches. Il n'avait pu manquer d'entendre ce qu'elle venait de dire.
"Qui crois-tu que je suis, petite ?" fit-il avec un rictus amer. "Un chevalier en armure blanche qui vous accompagne par plaisir ? Un foutu noble en tenue de bal, prêt pour aller danser ?" Il cracha sur l?égratignure que la flèche lui avait faite à l?avant-bras. C?était sa seule blessure. "Je suis le foutu Boucher, et la bataille est une boucherie. La pitié n?a pas de place dans mon monde." Il ricana. "Et puis, je me sens mieux maintenant. Le gamin m'avait énervé. Il fallait vraiment que je passe ma colère sur quelqu?un"
Shareen le regarda avec écoeurement. Tout avait l'air si irréel? Elle serra les dents et prit sa décision.
"Boucher ou pas, je ne resterai pas une seconde de plus avec vous ! Malek peut vous accompagner jusqu'aux tréfonds de l'enfer s'il en a encore envie, mais je pars tout de suite et j'espère bien ne jamais avoir à vous revoir !"
A peine avait-elle dit ses mots que ses yeux s'agrandirent d'horreur. Comment avait-elle osé parler ? Le Boucher allait la décapiter comme il l'avait fait avec ce guerrier !
Mais Rekk se contenta de grogner doucement.
"Voilà bien la gratitude à laquelle je m'attendais. Tu critiques mes méthodes mais, sans moi, tu serais morte à l'heure qu'il est" Il lui jeta un parchemin taché de sang. "Regarde ça. C'est toi et ton ami qu'ils recherchent. C'est à cause de vous qu'ils m'ont identifié. C'est vous qui me mettez en danger, et pas le contraire. Je n'attends pas de remerciements, mais j'aimerais que vous cessiez tous les deux de vous comporter comme des enfants gâtés."
Shareen déplia avec précaution le parchemin, prenant bien soin de ne pas toucher le sang qui commençait déjà à sécher.  
C'était un portrait d'elle-même, grossièrement dessiné au charbon de bois. A ses côtés figurait le visage de Malek. Et en-dessous?
"Ce n'est pas possible" balbutia-t-elle.
"Votre tête est mise à prix. Et vu la somme, je suis convaincu que la moitié des chasseurs de primes de l'Empire sont à votre recherche." Il sourit. "J'aurais presque envie de vous tuer et de collecter la récompense moi-même."
"Vous ne feriez pas ça !" gronda Malek, sa main s'abattant sur son épée.
"C'était une plaisanterie, gamin. Une plaisanterie" Le sourire du Boucher disparut. "Je n'ai jamais été très doué pour amuser les gens."
Shareen laissa son regard errer sur les habits trempés de sang du Faiseur de Veuves. Il avait essuyé son épée sur la veste d'un mort, mais des traces suspectes entachaient encore le métal. Elle frissonna. Elle n'aurait pas été d'humeur à rire, même à une plaisanterie savoureuse.
"C'était? très drôle" murmura-t-elle.
"Trop tard pour ça." Rekk haussa les épaules. "Partons d'ici. La garde va arriver"
La rue était calme alors qu'ils sortaient et récupéraient leurs chevaux, mais elle risquait de ne pas le rester longtemps. Ils ne perdirent pas de temps à se fondre dans la foule. Carnogel n'était plus le havre de repos qu'ils avaient espéré, mais un véritable traquenard.
Les deux jeunes gens poussèrent un soupir de soulagement lorsque les gardes aux portes les laissèrent passer. Ils avaient commencé à imaginer des dangers dans les moindres ombres, et le regard belliqueux de Malek avait failli provoquer un conflit par deux fois.
Ce ne fut qu'une fois de retour dans les broussailles que Rekk autorisa une halte. Il avait l'air contrarié.
"Nous n'avons pas eu le temps de reposer les montures ni d'acheter des provisions. Et, à partir de maintenant, il va falloir éviter les villes et les villages. Je ne veux pas laisser une traînée sanglante sur mon passage. Ce serait trop facile de me suivre à la trace."
"Je comprends" balbutia Shareen.
"A partir de maintenant, vous restez avec moi. J'ai l'intention d'atteindre Musheim malgré tout, et de voir quel enfant de catin a mis ce contrat sur vous ? sur moi." Il sourit froidement, et Shareen se prit à plaindre l'homme qui avait fait ça. "Vous feriez bien de ne pas me fausser compagnie, les enfants. Sans moi, vous ne ferez pas dix lieues avant de succomber." Il pointa le mot mort sur le parchemin ensanglanté.
"Je? je comprends" gémit Shareen.
Malek s'ébroua comme s'il se réveillait. Ses yeux étaient brillants comme des pierres précieuses soudain revenues à la lumière du jour.
"Vous voudrez bien me donner quelques leçons d'escrime ? Je comprends maintenant pourquoi Deria était aussi forte. Je veux apprendre à me battre comme vous"
"Tu n'y arriveras pas, petit. Jamais" Rekk parlait sans émotion, mais ses yeux semblaient percer le jeune homme, le juger, le peser.
"Je peux toujours essayer"
"Tu peux toujours essayer.
Shareen secoua la tête. Elle ne comprendrait jamais les hommes.
 
 
 
"Alors, qu'en penses-tu ?"
Ainsi apostrophé, Comeral releva la tête de la chope de bière qui se réchauffait devant lui. L'auberge avait été nettoyée de fond en comble depuis le fameux combat, mais la ville ne parlait que du massacre qui y avait eu lieu. Il n'était pas étrange, dans ces circonstances, que les deux chasseurs de primes soient les seuls clients de l'établissement. Ils étaient arrivés bien trop tard, mais Rekk était passé par ici. Cela au moins, ils avaient pu l'apprendre au travers des témoignages incohérents du tavernier.
"Il est fort" admit-il. "Huit hommes, donc quatre arbalètes. Très fort."
"Plus fort que toi ?"
Comeral leva les yeux. Eleon arborait ce rictus sarcastique, mi-amusé mi sérieux, qui avait fait sa réputation, mais cela ne le trompait pas. Son compagnon était aussi impressionné que lui-même l?avait été.
"Disons simplement que je n'aurais pas aimé le rencontrer de manière aussi impromptue que ce groupe" fit lentement Comeral. "Il ne leur a laissé aucune chance"
"Mais tu peux le battre, oui ou non ?"
"Un contre un ? Les yeux dans les yeux, épée contre épée ?" Comeral haussa les épaules. "Je ne sais pas. Je ne pense pas. Probablement pas. Mais c'est pour ça que nous travaillons en équipe, mon cher tueur"
Eleon hocha la tête.
"Nous savons ce que nous voulions savoir. Rentrons à Musheim"
"Oh ? Sans essayer de retrouver sa trace avant la capitale ?"
"Il va se méfier à partir de maintenant. Il évitera la civilisation. Non, nous perdrions notre temps. Et puis?" Le tueur éclata de rire, sa bonne humeur revenue. "Il va falloir que nous négociions une récompense plus importante à cet abruti de Semos."

n°2013584
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 09-02-2004 à 11:57:14  profilanswer
 

Citation :

histoire de barde, rumeur bâtarde


 
 :lol: :sol:  Whoa :ouch:  :lol:  
 
 
ça se précise on dirait !! je me garde le chap. 7 pour cet aprème.
 
 
Quelques trux dans les chap. 5-6 :
 

Citation :

Les conquêtes extérieures se multipliaient, l'or coulait à flot, et les esclaves n'étaient pas chers. Nombreux étaient ceux qui étaient morts à la tâche, sans que personne ne les pleure ni ne les regrette.


 
... ou qqch comme ça... "Plusieurs", ça fait pas assez, c'est pas sérieux :lol:  
 

Citation :


C'était un spectacle féerique, qui faisait ressortir les émotions les plus primaires.


 
Essaie de tourner ça autrement.
 

Citation :


Aujourd'hui encore, s'ils étaient debouts à une heure aussi matinale, c'était pour aller inspecter les longs couloirs policés de la bibliothèque et regarder sa fréquentation. vérifier ? inspecter ?
 
C'étaient les seuls déplacements qu'il s'autorisait en dehors du palais, depuis quelques temps. La rue était devenue dangereuse, pour lui.  
 
Cherchant rapidement une diversion, il poussa un soupir de soulagement en apercevant la silhouette qui se dirigeait vers eux d'une démarche martiale. Elle portait un pourpoint sable et or sur une cotte de mailles, et une large cape noire reposait sur ses épaules. Elle était borgne.


 
Une silhouette dont on voit les yeux, ça fait bizarre. p-ê "l'homme était borgne", ou qqch comme ça ??
 
 :bounce: je sens que ça va chauffer !  :bounce:

n°2014279
Damrod
Posté le 09-02-2004 à 13:26:12  profilanswer
 

1ere démonstration du boucher et on est pas déçu. encore... :bounce:

n°2014487
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 09-02-2004 à 14:01:41  profilanswer
 

ça a chauffé ! :D  
 
 
 :bounce: la suiiiiiiiiiiite !!  :bounce:  
 
 
 

Citation :

?heureuse. Un sourire béat monta lentement sur ses lèvres alors que la peur se volatilisait. Les foulées régulières de la jument n'avaient rien à voir avec le trot difficile qui lui brisait le dos. Elle se sentait unie avec sa monture, comme par un lien secret et sacré, et elle accompagnait sa course dans un mouvement fluide et éternel. Autour d'elle, le paysage se dévidait à toute vitesse, des arbres, des plantes et des rochers.  
 
Ils suivirent Rekk à la queue-leu-leu dans un dédale de rues plus étroites les unes que les autres. Le Banni paraissait savoir où il allait, et ne montrait pas la moindre hésitation.
 
Ce que Shareen détestait, chez les hommes, c'était leur manière de culpabiliser sur des choses auxquelles ils n'avaient rien à voir

n°2015695
Profil sup​primé
Posté le 09-02-2004 à 17:00:25  answer
 

Panem a écrit :


 
Par contre je pense que tes envois aux éditeurs ne sont pas assez diversifiés. Là où Lonecat pourrait bien avoir raison (pour le reste je lui laisse  :sarcastic: ) c'est que chez l'Atalante, qui est un petit éditeur, on prend en général moins de risques que dans une grosse boîte où on peut se permettre d'amortir un titre qui se vend moins bien par un titre qui se vend bien... d'où chez l'Atalante une grosse proportion d'auteurs connus (Pratchett, Scott Card, etc. ) au détriment d'auteurs débutants... que l'on retrouve surtout chez Fleuve Noir (ça me semble pas mal pour ce que tu écris, tu devrais essayer chez eux), certaines collections de poche comme J'ai Lu, etc.  


T'es gonflé de dire des absurdités pareilles. Si je pense que chez l'Atalante il a moins de chance d'être publié, c'est parcequ'ils ont une politique de qualité. Les autre me semblant nettement moins rigoureux.
 
Pratchett a été publié en France par l'Atalante, et auparant personne ou presque ne le connaissait (en France, évidemment). Il vont chercher des auteurs Allemands (Esbach, excellent), etc. Et contrairement à ce que tu sembles penser ils prennent des risques, et il publient des inédits (par exemple des Bordage).
 
Ce sont justement les éditions de poches qui ne prennent guère de risques, en sortant des bouquins qui ont déjà eu du succès en grand format.
 
Ciao,
LoneCat

mood
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Posté le 09-02-2004 à 17:00:25  profilanswer
 

n°2015906
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 09-02-2004 à 17:24:26  profilanswer
 

LoneCat a écrit :


T'es gonflé de dire des absurdités pareilles.  


 
D'accord. Moi aussi j'aime la nuance.
 

Citation :

Si je pense que chez l'Atalante il a moins de chance d'être publié, c'est parcequ'ils ont une politique de qualité. Les autre me semblant nettement moins rigoureux.
 
Pratchett a été publié en France par l'Atalante, et auparant personne ou presque ne le connaissait (en France, évidemment). Il vont chercher des auteurs Allemands (Esbach, excellent), etc. Et contrairement à ce que tu sembles penser ils prennent des risques, et il publient des inédits (par exemple des Bordage).


 
bof... moi j'adore l'Atalante, et pas seulement pour leurs couvertures  :love:. Je ne voulais donc pas critiquer leur politique éditoriale, ni diminuer le mérite qu'ils ont à faire vivre une boîte d'édition indépendante (enfin je crois) et avec une telle ligne éditoriale. Par contre dire que tous les autres éditeurs sont moins bons... pas vraiment d'accord. Si je conseillais à la Grenouille de s'adresser aussi ailleurs, c'est qu'il me semble (c'est vrai que je peux me tromper, j'ai pas fait des stats sur leur catalogue) que l'Atalante publient globalement plus d'auteurs ayant déjà de la bouteille (tous ceux que tu cites (avoue qu'il y a quand même un gouffre entre un auteur de premier roman et Bordage)) que de premiers romans...  
Quand à ce qu'implique ton post, à savoir que le roman de G.B. n'est pas "de qualité", ça te regarde... dommage que ce soit si peu argumenté  :sarcastic:  
 

Citation :

Ce sont justement les éditions de poches qui ne prennent guère de risques, en sortant des bouquins qui ont déjà eu du succès en grand format.


 
ça ne me semble pas vrai non plus. J'ai déjà cité des exemples, et on pourrait en trouver d'autres. Même Présence du futur, il me semble, a publié de jeunes auteurs français. Ce qui est vrai par contre, c'est qu'ils sont un peu noyés dans la masse... du point de vue strictement économique les grosses boîtes ont plus les moyens de découvrir de nouveaux auteurs, après cela dépend évidemment de qui dirige la collection.
 
De toutes manières je pense que la leçon à retenir de tout ça est que pour être publié il vaut mieux ratisser large.
 

n°2018192
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 09-02-2004 à 22:21:43  profilanswer
 

J'aime la critique. Si je poste ici, c'est justement pour pouvoir me faire descendre "amicalement" avant de passer devant un véritable comité de lecture. Donc j'encourage tout le monde à se lâcher sur les lourdeurs stylistiques ou scénaristiques qu'ils peuvent déceler.
 
Ce qui m'ennuie, c'est la critique gratuite, sans arguments pour étayer le propos. LoneCat, je veux bien croire que tu considères mes chances comme nulles, mais je préférerais plus de raisons que "ils prennent de la qualité". La qualité, ça peut vouloir dire des centaines de choses. Est-ce que c'est le scenario qui pêche ? Les dialogues ? Les personnages ? Les descriptions ? Un passage en particulier ? Si non sabir, tasir  :kaola: (je commence à l'aimer, ce smiley).
 
Je suis d'accord pour l'idée de râtisser large, mais je ne suis pas sûr que beaucoup de boîtes publient des nouveaux auteurs français. En dehors de ceux déjà mentionnés, c'est un peu le calme plat...
 
PS: Un jour, j'aurai une belle couverture à l'Atalante  :bounce:

n°2019810
Profil sup​primé
Posté le 10-02-2004 à 01:56:34  answer
 

Grenouille Bleue a écrit :


Ce qui m'ennuie, c'est la critique gratuite, sans arguments pour étayer le propos. LoneCat, je veux bien croire que tu considères mes chances comme nulles, mais je préférerais plus de raisons que "ils prennent de la qualité". La qualité, ça peut vouloir dire des centaines de choses. Est-ce que c'est le scenario qui pêche ? Les dialogues ? Les personnages ? Les descriptions ? Un passage en particulier ? Si non sabir, tasir  :kaola: (je commence à l'aimer, ce smiley).
 
PS: Un jour, j'aurai une belle couverture à l'Atalante  :bounce:  


Ben si tu veux, je n'ai pas pu m'empêcher de lire vite fait quelques lignes dans le fil, à plusieurs endroits différents. A chaque fois j'étais MDR. D'abord à cause des noms des personnages, ensuite à cause des dialogues et des descriptions qui font à la fois ultra conventionnels et baclés dans le style. Si ça peut te rassurer, j'ai la même réaction quand je lis du Eddings :D.  
 
Je me garderais bien de dire quoi que ce soit sur le scénario.
 
Ca a changé par rapport à ce qui est ici  ?
 
La belle couverture de l'Atalante, c'est tout le mal que je te souhaite. Je t'ai dit ce que je pensais de tes chances, mais si tu y parviens il est très probable que je te lirai :D
 
Ciao,
LoneCat


Message édité par Profil supprimé le 10-02-2004 à 01:57:56
n°2020598
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 10-02-2004 à 09:56:28  profilanswer
 

:cry:  :bounce: la suite !! :bounce:  :cry:

n°2020620
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 10-02-2004 à 10:02:05  profilanswer
 

Bon, ben la suite quoi  :ange:  
_______________________________________
Chapitre VIII
 
 
La nuit tombait sur Musheim, et la capitale était silencieuse pour un bref instant. Les boutiques fermaient leurs portes, les paysans quittaient les enceintes et les parcs se vidaient. Les gens rentraient chez eux pour manger et se détendre après une journée de labeur. Bientôt, une autre faune allait envahir la nuit et remplir les tavernes, celle des noctambules et des débauchés, des joueurs et des prostituées, pour qui l'obscurité serait une bénédiction.
Mais il y avait un court moment, une heure après le crépuscule, pendant lequel Musheim s'enfermait dans un silence tout relatif, un moment où ceux qui se préparaient à se lever n'avaient pas encore remplacé ceux qui partaient se coucher. Des artères aussi importantes que l'Avenue des Neuf Princes ou la Rue des Condamnés étaient alors complètement désertes alors que les lanternes s'allumaient progressivement aux fenêtres. C'était un moment dangereux, car le guet se pressait autour de ses braseros au lieu de patrouiller, et les détrousseurs le savaient.
Pourtant, l'homme n'avait pas peur.
 
Il marchait d'un pas rapide dans la ruelle vide. Musheim connaissait un printemps précoce, et le manteau qu'il portait était bien trop chaud. Mais il avait l'avantage de le recouvrir de la tête aux pieds, ne laissant apparaître que deux hautes bottes de cavalier qui résonnaient sur le pavé. L'homme tourna à gauche dans la rue des Tailleurs et descendit rapidement la volée de marches qui menait en contrebas. Puis il se retourna.
Personne.
Plus nerveux maintenant, l'homme se remit en route, jetant de rapides coups d'?il derrière son dos. Par ici, il n'y avait plus de lanternes; l'obscurité mangeait la rue comme un animal insatiable, transformant les décors du quotidien en monstres menaçants.
L'homme tendit l'oreille. Un bruit mat suivait chacun de ses pas claquants, un étrange écho qui lui faisait se dresser les poils sur la nuque. De nouveau, il se retourna.
Personne.
 
"Mon imagination?" grommela-t-il entre ses dents.
Il resta un instant l'?il aux aguets, la main sur son épée. Il n'aimait pas dégainer lorsque ce n'était pas nécessaire. Mais si jamais quelqu'un avait réellement l'intention de lui chercher des noises, il avait assez de confiance en lui pour connaître l'issue du combat.
Rien ne bougea dans la pénombre, et l'homme poussa un soupir de frustration. Il n'avait qu'une envie, se passer les nerfs sur quelqu'un ou quelque chose. A cette heure-ci, il aurait dû être en train de s'entraîner dans sa salle d'armes à pratiquer de nouvelles bottes, cherchant comme chaque jour à se surpasser, devenir plus fort, plus rapide, plus souple. Au lieu de cela, il perdait son temps dans des rues étroites, à imaginer des ennemis dans les moindres coins d'ombre.
Et, pour corser le tout, les nuages s'amoncelaient à l'ouest de la ville. Il y allait y avoir un orage, cette nuit, et il serait impressionnant. L'homme n'avait pas l'intention de rester sous l'averse lorsque celle-ci commencerait.
 
"J'espère que c'est important" siffla-t-il.
Il attendit encore quelques minutes avant de reprendre son chemin, d'une démarche plus rapide qu'avant. Par deux fois, il s'arrêta net. Mais il n'y avait plus aucun écho. Si jamais quelqu'un l'avait suivi, il avait arrêté. Rassuré, l'homme rejoignit l'Avenue des Fleurs Pourpres et tourna dans l'Allée des Tanneurs.
C'était une rue qui ne payait pas de mine, ni particulièrement riche, ni particulièrement pauvre. Il n'y avait pas d'éclairage ni de lanternes, mais les maisons étaient faites de solides briques et peintes de couleurs chamarrées. L'homme ne doutait pas que le spectacle devait être agréable en plein jour. Dans l'obscurité, il était bien en peine de distinguer le bleu du rouge. Chassant de son esprit ces idées de couleur, il avança vers son objectif.
Un garde en armure lourde était planté devant la porte de la maison. Il tenait une lance dans sa main gauche, et une torche dans la droite. Il baillait ostensiblement. Visiblement, la perspective de protéger un endroit aussi miteux ne l'enchantait guère.
 
"Eh bien, soldat ?"
Le garde sursauta violemment. Avant qu'il ait pu se contrôler, sa lance était en position de combat, la pointe effleurant l'abdomen de son vis-à-vis.
"On ne passe pas, citoyen. Faites un détour. La rue est bloquée par ordre du Capitaine."
Lentement, l'homme repoussa son capuchon en arrière. La lumière de la torche fit danser les ombres sur son visage. Un ?il d'un gris glacial transperça la sentinelle. L'autre n'était plus qu'un atroce cratère.
"Je suis au courant, merci." Il avança, et poussa sèchement la sentinelle en arrière. "Et tu ferais mieux de ne pas mentionner mes ordres à n'importe qui comme tu viens de le faire, si tu tiens à passer un jour une soirée au chaud. Pour l'heure, tu passeras la semaine prochaine en garde de nuit. Reportes-toi à ton sergent pour le prévenir. Exécution"
Le soldat pâlit visiblement, et baissa les yeux.
"A vos ordres, capitaine" marmonna-t-il avant de détaler.
 
Gundron le regarda partir, sourcil froncé. La discipline se relâchait, ces derniers temps, et il ne supportait pas ça. Il enleva ses gants et les passa à sa ceinture, avant de pousser la porte.
"Messieurs, j'espère que vous ne m'avez pas dérangé pour rien. Votre compagnon, dehors, a déjà été placé en service de nuit pour plusieurs jours. Vous irez le rejoindre si jamais j'estime que ce n'est pas important"
Son irruption jeta un froid dans la pièce. Les quatre soldats qui l'occupaient se retournèrent brutalement, bondissant hors de leur chaise pour s'incliner en un salut martial parfait. Il y avait quelqu'un d'autre, au fond de la salle, mais l'?il unique de Gundron ne parvenait pas à le distinguer clairement.
"Oui, mon Capitaine. Je pense que ça vous intéressera, et?"
"Vous pensez, ou vous en êtes sûr ?"
Le garde qui avait pris la parole déglutit devant le regard monstrueux de son supérieur.
"Je?" Il prit une grande inspiration. "J'en suis sûr"
 
Gundron se fendit d'un sourire.
"Bien ! J'aime les gens qui savent prendre leurs responsabilités. Soldat, si jamais ça m'intéresse effectivement, c'est à toi que reviendra l'or. Sinon, c'est sur toi que tombera le blâme. Nous sommes bien d'accord ?" Muet, le garde hocha la tête. "Parfait. Alors, qu'avons-nous là ? Vous avez trouvé le coupable, déjà ?"
Il y eut un concert de mouvement de pieds alors que les gardes se dandinaient d'une jambe sur l'autre. Les trois qui n'avaient pas parlé regardaient le quatrième avec un certain ressentiment. La récompense était généreuse, après tout, et ils entendaient bien obtenir leur part du gâteau. Pourtant, ce fut toujours le même qui répondit.
"Pas le coupable, non, pas tout de suite. Mais? un témoin. Un témoin direct"
"Oh ?" Une lueur d'intérêt éclaira l'?il unique de Gundron. Machinalement, il s'avança d'un pas en direction de la forme recroquevillée sur le sol. "C'est? lui ?"
"C'est lui. Mais il a refusé de nous répondre plus avant. Il dit qu'il s'appelle Laath. Mais il ne voulait pas nous parler, à nous. Il voulait tout raconter au gouverneur."
 
Le visage de Gundron se crispa, alors que son sourire se figeait. Mandonius, toujours Mandonius ! Les gens du peuple semblaient avoir une adoration sans bornes pour le gouverneur charismatique, et se tournaient vers lui comme s'il pouvait régler tous leurs problèmes. Pourtant, est-ce que Mandonius se souciait de leur sort ? Non, trois fois non ! Qui est-ce qui les protégeait, qui avait rétabli la sécurité, et qui s'assurait que les coupables soient retrouvés ? Qui est-ce qui empêchait les voleurs de troubler la sérénité des citoyens ? C'était Gundron, toujours Gundron. Mais, là comme ailleurs, il n'y en avait que pour Mandonius. Le borgne serra les poings, et entreprit de respirer doucement, tranquillement. Lentement, la colère froide reflua.
 
"Eh bien, il faudra qu'il fasse avec moi. Amenez-le ici !"
Les gardes s'empressèrent d'obéir, et ils s'emparèrent sans douceur de leur prisonnier. Alors qu'ils l'installaient sur une chaise, Gundron put enfin voir son visage. Ses mâchoires se contractèrent malgré lui.
C'était un garçon, qui ne devait pas avoir plus de vingt ans. Non, il était probablement encore plus jeune. C'était difficile à dire, avec tout le sang qui lui coulait sur le visage, et les croûtes qui alourdissaient ses yeux. Les soldats n'y avaient pas été de main morte. Il était conscient, mais son regard était totalement éteint.
"C'est vous qui lui avez fait ça ?" fit Gundron, le ton neutre.
"Il refusait de rester avec nous. Il a essayé trois fois de s'échapper."
"Je vois ça."
Sous la couche de crasse et de sang séché qui le recouvrait, le garçon était étonnamment délicat. Son ossature était légère et son visage menu comme celui d'un aristocrate. Il avait les cils longs et fins, et il aurait probablement été très beau si on lui avait épargné son visage. En l'état actuel des choses, il ressemblait plus à une loque. Gundron haussa un sourcil interrogateur.
"Un giton ? Un mignon de noble ?"
"Nous ne savons pas. Il n'a rien voulu nous dire, à part son nom."
"Je croyais qu'il vous avait dit qu'il était témoin du meurtre !" gronda Gundron.
"Oui, ça aussi. Mais rien de plus."
"Je vois. Laissez-moi seul avec lui. Je vais discuter de manière civile, puisque c'est quelque chose que vous semblez incapables de faire. Allez, dehors ! Gardez-moi cette porte, bande de macaques ! Vous m'en répondrez sur votre vie !"
 
Dans un cliquetis d'armure, les quatre soldats disparurent de la pièce, courant à moitié. Gundron soupira. Il était respecté, mais certainement pas aimé. Pourtant, il faisait de son mieux. Haussant les épaules, il revint à la tâche qui l'occupait. Il s'assit.
"Laath ? Laath !" Il fit une pause, rendant sa voix aussi douce que possible. L'effet n'était pas très convainquant. "Je sais que tu m'entends. Les brutes sont parties. Tu peux parler, maintenant." Le jeune garçon ne répondit pas. Gundron le gifla violemment. "Réponds-moi, gamin ! Je suis le Capitaine de la Garden et l'ami du gouverneur." Le mensonge ne lui brûlait presque pas la gorge. "Raconte-moi ce que tu as vu"
Le garçon toussa, puis cracha sur le sol. Le sang coulait de ses lèvres.
"Je ne vous crois pas" articula-t-il.
"Et pourtant, il dit la vérité" fit une voix douce et mélodieuse, juste derrière eux.  
Gundron se retourna en poussant un juron. Son épée était à moitié hors du fourreau.
"Comment? que? ?" gronda-t-il.
"Allons, allons" susurra Mandonius. "Je viens d'entendre que ce garçon me réclamait. Je ne doute pas que tu m'aurais prévenu. Une chance que j'étais dans le coin, n'est-ce pas ?"
L'?il unique du borgne s'étrécit en une fente menaçante. Il n'avait même pas entendu la porte s'ouvrir, tellement il était concentré sur les murmures du gamin.
"Comment as-tu fait pour me retrouver ?"
"Rien de plus facile. Tu ne caches pas très bien tes mouvements, et les gardes sont bavards. N'oublie pas que je suis le Maître des Rumeurs." Il sourit. "Je sais tout, je connais tout, je vois tout. Oh, au fait, je suis venu avec une escorte d'une demi-douzaine d'hommes. Ils sont en ce moment en train de discuter avec les tiens. C'est amusant, comme tes soldats ont eu l'air content de me voir"
Gundron se contenta de grogner. C'était donc ça, cette sensation diffuse d'être suivi qu'il avait éprouvée en venant ici. Probablement un des espions de Mandonius ou, pire, Mandonius lui-même. Le borgne rengaina son épée de mauvaise grâce. Il n'aurait rien tant aimé que de transpercer l'insolent noble, ici et maintenant.
"J'imagine que tu sais pourquoi je suis ici, dans ce cas" grommela-t-il, cédant enfin.
"Tu imagines bien." Mandonius se pencha sur le jeune garçon et doucement, très doucement, lui caressa la joue du doigt. "Eh bien, ils ne t'ont pas manqué" siffla-t-il entre ses dents. "Attends, je vais prendre un peu d'eau. On va te débarbouiller."
"Vous? vous êtes? "
"Je suis Mandonius, oui" sourit le gouverneur. "Et je peux t'assurer qu'à partir de maintenant, il ne te sera plus fait aucun mal. Tu es sous ma protection. Tu t'appelles Laath, n'est-ce pas ?"
"Oui?"
 
Une larme coula sur le visage du jeune homme. C'était étrange, cette fragilité chez quelqu'un de si grand, presque un adulte. Mais il avait tellement souffert. Mandonius observa les blessures d'un air critique. S'il avait eu à le faire, il aurait frappé avec plus de précision, pour infliger plus de douleur en moins de mouvement. Mais ces hommes n'étaient pas des artistes. Ils ne comprenaient pas à quel point l'art de la torture pouvait être efficace.
Mandonius remonta ses manches. S'il ne se trompait pas, il n'aurait certainement pas à faire appel à ses nombreux talents. Le jeune garçon brûlait de se confier, comme si le secret était trop gros à porter, comme s'il le brûlait de l'intérieur.
"Il faut que? que je vous raconte" balbutia Laath, en se penchant en avant. "Mais? mais seulement vous. Pas lui" Il indiquait le borgne d'une main tremblante.
"Une petite minute" grinça Gundron, mais une main levée le fit s'arrêter.
"Mon ami, ici présent, est quelqu'un de brutal, mais il a un bon fond. C'est lui qui arrêtera les coupables, une fois que tu auras parlé. Alors il faut qu'il reste pour écouter, tu comprends ? Mais je te promets qu'il ne dira rien, et qu'il ne te touchera plus. N'est-ce pas ?" Gundron grinça des dents. Mandonius le foudroya du regard. "N'est-ce pas ?"
"Bien sûr" admit Gundron, finalement. Sa main était de nouveau sur son épée, et c'était un effort surhumain que de la laisser retomber. Mandonius ne lui faisait aucune faveur en convainquant le garçon de parler devant lui. Il savait pertinemment que Gundron n'aurait jamais autorisé cette réunion s'il devait en être exclu. Mais, avec sa diplomatie habituelle, il avait fait apparaître le borgne comme un inférieur, comme quelqu'un à sa solde. L'humiliation brûlait en Gundron alors qu'il reprenait une chaise. Les deux hommes se penchèrent avidement en avant.
 
"Alors ?" fit Mandonius, la voix hypnotique.
Laath croisa ses yeux emplis de douceur, et la vanne se brisa.
"On? on m'a dit que vous cherchiez le tueur d'une fille qui s'appelait Deria" balbutia-t-il. "Je? Je la connaissais. J'étais là lorsqu'elle est morte."
Mandonius haussa un sourcil, cachant son excitation derrière un masque impassible.
"Comment ça, tu connaissais Deria ?"
Laath prit une grande inspiration. La honte brûlait dans son regard.
"Je suis? j'étais? son ami. Nous étions? ensemble, elle et moi"
Mandonius eut du mal à se raccrocher à son masque, cette fois-ci. A ses côtés, Gundron émit une exclamation incrédule.
"Mon garçon, nous parlons bien de la même personne, n'est-ce pas ? Comment était-elle, ta Deria ? Décris-là ?"
"Elle était? blonde, avec des cheveux longs et des yeux bleus. A peu près ma taille. Elle? étudiait à l'Académie de Musheim."
"Fiente de Démon !" gronda Gundron, alors que Mandonius écarquillait les yeux.
 
De nouveau, il détailla le jeune garçon devant lui, cherchant à faire abstraction des habits déchirés, du sang qui maculait le front, et des hématomes qui bleuissaient le visage. Laath était certainement beau garçon, mais de là à? Gundron et Mandonius se regardèrent, puis hochèrent la tête dans une muette communion. Les goûts des femmes étaient décidément incompréhensibles pour le commun des mortels.
"C'est bien elle" fit Mandonius doucement. "Continue, mon garçon, nous t'écoutons."
"Je? ça faisait quelques mois que nous nous voyions le soir. En cachette. Les gens n'auraient pas compris que?"  
Le gouverneur hocha la tête. Lui non plus ne comprenait pas.
"Et ?"
"Un soir, nous revenions d'une?" Il toussa. "Nous revenions de chez moi, un peu tard. Il était plus de minuit. Je la ramenais à l'Académie, parce que les rues ne sont pas sûres, à cette heure? vous savez ?"
Malgré sa promesse, Gundron ne put s'empêcher d'intervenir. Il étouffa un rire rauque.
"Gamin, si quelqu'un avait besoin de protection dans votre couple, c'est bien toi ! Ta donzelle était Première Lame de l'Académie, tu sais ce que ça veut dire ? Elle n'avait probablement besoin de personne"
Laath lui lança un regard plein de ressentiment, et le rire du borgne se figea dans sa gorge. Malgré les coups, malgré la violence, malgré la honte, le jeune homme était encore capable de défiance. Ses yeux brûlaient de haine et d'amertume. Le Capitaine révisa son jugement. Peut-être y avait-il un peu de courage dans ce garçon, finalement.
 
"Elle ne me l'avait pas dit, figurez-vous" siffla Laath. "Je savais juste qu'elle étudiait là-bas, rien de plus. Elle était? très secrète. Mais vous avez raison. Elle savait se battre, et je l'ai appris ce? ce fameux jour." Il resta un instant silencieux, comme perdu dans ses pensées. Gundron se pencha en avant, prêt à gifler doucement le garçon pour l'inciter à repartir, mais la main de Mandonius se posa sur son avant-bras, et il renonça.
"Et ensuite ? Raconte-nous" fit-il, de son ton le plus civil.
"Je la ramenais donc à l'Académie? quand nous sommes tombés sur des nobles qui revenaient d'une taverne. Ils avaient tous beaucoup bu, et la plupart avançaient en titubant. Ils étaient? sept, je crois" La voix du jeune homme devint monocorde alors qu'il racontait ce qu'il avait vécu, les yeux hantés. "Deria ne se méfiait pas. Elle était en train de réfléchir sur comment escalader le mur d'enceinte de l'Académie sans se faire remarquer. Quand elle s'est rendue compte que quelque chose n'allait pas, les nobles nous avaient déjà encerclés"
Mandonius fronça les sourcils. Il n'aimait pas la direction que prenaient les événements.
 
"Ces nobles, ils avaient quel âge ? Ils ressemblaient à quoi ?"
"Je ne pouvais pas bien voir, il n'y avait pas beaucoup de lumière. Mais aucun ne devait avoir plus de vingt ans. Des adolescents, qui avaient beaucoup trop bu. Ils ont commencé à complimenter Deria, puis à l'insulter. En lui disant? en lui disant?" Il déglutit. "Elle faisait de son mieux pour les ignorer, mais quand quelqu'un m'a poussé, elle a? tiré son épée."
"L'imbécile" grommela Gundron. "Elle n'aurait jamais dû faire ça."
"Ils étaient armés, eux aussi. Elle pensait qu'ils reculeraient, mais ils étaient trop saouls pour ça. Ils ont dégainé, et ça a commencé à dégénérer"
"Ils l'ont tuée ?"
"Au début, ils ne voulaient que jouer avec elle. Mais Deria n'avait jamais su faire les choses à moitié, et elle était furieuse. Elle a balafré l'un des gars, et en a frappé un autre aux cou? je veux dire, au bas-ventre. C'est là qu'ils se sont énervés. Ils lui sont tous tombés dessus" Il gémit. "C'est ma faute, ma faute"
"Mais non, voyons" fit Mandonius, la voix rassurante. Mais ses yeux étaient glacés.
"Elle ne se battait pas pour tuer. Elle cherchait juste à les maintenir à distance, jusqu'au moment où elle a compris que c'était sérieux. Mais à ce moment, c'était déjà trop tard. Ils lui sont tombés dessus, tous ensemble. Et pourtant, elle a réussi à les repousser." Il eut un faible sourire, rendu encore plus pitoyable par le sang qui constellait ses lèvres. "Je comprends mieux, maintenant que je sais qu'elle était une bonne escrimeuse. Je crois qu'elle aurait pu gagner si? si je n'avais pas été là." De nouveau, Laath s'interrompit. Sa respiration était laborieuse, alors qu'il réordonnait ses pensées. "L'un d'eux s'est jeté sur moi, et je ne portais pas d'arme. J'ai réussi à éviter ses attaques, mais il a fini par me toucher. A ce moment, Deria a cherché à se dégager de ses ennemis pour venir à mon aide. Et c'est à ce moment là? A ce moment là?"
 
Mandonius pianota des doigts sur la table, tant son impatience était grande. Il était difficile de ne pas laisser glisser son sourire encourageant de côté. Un tisonnier, une paire de pinces, et Laath aurait déjà beaucoup plus parlé.
"A ce moment là, quoi ?" fit-il presque tendrement.
"Elle a tué celui qui m'attaquait? ou au moins, elle l'a sévèrement blessé, je ne sais pas. Elle m'a hurlé de fuir, et puis ils lui sont tombés dessus, avec leurs épées qui montaient et descendaient. Je crois qu'ils ne se rendaient plus compte de rien. Ils étaient complètement fous ! Alors? alors?" Il s'arrêta, et se mit à pleurer.
Gundron le regarda avec un mélange d'incrédulité et d'écoeurement. Il avait tenu sa langue jusqu'à maintenant, mais ce personnage falot en face de lui le rendait malade. Il avait envie de tirer son épée, et de le décapiter sur place. Serrant les dents, il maîtrisa ses pulsions.
 
"Alors, tu t'es enfui ?" suggéra Mandonius.
"Oui ! Oui, je me suis enfui ! Elle était venue me sauver, mais j'ai préféré fuir ! Je suis un lâche, un lâche ! Je ne l'ai pas? aidée"
"Tu n'aurais rien pu faire. Ne te blâme pas. Si tu étais resté, tu te serais fait tuer, toi aussi. Et personne n'aurait pu nous donner les informations que tu nous as données ce soir. Grâce à toi, les assassins de Deria pourront peut-être être retrouvés" Mandonius sourit. "Tu as fait ce qu'il fallait faire. N'est-ce pas, Gundron ?"
"Hein ? Oui, bien sûr" grommela le borgne. "Bien sûr"
"Mais dis-moi, ces assaillants? tu n'as rien remarqué de spécial ? Je comprends que tu ne pouvais pas bien voir leurs visages, mais ils n'avaient pas de? de blason, par exemple ? Quelque chose qui nous permettrait de les reconnaître ?"
Laath baissa les yeux. Il pleurait encore, et ses mains pleines de saleté et de sang vinrent essuyer machinalement ses larmes.
"Je ne sais pas? peut-être."
"Peut-être ? Comment ça ?"
"L'un des garçons, celui qui semblait être leur chef? il avait un manteau bizarre"
Mandonius sentit une main de glace se refermer contre son c?ur.
"Oui ? Comment ça, un manteau bizarre ?"
"C'était? c'était un manteau bleu clair, avec une espèce de nuage rouge. Et puis, il y avait de la fourrure sur les côtés, de la fourrure blanche avec des taches. Je l'ai très bien vu, ce manteau, parce que c'est lui qui s'est jeté sur moi quand j'ai voulu fuir"
 
La main de glace était devenu un poing qui serrait, qui serrait.
"Tu es sûr de ce que tu dis ?"
Le jeune garçon sentit le changement d'intonation et les mots se bloquèrent dans sa gorge. Il mit ses mains en protection sur son visage comme s'il s'attendait à se faire frapper.
"Oui? Oui, j'en suis sûr"
Mandonius soupira.
"Je vois. Bon, Laath, il faut que je parle deux minutes avec le Capitaine des Gardes. Tu vas nous attendre ici bien sagement, n'est-ce pas ? Tu ne vas pas chercher à t'enfuir ?" Le garçon fit non de la tête. "Très bien. Je reviens tout de suite."
Les deux hommes sortirent de la petite pièce pour arriver dans la rue. Un vent froid s'était levé et battait le sol avec fureur. Au lointain, le tonnerre gronda. L'orage se rapprochait. Mandonius leva les yeux au ciel, laissant la bise souffler sur sa peau pendant que le borgne s'entretenait à voix basse avec les soldats avant de le rejoindre.
 
 
Gundron et Mandonius se regardèrent, et le même sourire leur monta aux lèvres. Ce fut le premier qui rompit le silence.
"Une cape bleue avec des contours d'hermine. Tu penses à la même chose que moi, n'est-ce pas ?"
"Mmh. Je crois."
"Le plus jeune fils du Duc de Basilik est mort dans des circonstances étranges voici quelques semaines, n'est-ce pas ? Et le fils unique du duc de lutin a été méchamment balafré"
"En effet"
Ils se regardèrent de nouveau.
"Nous ne parlerons pas de tout cela, n'est-ce pas ?"
"Pas un mot."
Les deux hommes restèrent un instant côté à côté, perdus dans leurs pensées, comme oublieux de l'inimitié qui les opposait habituellement. Cette fois-ci, ce fut Mandonius qui parla en premier.
"Le roi ne nous croirait pas, de toute façon. A sa manière, il aime son fils. Et puis, c'est sa famille. Il penserait que c'est une man?uvre pour le déstabiliser."
Gundron hocha la tête.
"Si jamais je lui présente mes conclusions, je suppose que tu seras là pour lui chuchoter que j'ai forgé ces rumeurs par ambition, n'est-ce pas ?"
"Tu as tout compris."
"Et tu te doutes que je ferais de même si jamais tu essayais de le mettre au courant ?"
Mandonius s'inclina.
"C'est de bonne guerre."
 
Le tonnerre gronda derrière eux. L'orage se rapprochait. S'ils restaient ici plus longtemps, ils n'allaient pas tarder à se faire tremper. Pourtant, aucun des deux hommes ne bougea. Leurs yeux ne cillaient pas, alors qu'ils se jaugeaient mutuellement.
"Ce? garçon. Comment s'appelle-t-il, déjà ?" demanda soudain Mandonius sur le ton de la conversation.
"Laath"
"Oui. Laath. Il serait bon qu'il rencontre une mort rapide et accidentelle. Les rues sont dangereuses, de nos jours"
"J'ai déjà donné des instructions aux gardes à l'intérieur. L'histoire ne risque pas de se répandre"
Le gouverneur eut un rire sans joie. Machinalement, sa main alla caresser la balance d'or qui pendait à son cou, l'insigne de son office. Il avait prononcé des v?ux en accédant à ce poste. Il avait juré de défendre la justice dans le royaume, quel qu'en soit le coût. Et voilà qu'il envoyait un enfant à la mort, pour le seul crime d'avoir été au mauvais endroit, au mauvais moment. La vie était parfois écoeurante.
"Un professionnalisme qui t'honore, Gundron. Et maintenant, si tu n'y vois pas d'inconvénient, je vais rentrer au palais. Je veux être au sec lorsque la pluie commencera à tomber."
Il poussa un juron alors qu'une grosse goutte venait s'écraser sur sa main, et Gundron grimaça un sourire.
"Très bien, Mandonius. Et souviens-toi: pas un mot. Ce sera notre? secret."
"Contraints et forcés" opina le gouverneur.
Pour la première fois, les deux hommes se serrèrent la main. Qu'ils le veuillent ou non, ils étaient désormais les seuls détenteurs d'un secret qu'ils n'auraient jamais souhaité entendre.
L'orage éclata alors qu'ils se séparaient. Déjà, ils réfléchissaient à une manière de tourner la situation à leur avantage.  
 
 
 
Laath cligna des yeux pour éclaircir sa vision alors que deux gardes pénétraient dans la pièce. Il n'aurait pas dû s'affoler plus que ça. Mandonius était dehors, Mandonius le Gouverneur, et il le protégerait. Il avait promis.
Pourtant, un instinct quelconque, quelque chose d'animal, sentait que les choses n'allaient pas. Machinalement, Laath se leva de sa chaise et recula d'un pas. Ses pires soupçons se confirmèrent lorsque le premier soldat tira son épée.
"L'aventure se finit pour toi, petit" grinça l'homme.
"Le? le gouverneur a dit qu'il me protégeait" balbutia Laath.
"Oh ? Eh bien moi, on m'a dit de te tuer. Ne bouge pas, ça ne fera pas mal"
Les deux gardes avancèrent sur lui, le visage sinistre. Visiblement, la tâche ne leur plaisait pas plus que cela, mais ils avaient l'intention de la mener à bien. Laath se sentit défaillir alors que la peur revenait en lui, plus forte que jamais, plus forte encore que ce fameux jour, avec Deria. Mais il n'avait plus Deria pour le protéger. Il ne pouvait plus compter que sur lui-même, et ça ne voulait pas dire grand-chose. Il n'était pas un grand guerrier. Il n'avait jamais vraiment su se battre.
La seule chose qu'il avait su faire, c'était cambrioler les maisons. Grimper aux murs, et courir.
Alors il courut. Malgré ses hématomes et ses blessures, il bondit entre les deux gardes lorsqu'il entrevit l'ouverture. Les deux épées s'abattirent à l'endroit qu'il avait occupé une fraction de seconde avant, et il entendit un juron. Mais il ne se retourna pas pour voir qui l'avait proféré. Ses jambes agiles le menèrent jusqu'à la porte, et il se rua dehors.
Son c?ur faillit s'arrêter alors qu'il voyait les gardes qui observaient son irruption dans la rue, stupéfaits. L'un d'eux porta sa main à son épée, incrédule. Devant eux, le gouverneur discutait avec le capitaine. Laath hésita un instant. Devait-il courir vers eux, et implorer la protection de Mandonius ? Quelque chose l'en dissuada. Peut-être la froideur des yeux de l'homme durant l'entretien, complètement à l'opposé des histoires chaleureuses qui couraient sur lui. Peut-être ce sixième sens qui lui avait déjà sauvé la vie. Mais il changea de direction et, sans s'arrêter de courir, emprunta la ruelle avoisinante. Le bruit d'une dizaine de bottes le suivit dans sa fuite.
"Attrapez-le ! Attrapez-le et tuez-le ! Il ne faut pas qu'il vous échappe !"
Laath ferma les yeux, et remercia le Dieu des Voleurs d'avoir fait le bon choix. La voix était celle du gouverneur  
 
 
 

n°2020729
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 10-02-2004 à 10:22:16  profilanswer
 

Aaaaahhh... :)

n°2021314
PunkRod
Digital Mohawk
Posté le 10-02-2004 à 11:38:32  profilanswer
 

:bounce:


Message édité par PunkRod le 10-02-2004 à 11:38:55

---------------
Assistants SWGOH
n°2021364
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 10-02-2004 à 11:44:50  profilanswer
 

Marrant ça... parmi les lecteurs de ce topic y a un punkrod et un Damrod... y sont peut-être frères :D ???
 
:bounce: la suite, la suite :bounce:

n°2021414
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 10-02-2004 à 11:48:36  profilanswer
 


 
Mais encore ?  :D

n°2021467
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 10-02-2004 à 11:53:03  profilanswer
 

j'crois qu'il est timide, mais qu'il veut la suite, lui aussi... :o

n°2021537
PunkRod
Digital Mohawk
Posté le 10-02-2004 à 11:58:26  profilanswer
 

Panem a écrit :

j'crois qu'il est timide, mais qu'il veut la suite, lui aussi... :o


pas la peine d'en dire plus  :ange:  
 
et non, je suis pas le frère de l'autre ;)


---------------
Assistants SWGOH
n°2021639
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 10-02-2004 à 12:08:54  profilanswer
 

Hmpff...
Si je mets plus de chapitres, ça se terminera plus vite  :pfff:  
 
M'enfin ;)
(Edit: 100e post !)
 
______________________________________
Chapitre IX
 
Le soleil était déjà bien avancé dans le ciel lorsque Carnogel disparut enfin dans le lointain. Ses tours crénelées restèrent encore un instant visible avant de s'effacer à leur tour à l'horizon. Puis il n'y eut plus que des champs à perte de vue. Ca et là, un arbre ou deux venaient briser la monotonie du paysage. Mais il n'y avait pas aucune forêt digne de ce nom, aucune colline, rien que la plaine. La seule différence avec la toundra qu'ils avaient quittée, finalement, c'était l'absence de neige.
Les deux chevaux marchaient au pas, langue tirée. La sueur et la poussière maculaient leur robe alors qu'ils tentaient de maintenir l'allure. La jument était en plus piteux état encore. De l'écume s'échappait de sa bouche, et elle roulait follement des yeux.
 
Rekk laissa fuser un soupir.
"Nous sommes assez loin de la ville, maintenant. Arrêtons-nous pour reposer les montures. Nous repartirons dans la nuit."
Shareen leva des yeux hagards vers Malek, mais le jeune noble ne protesta pas. Il semblait étrangement paisible depuis l'incident de Carnogel. Shareen ne parvenait pas à le comprendre. Elle-même, elle avait l'impression que la présence du Boucher était encore plus palpable maintenant qu'elle l'avait vu à l'?uvre. C'était comme si la légende avait pris corps devant ses yeux, comme si l'épouvantail de citrouille et de potiron de son enfance s'était animé.
Ils mirent pied à terre dans un même mouvement et attachèrent leur monture à un arbre. Cette fois-ci, Rekk n'interdit pas de faire un feu. Bientôt, de belles flammes dansèrent devant eux, réchauffant l'atmosphère et apaisant la fatigue qui leur brûlait les muscles. Shareen poussa un soupir de contentement en s'enroulant dans ses couvertures. Ce n'était pas aussi confortable que l'auberge qu'on lui avait promise, mais c'était déjà bien mieux que les nuits glaciales qu'elle avait passées à grelotter contre la chaleur de Malek.
 
Ils mangèrent lentement, mastiquant chaque bouchée avec application. La viande séchée était presque épuisée, et ce qu'il restait avait une consistance de cuir.  
"On dirait que quelqu'un nous en veut particulièrement" fit lentement Rekk autour d'une de ses bouchées. "J'espérais ne pas être reconnu. C'est fâcheux."
Malek fixa pensivement les flammes. Ses yeux ne cillaient pas, et des larmes lui montèrent aux yeux devant leur brillance.
"C'est notre description, qu'ils avaient. La personne qui les a envoyé savait que nous serions avec vous"
"Oui. La personne n'avait pas une idée précise de mon visage, mais elle se doutait qu'en vous trouvant, elle tomberait sur moi" Rekk eut un petit rire. "Huit pièces d'or. C'est une belle somme, je devrais être flatté."
"Je ne comprends pas. Qui pourrait avoir intérêt à faire quelque chose comme ça ? Ca n'est pas logique"
Rekk eut un rire déplaisant.
"Pourquoi crois-tu que quelqu'un a cherché à m'assassiner dans mon château avant que vous n'arriviez ? Et pourquoi penses-tu que la nouvelle de la mort de ma fille a été cachée ? Réfléchis un peu, gamin"
"Parce que? quelqu'un avait peur de votre réaction ?" tenta Shareen alors que Malek restait silencieux. "Quelqu'un savait que vous voudriez vous venger ?"
Rekk hocha la tête.
"Exactement, petite. Et, visiblement, ce quelqu'un n'a pas envie de me voir revenir à Musheim pour une raison ou pour une autre. Hmm. Qui que soit cette mystérieuse personne, elle a l'air d'être foutrement bien informée."
Ce fut au tour de Malek d'acquiescer. L'apathie qui le frappait semblait se résorber alors qu'il considérait le mystère qu'il avait devant les yeux.
"Très bien informée, même. Cette personne savait que nous quittions l'Académie pour vous prévenir et nous connaissait assez bien pour diffuser notre signalement. Elle était aussi au courant de la mort de Deria." Il haussa les épaules. "Ca pourrait être n'importe qui de l'Académie."
"Non, pas n'importe qui. Tu oublies que très peu de monde sait que je suis le père de Deria. Même vous, vous ne le saviez pas. C'était un secret bien gardé, pour sa sécurité ? et pour la mienne. Sans compter que dix pièces d'or représentent une somme non négligeable. N'importe qui ne peut pas la payer." Il se rembrunit.
"Alors c'est vous qui avez les éléments de réponse. Qui savait que Deria était votre fille ?"
Rekk grimaça un sourire.
"Deux personnes. Peut-être plus, si ces deux-là ont parlé."
"Qui ?" demanda Malek, mais elle connaissait déjà une des deux réponses.
"Semos, le maître de l'Académie. Et l'Empereur, bien sûr."
"L'Empereur ?" firent les deux jeunes gens, presque en même temps.
"Lui-même. Nous entretenions une certaine? correspondance, depuis quelques temps. Mais si l'Empereur me voulait mort, il pourrait utiliser des méthodes bien plus efficaces que quelques chasseurs de primes miteux."
"Alors, Semos ?"
 
Rekk se leva souplement, et laissa son regard vagabonder sur la plaine. Le soleil commençait à descendre à l'horizon. Les journées étaient encore courtes, et la nuit n'allait pas tarder à tomber. Déjà, son ombre s'allongeait contre le rocher comme celle d'un géant. Lorsque ses poings se serrèrent, Shareen eut l'impression que le roc allait se briser dans ses mains.
"Semos, ou bien quelqu'un à qui il a parlé. Maudit soit l'homme et sa langue trop bien pendue. Lorsque je le trouverai, je lui ferai cracher les réponses dont j'ai besoin, et je lui fermerai sa foutue gueule avec du fil et une aiguille" Il eut un rire bref. "Si je n'en trouve pas, j'utiliserai mon épée comme aiguille, et ses entrailles comme fil. Il devrait aimer ça."
Malek haussa un sourcil.
"Je vous ai vu combattre, et je ne remets pas en cause votre habileté, mais? Semos est le champion de l'Empereur. Il a vaincu Gundron Un-?il au tournoi de l'année dernière. Et, si je me rappelle bien, Gundron vous avait battu autrefois." Rekk ne répondit pas. Enhardi par son silence, le jeune noble continua: "Même si vous arriviez à le voir, il n'est pas seul. Il commande l'Académie de Musheim. Il est entouré de gardes en permanence. Il ne sera pas aussi facile de le battre que vous semblez le croire !"
Rekk se contenta de sourire, un sourire sans humour qui n'atteignit jamais ses yeux. Mais il ne répondit pas.
 
Les ombres s'étendirent et le soleil finit par disparaître à l'horizon. Bientôt, seules les flammes généreuses de leur feu de camp leur permettaient de s'entrevoir. Malek plongea son regard dans les étoiles, et s'endormit en rêvant de batailles.
En plein milieu de la nuit, Rekk les réveilla. Malgré leurs courbatures et la fatigue qui s'accumulait, les deux jeunes gens montèrent à cheval sans protester.
Le voyage se passa sans autre incident majeur. Shareen se sentait de plus en plus à l'aise sur sa selle. Les douleurs de l'aller n'étaient plus qu'un mauvais souvenir, et elle commençait à supporter la marche forcée qu'imposait Rekk.
De temps en temps, Malek allait vers elle pour demander si tout allait bien, mais elle lui souriait, et il lui lançait un regard perplexe. Il semblait penser qu'elle avait un besoin permanent de protection, et se sentait démuni en voyant qu'elle se débrouillait bien toute seule. Lentement, une lueur de respect semblait briller dans ses yeux. Shareen essayait de croire qu'il ne s'agissait pas que de son imagination. Dans le doute, elle se jura de ne plus se plaindre du trajet.
 
Malgré son désir d'augmenter l'allure, Rekk n'osait pas suivre la Route Royale du Nord, bien pavée et solidement balisée. Si des chasseurs de primes les recherchaient partout, lors il devait y en avoir dans toutes les bourgades du coin, et le chemin le plus direct jusqu'à Musheim devait être truffé d'embuscades et de chausse-trappes. Si Rekk avait été seul, il n'aurait certainement pas hésité. Mais il semblait s'être résigné à traîner les deux jeunes gens avec lui.  
Ils voyagèrent donc majoritairement à travers les champs, suivant un chemin plus ou moins parallèle à la route, mais s?écartant le plus possible dès lors que quelques habitations venaient à surgir à l?horizon. C?était un voyage long, mais agréable. Plus ils descendaient vers le sud, plus la végétation renaissait, et le soleil se montrait généreux. Finalement, Shareen et Malek durent desserrer leurs manteaux pour se rafraîchir un peu. Rekk ne se changea pas. Shareen avait dans l?idée que, dans la toundra comme dans les steppes brûlantes de Koush, le Banni ne ferait aucune concession à son manteau de peau de loup et son armure de cuir bouilli.
 
"S'il y a vraiment une récompense pour notre tête" protesta un jour Shareen, alors qu'ils se fondaient une nouvelle fois dans les broussailles, "est-ce que c'est vraiment une bonne idée de nous rendre à Musheim ? Je suppose que beaucoup risquent de nous attendre là-bas, surtout s'ils savent que c'est notre destination finale." Elle hésita. "Nous pourrons difficilement passer inaperçus là-bas, n'est-ce pas ?"
"Ma vengeance se trouve à Musheim. C'est à Musheim que j'irai" répondit Rekk sans même la regarder. "Je me soucierai de ce qui m'attendra là-bas lorsque j'y arriverai."
"Et vous tuerez tous ceux qui chercheront à vous barrer la route ?"
"Quelque chose comme ça, oui."
 
Lorsque la nuit tombait, ils cherchaient un endroit éloigné, si possible en plein c?ur de la végétation, pour s?installer. Ils allumaient de plus en plus rarement un feu pour ne donner aucun signe de leur position, et ils mangeaient leur nourriture froide et crue. Puis, ils allaient dormir. Rekk semblait leur faire assez confiance pour s?endormir avant eux, mais jamais Malek ni Shareen ne doutèrent qu?il se réveillerait au moindre signe de danger, l?épée au poing, prêt à tuer toute personne qui lui barrerait la route. Il semblait ne pas considérer utiles les tours de garde, tant son sommeil était léger.
"Tu crois qu'il est vraiment humain ?" chuchota Shareen, mal à l'aise. "Je me demande pourquoi les gens l'ont appelé le Démon Cornu. Démon, je veux bien, mais pourquoi cornu ?"
"La corne, c'est son épée, non ?"
"Peut-être?" fit Shareen, dubitative. "Et peut-être pas."
"Demande-lui, si ça te tracasse tellement. Après tout, vous avez l'air d'être de grands amis, maintenant"
Shareen fronça les sourcils devant le ton acerbe du jeune noble.
"Comment ça ?"
Sans répondre, Malek fit avancer son cheval. La conversation était terminée.
 
Les cartographes avaient prévu un voyage de treize jours pour aller de Musheim à Carnogel en suivant la Route Royale. En l'évitant ainsi qu'ils le faisaient, ils auraient dû rallonger le trajet d'au moins deux jours. Mais Rekk forçait le rythme, tirant le meilleur de leurs montures, les obligeant souvent à marcher à côté d'elles pendant quelques temps lorsqu'elles donnaient un signe de fatigue. Ils rejoignirent la Route Royale sur la dernière lieue, au matin du douzième jour.
 
Si proche de Musheim, la Route était large de plusieurs dizaines de coudées, et une foule immense se pressait aux portes de la ville. Il y avait de lourds chariots à b?ufs, avançant péniblement, pleins de maïs et de blé et d?orge issus des précédentes récoltes, destinés à alimenter les nombreux marchés de la ville. Il y avait des colporteurs, poussant leur carriole devant eux, emplie à ras bord de bijoux de pacotille et de babioles sans intérêt. Il y avait des rebouteux, des sages de campagne, appelés par quelque habitant de la ville et tiré de leurs cavernes. Ils agitaient des gris-gris et des talismans en chantant des mélodies sans paroles. Il y avait des éleveurs qui tiraient une douzaine de cochons derrière eux, et des fermiers qui venaient avec leur unique poule. Il y avait des pèlerins et des moines, nus tête pour exhiber leur tonsure, venus pour visiter les douze temples sacrés des dieux. Il y avait des voyageurs vêtus d?habits poussiéreux, s?appuyant sur une branche d?arbre noueuse pour avancer et se frayer un chemin dans la foule. Il y avait des nobles et des riches bourgeois en litière, entourés de gardes du corps, qui faisaient donner du bâton pour faire s?écarter la foule.
 
Et il y avait les gardes, les gardes de l?Empire, qui allaient et venaient des deux côtés de la route, lance dans une main, bouclier dans l?autre. Leurs cottes de mailles brillaient sous le pâle soleil hivernal alors qu?ils canalisaient violemment le flot de personnes, poussant les resquilleurs de côté et empêchant quiconque de quitter la route. Ils étaient là pour éviter que la bousculade ne dégénère, bien sûr. Ils étaient aussi là, le cas échéant, pour aider lors des accidents inévitables, aider à remettre les essieux des chariots droits et les roues sur les dalles. Mais, la plupart du temps, ils regardaient ailleurs avec affectation pour ne pas salir leurs armures par cette tâche dégradante.
Le tout formait une masse grouillante, affolante, vibrionnante, tourbillonnante, un gigantesque serpent humain, une rivière alimentée par de nombreux affluents, qui venait s?écraser en grondant contre les portes de la ville.
"Musheim est bien telle que je me la rappelais" murmura Rekk, vaguement amusé. "Nous n'aurons aucun problème à nous fondre dans cette foule et à passer inaperçus. Shareen, garde bien ta capuche baissée. Il ne devrait y avoir aucun problème, mais il vaut mieux ne pas tenter les Dieux"
 
C'était étrange d'entendre le Boucher parler ainsi de dieux. La jeune fille acquiesça, remontant encore plus son capuchon sur son visage. Rekk avait l?air confiant, mais elle ne pouvait s?empêcher d?éprouver une anxiété croissante alors qu?ils s?approchaient des gardes. Si sa tête était vraiment mise à prix, et que quelqu?un la reconnaissait, qu?allait-il se passer ? Savoir que Rekk la protégeait n?était qu?un réconfort partiel. Elle avait déjà vu bien trop de sang couler.
Comme s?il avait compris ce qu?elle ressentait, Malek lui tapota doucement l?épaule, et lui fit un sourire encourageant. Sur les conseils de Rekk, il avait enlevé son pourpoint brodé et frappé de la licorne pour revêtir un bliaut de couleur unie, qui ne trahirait pas son rang. Etre noble pouvait leur permettre de dépasser tous les paysans, bien sûr, et d?entrer rapidement, mais cela attirerait beaucoup trop l?attention.
 
Ils se fondirent sans aucun problème dans la foule. A peine une heure plus tard, après s?être fait emporter par la marée humaine, ils arrivaient enfin devant les portes de la ville. Les gardes leur lancèrent un regard, mais ils étaient visiblement plus intéressés par les marchands. Pour faire entrer des marchandises dans la ville, il fallait payer une taxe, et le produit terminait le plus souvent dans des poches anonymes. Mais trois voyageurs en habits poussiéreux, sans rien à vendre, cela ne méritait pas qu?ils perdent leur temps. D?une main nonchalante, le sergent leur fit signe de passer lorsque Malek eut pressé une petite pièce entre ses doigts.
Et Musheim se referma sur eux.
"Ca y est?" murmura Malek, dissimulant nerveusement son visage.
"Nous sommes dans la ville" renchérit Shareen. "Je croyais qu'on n'y arriverait jamais !"
Rekk fit volter sa monture, l'air furieux.
"Ca ne se serait pas passé aussi facilement quand j'étais Capitaine de la Garde. C'est absolument intolérable de voir une telle corruption par ici. Comment la situation a-t-elle pu se dégrader autant depuis que je ne suis plus là ?"
 
Shareen le regarda avec incrédulité, mais elle avait assez de bon sens pour tenir sa langue. Ils avancèrent lentement dans les grandes rues de la capitale.
C'était la fin de la matinée, et Musheim était encombrée jusqu'à l'explosion. Ses gigantesques artères aux statues colossales étaient envahies par une foule bigarrée, qui venait proposer ou acheter des marchandises au c?ur des centaines de marchés. Les échoppes étaient toutes ouvertes, et la fumée des forges se mêlait à celle des fours à pain. L'odeur du purin côtoyait celles des corps mal lavés et les parfums, plus subtils, des aristocrates qui chevauchaient au milieu de la plèbe, l'air hautain, comme si la ville leur appartenait.
Musheim était un prodige d'architecture, et Shareen se trouva à écarquiller les yeux de plus en plus alors qu'ils avançaient, jusqu'à ce qu'elle ait l'impression qu'ils lui tombent du visage. Elle avait passé toute son enfance par ici mais, servante dès sa naissance, elle n'avait pu se promener dans les endroits qu'elle aurait voulu. La rue des Epées lui était totalement inconnue, comme l'Avenue du Palais et sa centaine de peupliers plantés de guingois. Elle n'aurait jamais imaginé que tant de beauté pouvait se trouver dans sa ville.
 
Les habitants, blasés, ne regardaient même plus ces merveilles. Ils marchaient tous, la tête droite, plongés dans leurs pensées. Personne n'accorda un regard au petit groupe. Le peuple avait assez à faire avec ses propres problèmes pour ne pas essayer de s'occuper de ceux des autres.
"Musheim, eh ?" murmura Rekk. "Aujourd'hui, je tue."
"Où allons-nous exactement ?" bailla Malek. Il avait l'air fourbu, avec ses vêtements de travers. Une barbe de deux semaines recouvrait ses joues. Poilu comme il l'était, ces deux semaines représentaient un fin duvet à peine visible, qui lui donnait un air vaguement sale. "Ce serait peut-être bien de nous installer dans une taverne, non ? Si nous voulons rester discrets, autant ne pas rester comme ça à la vue de tous ?"
"Si nous voulons rester discrets, autant ne pas discuter de ça en pleine rue" rétorqua Rekk avec un soupir exaspéré. "Tiens ta langue, gamin." Il chevaucha ainsi pendant quelques temps, silencieux, avant de répondre enfin à la question. "Nous allons dans le Centre-Ville."
"Pour venger Deria ?"
"Pour nous installer. Je connais du monde là-bas. Quelqu'un qui devrait pouvoir nous héberger sans poser trop de questions." Rekk haussa les épaules, le visage fermé. "Cela fait près de deux mois que ma fille a été assassinée. Personne ne se souviendra de sa mort si nous cherchons au hasard. Je suppose que ce genre de morts est hélas assez fréquent dans le coin"
Malek fronça les sourcils. Il n'avait pas songé à cela.
"Mais alors ?"
"Alors, j'avais de nombreux contacts dans le centre ville. Je ne suis pas sûr qu'ils seront ravis de me revoir, mais c'est par là que j'ai l'intention de commencer. Ces gens-là connaissent la ville comme leur poche. S'il y a quelque chose à savoir, ils le sauront. Seulement?" Il plissa le nez. "Je ne suis pas sûr de les retrouver. Les hommes que je cherche sont comme des rats. Ils puent comme eux, et ils se cachent comme eux. En trente ans, je suis sûr que tous ont dû mourir au fond d'une impasse quelconque, un couteau entre les omoplates. Personne ne me reconnaîtra."
 
"Mmh mmh" fit Shareen, pensive. Elle cherchait depuis un moment à mettre le doigt sur un détail qui la troublait. "Les chansons disent que vous étiez Capitaine de la Garde, autrefois. C'est là, que vous avez acquis cette mauvaise réputation ?"
Le Banni ne répondit pas. Ils marchèrent ainsi en silence pendant plus de cinq minutes. Le soleil était à son zénith, et les rues s?encombraient au fur et à mesure de milliers de travailleurs, de camelots, de marchands et d?acheteurs de tous poils. Les étalages se montaient alors que les paysans arrivaient de la province environnante, et il devint rapidement difficile d?avancer.
"C'était il y a très longtemps" finit-il par dire. "Et ce ne sont pas des souvenirs très agréables. Mais, oui, j'étais Capitaine de la Garde pendant quelques années. J'ai fait de Musheim une cité sûre, dans laquelle il était agréable de se promener. Il n'y avait plus de meurtres, et le commerce était florissant?" Il avait les yeux dans le vide. "Mais tout ce dont les gens se souviennent dans les chansons, ce sont les méthodes que j'ai employées ?"
"Quelles méthodes ?" pressa Shareen, connaissant d'avance la réponse.
"Les techniques habituelles. J'ai tué tous les gens qu'on suspectait de viol. J'ai pendu tous ceux qu'on accusait de vol. J'ai abattu sous leurs yeux la famille des meurtriers, avant de les faire écarteler." Il eut l'air amusé. "Le nombre de dénonciations de brigands par leurs propres parents a augmenté de manière impressionnante, une fois qu'ils ont su que ça leur permettrait d'avoir la vie sauve"
Shareen frissonna, et Malek leva des yeux outrés. Tout ce qu'il y avait de licornéen en lui se révoltait contre cette horreur.
"Il y avait forcément des innocents dans le tas ! Des erreurs, des dénonciations malveillantes ? Et vous les avez tués avec le reste ? Et qu'est-ce que c'est que cette histoire de pendre les voleurs ? Un morceau de pain vaut-il une vie ?"
 
Rekk haussa les épaules.
"Ce ne sont pas mes problèmes. On m'a demandé de rétablir l'ordre, et c'est ce que j'ai fait. C'est une véritable guerre. Et dans toute guerre, il y a des victimes."
"C'est répugnant !" cracha Malek. "Parfois, j'oublie qui vous êtes réellement. J'oublie ce qu'on dit de vous, et je me mets à penser que vous avez un bon fond. Et, tout d'un coup, vous dites des choses comme ça !"
Avoir retrouvé les rues familières de Musheim rendaient Malek plus courageux, semblait-il. Shareen regarda le jeune homme un instant, puis se tourna vers Rekk, attendant l'explosion de colère qui n'allait pas manquer d'arriver.
Pourtant, le Boucher restait calme et composé. Tranquillement, il enleva ses gants et les passa à sa ceinture.
"Pense ce que tu veux, gamin. Pense ce que tu veux. Ah. Je vois que le Centre-Ville n'a pas tellement changé depuis que je suis parti ! Nous y voici."
Shareen n?avait pas besoin de lui demander comment il le savait, lui qui n?avait pas mis les pieds ici depuis près de trente ans. La coupure était vraiment très nette. D?un côté, on avait des échoppes noires de monde, de la vie, des maisons en bon état et des casques coniques de gardes visibles au-dessus de la foule. De l?autre, les rues se changeaient en ruelles boueuses et sales, les maisons tombaient en ruine, et les gens se faisaient rare. Machinalement, Shareen porta la main à son épée, et elle vit que Malek faisait de même.
 
"Je ne suis pas sûr que ce soit une si bonne idée" murmura-t-elle. "C'est un quartier vraiment dangereux. Que se passera-t-il si on nous agresse ?"
Ses parents lui avaient toujours dit d'éviter cet endroit, et ils avaient suffisamment connu la pauvreté pour savoir ce dont ils parlaient. Si son père, qui était rentré dans tant de combats de tavernes lorsqu'il travaillait aux docks, refusait de pénétrer ici, alors elle n'était pas sûre que ce soit judicieux de le faire.
"Si on nous agresse, le preux redresseur de torts abattra la vermine de son épée étinceltante, qui détermine les coupables des innocents !" persifla Malek.
S'il avait espéré froisser Rekk, ce fut peine perdue. L'homme hocha tranquillement la tête, prenant ce qu'il venait de dire au premier degré.
"Exactement. Mais je ne crois pas que ce soit nécessaire. Les brigands travaillent rarement avant le milieu de l'après-midi. Ca non plus, ça n'a pas changé."
De fait, les rues semblaient réellement aussi désertes qu?elles avaient paru au premier abord. Ce n?était pas particulièrement rassurant. Shareen se rapprocha instinctivement de Rekk, de sa présence? rassurante.
Il ne fallut pas plus de cinq minutes pour atteindre l?endroit que le Banni recherchait. Il arbora un sourire satisfait alors qu?ils s?arrêtaient devant une petite maison identique aux autres. Il paraissait étrangement intimidé.
"Ca fait trente ans, et je gardais le contact par lettre. La dernière remonte à deux ans, et elle m'a répondu. Il n'y a pas de raison qu'elle ait déménagé depuis ? ou qu'elle soit morte" ajouta-t-il après une pause.
 
L?endroit ne payait pas de mine pourtant, terne et humide comme le reste du voisinage. Il régnait une atmosphère de saleté presque palpable, et une odeur d?urine et d'excréments qui provenait des nombreux caniveaux. La peinture des volets était passée et écaillée depuis longtemps, sans que personne ne se soit jamais soucié de les réparer.  
Rekk ouvrit la porte sans frapper, puis s?introduisit dans la maison sans un regard en arrière. Il tira néanmoins son épée. Shareen et Malek firent de même derrière lui.
"Dani !" cria Rekk alors qu'il rentrait dans la première pièce. "Ohé ? Dani ?"
Seul le silence lui répondit. Pourtant, quelqu?un vivait clairement ici. La poussière et la saleté, omniprésentes à l?extérieur, semblaient disparaître une fois le perron franchi. Quelqu?un tenait cette maison avec amour malgré sa localisation, c?était évident. Il y avait peu de meubles, mais tous étaient propres également, et quelques bibelots traînaient dessus. Shareen fronça les sourcils en les regardant. C'était un miracle qu'ils ne se soient pas voler, alors que la porte n'était même pas verrouillée.
"Dani !" répéta Rekk, haussant encore la voix.
"Je peux savoir ce que vous faites à foutre de la boue partout dans ma maison, mes salopiaux ?"
 
La voix était digne et profonde, pas le moins du monde effrayée. Si la femme qui venait d?apparaître était surprise de voir arriver trois personnes armées dans sa demeure, elle ne le montrait pas. Elle était grande, avec des épaules de bûcheron et la voix qui allait avec. Ses cheveux filasses avaient probablement été noirs autrefois, mais ils tiraient maintenant sur le blanc. De nombreuses rides parcouraient son visage, en lui donnant l'air digne d'une grand-mère austère. Elle portait un tablier de cuisine, et la farine qui maculait ses doigts prouvait qu?on venait probablement de la déranger alors qu?elle faisait cuire le pain. Mais elle tenait une arbalète dans ses mains en ce moment, et le carreau visait clairement Rekk.
"Dani ?" fit-il, hésitant.
"Dani, c'est moi. Mais je ne me souviens pas d?une foutue tête de coq comme la tienne, et pourtant j?ai une bonne mémoire. Alors tu vas me dire pourquoi tu amènes tes bottes sales ici, ou je te cloue contre le mur d?en face, et je me sers de tes couilles pour recharger mon arbalète !" Elle gesticula en direction des deux jeunes gens. "Quant à vous, mes mignons, vous seriez bien mieux à vous embrasser sous un porche plutôt que de rentrer comme ça dans la maison des gens. Peut-être que quand j?en aurai fini avec le vieux, là, je m?ocuperai de vous pour vous apprendre à ne pas faire de bêtises !"
 
Rekk avait ouvert trois fois la bouche pour parler, mais autant tenter d?arrêter une avalanche. Ses protestations étaient noyées sous les paroles, et le carreau ne bougeait pas d'un pouce, pointé vers son c?ur. Il finit par soupirer et attendre tranquillement la fin du discours.
"Tu n'as pas tellement changé, Dani" fit-il enfin en souriant. "Un peu vieilli, un peu grossi, mais toujours le même tempérament de cochon !"
La femme ouvrit la bouche, furieuse, mais ses yeux s'étrécirent soudain.
"Rekk ? Rekk, c'est toi ?" Elle éclata de rire. C'était étrange, ce rire musical, provenant d'une femme aussi épaisse. "Que les démons me flagellent les fesses, c'est bien toi ! Tu as toujours su parler aux femmes, et ça non plus ça n'a pas changé, eh ? Eh oui, j'ai grossi, c'est l'âge. Tu n'es pas trop mal, toi, par contre. Ca te va bien, ces cheveux gris. Et ces ridules, c'est mignon comme tout !" Elle abaissa l'arbalète comme si l'affaire était réglée. Apparemment, avoir le Boucher de Musheim, le Démon Cornu, le Faiseur de Veuves dans son salon ne semblait pas l'émouvoir outre mesure. Tout en avançant vers eux, elle prit à peine le temps de respirer avant de recommencer à parler. La femme était comme un torrent de montagne ! "Si tu es venu jusqu'ici après autant de temps, c'est que tu es dans les emmerdes jusqu'au cou, j'ai raison, pas vrai ? Sinon, tu te serais contenté de tes maudites lettres sans intérêt. Tu sais peut-être parler, mais tu ne sais pas écrire. Qu'est-ce que j'en avais à faire, de tes messages de dix mots du genre Tout va bien. Je suis en vie. Les barbares ne nous ennuient pas trop. Ha ! Et qui sont ces deux gredins qui se cachent derrière toi comme si j'étais une ogresse ? Tes enfants ?" Elle pointa un doigt épais comme une saucisse en direction de Shareen. "Ca serait Deria, alors ? C'est que ça pousse, hein, quand on regarde pas. Eh bien quoi ? Qu'est-ce que tu as à me regarder avec ces yeux écarquillés, petite ? Ton père ne t'a jamais parlé de toi, je suis sûr ! C'est bien son genre?"
 
"Il va falloir qu'on parle, Dani." Rekk avait les yeux baissés. Il avait l'air plus humble qu'il ne l'avait jamais été. "Beaucoup de choses se sont passées, et j'ai besoin de toi. Cette gamine? ce n'est pas ma fille. Ma fille? ma fille est morte."
Le sourire glissa du visage de la femme comme une truite dans une rivière. La peau pendait de ses joues alors qu?une véritable tristesse semblait l?envahir. L?arbalète tomba de ses mains.
"La petite ? Morte ? Comment donc, mais comment ça ? Quand ça ? Non, ne réponds pas tout de suite. Tu as l'air d'un déterré, mon Rekk, et les gamins sont pire que toi. Je vais amener un peu de thé, et nous allons discuter. Vous restez bien ici un moment, n'est-ce pas ? Je n'ai pas beaucoup de confort, mais assez pour vous héberger au moins pour cette nuit. Maintenant que je t'ai sous mon aile, je ne te lâche plus, petit démon cornu ! Allez, je parle, je parle, et j'oublie le thé. Ne restez pas là la bouche ouverte, les enfants, asseyez-vous, j'arrive dans quelques minutes."
Plutôt que quelques minutes, il s'agit réellement de l'affaire de quelques secondes. Malek et Shareen n'avaient pas plus tôt pris place, échangeant des regards stupéfaits, qu'elle revenait déjà, chaloupant de ses grosses hanches. Ses mains portaient un plateau et quelques tasses.
 
"C'est un thé des îles de Mordagg, le meilleur qui puisse se trouver dans l'Empire" fit-elle, claquant de la langue avec satisfaction. "Enfin, moins bon que celui qu'on peut trouver à Koush, mais mon réseau ne s'étend pas jusque là. Bon, voilà ce qu'on va faire. Je vous sers, et tu me racontes pendant ce temps dans quelle histoire tu es encore allé te fourrer. On va voir ce que la vieille Dani peut faire pour toi, mon chou."
Rekk se contenta de hocher la tête. Pour la première fois, il semblait dépassé par les événements. Il prit bien garde de ne pas salir les tapis de ses bottes sales, et s'installa avec précaution sur le fauteuil qu'elle lui désignait. Pendant que la grosse femme servait le thé, il entreprit d'expliquer en détail ce qu'il lui arrivait. Shareen le regarda faire avec des yeux ronds. Il leur demandait de tenir leur langue, et voilà qu'il allait tout raconter à la première venue ?
Seulement, il était visible que Dani n'était pas la première venue. Au fur et à mesure du récit, la consternation envahit ses traits flasques. Ses mains se mirent à trembler, et quelques gouttes de thé se répandirent sur la table. En hâte, elle reposa la théière.
 
"Ici, à Musheim ? Tuée et violée ?" Elle entreprit de nettoyer les tâches qu'elle avait faites à grands coups de tablier. "C'est terrible, ça, terrible. C'est la pire manière de partir, ça. Si jamais je voulais mourir, ce serait avec un carreau dans le c?ur, ça, c'est propre. Mais là? oh, la pauvre petiote !" Soudain, une étincelle de compréhension passa dans son regard. "Ah, mais je vois ! Tu es là pour la venger, ta fille ! Pour essayer de retrouver le fils de putain qui a fait ça ? J'ai raison, hein ? Je te connais bien, va !"
"Oui, j'ai bien l'intention de le retrouver, et de l'éviscérer" fit Rekk calmement. "Mais pour ça, il faudrait que nous puissions rester discrets pendant quelques jours. Ton offre d'hébergement tient toujours ?"
La grosse femme leva des yeux outrés.
"Bien sûr, pour qui me prends-tu ? Tu penses que je vais te jeter dehors lorsque tu as besoin de moi ? J'ai encore une dette envers toi, souviens-t'en !" Elle tourna un regard décidé vers leurs habits. "Bon, on va commencer par vous déshabiller, les enfants. Je vais faire chauffer de l'eau. Il y a une grande bassine là-bas, vous allez vous plonger dedans, pendant que je termine de discuter avec Rekk. Ca vous va ?"
Shareen rougit jusqu'aux oreilles.
"C'est que?" bredouilla-t-elle, alors que Malek bafouillait une excuse en même temps qu'elle.
 
Le visage de Dani se coupa en deux dans un sourire monstrueux.
"Mais c'est qu'ils sont gênés, les petiots ! Trois poils au sexe, et ça se croit grand, eh ? Bah, passez en deux fois, si vous voulez. Mais ne gaspillez pas mon eau, ou alors allez la chercher au puits si vous en avez le courage. C'est bien compris ?"
Poussés, cajolés, menacés, les deux jeunes gens se retrouvèrent à monter les escaliers, une épaisse serviette entre les mains. Les marches étaient raides, mais le premier étage était aménagé avec beaucoup plus de recherche et de goût que le rez-de-chaussée. Là encore, les meubles étaient rares, mais Malek siffla entre ses dents en apercevant une chaise de bois d'ébène délicatement incrustée, et une table de marbre ciselée avec soin.
"Elle a de l'argent, la vieille" murmura-t-il.
"Et elle a de bonnes oreilles, aussi !" hurla Dani d'en bas. "Savonnez-vous bien, les enfants, si vous ne voulez pas que je m'en occupe ! Je compte jusqu'à trois ! Un? deux? "
 
Les échos du compte n'avaient pas disparu que Shareen bousculait le jeune noble pour rentrer dans la pièce. Le lourd baquet de cuivre trônait au milieu de la pièce, assez imposant pour pouvoir contenir la vieille femme en entier. Des dizaines de baquets d'eau étaient entreposés sur les côtés, et un bon feu brûlait dans la cheminée.
Malek sentit sa gorge se nouer alors qu'il regardait Shareen. Ses yeux s'attardèrent un instant sur les courbes modestes de ses seins, avant qu'il détourne le regard, piteux.
"Tu ferais mieux d'y aller en premier. Je garderai la porte"
"Non, non. Tout va bien ! Passe en premier, Malek. Je ne suis qu'une servante."
"Je t'en prie, vas-y. Tu es une fille"
"Je ne peux pas !"
"C'est un ordre !" grinça Malek, et Shareen recula d'un pas, les yeux écarquillés. Ces derniers jours, elle se permettait des libertés qu'elle n'aurait jamais osé envisager le mois précédent. Son univers changeait à une telle vitesse qu'elle avait du mal à réagir, et ses pommettes s'empourprèrent alors que Malek sortait de la pièce.
Détachant avec précaution la première lanière de sa cotte de mailles, elle tendit l'oreille avec précaution pour vérifier qu'il était bien parti. Ce fut ainsi qu'elle entendit le bruit violent.
 
Avec un craquement sec, la porte d'en bas vola en éclats, projetant des morceaux de bois dans toute la pièce. C?avait été une solide porte, de bon chêne robuste, près d?un pouce d?épaisseur. Pourtant, elle avait explosé comme un mur de paille séchée.
Un homme s?introduisit dans la maison d?un pas tranquille. Il était grand, il était fort, et il portait une épée aussi grande que lui dans les mains. Dans le nuage de poussière et de gravats, il inclina sa cape pour se protéger le visage, puis la déploya en un large salut.
"Bien le bonjour. Je suis désolé pour la porte, mais je pense qu'il est temps pour vous de mourir."


Message édité par Grenouille Bleue le 10-02-2004 à 12:21:55
n°2021851
PunkRod
Digital Mohawk
Posté le 10-02-2004 à 12:42:56  profilanswer
 

"F5"
 
"F5"
 
"F5"
 
c'est insupportable d'être tenu en haleine comme ça !  :o  
 
 ;)


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Assistants SWGOH
n°2022118
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 10-02-2004 à 13:26:54  profilanswer
 

eh bé...  :) ça va encore chauffer ... gare au rouleau à pâtisserie  :lol:  
 
 

Citation :

Puis il n'y eut plus que des champs à perte de vue. Ca et là, un arbre ou deux venaient briser la monotonie du paysage. Mais il n'y avait aucune forêt digne de ce nom, aucune colline, rien que la plaine.  
 
Ils mangèrent lentement, mastiquant chaque bouchée avec application. La viande séchée était presque épuisée, et ce qui restait avait une consistance de cuir.  
 
"C'est notre description, qu'ils avaient. La personne qui les a envoyés savait que nous serions avec vous"  
 
Il y avait peu de meubles, mais tous étaient propres également, et quelques bibelots traînaient dessus. Shareen fronça les sourcils en les regardant. C'était un miracle qu'ils n'aient pas été volés, alors que la porte n'était même pas verrouillée.


 
 
 

Citation :

Un homme s?introduisit dans la maison d?un pas tranquille. Il était grand, il était fort, et il portait une épée aussi grande que lui dans les mains. Dans le nuage de poussière et de gravats, il inclina sa cape pour se protéger le visage, puis la déploya en un large salut.  
"Bien le bonjour. Je suis désolé pour la porte, mais je pense qu'il est temps pour vous de mourir."


 
Là ça devient un peu "garulfesque" quand même  :ouch: :lol: j'attendrais plutôt une phrase comme ça dans une parodie style Crok le Bô...  
 
 [:p-chan]

n°2024538
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 10-02-2004 à 18:24:51  profilanswer
 

Et voilà le dix ! Tout frais, tout neuf, avec un colosse qui parle comme Garulfo dans l'entrée  :na:  
 
 
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Malek se préparait à descendre, les yeux dans le vague, un demi-sourire aux lèvres, lorsque la porte explosa sous lui. Un pied sur la première marche de l'escalier, l'autre sur le palier, il resta immobile, figé sur place par l'apparition terrifiante. Les éclats de bois volaient dans toute la pièce comme des morceaux de verre, tranchants et pointus. Le vent s'engouffra dans la pièce avec un chuintement lugubre, et la théière que tenait Dani alla se briser sur le sol dans un bruit mat.
Le Banni s'était levé avec la brutalité d'une vipère qui se détend, et son épée était dans sa main. Mais, aussi rapide qu'il avait été, Dani l'était encore plus. Sans ciller, comme si rien ne sortait de l'ordinaire, elle pointa son arbalète sur le nouveau venu. Elle prit le temps de l'examiner de la tête aux pieds avant de donner un coup de pied désabusé dans un morceau de chambranle.
"Je ne sais pas ce que tu fais ici, tête de gnome, mais tu vas tourner les talons bien gentiment, si tu ne veux pas repartir avec un carreau dans l'?il. Qu'est-ce que c'est que cette façon d'entrer chez les gens ?"
"J'ai frappé" observa l'homme, montrant les restes de la porte. "Mais ce n'est pas très solide."
Dans un quartier aussi dangereux, avoir une bonne porte pouvait faire la différence entre la vie et la mort. Même si elle avait laissé les verrous ouverts précédemment, Dani n'avait pas lésiné sur la qualité. Elle avait choisi du chêne massif, épais de plus d'un pouce. Aucun homme n'aurait dû pouvoir l'enfoncer aussi facilement.
Mais la personne qui venait de rentrer défiait les lois humaines. Ses bras étaient larges comme des cuisses, et les muscles de son torse se contractaient alors qu'il avançait. Dans ses mains calleuses, il portait une arme qu'on était bien obligé d'appeler une épée, faute d'autre nom, mais qui avait autant en commun avec la rapière qu'un tigre avec un chat.
C'était une épée à deux mains, un de ces espadons qui avaient disparu depuis des années dans les brumes de l'histoire. On racontait que les anciens barbares qui peuplaient les plaines de l'Empire l'utilisaient avec habileté contre les cavaliers, tranchant dans le même mouvement homme et monture. Si Malek se souvenait bien des cours de stratégie qu'il avait pu suivre à l'Académie, ils avaient été abandonnés car l?arme était bien trop lourde et peu maniable. La lance ou la pique de guerre paraissait une solution plus efficace contre les cavaliers, sans même parler de leur maniabilité, et de leur utilisation contre des fantassins, également, dans un mur de boucliers. La lance avait fleuri, et l?espadon avait périclité. Plus personne ne s?en servait, désormais.
Pourtant, même pour un espadon, celui que brandissait l'intrus était totalement hors de proportion. Si l'on incluait le long pommeau, l'arme devait faire près de sept pieds, avec une lame large de près de deux paumes. Ca n'était plus qu'un énorme bloc de métal, de plusieurs pouces d'épaisseur en son centre, qui s'effilait progressivement pour devenir mortellement affuté sur les côtés. Le poids d'un tel objet devait dépasser celui de trois épées ordinaires, mais l'homme ne montra aucun signe d'effort alors qu'il se mettait en garde, à moitié caché derrière l'énorme glaive. Il souriait doucement, presque tendrement.
"Je t'aurai prévenu, flaque de moutarde pas fraîche !" cracha Dani avec sa verve habituelle. Elle serra les dents, et le carreau bondit de l'arbalète, comme mû par une vie propre.
Sans paraître y mettre le moindre effort, l'homme pivota sur le côté et tourna négligemment le poignet. Le trait rebondit contre la large lame avant de retomber sur le sol, inoffensif.
"Je n'ai pas de temps à perdre avec toi, femme. C'est l'homme que je veux tuer, et les deux gamins avec lui." Il sourit. "Il paraît que tu te débrouilles, soldat. Nous allons bien voir si tu sais chanter le sang, et l'acier."
Le Banni fronça les sourcils. Son visage habituellement inexpressif s'anima alors qu'il caressait lentement le fil de son épée.
"Chanter le? tu es un gladiateur ?"
L'homme sursauta. Ses yeux se plissèrent, alors qu'il se penchait pour mieux observer celui qui lui faisait face. La pâle lueur ne rendait pas les choses faciles, et il cilla plusieurs fois. Finalement, il se redressa.
"Honneur et Gloire à l'Empereur. Nous chantons le sang et l'acier?"
"?et le sable, et la mort" compléta Rekk. "Oui, tu viens de l'arène, je le sais, maintenant. Tu en as les marques. Et cette épée?"
"Il faut bien assurer un spectacle, vieil homme." Comeral posa un instant son épée, le temps de se gratter le crâne. "Tu connais toi aussi les mots rituels. Tu étais un gladiateur, toi aussi. Ca expliquerait beaucoup de choses"
"Autrefois" murmura Rekk. "Autrefois." Il se mit en position de combat, mais ses yeux étaient soucieux. "Ca remonte à très longtemps. Plus de trente ans, en fait."
L'homme eut un sourire désarmant de chaleur.
"Voilà une coïncidence amusante. Je sens que je vais prendre plaisir à notre combat, vieil homme. J'aimerais bien pouvoir dire que tes réflexes se sont relâchés avec l'âge, mais j'ai entendu parler d'un combat à Carnogel qui mérite le respect. Je pense que ce serait une erreur de ne pas y aller à fond."
"Je pense aussi."
Les deux hommes se jaugèrent du regard et, inexplicablement, se sourirent.
 
Malek parvint enfin à reprendre sa respiration. Il ne se souvenait pas depuis combien de temps il l'avait retenue. Probablement depuis l'irruption du géant.
"J'arrive !" hurla-t-il en dévalant l'escalier, tirant son épée dans la foulée.
L'intrus haussa un sourcil alors que Malek lui fonçait dessus, mais il tint sa position. Le jeune homme serra les dents. Cela faisait plusieurs années qu'il s'entraînait pour un moment comme ça. Il était la meilleure lame de l'Académie, et il avait passé plusieurs mois à s'entraîner sur la même botte.
Son épée jaillit en avant, comme une extension de son propre bras. La pointe visait le flanc, mais se détourna au dernier moment en un mouvement long et bas qui ciblait le jarret. Une attaque mortelle.
Le géant para la feinte avec négligence, puis envoya son coude dans le visage du jeune noble. Malek se jeta en arrière avec un cri, et ce qui aurait dû lui briser le nez ne fit que lui labourer le menton, l'envoyant rouler face contre terre.
"Ah, la fougue de la jeunesse" sourit l'homme.
 
Dans la petite pièce, Shareen reposa le baquet d'eau et fronça les sourcils. L'épaisse porte étouffait la plupart des sons, mais elle aurait juré avoir entendu des éclats de voix, et des bruits étranges. Une drôle de boule se forma dans son estomac. Ce n'était peut-être que son imagination, mais elle sentait soudain quelque chose l'oppresser, comme si une menace indéfinissable se posait sur elle. Machinalement, elle s'empara de l'épée qu'elle avait laissé sur le tabouret et s'approcha de la table.
Elle venait d'ouvrir la porte, prête à aller voir ce qu'il se passait en bas, lorsque la dague se glissa délicatement près de sa gorge. Une bouche s'approcha de son visage, le souffle chaud contre son oreille.
"Qu'avons-nous là? une jeune pucelle? une petite pièce d'or sur pattes" La voix était amusée, les accents riches et sensuels. "La chasse est bonne, pas de doute." Une goutte de sang perla à son cou alors qu'il appuyait. "Surtout, ne te débats pas"
Elle ne se débattit pas. Mais elle hurla.
 
Malek secoua la tête pour essayer d'éclaircir sa vision. Il se sentait vaguement nauséeux, et il lui fallut quelques temps pour récupérer son épée. Lorsqu'il se remit enfin sur ses pieds, ce fut avec surprise qu'il se rendit compte que Rekk et l'inconnu n'avaient toujours pas changé de position. Ce qu'il avait cru durer quelques minutes s'était finalement passé en une poignée de secondes.
Lentement, il se remit en garde. Et ce fut alors qu'il se préparait à attaquer de nouveau que le cri de Shareen résonna dans toute la maison.
Les deux guerriers cessèrent de se regarder pour lever machinalement les yeux au ciel, et Malek poussa un juron.
"Vas voir ce qu'il se passe" grommela Rekk. "Je m'occupe de notre ami le destructeur de portes"
"Mais?"
"Tu ne ferais que me gêner ! Va voir ce que Shareen veut !"
Malek ravala une réponse acerbe, et resta un instant en équilibre instable entre deux marches. En haut, la jeune fille continuait de crier. Il ne pouvait pas ignorer ces appels à l'aide. Et pourtant?
Etouffant une malédiction, il remonta les marches quatre à quatre.
 
"Un des gamins que je devais retrouver, n'est-ce pas ?" fit le géant sur le ton de la conversation. "Une pièce d'or pour lui, et une autre pour la fille. Shareen, c'est bien le nom que tu as donné ? Bah, qu'importe. Maintenant, ça se joue entre nous deux."
L'homme avança d'un pas, et Rekk recula, les yeux aux aguets. Il tendit son épée doucement en avant, comme pour sonder son adversaire, et bougea de côté lorsque le géant chercha à engager le fer.
"Tu m'oublies un peu vite, bâtard dégénéré !" cracha Dani en bondissant en avant. Elle avait rechargé son arbalète, et le carreau pointait directement sur le visage non protégé du géant. "Je t'ai raté la première fois, mais la vieille Dani ne fera pas deux fois la même erreur. Tu bouges, et tu meurs. Alors, fils de crapaud, qu'est-ce que tu choisis ? Lâche ton épée !"
"Une petite seconde" promit l'intrus, sans que son sourire ne vacille le moins du monde. Avec une rapidité stupéfiante pour quelqu'un de sa corpulence, il rabattit son épée devant lui et chargea sauvagement la grosse femme. Le carreau vint lui érafler le flanc juste avant que son épaule ne heurte Dani de plein fouet. Projetée en l'air, elle heurta le mur avec un bruit mat, et glissa sur le sol sans un son, assommée. Le géant s'inclina doucement. "Comme je le disais, ça se joue entre nous deux. Je vous prie de ne pas interférer plus avant."
 
 
Malek stoppa net alors qu'il entrait dans la pièce, et le sang reflua de son visage. Tout d'un coup, son épée semblait lourde dans ses mains.
"Et voilà le deuxième enfant. Deux pièces d'or. Petit à petit, je deviens riche"
L'homme qui venait de parler était mince comme une liane et portait comme seule armure une fine veste de cuir. Une rapière battait à son flanc droit, mais c'était une dague qu'il tenait dans sa main. Une dague posée sur la gorge de Shareen, assez proche pour faire couler le sang. Son autre main était posée sur la bouche de la jeune fille pour étouffer ses cris.
Malek sentit sa stupéfaction refluer, remplacée par une rage froide qui montait en vagues. Il s'était fait humilier. Il s'était montré inutile. Et maintenant? ça !
"Qui êtes-vous ?" siffla-t-il, la seule question qui lui montait aux lèvres.
L'homme s'inclina en une parodie de salut, mais sa main entraîna la fille avec lui, et la dague ne bougea pas d'un pouce.
"Eleon, mon garçon. Assassin extraordinaire. Voleur stupéfiant. Chasseur de primes étourdissant. Et je suppose que tu es Malek ?"
Le jeune garçon ne prit pas la peine de confirmer.
"Lâche-la et pars d'ici tout de suite. Peut-être que je t'épargnerai" gronda-t-il dans une excellente imitation du ton ferme de Rekk.
L'homme se contenta de hausser un sourcil.
"Oh ? J'ai une autre proposition pour toi, gamin. Une meilleure proposition. Tu lâches ton arme tout de suite, et peut-être que je ne la tuerai pas"
Malek serra les dents, et ses doigts se crispèrent sur son épée.
 
 
Au rez-de-chaussée, les deux guerriers ne bougeaient toujours pas, s'observant avec la curiosité de chats de gouttière. De gros chats de gouttière.
"Qui es-tu ?" fit Rekk, doucement.
Le géant rejeta sa tête en arrière, et rit. C'était un rire clair et musical, sans la moindre once d'animosité, un rire qui respirait la joie de vivre.
"Je suis Comeral, vieil homme. Retiens bien mon nom, car je suis celui qui va te battre. J'ai gagné tous mes combats dans l'arène, j'ai obtenu trois ans de suite le Cimeterre d'Or, et j'ai racheté ma liberté. Qui d'autre peut en dire autant ?"
A peine avait-il fini de parler qu'il changeait brutalement d'appui et bondissait sur Rekk. L'espadon fendit l'air en un arc de cercle mortel, et s'écrasa contre le sol, s'enfonçant de quelques pouces dans le plancher. Rekk profita de l'ouverture pour attaquer à son tour, mais le géant dégagea son arme sans effort apparent, juste à temps pour recevoir le coup d'estoc sur le côté de l'épée.
"Rekk a gagné quatre Cimeterres d'or" observa Rekk en se remettant en garde.
Comeral hocha la tête.
"Effectivement. Mais Rekk est mort."
Rekk sourit, dévoilant ses canines acérées.
"J'ai un petit secret pour toi."
 
Malek regarda son épée avec écoeurement. Il s'était cru le maître du monde, lorsqu'il avait gagné le trophée de meilleure lame. Il découvrait avec amertume qu'il en était rien. Lentement, sa main desserra sa prise, et l'arme vint heurter le sol avec un bruit métallique.
"Voilà qui est mieux" sourit l'assassin. Et il desserra sa prise.
Shareen saisit sa chance. De toutes ses forces, elle mordit la main qui la baillonait, et lança sa tête en arrière pour frapper le nez de l?homme. La dague s?approcha dangereusement de sa gorge, mais Malek se jeta sur son poignet. Bloquant le mouvement mortel, il envoya un violent coup de poing dans le visage de l'assassin, qui bascula en arrière avec un gémissement rauque.
Reprenant son souffle, Shareen s'empara de l'épée sur le sol. Elle essuya ses mains moites sur ses habits déchirés, et se mit en position vaguement agressive.
Eleon se rétablit avec la souplesse d'un chat, et sa rapière miaula en sortant de son fourreau. Il lécha le sang qui coulait de sa lèvre fendue, et sourit.
"Je crois que vous méritez une leçon, les petits"
 
 
La chaise se fracassa devant l'assaut foudroyant du géant, et Rekk recula de nouveau pour ne pas rester dans l'allonge de l'arme terrifiante. Ses muscles étaient tendus comme ceux d'un félin prêt à bondir. On pouvait presque l'imaginer les oreilles rabattues sur le crâne. Comeral éclata de rire.
"Je n'arrive pas à y croire. Moi, me battre contre Rekk la Légende ? Si on m'avait dit ça un jour ! Aaaah, fais-moi plaisir, vieil homme, montre-moi que tu es réellement lui, et que tu n'usurpes pas son nom ! Donne-moi un bon combat ! Fais-moi vibrer !"
Rekk haussa les épaules. Il avait l'épaule droite douloureuse après avoir paré un assaut plus violent que les autres. A une époque, le combat aurait déjà été fini. Mais, même pour le Faiseur de Veuves, le temps était impitoyable. L'âge sapait ses forces et ses réflexes. Comeral était moins bon que le Boucher dans sa jeunesse, mais suffisamment pour lui donner du mal trente ans plus tard. Rekk reprit son souffle, respirant profondément. Quelque chose le chiffonnait.
"Je n'arrive pas à comprendre pourquoi ce combat. Pour l'or ? L'arène ne t'a pas rendu riche ?"
Le regard du géant se teinta d'amusement.
"Et c'est toi qui me pose la question ? Non, je ne suis pas riche, mais te faut-il vraiment une raison ? Tu as changé, Rekk, mon ami. Il n'y a jamais besoin de raison pour verser le sang. Les applaudissements et les hurlements de la foule nous suffisent !" Il cracha sur le sol sans se départir de son sourire. "Fini de parler, Rekk, ou qui que tu sois. Défends ton titre de meilleur épéiste que l'Empire ait jamais connu !"
Le gigantesque espadon s'abattit.
 
Les épées s'entrechoquèrent, et Malek repoussa Shareen derrière lui d'une main péremptoire.
"Ne te mets pas dans mes pattes !" cracha-t-il alors qu'Eleon revenait à l'assaut.
La rapière paraissait vivante dans les mains du mince assassin. Elle dansait dans la lumière des torches, et semblait disparaître pour réapparaître à l'endroit où Malek l'attendait le moins. Pourtant, le jeune noble était content, et la confiance remontait lentement en lui. Depuis plus d'une minute qu'Eleon lançait des assauts de plus en plus rapides et violents, il était encore en vie. Finalement, si on parvenait à oublier sa peur, tout était comme à l'entraînement. Malek plissa les yeux, cherchant à anticiper les mouvements de son adversaire en lisant dans ses yeux. L'homme tentait de surveiller Shareen du coin de l'?il, et ça le déconcentrait.
La rapière se porta sur sa gauche, et il contra. Elle vint lui balafrer le visage, mais il fit un pas de côté. Elle siffla vers son bas-ventre, et il la dévia d'un mouvement de poignet. Sa riposte obligea Eleon à reculer. Il ne souriait plus.
"Maudit gamin !" gronda-t-il.
Malek haussa les épaules.
"Je suis la première lame de l'Académie de Musheim. Je ne peux pas perdre contre un minable petit assassin."
Il se fendit, et Eleon bondit en arrière pour ne pas se faire embrocher.
 
Le Banni se jeta de côte, et la lourde lame pulvérisa la chaise qu'il avait occupé, quelques minutes avant. Ou était-ce quelques heures ? Il n'avait plus aucune notion du temps, mais Dani était toujours effondrée dans un coin, immobile. Il espérait qu'elle allait bien.
"Alors c'est comme ça, n'est-ce pas ?" murmura-t-il, se penchant en avant.
L'espadon revenait déjà à l?attaque, beaucoup plus rapidement qu?il l?avait prévu en comptant sur la lourdeur de l?arme. Prenant sa propre épée dans les deux mains, il para le coup, déviant la lame vers le bas, et dansa sur le côté.
"Trop lent, gladiateur, trop lent !"
Malgré sa bravade, ce fut un véritable effort que de maintenir son visage impassible alors que son bras s'engourdissait. Il tendit son arme pour riposter, mais l'espadon remonta vicieusement vers lui. De nouveau, il dut interrompre son attaque pour esquiver d'une habile feinte de corps. Il bondit par-dessus la table et retomba souplement sur ses jambes. La table explosa sous l'impact de l'assaut suivant.
"L'avantage de cette arme" gronda le géant, préparant sa nouvelle attaque, "c'est qu'elle ne te donne aucun répit. Tu cours trop ! Tu te fatigueras avant moi, Rekk."
L'espadon s'abattit de nouveau, et l'épée du Banni s'interposa de nouveau au dernier moment pour dévier l'assaut.
"On parie ? Chante avec moi !"
Il baissa la tête alors que la lourde lame sifflait de nouveau vers lui.
"Chante avec moi !" répondit l?autre en écho, reposant son épée sur le sol avant de tenter un coup d?estoc.
"Chante avec moi, le sang et l?acier !"  
Un coup d'estoc.
"Chante avec moi, le sang va couler !"  
Un coup de taille.
"Je mangerai ton c?ur !"  
Une parade, une feinte de corps.
"Je boufferai ton foie !"  
Une feinte au visage, bloquée de justesse.
"Il n?y a qu?un seul vainqueur !"
Un pas de côté et un assaut brutal.
"Et ce vainqueur?"
"C?est moi !" Rekk se fendit, frôlant la poitrine de son adversaire. Mais le coup avait été porté de trop loin pour être efficace.
"C?est moi !" Comeral engagea le fer brutalement, et repoussa Rekk à l?autre bout de la pièce.
Ils rirent tous les deux, dansant leurs lames au rythme de l'acier.
 
 
Shareen se leva doucement, tentant d'attirer le moins d'attention possible. Elle était une souris, une petite souris, et personne ne devait la regarder. Juste une souris, rien de plus. Sa main alla chercher, centimètre par centimètre, la dague que l'assassin avait laissé tomber sur le sol.
Eleon ne lui accordait plus un regard. Il était focalisé sur Malek, comme hypnotisé, et sa rapière ne bougeait plus aussi vite qu'avant. La sueur coulait sur son visage émacié. Il ne cherchait plus à presser son adversaire mais, au contraire, reculait pied à pied. Ses parades étaient de plus en plus désespérées, alors que le jeune noble poussait son avantage.
"Cette fois-ci, je vais t'avoir !" exulta Malek en bondissant en avant, balayant la lame de son adversaire.
Le poignard siffla sous sa garde, et s'enfonça de deux pouces dans son flanc. Le noble hurla et recula d'un pas, stupéfait.
"Il ne faut pas vendre la peau de l'Eleon avant de l'avoir tué, petit Malek" sourit l'assassin, la main gauche encore étendue après avoir lancé son couteau. "On s'expose à de mauvaises surprises."
"Je?" murmura Malek, et une bulle de sang éclata aux commissures de ses lèvres.
Eleon s'avança pour la mise à mort.
 
 
"Tu me déçois, Boucher !" gronda Comeral, allongeant une nouvelle botte. "Il paraît que tu as tué huit hommes à toi tout seul, lorsque tu étais à Carnogel. Tu étais meilleur que ça, lorsque tu les as battus. Montre-moi ce que tu as dans le ventre, si tu ne veux pas que ce soit moi qui t?éviscère ! Montre-moi que tu es vraiment le grand Rekk !"
Entre deux parades, Rekk parvint à hausser les épaules. Il ne répondit pas, économisant son souffle
"L?élève dépasse le maître, alors ?" tenta de nouveau le géant.
Le Banni profita de la brève pause dans les attaques de son adversaire pour se jeter en avant. Son épée s?abattit vers la tête de son adversaire, et Comeral leva son arme pour bloquer. Mais Rekk lâcha son arme, pivota, la rattrapa de la main gauche et frappa d?estoc à la poitrine. Le sang gicla pour la première fois.
"Tu parles trop, Comeral. C'est un défaut fatal, chez les gladiateurs."
Le géant recula d?un pas, fixant avec étonnement la tache rouge qui s?agrandissait sur son pourpoint.
"Tu as raison, je n?aurais pas dû te sous-estimer comme ça" murmura-t-il. "Ce mouvement? c?était magnifique?" Il se remit fermement en garde. "Ce n?est pas fini, Banni ! Ce n?est qu?une égratignure, et tu es épuisé ! Cet assaut sera le bon !"
Sans répondre, Rekk se remit en position, les yeux en alerte. Le cri de Dani le prit complètement par surprise.
"Meurs !" hurla la grosse femme, son arbalète de nouveau pointée vers Comeral.
Elle avait du sang sur le front, et son nez était brisé, là où Comeral l'avait frappée de l'épaule. La douleur devait être insupportable. Pourtant, elle se tenait droite, le lourd carreau pointé sur le large dos du chasseur de primes.
A cette distance, elle ne pouvait pas rater sa cible. Dans cette position, Comeral ne pouvait pas se protéger. Il s'en rendit compte au moment où le trait partait, et ses yeux s'agrandirent d'horreur. Il banda ses muscles comme pour repousser le carreau par la simple force physique, mais le carreau s'enfonça brutalement entre ses omoplates, ripant sur l'os pour perforer la chair.
"Je?" balbutia le géant, avant de mettre un genou en terre. Ses yeux étaient voilés par la douleur, et sa respiration se fit hachée. Le lourd espadon glissa de ses doigts sans forces.
Rekk s'approcha de lui, le visage sans expression. Il tourna autour de l'ancien gladiateur, observant d'un ?il d'expert l'angle de pénétration du carreau. C'était un tir magnifique. La robuste constitution du géant ne pouvait le protéger. La blessure était gravement handicapante. Elle serait mortelle si personne ne la soignait. Même avec des soins, l'homme pourrait perdre l'usage de ses jambes.
Le Boucher s'accroupit, et son épée vint se poser avec douceur sur la poitrine du colosse.
"Les spectateurs ont décidé, Comeral. C'est la mort qui t'attend." Il leva le pouce puis, lentement, le baissa jusqu'à ce qu'il désigne le sol.
"Je voulais?" commença le géant.
Rekk ne le laissa pas finir. Dans un mouvement fluide, il lui passa son épée à travers le corps. Le géant tomba comme une masse.
"Le sang est versé, les dieux sont apaisés" fit le Boucher. Une phrase rituelle qu'il n'avait pas prononcée depuis plus de trente ans, depuis qu'il avait quitté les arènes.
"Je voulais? un vrai duel" gargouilla Comeral. Il cracha un peu de sang, puis ne bougea plus.
 
Shareen se mordit la lèvre. Elle était tellement convaincue que Malek gagnerait? Mais Eleon avançait sur lui, et sa rapière avait l'air tellement menaçante. Elle n'avait qu'une dague, elle ne pouvait rien faire. Instinctivement, elle se recroquevilla dans le coin qu'elle occupait, priant contre toute attente pour qu'il ne la remarque pas.
"Quelle pitié" murmura l'assassin.
La jeune servante sursauta. Il parlait de Malek, bien sûr, mais les mots lui fouettèrent le sang. Malek avait pris sa défense, au péril de sa vie. Elle n'allait certainement pas rester les bras croisés sans rien faire. Si seulement elle avait appris à se battre lorsque Deria le lui avait proposé !
Serrant les dents jusqu'à ce que ça devienne douloureux, elle se leva et se plaça sur le chemin du tueur. Ses mains serraient la dague qu'elle avait récupérée. Un calme étrange descendait sur elle. Comme lorsqu'elle avait galopé pour la première fois, comme une bulle piquée par une épingle, la peur s'était évanouie. Il n'y avait plus en elle qu'une certitude amère de sa mort alors qu'elle levait son arme dérisoire.
"De mieux en mieux." Eleon resta un instant à la regarder, une grimace incrédule sur le visage. "La petite chatte trouve ses griffes. Il ne manquait plus que ça."
"Vous ne toucherez pas à Malek."
"Mais si, j'y toucherai. Et je te tuerai aussi, au passage. Alors sois raisonnable, lâche ce cure-dents, et laisse-toi faire tranquillement. Je te promets que ce sera sans douleur."
"Pas question"
Shareen se sentait froide de l'intérieur, comme si un glaçon poussait dans sa poitrine. Lorsque l'assassin bougea, elle le sentit à peine venir. Comme dans un rêve, une main s'abattit sur son poignet et la força à lâcher son arme.
"Tu vois, qu'est-ce que je te disais ?" fit gentiment Eleon. "Ca ne sert à rien de se battre. Tu es née pour être une victime et une otage. Tu ne peux rien y changer"
"Elle est née, et tu es mort" fit une voix froide dans l'embrasure de la porte.
Eleon se retourna brutalement. Sa dague était posée sur le sein de la jeune fille, et Shareen poussa un hurlement de frustration.
"C'est toi, le garde du corps, je suppose ?"
"C'est moi. Lâche la fille, et bats-toi"
Si Rekk avait paru dangereux depuis le premier moment où ils l'avaient vu, c'était la première fois que l'impression était aussi puissante. Ses yeux exprimaient une lassitude intense, mais aussi une violence si tangible qu'Eleon recula de deux pas avant de se reprendre.
"Me battre ? Si tu es là, c'est que tu t'es débarassé de Comeral d'une manière ou d'une autre. Non, je n'ai pas l'intention de me battre contre quelqu'un qui a vaincu quelqu'un comme lui. Moi, je suis un homme simple. Je cherche simplement à collecter une récompense pour prendre une retraite agréable. L'or, la boisson, les filles? toutes ces choses"
"La mort de ton compagnon n'a pas l'air de te peser."
"Comeral était un abruti à l'honneur hypertrophié. Je ne ferai pas la même erreur que lui. Un pas de plus, et je tue la fille." Rekk sourit, et avança d'un pas. Eleon recula. "Lâche ton arme. Je te jure que je vais l'égorger. Lâche ton arme, si tu veux la voir vivre"
Rekk haussa les épaules
"Non."
Eleon se lécha les lèvres.
"Non ?"
"Non. La vie de cette fille m'importe peu. Tue-la, si tu veux." Il sourit méchamment. "Mais si tu tues Shareen, tu seras mort avant d'avoir retiré ton poignard. Regarde mes yeux, et crois-moi. Je suis Rekk le Démon Cornu, Rekk le Boucher, et je suis revenu d'entre les morts."
Le silence dans la pièce était assourdissant. Malek hoquetait dans un coin, oublié de tous, ses mains pressant fébrilement sa blessure pour endiguer la perte de sang. Eleon se lécha les lèvres.
"C'est une plaisanterie, j'espère"
Rekk se fendit de nouveau de son ignoble sourire.
"Je compte jusqu'à trois. Un?"
Eleon regarda frénétiquement autour de lui. Il avait une otage. Normalement, il aurait dû avoir le contrôle de la situation ! C'était toujours comme ça, lorsqu'on avait une otage ! Alors pourquoi se sentait-il aussi oppressé, comme par la certitude de sa propre mort ?
"C'est ridicule" piailla-t-il. "Je t'ai dit de jeter ton arme !"
"Deux?"
Eleon recula d'un pas, entraînant Shareen avec lui. Un étrange tic nerveux agitait sa joue alors que Rekk avançait sur lui.
"Démon Cornu ou pas, je te ferai connaître l'enfer? un jour" cracha-t-il.
D'une violente poussée, il projeta la jeune fille vers Rekk et bondit vers la fenêtre. Le Boucher se lança à sa poursuite, mais il trébucha sur Shareen et poussa un juron alors que ses bottes entaillaient la peau de son front. S'accrochant comme un chat au mur, Eleon se? disloqua, il n'y avait pas d'autre mot. Ses os jouaient les uns contre les autres alors qu'il se pliait d'une manière impossible. La tête en avant, il disparut par la petite lucarne. Rekk poussa un juron.
Et le calme revint.
 
Rekk resta un instant à regarder Malek sur le sol, puis il poussa un soupr exaspéré et s'agenouilla pour lui offrir son épaule. Grâce à ce support, le jeune blessé parvint à descendre les escaliers, Shareen sur ses talons.
La maison était un véritable champ de bataille. La table était brisée par le milieu, les chaises étaient réduites en morceau. Il y avait une armoire renversée et éventrée, et plusieurs bouteilles s?étaient brisées également. Deux des lourdes colonnes de bois qui soutenaient le toit avaient été à moitié sectionnés par les violents coups d?espadon de Comeral.
Et, bien sûr, il y avait Comeral lui-même, affalé dans un coin de la pièce, une flaque de sang se formant sous son corps imposant.
"Deesse Laineuse?" fit Dani, ouvrant et refermant la bouche comme un poisson. Il ne fallut que quelques secondes pour qu?elle se ressaisisse, cependant. La grosse femme avait probablement vu pire, vécu pire. "Vous avez de la chance que le Guet ne s?aventure jamais dans cette portion de la ville. Mais on peut rencontrer bien pire, par ici. Poussez le corps sous ce tas de couvertures, vite, vite !" Elle se pencha avec inquiétude sur la blessure de Malek, mais se releva rapidement, soulagée. "Vivent les cottes de mailles, eh, mon garçon ? Ah, cesse de faire ton blessé comme ça, la lame n'a presque pas pénétré. Beaucoup de sang, mais pas grand-chose de grave. Tu auras du temps pour panser tes blessures plus tard, petit, pour l?instant viens m?aider à mettre ce grand échalas dans ma cave. On ne peut rien faire pour la porte, helas. Si c?est pas malheureux, du bon bois comme ça. Je vais nettoyer toutes ces saletés. Rekk, tu surveilles si ce monstre répugnant ne revient pas menacer la petite" Elle eut un sourire réconfortant pour la jeune fille. "Ca va, gamine ? C'est vraiment une manie chez ces brutes de s'attaquer aux faibles femmes."
Il était évident par son ton qu'elle parlait d'elle aussi. Elle cracha dans un mouchoir et essuya le sang qui coulait de son front. Shareen avait du mal à l'imaginer dans le rôle de la faible femme.
 
Quelques minutes sous la direction de l?énergique bonne femme suffirent pour que la maison retrouve un semblant de calme. Comeral fut traîné à la cave, et Shareen s?empara de son épée. Elle gémit devant le poids.
"Son arme pesait des tonnes ! Comment faisait-il pour la manier ?"
Rekk avait le regard dans le vide.
"Il s?est toujours battu avec des armes plus grandes que lui" fit-il d?une voix monocorde. "Ca plaisait à la foule, alors les entraîneurs de gladiateurs ont encore plus accentué ce côté. Il a dû commencer gamin, plus jeune que vous encore, mais déjà il devait manier des armes de cette taille, ou presque. Pour le spectacle". Il cracha. "Quel gâchis"
"Et cet Eleon, vous le connaissez ?"
"Pas du tout. Mais je le retrouverai avec plaisir pour lui trancher la gorge"
"Il ne reviendra probablement pas. Ca m?a l?air d?être le genre de personnes à ne pas prendre de risques, et utiliser les autres pour arriver à ses fins" fit Malek, maussade. "Regardez ça ! Je saigne encore !"
Dani lui sourit, un sourire plein de fierté de grand-mère attendrie, et elle parut belle, un instant, ainsi illuminée.
"Tu as fait quelque chose de bien, gamin. C?est rare de rencontrer des gens capables de se mettre en danger pour une autre personne qu?eux mêmes. Celui-là" Elle désigna Rekk «? n?en a jamais été capable. C?est sa plus grande force, mais c?est aussi sa plus grande faiblesse" Rekk ne répondit rien. "Viens par ici, petit, je vais m?occuper de tes bandages. C'est impressionnant, mais rien de plus. Dans une semaine, il n?y paraîtra plus."
"Une semaine ?" glapit Malek.
"Dans une semaine, je compte bien être loin d?ici" fit Rekk d?un air sombre. "Je ne pensais pas que revenir ici serait si difficile, ni que tant de monde serait après moi. Je suis venu accomplir une vengeance, et les obstacles ne cessent de s?accumuler" Il soupira. "J?espère vraiment que tu vas pouvoir m?aider, Dani. J?ai vraiment besoin de tes informations. Je dois savoir tout au sujet de ce meurtre. Dani?"
 
La grosse femme le regarda un instant, pensive.
"Ma parole, c?est que c?est bien la première fois que je le vois aussi suppliant, le Rekk ! Toujours si sûr de lui et si arrogant ! Aaah, l?humilité, ça ne te fera pas de mal." Elle hocha la tête. "A toi, je ne dois rien. Déjà il y a quinze ans, ce n?était que du souci de te connaître, et aujourd?hui, ma vie est de nouveau en danger à cause de toi . Mais je vais essayer de t?aider, pour la petite. Parce qu?aucune fille ne mérite de mourir aussi jeune, et que tous les violeurs du monde devraient brûler en enfer."  
Rekk s?assit sur la seule chaise en bon état et soupira.
"Je suis désolé des troubles que je cause. Je te paierai, bien sûr, lorsque tout ça sera terminé. Mais j?ai vraiment besoin de savoir. Il faut que je sache comment ma fille est morte"
"Je ne suis pas sûre qu?on devrait parler de ça ici. M?est avis qu?on ferait mieux de quitter cette maison au plus vite, avant que l?autre fou ne revienne avec un nouveau géant sous ses ordres." Elle rougit devant le regard insistant de Rekk. "Oh, bon, d?accord. Je vais voir ce que je peux faire, Banni, dès ce soir. J?ai des oreilles qui traînent un peu partout. Je suis la petite maîtresse des rumeurs, tu te rappelles ? Bien sûr que tu te souviens, puisque tu es venu ici. Mais je te dis, même comme ça, ça ne sera pas facile. Les filles qui disparaissent, c?est plutôt fréquent, depuis un an. A la nuit tombée, il ne fait pas bon se promener dans le Centre Ville, je te le dis"
"Il n?a jamais fait bon se promener dans le Centre Ville"
"Pour ceux du dehors, oui. Mais quand on habitait le quartier, on n?avait pas trop de problèmes. Alors que là?" Elle haussa les épaules machinalement, et resserra son châle comme si elle avait froid. "Il ne fait plus bon être une femme, par ici. Même si, personnellement, je n?ai jamais eu de problèmes"
"Je peux repasser demain, alors, Dani ?"
"Oui, oui, repassez demain, j?aurai du nouveau. Mais ne venez pas ici. Il faudra que j?abandonne cette maison, bien sûr. Avec l?autre fou qui sait où j?habite, je ferais des cauchemars, et je n?aime pas ça. Faire des cauchemars. Je vais devoir changer d?endroit. Ca faisait vingt ans, que je vivais ici. Vingt ans ! Tout passe, tout passe" Elle se frotta les yeux, se refusant à pleurer.
Shareen la regarda avec un respect nouveau. Cette femme était formidable ! Elle avait un caractère en acier trempé, mais elle ne cachait pas non plus ses émotions comme Rekk le faisait. Elle était humaine, et puissante à la fois. Elle était tout ce qu?avait été Deria, d?une certaine manière. Elle comprenait que Rekk lui faisait confiance. Elle baissa la tête. Elle-même n'avait même pas été capable de se protéger. Elle n'avait été qu'un poids pour Malek durant toute l'échauffourée. Il était temps que ça change.
"Je suis désolé pour tout" fit Rekk, plus proche de la gêne qu?il ne l?avait jamais été.
"Ne le sois pas, ne le sois pas. A tout le moins, tu arrives à mettre de l?animation dans ma vie. C?est déjà ça" Elle eut un sourire nostalgique. "Tu te souviens, lorsque nous avions démantelé le réseau de contrebande concurrent et que? mais, je radote, je radote. Bon, il est temps que tu y ailles. Vous avez fait beaucoup de bruit avec toutes ces histoires. Même dans le Centre-Ville, il est possible que quelqu'un ait prévenu?" Sa voix s'affaiblit alors qu'elle entendait brusquement le bruit d'innombrables bottes qui couraient dans la rue "...la garde."

n°2024558
Thief
Posté le 10-02-2004 à 18:27:16  profilanswer
 

Panem a écrit :

Ouf... jviens de rentrer de week-end, y a deux nouveaux chapitres à lire  :ouch: bon va falloir que je trouve un moment.  
Pour ma part et d'après ce que j'ai lu (c'est-à-dire surtout en considérant le style, puisqu'on ne peut pas avoir une idée vraiment nette de l'histoire pour le moment) je pense que ça a des chances d'être publié un jour, peut-être quitte à faire des modifs. Je trouve que dans le même genre cela vaut bien un roman comme "Le trône de fer" par exemple (de GRR Martin), publié chez j'ai lu...
Par contre je pense que tes envois aux éditeurs ne sont pas assez diversifiés. Là où Lonecat pourrait bien avoir raison (pour le reste je lui laisse  :sarcastic: ) c'est que chez l'Atalante, qui est un petit éditeur, on prend en général moins de risques que dans une grosse boîte où on peut se permettre d'amortir un titre qui se vend moins bien par un titre qui se vend bien... d'où chez l'Atalante une grosse proportion d'auteurs connus (Pratchett, Scott Card, etc. ) au détriment d'auteurs débutants... que l'on retrouve surtout chez Fleuve Noir (ça me semble pas mal pour ce que tu écris, tu devrais essayer chez eux), certaines collections de poche comme J'ai Lu, etc.  
 
et Courage !!  
 
En tous cas moi je veux toujours  :bounce: la suite ! :bounce:  


j'ai pas encore lu ce qu'il a écrit, mais arriver au niveau d'une épopée de Martin me semble plus que difficile tout de meme....

n°2025209
Damrod
Posté le 10-02-2004 à 19:46:51  profilanswer
 

dommage pour comeral il était interressant.  
mais ça continue sur le bon rythme  :bounce:  
la suite, la suite  :bounce:  :love:

n°2025414
Profil sup​primé
Posté le 10-02-2004 à 20:16:42  answer
 

Y'a combien de chapitres en tout ?
C pour savoir si j'imprime plutot en A4 ou en A5

n°2027798
Oulak
Posté le 11-02-2004 à 06:40:21  profilanswer
 

Oualb a écrit :

Y'a combien de chapitres en tout ?
C pour savoir si j'imprime plutot en A4 ou en A5


 
Oulà il commence déjà à perdre des ventes :whistle:

n°2028408
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 11-02-2004 à 10:44:10  profilanswer
 

Premier boss éliminé. heureusement y en a encore...  
 
:bounce: la suite ! :bounce:
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
... s'il te plaît :o
 
PS: Mais, aussi rapide qu'il eût été, Dani l'avait été encore plus.


Message édité par Panem le 11-02-2004 à 10:45:09
n°2028438
PunkRod
Digital Mohawk
Posté le 11-02-2004 à 10:48:29  profilanswer
 

"le boss de fin de chapitre" ... c'est un concept qui peut plaire aux geeks :D


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Assistants SWGOH
n°2028524
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 11-02-2004 à 11:00:19  profilanswer
 

Est-ce que je décèle le début d'un commencement de critique sur la notion de "boss" ?  :D  
 
Ca a marché dans Zelda, hein, d'abord  :kaola:

n°2028702
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 11-02-2004 à 11:27:24  profilanswer
 

Ah ben j'y peux rien, moi, si on soupçonne, ô combien légèrement, chez G.B. (à ne pas confondre avec la Grande Baleine cosmique, les initiés comprendront) un lourd passé de rôliste :D
 
Moi quand je vois un type énorme avec une "épée 8D+13" (comment ça "c'est pas ce que j'ai écrit"  :??:), jpeux pas m'empêcher de penser à ça, hein.... mais bon j'ai les idées mal tournées :o
 
M'enfin il (le batracien en question ) ne sera ni le premier ni le dernier dans ce cas parmi les auteurs de medfan... c'est donc pas vraiment une critique, c'est aussi le genre que t'as choisi...  
 
Après y en a qui font des distinctions savantes (et c'est vrai qu'ils sont plus savants que moi...) en disant que tout de même, G.R.R. Martin c'est plus complexe, plus fouillé, plus plus et tout ça... bon .... moi je veux bien, mais là c'est trop de subtilité pour moi...
 
Moi en matière de subtilité dans l'analyse littéraire, mon style est plutôt "Comeralien" voire "Rekkien" :o (j'ai résisté vaillamment à toutes les tentatives de subtilité au cours de mes 10 ans d'études littéraires, dont de multiples années en khâgne et à la Sorbonne...)

n°2028793
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 11-02-2004 à 11:39:55  profilanswer
 

Citation :

Ah ben j'y peux rien, moi, si on soupçonne, ô combien légèrement, chez G.B. (à ne pas confondre avec la Grande Baleine cosmique, les initiés comprendront) un lourd passé de rôliste :D


 
10 ans de suite, et j'ai encore des séquelles  :D  
Remarquez quand même que pour l'instant, la magie n'est pas vraiment présente... c'est plus original, déjà  :sol:  
 
Bon, sur ce, voici le chapitre XI pour vous faire un peu de lecture au boulot.
_________________________________________
 
Le bureau n'était pas très large, mais richement décoré. Tout ici respirait l'efficacité et le luxe discret des anciennes fortunes, à l'inverse du tape-à-l'?il clinquant dont aimaient à faire preuve les marchands et autres roturiers. Il n'y avait qu'une seule chaise, mais un ?il expert aurait pu révéler qu'il datait probablement de plus de deux cents ans. Un historien aurait pu rajouter que si elle avait aussi bien subi l'épreuve du temps, c'était parce qu'elle était sortie des mains du plus fameux ébéniste de l'Empire, Morgun BoisVert.
Et tout était à l'avenant. Une coupe arborait des dessins complexes et entrelacés de scènes de bataille, et seul le ciseau d'un maître avait pu donner l'impression d'un tel réalisme. Les tentures paraissaient sobres pour un esprit inattentif, mais le maillage d'or et d'argent qui rehaussait leur couleur aurait donné du mal à n'importe quel couturier de ce siècle.  
Les tentures étaient repoussées, la chaise était occupée, et la coupe montait lentement aux lèvres de Mandonius. Le gouverneur grimaça légèrement alors que l'amertume du vignoble imprégnait son palais. Le soleil pénétra à flots dans la petite pièce, découpant son ombre sur le mur et illuminant le calice de mille feux. Le gouverneur aimait cet endroit. C'était son havre de paix, le seul endroit où les gens n'allaient pas le déranger. C'était là qu'il réfléchissait sur la bonne marche de l'Empire, sur les taxes à augmenter ou les travaux à accomplir, sur les ordres à donner et les récompenses à redistribuer. C'était là qu'il construisait sa stratégie, doucement, méthodiquement, comme le fin joueur de cartes qu'il était. C'était là que se décidait l'avenir du royaume.
 
Ce fut donc avec surprise et irritation qu'il entendit le grattement de doigts à sa porte. Il fronça les sourcils, et reposa la coupe. Ses ordres étaient très clairs. Personne ne devait le déranger lorsqu'il méditait ainsi, sauf en cas de problème majeur. Une inondation, une révolte, un assassinat. Sa main hésita un instant au-dessus du parchemin qu'il lisait, et il le replia en soupirant. Il n'avait pas l'esprit à travailler, de toute façon.
"Entrez !" fit-il, péremptoire.
La porte s'entrouvrit, et un garde s'introduisit dans le bureau, visiblement agité. Sa respiration était hachée et quelques gouttes de sueur perlaient à son front, comme s'il avait couru.
"Gouverneur !" Il toussa, reprit son souffle. Sa voix devint un coassement. "Gouverneur !"
"Eh bien, quoi ?" Mandonius se leva, passablement irrité, et avança vers l'intrus. "Parle. Pourquoi me dérange-t-on ainsi ?"
"C'est Gundron, Gouverneur. Il veut vous voir à tout prix ! Il a menacé de tous nous dégrader si nous ne lui laissions pas le passage. Il était furieux !"
Le regard de Mandonius erra sur l'uniforme sans décorations du soldat, puis remonta vers son visage. Quelques secondes passées à fouiller dans sa mémoire lui ramenèrent le nom de l'homme.
 
"Dégradé ? Mais tu n'es pas gradé, Steban. Du moins, pas que je sache"
"Il parlait au sergent" observa Steban, cherchant toujours à calmer sa respiration.
"Je vois." Mandonius soupira. "Fais-le entrer, dans ce cas. Je ne voudrais pas faire attendre plus longtemps que nécessaire notre bien-aimé capitaine."
"Inutile, je suis là"
La porte se rabattit à nouveau alors que Gundron entrait dans la pièce. Un vent frais s'engouffra avec lui, et Mandonius ramena les pans de sa cape autour de lui en frissonnant. C'était ridicule. La porte ne donnait pas sur l'extérieur. Pourtant, le gouverneur ne pouvait se débarasser de cette sensation frileuse.
"Je ne t'offre pas de siège"
"Je n'en ai pas besoin. Je serai bref. Rekk est arrivé en Ville"
Mandonius sursauta.
"Quoi ? Déjà ? A Musheim ?"
"Oui. Oui. Et oui."
 
Le gouverneur grinça des dents. C'était une véritable gifle que d'apprendre cette nouvelle essentielle par quelqu'un d'autre que son réseau d'espions. Et, pire, de la propre bouche de Gundron. Les commissures de ses lèvres s'étrécirent en une grimace de doute. Pourquoi le borgne lui livrait-il ainsi l'information avec autant de facilité ? Le secret qu'ils partageaient ne changeait rien à leur comportement quotidien, et ils n'étaient certainement pas plus proches qu'auparavant. Pour dire la vérité, le gouverneur était justement en train de réfléchir à un moyen de réduire l'influence du Capitaine dans la capitale lorsqu'on l'avait dérangé. Non, tout cela devait cacher quelque chose, et Mandonius avait bien l'intention de savoir quoi. Mais pour l'instant, des problèmes plus pressants l'assaillaient. Il joignit ses mains dans le dos et se mit à faire les cent pas, son esprit tourbillonnant furieusement.
"Il faut l'accueillir tout de suite, de la meilleure manière possible ! S'il est venu, c'est pour rechercher l'assassin de sa fille. Sans aucun doute, il n'a pas de tendresse pour nous et l'Empire. Nous allons devoir le convaincre de nos bonnes intentions. Ca ne sera pas facile, il faudra jouer avec diplomatie. Passer du baume sur son c?ur et ses blessures et doucement, très doucement, l'amener au palais pour rencontrer l'Empereur."
"C'est un peu tard pour tout ça" observa Gundron froidement. "Il est en train de croupir dans les geôles du palais."
Mandonius se dressa de toute sa taille.
"Quoi ?"
"Le guet l'a trouvé au beau milieu d'une scène de carnage, en lisière du centre-ville. Ils l'ont interpellé. Il était avec deux gamins et une femme, au fait. Et l'un d'eux prétend être noble."
"Deux gamins ? Une f? Une minute ! Il s'est laissé prendre sans rien dire ?"
 
Gundron haussa les épaules.
"Mes hommes ne vont pas souvent près du Centre-Ville. Lorsqu'ils le font, c'est au moins à deux patrouilles. Vingt hommes. Je ne pense pas qu'il était dans son intention de résister." Ses lèvres s'étrécirent en un sourire glacial. "Mais il a prononcé ton nom aux gardes, comme si c'était un talisman. Ne t'inquiète pas, ils ne l'ont pas blessé. Ils ont trop peur de s'en prendre à un de tes protégés. Ou à un noble."
Si la situation n'avait pas été aussi ennuyeuse, Mandonius aurait éclaté de rire devant l'expression de dégoût sur le visage de Gundron. Dans l'état actuel des choses, il ne s'autorisa qu'un frémissement des lèvres. Rekk en prison? le séjour du Boucher à Musheim commençait vraiment mal.
"Et cette scène de massacre dont tu parlais ? Que s'est-il passé ?"
"Un mort, il paraît. Personne ne le reconnaît. Je n'en sais pas plus, je suis venu te prévenir directement"
 
Mandonius haussa un sourcil. Directement, eh ? Pourquoi Gundron faisait-il soudain du zèle comme ça ? Soudain, la lumière se fit dans son esprit.
"Je suppose que tu ne veux pas voir Rekk, pas tout de suite, n'est-ce pas, Gundron ?" susurra-t-il.
Le borgne haussa les épaules, mais son regard était fuyant.
"Pas particulièrement. En fait, je me demandais même s'il ne valait pas mieux le laisser croupir en prison. Après tout, une telle opportunité ne se représentera pas de sitôt. Cet homme est mieux enchaîné que libre"
Mandonius se laissa un instant pour considérer l'option, mais il finit par la rejeter. Non. L'Empereur voulait voir Rekk, et ne souffrirait pas un quelconque retard. De plus, les frontières nord avaient besoin d'être gardées, sans quoi les barbares finiraient par réussir leur invasion. Et puis, Rekk était un bien bel outil. On ne jetait pas ses outils. Au pire, on les affûtait.
"Je n'en doute pas. Mais si tu es venu me trouver, c'est que tu sais que cette option est irréaliste. Je me trompe, Gundron ? Tu veux que j'aille le trouver, et que j'essaie d'aplanir les problèmes, c'est bien ça ?"
Le borgne grimaça.
"La diplomatie, c'est ta partie. Je suis sûr que tu sauras lui lécher les bottes bien comme il faut, la boue comme la selle. Bon, décide-toi et suis-moi. Si tu veux essayer de recoller les morceaux, autant que tu t'y mettes tout de suite."
Sans attendre de réponse, Gundron se détourna et quitta la pièce. Mandonius n'eut que le temps d'enfiler son manteau avant de le suivre.
Il avait le sentiment que les événements s'imposaient à lui. Il ne supportait pas ça.
 
 
 
Shareen restait dans un coin de la pièce, une couverture sur les épaules. Elle ne se sentait pas très bien, alors que la terrible scène jouait de nouveau dans sa tête. Elle avait essayé de fermer les yeux, mais les terribles images étaient comme imprimées au fer rouge dans son esprit, et espérer les fuir était illusoire. Pitoyablement, elle s'essuya le nez sur le revers de la couverture.
Elle s'était promise de ne jamais plus être une victime soumise, mais elle brisait déjà ses bonnes résolutions en pleurant ainsi. Pourtant, elle ne pouvait pas s'en empêcher. Du moins le faisiat-elle en silence.
Shareen avait été terrifiée de la prison dans son enfance. Ses parents étaient des gens travailleurs et sérieux qui lui avaient inculqué leurs valeurs, ainsi qu'une sainte horreur d'enfreindre la loi. Elle n'aurait jamais imaginé se retrouver derrière des barreaux, même dans ses pires cauchemars. Pourtant, ce n'était pas aussi terrible qu'elle se l'était imaginé.
La pièce dans laquelle ils étaient restait certes fermée de l'extérieur, et n'avait aucune fenêtre. Mais il y avait plusieurs lits très confortables, des chaises, une table, et même un coffre à boissons dans un coin. Ca n'était pas une véritable chambre d'auberge, mais ça y ressemblait.
 
"Ils nous traitent plutôt bien, finalement" murmura-t-elle.
"Ils ont compris qui je suis. Ils doivent être en train de courir prévenir mon père." Les poings de Malek se serrèrent. "Dieu de Sang, je n'ai pas envie de le voir, pas maintenant, pas comme ça" Il se tourna avec humeur vers Rekk. "Et vous ! Pourquoi est-ce que vous n'avez rien fait ? Nous aurions eu le temps de nous enfuir si vous n'aviez pas traîné, j'en suis sûr !"
Le Boucher était allongé nonchalamment sur un des lits. Une de ses jambes pendait par-dessus son rebord. Il se souleva sur un coude, et jeta un ?il vers Dani. La grosse femme avait poussé l'insouciance encore plus loin. Effondrée sur sa banquette, elle ronflait avec application.
"Tu n'aurais pas pu courir avec ta blessure, petit. Et, de toute façon, je serais venu au palais tôt ou tard."
Malek se mordit la lèvre. Il n'aimait pas avoir tort, mais il n'y avait rien à dire. Il était le premier conscient de la gravité de sa blessure. Même si ce n'était pas grand-chose, il n'aurait certainement pu distancer des gardes habitués aux courses-poursuites nocturnes. Maussade, il tourna son regard vers le mur. Shareen s'approcha doucement de lui, et lui prit la main. Il se tendit mais, lentement, ses épaules s'affaissèrent. Shareen lui murmura quelques mots à l'oreille, comme une berceuse. Il ne se dégagea pas, les yeux mi-clos.
"Au fait, ce Mandonius, comment est-il ?" s'enquit soudain la jeune fille, faisant sursauter Malek. "C'est le gouverneur, c'est ça ?"
"Oui." Rekk avait fermé les yeux et se reposait tranquillement, très à son aise. "Il a servi avec moi dans les guerres koushites. Un vieux roublard, avec plus de sang noble dans les veines que ce que j'ai saigné pendant cette campagne. C'est un des rares à savoir que je suis encore en vie."
 
La porte pivota, et Shareen sursauta alors que le gouverneur pénétrait dans la pièce.
C?était un vieil homme, légèrement plus âgé que Rekk. Il devait avoir dépassé cinquante ans depuis longtemps. Ses cheveux blancs étaient tenus longs, soigneusement peignés, et entrelacés en une longue tresse à la manière courtisane. Il avait un visage agréable, aux traits marqués, ornementé d?un bouc soigneusement entretenu, tout aussi blanc que ses cheveux. Il avait des yeux d?un bleu profond, qui s?arrêtèrent longuement sur chacun des membres du petit groupe, semblant les détailler jusqu?aux tréfonds de son âme. Son regard était calme et tranquille ; on ne pouvait rien déceler de la violence contenue qui couvait dans ceux du Banni. Pourtant, Shareen frissonna. C?étaient des yeux qui avaient déjà beaucoup vu, qui avaient déjà trop vu, qui semblaient déjà tout savoir et s?amuser de cette connaissance.
"Et croyez-moi, je suis heureux que ce soit le cas !" Rekk fronça les sourcils, viisblement surpris qu'on ait pu l'entendre à travers les épaisses murailles. Mandonius sourit et indiqua vaguement le chambranle de la main. "Des propriétés acoustiques intéressantes, cette pièce. On entend tout comme si on était à côté de la personne qui parle. Mais j'oublie mes manières. Bonjour à tous. Je me nomme Mandonius, et je suis le gouverneur de Marcus Ier, que Son nom soit vénéré." Il se tourna vers les autres. "Et vous êtes ?"
 
"Tiens, un autre grand machin en habits de cour" grogna Dani en se levant avec peine de son lit. Elle avait les yeux bouffis de sommeil, et cela ne rendait pas service à son visage épais. "Mon nom ne te regarde pas. Merci de me laisser dormir"
Mandonius n'eut pas le temps de se mettre en colère que Malek se dressait sur ses ergots, bombant le torse.
"Je vous connais, Seigneur. Je suis Malek, le fils du duc de Licorne. Nous avons été injustement emprisonnés. Je suis content de vous voir, que nous puissions tirer les choses au clair"
Les yeux du gouverneur s'étrécirent en apercevant le jeune noble, mais il reprit rapidement le contrôle de ses émotions.
"Je vois. Une compagnie intéressante, en effet. Qui sont les autres ? Mademoiselle, à qui ai-je l'honneur ?"
Shareen recula d'un pas sous le regard scrutateur du gouverneur. Elle se sentait inexplicablement mal à l'aise, et ce fut Malek qui vint à son aide, se plaçant devant elle.
 
"Ce n'est que ma servante. Rien qui puisse vous troubler." Il haussa les épaules. "Bien, partons-nous ? Je suis impatient de voir mon père"
Mandonius secoua la tête, et son expression se durcit
"Vous restez ici pour l'instant, Malek. Je vais faire prévenir le duc tout de suite et il viendra vous chercher. Vous êtes dans les ennuis jusqu'au cou, jeune homme. Je croyais que vous étiez à l'Académie, mais ce n'était visiblement pas le cas. J'espère que vous avez une bonne excuse. Je ne voudrais pas vous voir accusé de meurtre"
Toute la superbe de Malek se dégonfla alors qu'il clignait des yeux, incrédule.
"Quoi ? Que? Mandonius, je?"
"Baron FroidVal, voulez-vous bien venir avec moi ? L'Empereur souhaiterait te rencontrer. Et on ne le fait pas attendre."
Le Boucher resta un instant immobile. Son regard se posa sur les deux enfants, et pour la première fois, il parut hésiter. Lorsqu'il releva la tête, ses yeux étaient durs.
"Très bien. Je suis moi aussi impatient de le rencontrer."
Sa main se posa machinalement là où aurait dû se trouver son épée, sans la trouver. Il passa un pouce dans sa ceinture à la place, et suivit Mandonius hors de la pièce. La porte claqua. Shareen, Dani et Malek se retrouvèrent seuls.
 
Le gouverneur examinait Rekk de la tête aux pieds, sans même prendre la peine de cacher son examen. Ses yeux brillaient de curiosité, alors qu'il cherchait les traces de blessure et tentait d'évaluer comment l'homme qui lui faisait face avait subi l'épreuve du temps.
Rekk avait été une légende, un combattant d'exception, un guerrier formidable. Il s'était attiré la faveur du peuple en gagnant tous ses combats dans l'arène, et il s'était brutalement distingué durant les guerres koushites. Cette férocité, était-elle intacte ? Cette violence, était-elle toujours présente ? Et le corps était-il encore solide ? Mandonius sentait tous les jours les ravages de l'âge sur lui. De temps en temps, ses jambes lui faisaient mal, surtout en hiver. Il ne pouvait plus courir comme il le faisait autrefois, et les exercices d'escrime qu'il pratiquait de temps en temps pour garder la forme le laissaient désormais pantelant. Qu'en était-il de Rekk ?
Si les rumeurs étaient exactes, il avait vaincu un géant d'au moins sept pieds de haut. Les gardes étaient tout excités en parlant de l'épée gigantesque qu'ils avaient ramassé sur le sol. Mandonius avait les pieds sur terre, et il pouvait d'emblée ignorer celles qui prétendaient que l'arme faisait six pieds de longueur. Mais, même ainsi, il semblait que le Boucher avait encore des réflexes? si le combat avait été loyal. Le gouverneur fronça les sourcils. Il y avait tant de choses qu'il voulait savoir, tant de choses importantes. Mais il ne pouvait se permettre de demander tout de suite. Cela risquait d'amener des complications. S'il y avait bien quelque chose dont Mandonius pouvait se passer en ce moment, c'était bien de complications. Non, il allait devoir attendre patiemment que le Faiseur de Veuves sorte de son entrevue avec l'Empereur, et ensuite seulement? peut-être une bouteille d'alcool fort serait nécessaire. Ou deux; dans les légendes, on prêtait à cet homme la constitution d'un démon.
Le gouverneur resta ainsi apparemment perdu dans ses pensées jusqu'à ce qu'ils soient suffisamment éloignés de la pièce et de ses gardes. Seuls deux d'entre eux continuaient à suivre, sans aucun doute envoyés par Gundron pour surveiller ce qu'il se passait. Il hésita un instant à leur ordonner de décamper, mais cela voudrait dire une guerre d'autorité ouverte avec le borgne. Il n'était pas encore complètement sûr de ses appuis. Pas maintenant. Pas comme ça. Il allait falloir s'accomoder de la présence de ces espions.
 
"Je n'ai pas eu l'occasion dans votre? cellule? de vous présenter mes hommages. Bienvenue, Baron FroidVal. Que l'Empereur illumine votre séjour"
Rekk haussa un sourcil, surpris. Mandonius lui désigna les gardes, et le Boucher sourit.
"Auprès de l'Empereur, l'homme trouve plaisir et repos" répondit-il rituellement, touchant brièvement son front de ses phalanges.
"N'est-ce pas ? N'est-ce pas ? Mais oublions ces formalités. Ici, vous pouvez m'appeler Mandonius, et je vous appellerai Harrel. Cela vous convient-il, Baron ?"
Le Boucher hocha la tête. Le message était on ne peut plus clair. Personne ne devait connaître sa véritable identité. Il grimaça. Ce n'était pas le genre de choses qu'on avait besoin de lui dire. Mais le visage du gouverneur s'éclaira d'un sourire contagieux, et Rekk serra les mâchoires pour s'empêcher de sourire en retour.
"Il est bon de te revoir après toutes ces années? Harrel ! Tu n'as pas tellement changé, en trente ans ! Un peu d'embonpoint, peut-être ?"
Rekk éclata finalement de rire. Le son était étrange, chez lui. Les rides qui rendaient son visage si terrifiant s'estompèrent pendant un instant.
"C'est moi qui devrait te dire ça, Mandonius ! Tu as exactement le même visage qu'autrefois. Tu avais des cheveux bruns, la dernière fois que je t'ai vu mais, à part ça, tu m'as l'air en forme. Beaucoup d'exercice ?"
"Pas autant que je voudrais" admit le gouverneur. "Je ne suis plus général depuis bientôt dix ans, et je n'ai pas connu de guerre depuis plus de vingt. Ca me rend mou." Il baissa la voix. "Son Excellence semble penser que mes talents sont mieux utilisés à diriger l'Empire qu'à l'étendre. Oh, et à veiller sur son gamin aussi."
"Comment est-ce que je peux t'appeler, alors ? Quel titre honorifique ? Nourrice ?"
"Gouverneur, si tu y tiens. Mais Mandonius suffira."
"Mandonius, alors."
 
Ils traversèrent plusieurs couloirs, le gouverneur ouvrant la marche. Pour Rekk, tout n'était qu'un labyrinthe de corridors, mais Mandonius semblait ne jamais hésiter. Le Boucher siffla entre ses dents devant l'amoncellement de richesse qu'ils dépassaient. Il y avait de nombreux tableaux aux cadres d'or, de riches tapis aux canevas finement brodés, des statuettes d'or et d'argent aux yeux de pierres précieuses, des vases incrustés d'émeraude, des armes de parade et d'exercice, des coffres de bois précieux. Rekk se sentait étrangement nerveux alors qu'il avançait sur la moquette épaisse. C'était l'absence de son épée, réalisa-t-il après quelques pas. Avec elle, il se serait senti en sûreté dans l'antre de la Mort. Sans elle, il avait l'impression d'être complètement nu. Ce fut un soulagement que de finalement arriver dans une aile du palais qu'il connaissait. Ici, le luxe était encore plus ostentatoire.
"Nous ne sommes pas loin, si mes souvenirs sont exacts. Le bâtiment n'a pas tellement changé"
Mandonius sourit par-dessus son épaule.
"Tu as une excellente mémoire. Nous sommes presque arrivés."
Il y avait une double porte devant eux, une porte de bronze renforcée par une lourde barre d'acier. Six gardes en arme étaient figés devant, leur lance pointant vers le plafond.
"Gloire et honneur !" entonnèrent-ils alors que Mandonius approchait.
"Gloire et honneur" répondit-il.
"Gloire et honneur" marmonna Rekk.
 
Deux des gardes ôtèrent la barre et lentement, très lentement, la porte s'ouvrit vers l'intérieur. Mandonius n'attendit pas qu'elle soit complètement écartée pour rentrer.
" L'Empereur du Ponant, le Seigneur des Nations sous le Soleil, le Gardien des Trois Mers et le Commandeur des Peuples !" annonça-t-il d'une voix forte. "Gloire et honneur !"
"Gloire et honneur" fit de nouveau Rekk, avançant dans la pièce. Un muscle jouait contre sa joue. Il n'avait pas passé plus d'une heure dans le palais et, déjà, l'étiquette à respecter lui devenait insupportable. C'était une bataille à laquelle il n'était pas habitué, et pour laquelle il ne pouvait reconnaître le terrain à l'avance.
S'il l'avait fait, peut-être aurait-il été moins surpris par la personne qui lui faisait face, avachi sur le trône d'or et de lapis-lazuli, engoncé dans des robes de pourpre bien trop grandes pour lui.
Il avait vaguement regardé les portraits de l'Empereur qui parsemaient les couloirs, mais toujours on le représentait chevauchant fièrement un destrier fougueux, l?épée au poing et le regard chargé d?orage, ou encore dressé fièrement contre les intempéries, une plume dans la main et le visage pénétré de sa propre sagesse.  
L?homme qui occupait le trône avait certes des yeux expressifs, mais il n'arrivait pas à l'imaginer monter sur un cheval cabré. Il avait la peau parcheminée, le visage fatigué. Les rides envahissaient son visage comme les sillons d'un laboureur. Il avait vieilli de manière précoce, cet empereur qui ne devait pas dépasser les quarante ans.
 
Mandonius mit un genou en terre, mais Rekk resta debout. L'homme devant lui, d'une certaine manière, était responsable du sort de sa fille.
"A genoux !" siffla Mandonius, tout d'un coup moins cordial. Sa voix était urgente. "A genoux !" Le boucher ne réagit pas.
"Laisse, Mandonius, laisse. Je pense que le protocole a déjà été brisé plus que nécessaire. Quelle importance de le maintenir maintenant ?" L'empereur eut un sourire fatigué. "Vous vous faites vieux, Baron. Je m'en voudrais de vous faire plier le genou"
"Je me sens suffisamment jeune"
De nouveau, Mandonius roula des yeux devant le ton neutre du Boucher mais, cette fois-ci, il tint sa langue. L'Empereur parlait.
"Oh ? Assez jeune pour pouvoir encore être habité par la colère et la vengeance, sans aucun doute."
"Je vois que vous êtes au courant."
"Oui, oui, oui. Une chose affreuse, la vengeance. Irrationnelle. Une étincelle apportée à des brindilles sèches. Je n'aime pas beaucoup les choses irrationnelles, Baron."
"J'en suis désolé."
Les yeux de l'Empereur étincelèrent, et un reste de son ancienne autorité s'y reflétèrent alors qu'il avançait sur le Banni.
"Je l'espère bien, Baron. Ce qui est arrivé à votre fille est? est un regrettable accident. Nous sommes nombreux à le déplorer. Maître Semos s'en voulait terriblement de cette mort, bien qu'il n'y soit évidemment pour rien."
"Nous verrons bien"
Cette fois-ci, le sourire de l'Empereur glissa de côté.
"Mandonius. Laisse-nous seul. J'ai à parler avec le Baron FroidVal." Le gouverneur ouvrit la bouche pour protester, mais le ton de Marcus se durcit. "Faut-il que je me répète ?"
"Non, Votre Grâce"
 
Tête baissée en signe de respect, le gouverneur marcha à reculons jusqu'à la porte, puis disparut dans le couloir. Les lourds battants se refermèrent. L'Empereur poussa un léger soupir, puis se retourna vers Rekk.
"La décision ne vous appartient pas, Baron. C'est une chose de vous voir revenir dans la capitale, et je suis ravi, à titre personnel, de vous compter de nouveau parmi ses habitants. C'en est une autre de vous voir la mettre à feu et à sang pour une histoire, certes tragique, mais qui ne saurait tout excuser."
"Votre Grâce" fit Rekk, le ton patient.
"Je n'aime pas les débordements, Baron. J'aime que tout soit calme, bien rangé. Comme dans des coffres ou des petites boîtes. Vous voyez ? Je n'aime pas ce que je ne peux pas contrôler. Et vous êtes incontrôlable. Par conséquent, je ne vous aime pas"
Rekk eut un sourire sans humour.
"Peu de gens m'aiment, Votre Grâce."
"Un homme ne saurait se substituer à la justice impériale. Retenez bien ça, Baron, car je ne vous le répéterai pas. Je crois savoir que la vraie raison de votre bannissement venait de cela, justement? votre propension à mélanger les genres. N'est-ce pas vous qui étiez Capitaine de la Garde de mon estimé père? jusqu'à ce que vous outrepassiez vos fonctions ?" Rekk ne répondit pas. La question était purement rhétorique. "Cependant? je peux comprendre ce que vous ressentez, Baron. L'amour d'un père pour ses enfants est quelque chose de magnifique. Je me demande comment je réagirais moi-même si mon fils venait à se faire tuer, bien qu'il ne soit qu'un bon à rien." Il haussa les épaules en un geste très peu impérail, puis retourna à pas lents vers son trône. Il s'assit lourdement. "Je ne suis pas omniscient, Baron. Vous le savez ?"
Rekk hocha poliment la tête.
"Personne ne l'est, Votre Grâce"
"Exactement ! Et ce qui ne remonte pas à mes oreilles, Baron, je ne peux le sanctionner. S'il se trouvait que, par le plus grand des hasards, un ruffian du centre-ville était retrouvé mort dans les eaux du port, eh bien, la garde ne pousserait pas plus loin ses investigations."
"Elle ne les a pas poussées pour ma fille" observa Rekk. "Visiblement, quelqu'un voulait étouffer cette affaire. Aucune nouvelle n'a filtré jusqu'à moi, et un assassin a été envoyé pour m'abattre avant que je le découvre. Je suis irrité. J'espère que tout cela n'était pas sur votre ordre."
 
Le ton menaçant prit l'Empereur par surprise. Il recula d'un pas avant de se ressaisir. Les yeux du Boucher étaient deux puits sans fond sur un océan de violence, et Marcus était désagréablement conscient de l'éloignement de ses gardes. A quoi lui servait de commander les cent trente mille hommes qui constituaient l'armée de l'Empire si aucun n'était présent dans la pièce ? Bien entendu, il n'envisageait pas une seule seconde que Rekk puisse tenter quoi que ce soit contre lui. Pourtant, quelques gouttes de sueur perlaient à son front alors qu'il reprenait la parole, luttant pour garder une voix ferme.
"J'ai entendu parler de... un assassin, vous dites ? Je n'en savais rien. Je vous assure." Il eut un sourire sans humour. "Vous connaissez la situation dans le nord. Je pense que vous pouvez me croire si je vous dis que vous m'êtes trop précieux pour mourir. Vous seul êtes capable de tenir cette armée hétéroclite de criminels et de la transformer en un bouclier valable."
"Ne critiquez pas mes hommes" fit doucement Rekk, la douceur d'une épée sur le velours. De nouveau, l'Empereur frissonna. Il n'avait jamais rencontré Rekk en personne. Maintenant, il comprenait pourquoi son père se méfiait tellement de lui.
"Je ne les critiquais nullement. Ah? quoi qu'il en soit, mon offre tient toujours. Des appartements seront préparés pour vous et vos? compagnons au palais. Non, inutile de me parler d'eux pour l'instant. Je n'ai plus beaucoup de temps à vous consacrer, et j'ai quelque chose d'important à discuter avec vous."
 
Rekk eut un sourire torve.
"Et la contrepartie ?"
L'Empereur le regarda un instant, puis éclata de rire. C'était étrange, ce rire caverneux chez un homme aussi fluet, comme si une autre personne avait pris soudain possession du monarque.
"Je savais que vous comprendriez tout seul. Oui, j'ai besoin de vous, Rekk. En échange de ma neutralité ? non, de ma bienveillance ? je veux votre épée"
Il y eut un silence. L'Empereur se rassit, jouant nerveusement avec les plis de sa robe pourpre. Le hameçon était lancé, il ne restait plus qu'à savoir ce qu'il allait attraper. Si jamais le Boucher refusait, il allait falloir régler la question une fois pour toutes. Château Bertholdton avait besoin d'un homme à poigne mais, après tout, cela devait pouvoir se trouver ailleurs. Ce serait regrettable de se passer de Rekk, et il y aurait probablement une mutinerie à écraser, mais cela donnerait du travail aux troupes inexpérimentées de l'Empire. Ce ne serait pas un mal, finalement.
"Que voulez-vous de moi ?"
L'Empereur laissa fuser un discret soupir de soulagement. Amener Rekk à demander était le plus dur. Maintenant, il jouait sur du velours.
"Vous étiez autrefois Capitaine de la Garde, n'est-ce pas ?"
"Il y a trente ans de cela"
"Les choses changent, en trente ans" admit Marcus. "Mais vous aviez un réseau d'informateurs à l'époque, n'est-ce pas ?" Il vit l'expression sur le visage du Boucher, et rit franchement. "Ne faites pas cette tête là. Tous les capitaines ont cultivé un réseau. Des contrebandiers, des voleurs, des marchands, des prostituées? de quoi se tenir informés"
"Et si c'était vrai ?" fit Rekk, sur la défensive.
 
L'Empereur resta silencieux un moment. Tout se jouait maintenant.
"Je suis depuis deux ans la cible d'attaques de plus en plus dangereuses. Des hommes avec des arbalètes, des assassins armés de poignards, du poison dans ma nourriture? je suis de plus en plus prudent, mais c'est comme si ces rebelles connaissaient à l'avance mes moindres mouvements. J'ai survécu par miracle à plusieurs ambuscades." Il baissa la voix. "Quelqu'un me trahit, c'est certain. Un noble quelconque, une maison en mal de reconnaissance. Et Gundron semble totalement impuissant à les démasquer. Parfois, je me demande même si ce n'est pas lui qui les pilote." Il secoua la tête, éliminant cette idée ridicule. "Non, certainement pas. Mais le fait est qu'il est totalement inefficace contre cette menace. Et c'est là que vous rentrez en jeu"
Rekk fronça les sourcils.
"Je ne comprends pas."
"Mais si, vous comprenez. Je veux que vous réorganisiez votre réseau, ou ce qu'il en reste. Je veux que vous meniez votre propre enquête, avec?" le nez de l'empereur se plissa de dégoût. "? avec les méthodes que vous jugerez appropriées. Vous avez carte blanche, mais je veux que vous trouviez les têtes de cette conspiration, et que vous me les rameniez. Sur un plateau."
"Ce ne sera pas facile."
"J'en suis conscient."
"Ca risque de demander du temps."
"Vous ferez de toute façon votre enquête pour votre fille. Rien ne vous empêche de mélanger les deux. Ah, agissez comme bon vous semble ! Mais essayez de rester discret, si jamais vous connaissez le sens de ce mot"
 
Rekk foudroya l'empereur du regard mais, cette fois-ci, Marcus le soutint sans flancher. On ne devenait pas empereur sans apprendre à maîtriser ses angoisses.
"On risque d'entraver mon action. Surtout si vos conspirateurs sont haut placés"
"J'ai tout prévu. Prenez ce document" L'Empereur tendit un rouleau de parchemin soigneusement cacheté. "Il vous donne ma bénédiction pour toute action que vous puissiez entreprendre. Les gardes ne vous poseront aucun problème. Mais, je vous le répète, je vous demande la plus grande discrétion. Et ce morceau de papier représente exactement le contraire. Ne l'utilisez vraiment qu'en dernier ressort, si votre vie ou votre liberté est en jeu"
Rekk n'écoutait déjà plus. D'un mouvement du pouce, il décacheta le parchemin et le laissa se dérouler. Il parcourut avec intérêt le document.
"Ce que cet homme fait, il le fait par mon ordre et sous mon autorité."
"N'en abusez pas, Baron. Je vous préviens. Je ne cautionnerai pas toutes vos utilisations, et vous le savez"
Le Boucher rangea soigneusement le document. Ses yeux étincelaient.
"Vous parliez de Gundron?".
"Ne vous approchez pas de lui, Baron. Si jamais j'apprends que vous lui avez cherché des noises, je vous fais passer au fil de l'épée, je vous le jure. Il est hors de question que vous utilisiez mon document pour satisfaire votre vengeance. Nous sommes-nous bien compris ?" Une hésitation. Puis Rekk hocha la tête. "Parfait. Alors acceptez-vous mon offre ?"
Rekk leva sa main contre son flanc et caressa lentement, presque langoureusement, la cicatrice déjà refermée que lui avait laissée l'assassin, à Bertholdton.
"A une condition" fit-il.
L'empereur soupira.
"Quoi, encore ?"
"Si Semos est impliqué, je veux sa tête."  

n°2029008
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 11-02-2004 à 12:03:20  profilanswer
 

:)  :wahoo:  :)  
 
 
 
"C'est par mon ordre et pour le bien de l'Etat que le porteur du présent a fait ce qu'il a fait" ... il se prend pour Richelieu cet empereur ;)  
 
 
chtite fôte : Il allait falloir s'accommoder de la présence de ces espions.

n°2029066
PunkRod
Digital Mohawk
Posté le 11-02-2004 à 12:10:55  profilanswer
 

up ! :D


---------------
Assistants SWGOH
n°2029174
Damrod
Posté le 11-02-2004 à 12:23:52  profilanswer
 

:)  :love: encore  :bounce:

n°2032372
ahe
Posté le 11-02-2004 à 18:44:40  profilanswer
 

:bounce:  La suite !!!!  :bounce:

n°2032421
greenleaf
Posté le 11-02-2004 à 18:51:13  profilanswer
 

on a droit à un .doc avec tous les chapitres  :??:

n°2032676
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 11-02-2004 à 19:35:56  profilanswer
 

greenleaf a écrit :

on a droit à un .doc avec tous les chapitres  :??:  


 
Non, mais c'est la contrepartie du fait de l'avoir en avant-première  ;)  
 
Sinon, et à tout hasard, voici le chapitre XII
___________________________________________________
 
"Je t'avais dit de te méfier, Semos. Tu ne peux pas me reprocher de ne pas t'avoir prévenu" Gundron suivit doucement, presque sensuellement, la courbe de la cicatrice qui lui mangeait le visage. "Il est ici, maintenant, et tes manigances n'ont servi à rien. Il est ici, et il va te tuer."
"Tais-toi ! Par les Dieux vivants et morts, tais-toi !"
 
De la grande tour à spirales de l'académie, on avait une vue imprenable vers l'est. L'aube n'allait pas tarder à se lever, et les premières lueurs du soleil commençaient déjà à se faire attendre sur les pentes herbeuses du Mont Epineux. C'était habituellement un spectacle magnifique, qui avait le don d'apaiser le c?ur de Semos et de faire paraître ses soucis insignifiants. C'était un embrasement fascinant, un jeu d?ombres et de lumières, dont la répétition systématique, jour après jour, ne parvenait pas à priver de sa magie. Mais aujourd?hui, le maître de l?académie savait pertinemment que cette vision ne suffirait pas à lui vider l?esprit.
Sa main froissa nerveusement la missive qu'il venait de recevoir. Ces derniers temps, les nouvelles étaient plus catastrophiques les unes que les autres. Il se mettait à trembler dès qu'il voyait un pigeon arriver avec son tube de fer autour de la patte. Oiseaux de malheur, tous autant qu'ils étaient. Semos lança haineusement le papier dans un coin de la pièce, et s'accouda à la fenêtre.
En contrebas, il pouvait déjà voir les lanternes et les torchères scintiller dans certaines rues, alors que les boulangers se mettaient au travail, que les coursiers et les valets couraient dans tous les sens, et que la ville se préparait à renaître pour la journée. Après les boulangers, ce seraient les fermiers qui envahiraient les marchés, avec des produits fraîchement cueillis, encore humides de la rosée du matin. Et puis les échoppes ouvriraient les unes après les autres, les avenues se rempliraient? et Rekk le Banni pousserait la porte de l?Académie.
 
"Oh ? Des blasphèmes, maintenant ? C'est une erreur, mon cher Semos. Dans ta situation, seuls les dieux pourraient te sauver." Gundron s'empara du papier sur le sol et le défroissa avec soin. Ses lèvres bougeaient alors qu'il lisait. "Deux attaques contre lui, à deux moments différents, et il est toujours en vie. Les chasseurs de primes ont échoué. C'est ça, qui te met dans un tel état ?"
"A ton avis ?"
"Je ne sais pas. Tu t'attendais vraiment à autre chose ?"
Semos se détourna brutalement de la fenêtre et fit le tour de son bureau pour se planter devant le borgne, les poings sur les hanches.
"Mais enfin, c'est une antiquité, Gundron ! Il a plus de cinquante ans ! On n'a pas les mêmes réflexes à cet âge ! Comment a-t-il pu vaincre aussi facilement huit hommes entraînés ? Ca n'a aucune sens ? Et ce? ce Comeral. C'était un fameux gladiateur, autrefois."
"Un très bon combattant. J'ai gagné trois pièces d'or et dix-sept pièces d'argent en pariant sur lui dans l'arène. Je me rappellerai toujours de la manière dont il avait arraché la tête de Vizigh d'Ish en un seul mouvement de sa gigantesque épée. Ah, c'était un combattant fascinant. Dommage qu'il soit mort. On aurait pu utiliser des gars comme lui, dans l'armée."
"Ca n'est pas le sujet ! Rekk devient vieux. Il ne devrait pas être capable de se battre comme avant !"
 
Gundron avança d'un pas, une lueur soudain menaçante dans son ?il unique.
"J'ai presque le même âge que lui, Semos. Ne t'avise pas de me dire que je deviens vieux, ou tu risques de retrouver ton épée plantée dans un endroit désagréable de ta personne. Mais passons. Tu as vraiment accumulé les erreurs comme un débutant. On dit toujours qu'il vaut mieux faire les choses soi-même. Tu aurais dû prendre des hommes de confiance et l'attaquer à vingt contre un. Nul doute qu'un épéiste aussi brillant que toi aurait trouvé cette situation à son avantage. Les dés pipés, tu te souviens ?"
Semos se retourna brutalement, furieux.
"Ca t'amuse, cette situation, n'est-ce pas ? Tu prends plaisir à voir Rekk se rapprocher de moi ? Tu trouves ça drôle, peut-être ?"
"Je dois avouer que cela ne manque pas d'une certaine ironie" confirma Gundron, haussant son unique sourcil. "J'ai hâte de voir votre combat. Qui va vaincre, du jeune loup aux dents longues, ou du vieil ours aux tactiques éprouvées ?"
"Personne, si je peux l'éviter ! C"est toi qui m?a mis toutes ces idées dans la tête, mais rien ne serait arrivé si tu ne m?avait pas suggéré d?empêcher cet homme de venir ici. Après tout, je n?avais rien fait de mal. Sa fille est morte, elle était dans mon académie, et alors ? Ce n?est pas moi qui l?ai tuée, ni personne que je connais, et c?est elle qui a fui dans la nuit. Qu?aurais-je pu faire ?" Il cracha sur le sol. "Tu as beau me dire que ce Rekk est tel que sa légende le décrit, , je ne pense pas qu?il aurait essayé de me tuer pour cela. Et s?il avait voulu le faire, j?aurais pu le dissuader d?une manière ou d?une autre. Tandis que maintenant, si jamais il apprend qui a envoyé ces chasseurs de primes à sa poursuite?"
"Oh, il le sait. Il sait car tu es une des seules personnes qui était au courant de tous les éléments. Son lien de parenté avec Deria, la mort de celle-ci, et la véritable identité du Baron FroidVal. Tu ne trouves pas que ça fait beaucoup de suspicions qui pointent vers toi ? Tu as été à peu près aussi discret dans cette affaire qu'un éléphant dans les rues de la capitale !"
"Un éléphant ?"
"Un gros monstre gris avec de grandes oreilles."
"Oh" fit Semos.
"Qui ne passe pas inaperçu."
"Oh" fit Semos.
 
Le maître de l'académie resta un instant les bras ballants. Puis il pointa un doigt accusateur.
"Tu le savais dès le début, n'est-ce pas ? Tu le savais, que ça finirait comme ça ! Tu savais que j'enverrais des tueurs après lui, tu savais qu'il les tuerait, et tu savais qu'il découvrirait que ça viendrait de moi. Tu m'as manipulé, Gundron !"
Le borgne frotta machinalement son orbite vide. Cela faisait plus de trente ans qu'il avait perdu son ?il mais, de temps en temps, il en sentait encore la présence, comme une vague irritation au fond du cratère de chair. C'était étrange, la manière dont l'esprit peinait parfois à admettre des évidences aussi flagrantes. Un jour, Gundron avait rencontré un homme qui avait perdu son bras au fond des steppes koushites. Dix ans après, le soldat se plaignait encore parfois de douleurs auriculaires. Ses compagnons se moquaient de lui mais Gundron, lui, le comprenait. La douleur augmentait dans son ?il mort.
"Si peu, Semos. Si peu. Mais ce sera un véritable plaisirde le voir te trancher la gorge. Cela faisait longtemps que j'attendais ce moment." Il ricana. "Ca fait longtemps que je l'aurais fait, si ton sang noble ne te protégeait pas. Bah ! Un bouclier généalogique. Et voilà qu'un homme envoyé par la providence va faire le travail à ma place. Si je m'attendais à ça !"
"Maudit?" cracha Semos, tirant son épée.
 
L'arme bondit du fourreau, comme mûe par une intelligence propre, et allongea une botte vicieuse au vieil homme. Gundron avait dégainé, lui aussi, et il bloqua la lame à quelques pouces de sa gorge. C'avait été juste. Semos était bien des choses, mais il restait un brillant duelliste.
"Allons, allons. Conduisons-nous en adultes responsables. Que se passerait-il, dis-moi, si on retrouvait mon corps ici ? Mes soldats savent que je suis avec toi, après tout. Alors ne sois pas ridicule, et rengaine ton arme." Il sourit finement. '"Aussi plaisant que serait un combat? équitable, je pense que le temps n'est pas venu."
Rouge d'humiliation, Semos resta un instant immobile avant de se résigner à remettre son arme au fourreau. Gundron fit de même.
"Je te hais, Gundron"
Le borgne se dirigea vers la porte, le pas léger.
"Bonne chance, Semos, mon ami de toujours. Peut-être nous reverrons-nous, qui sait ? Les dieux sont cléments, parfois. Pour ma part, je crois que je vais essayer de t'éviter à partir de maintenant. Ta présence risquerait de me porter malheur." Il hocha la tête. "Ce fut un plaisir !"
Un froissement de cape, et il avait quitté la pièce. Semos resta seul, les bras croisés, le front plissé, à regarder la porte comme s'il s'agissait d'un animal venimeux.
"Va au diable !" hurla-t-il finalement. Mais à qui ce message s'adressait, il n'aurait pas su le dire.
 
Le silence qui suivit était presque angoissant. Il avait une qualité particulière, une odeur spécifique qui le rendait vaguement menaçant. C'était le silence particulier des veilles de bataille, lorsque les plaisanteries meurent sur les lèvres des hommes et que parler semble sacrilège. On savait que l'on risquait de mourir le lendemain pour une cause qui n'était pas la nôtre, et que notre cotte de mailles n'était finalement qu'une maigre protection contre les lances ennemies. On réfléchissait sur la brillance de la vie, et la possibilité de ne plus jamais revoir sa famille. Ce silence, il était fait du cri de milliers d'orphelins.
Mais Semos ne faisait pas le rapprochement. Il se sentait sourdement oppressé, mais il n'avait entendu parler de ces effets que dna sles chansons. Jamais il n'avait connu de véritable combat. A trente-deux ans, il était beaucoup trop jeune pour avoir vécu les périodes d'expansion successives de l'Empire. Désormais, les régions étaient en paix. Il n'y avait plus beaucoup de causes pour lesquelles se battre, plus grand chose à faire.
 
Soupirant doucement, il tira son épée, et s'approcha de la fenêtre. Le soleil était désormais levé, et il en capta la lumière sur sa lame avec une habileté démoniaque. Les reflets étaient magnifiques sur l'acier. Une symphonie de couleurs subtilement mélangées, la palette d'un artiste extraordinaire. Gundron pouvait dire tout ce qu'il voulait, Semos l'avait battu ? presque ? loyalement.
Depuis son plus jeune âge, tout le monde s?était extasié sur l?énergie et l?habileté qu?il mettait à se battre à l?épée. Il était l?héritier du Duc de Lion, et le duc n?était pas homme à laisser de telles capacités sommeiller. Il avait eu les meilleurs professeurs, et s?était battu en duel contre les combattants les plus renommés de l?Empire. Toujours, il gagnait les joutes et les combats qu'on lui imposait. Sa grâce et sa beauté Il avait récolté les honneurs et l'adulation du public, pour sa grâce et sa beauté aquiline. L'Empereur lui-même avait fini par reconnaître son habileté et avait organisé ce fameux duel contre Gundron, pour le titre de meilleure lame des royaumes. Sa victoire lui avait ouvert les portes de l'Académie.
Une telle ascension était stupéfiante, bien entendu. Il n?y avait pas de mal à piper un peu les cartes, lors de certains duels. Les gens étaient tellement sensibles, lorsqu?on touchait à leur famille. Ils étaient tellement malléables. Personne ne s?était encore plaint à l?Empereur ; ses hommes de main étaient partout, écoutaient tout, rapportaient tout, et tous les nobles savaient qu?il était sans pitié si on le contrariait.
Mais désormais, il était seul, et il avait peur. Soupirant, il alla à la fenêtre pour la fermer?
 
? et recula de stupéfaction alors qu?une main s?accrochait au rebord.
"Que..." balbutia-t-il.
Un bras suivit la main, puis une tête, et enfin la totalité du corps. En quelques secondes, le grimpeur se rétablit et pénétra dans la pièce. Semos tira son épée et recula d?un pas.
L?homme était dégingandé sans être grand, mince sans être maigre. Il portait des habits gris sombre qui se fondaient avec les premières lueurs du jour, et un manteau à capuche qui devait habituellement dissimuler son visage, mais dont le capuchon était présentement baissé. Il n?avait aucune arme visible. Ses habits étaient sales et rapiécés, des vêtements de mendiants. Même d'ici, Semos pouvait vaguement sentir l'odeur d'égoût qui lui collait à la peau.
Avant de laisser à l?homme le temps de réagir, Semos lui mit sa lame sous la gorge.
"Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ? Expliquez-vous, pendant que j'appelle la garde"
La tour principale de l?académie faisait plus de quatre-vingt pieds de hauteur, et on y trouvait peu d?aspérités. Ce n'était qu'un grand mur lisse aux jointures finement réalisées. Cela relevait de l?impossible de parvenir à se hisser aussi haut. Semos n?avait pas l?intention de prendre le moindre risque avec un individu capable de réaliser un tel exploit.
Mais si l?intrus parut troublé de se voir ainsi menacé, il n?en montra rien. Ecartant les bras pour montrer qu?il ne portait aucune arme, il se fendit d?un grand sourire. Il avait les dents blanches et pointues.
 
"Voyons, Maître Semos. Ce ne sont pas là des manières pour accueillir un ami. J'ai déjà eu beaucoup de peine à vous rejoindre, et voilà comment vous m'accueillez ?" Sans paraître s'offusquer de l'arme sur sa glotte, il pointa le coffre à boissons du doigt. "Un petit rafraîchissement ne serait pas de refus. Vous ne vous rendez pas compte de la difficulté de l'escalade. Vous avez un bon petit rouge de Leboash ?"
"Je ne vous connais pas" répéta Semos d'un ton froid. "Je le répète pour la dernière fois: qui êtes-vous ?"
Il avait mal à la tête, et une soudaine envie de se masser les tempes. La nuit avait été suffisamment riche en événements et mauvaises nouvelles pour ne pas en rajouter encore. L'homme ne pouvait être qu'un assassin venu lui porter le coup fatal. Un émissaire de Rekk ? Non. Le Boucher faisait toujours sa sale besogne lui-même, racontaient les légendes. Un sourire effleura ses lèvres. Qui, alors ? Qui avait bien pu le commanditer ?
"Mon nom est Eleon" fit l'homme sans se départir de son sourire. "Je suis un chasseur de primes. Et je suis là pour vous aider. Je pense que nous devrions discuter ensemble, pour notre profit mutuel."
Semos fronça les sourcils. Le nom lui était vaguement familier. Il l'avait déjà entendu quelque part mais, malgré ses efforts, il lui était impossible de se rappeler où et quand. Ses yeux étincelèrent.
 
"Eleon, eh ? Et qu'est-ce qui vous fait croire que j'ai envie de discuter, moi ? Qui vous a donné l'autorisation d'escalader ainsi ma tour aussi familièrement, à l'aube ?" Il avança sa lame jusqu'à ce que sa pointe chatouille la glotte de l'intrus. "Vous êtes dans un établissement privé, le savez-vous ? Donnez-moi une seule bonne raison, une seule, de ne pas vous trancher la gorge sur le champ ?"
Eleon maintint son sourire malgré la pression sur son cou. Pour toute l'attention qu'il portait à l'épée, elle aurait aussi bien pu ne pas être là.
"J'avais demandé une audience avec vous, mais vos gardes ont cru bon de me la refuser. Un préjugé stupide envers ceux qui ne sont pas très bien habillés, je suppose. Que pouvais-je faire d'autre que d'escalader cette tour ? Quant à la raison? comme je vous l'ai dit, je suis là pour vous aider. Contre ce Rekk, je veux dire."
Semos resta un instant immobile.
"Tu es au courant de bien des choses, je trouve."
"Et vous-même en dites trop peu, je suppose donc que nous sommes quittes. Heureusement que, par un étonnant hasard, je me trouvais accroché à votre fenêtre lorsque vous parliez à ce Gundron. Un homme intéressant, vous ne trouvez pas ?"
Le maître de l'académie cilla. Il avait par deux fois regardé dehors, et n'avait rien remarqué. Si ce que disait cet homme était vrai, alors il était incroyablement habile? ou Semos était incroyablement perturbé. Grinçant des dents, il balaya les paroles de l'homme d'un geste de la main.
"Tu parles trop et tu souris trop pour un honnête homme. Que tu sois au courant de tant de choses me donne une raison de plus pour te tuer, pas pour te laisser la vie. Trouve autre chose."
 
L'homme haussa un sourcil. Lorsqu'il parla, son débit était plus rapide, à la grande satisfaction de Semos. Les gens imperturbables finissaient par le fatiguer.
"Nous nous sommes déjà battus contre lui, mon? compagnon et moi-même. Malheureusement, ce compagnon est mort. Mais je pense que je peux le tuer, si tel est votre désir. J'en suis même certain. Cela simplifierait beaucoup de problèmes, ne croyez-vous pas ?"
Semos grogna.
"Pourquoi ne l'avez-vous pas fait au moment où vous l'avez rencontré, si vous pouviez le faire ? Vous auriez gagné dix pièces d'or. De quoi changer de vêtements, au moins. Et prendre un bain."
Le chasseur de primes hocha la tête avec toute la latitude que lui permettait la lame.
"L'odeur fait partie de mon déguisement. Je suis désolé qu'elle vous incommode. Mais revenons à la raison pour laquelle nous ne l'avons pas tué. J'en vois deux. La première, c'est que nous nous attendions à rencontrer une fine lame. Pas une légende."
"Je ne paie pas une telle somme simplement pour le plaisir. Je ne savais pas avoir une telle réputation de largesse. Cet or, il va vous falloir le mériter. Et la deuxième raison ?
"Ah, mais vous venez de la toucher du doigt. Le montant de la récompense, voilà la deuxième raison. Je veux bien me mesurer à Rekk le Boucher, mais certainement pas pour une somme aussi misérable. Dix pièces d'or ? Pour un monstre comme lui ? Pah !"
"Je connais cent de vos pareils qui risqueraient leur vie pour cinq fois moins. Ne jouez pas au plus malin avec moi." Semos fronça les sourcils. "Non, je crois que je vais vous tuer, finalement."
 
Eleon déglutit.
"La? la différence, c'est que moi, je n'échouerai pas. Maintenant, si vous vouliez bien retirer cette lame de mon cou ? Elle me rend nerveux."
"J'aime vous voir nerveux" grinça Semos, mais il recula néanmoins son épée d'un pouce. Pas assez pour que le chasseur de primes puisse se sentir à l'aise, mais suffisamment pour qu'il prenne une grande inspiration.
"Bien" fit Eleon lorsqu'il eut récupéré. "Maintenant que nous avons passé le cap des présentations, parlons affaire. Combien de pièces d'or m'offrez-vous, si je vous apporte la tête de votre ennemi sur un plateau ?"
"Aucune. C'est bien trop tard maintenant pour tenter quoi que ce soit."
"Trop tard ?" Eleon se gratta le front, perplexe. "Comment ça, trop tard ?"
"Il est dans la ville, maintenant. Il est hébergé au palais. Et je n'ai plus qu'un ou deux jours devant moi avant qu'il ne vienne me voir. Tu as raté ta chance, chasseur de primes. Tu aurais mieux fait de le tuer quand tu en avais l'occasion, et de collecter les dix pièces d'or."
Eleon ne se laissa pas démonter. Son sourire s'élargit même un peu. Il avança d'un pas dans la pièce, et Semos baissa enfin son arme.
"Je ne vois pas où est le problème. Comme je vous l'ai dit, contre une somme convenable, je me débrouillerai pour le tuer. Le reste n'est que discussion et marchandage. Oh, et je serai payable à la livraison, bien entendu. Vous ne risquez donc absolument rien en vous engageant avec moi."
 
Semos regarda l'homme d'un ?il nouveau. Une étincelle d'espoir brillait soudain en lui.
"Tu penses vraiment pouvoir le tuer ? Discrètement ?"
"J'ai des tarifs pour le travail bâclé, et des tarifs pour la discrétion. Mais, oui, je pense pouvoir le faire. Je n'aurais pas pris le temps d'escalader votre tour, sinon. Vous n'avez jamais songé à vous installer au rez-de-chaussée ?"
Semos rengaina son arme d'un geste décidé. Cet Eleon lui plaisait. Juste ce qu'il fallait d'insolence, une confiance en lui totale, et de bonnes compétences en escalade. Un bon début, pour un assassin.
"Combien ?"
"Cent pièces d'or" annonça le chasseur de primes tranquillement.
Semos s'étrangla.
"Cent pièces d'or ? Tu es fou, Chasseur ! Une telle somme pourrait t'acheter une belle maison avec un immense jardin !"
"Mon rêve" confirma Eleon sans que son sourire ne vacille. "Avec un jardinier pour pouvoir entretenir les fleurs. Je n'ai jamais su m'en occuper. Et des saules pleureurs. J'adore les saules pleureurs. Ils me donnent une idée de l'éternité."
"Je ne donnerai jamais cent pièces d'or !" hurla Semos, livide.
"Bien sûr que non. Vous proposerez quinze, et je dirais quatre-vingt dix. Puis vous monterez de cinq, et je descendrai encore. Finalement, nous tomberons d'accord sur cinquante. Autant accepter tout de suite."
Le maître de l'Académie hésita, puis indiqua la chaise vide du pouce.
"Asseyons-nous, et discutons."
 
 
 
 
Shareen s?enfonça dans le baquet d?eau brûlante avec un soupir de satisfaction. Elle ne parvenait pas à se rappeler la dernière fois qu?elle avait pu prendre un véritable bain. Cela faisait près d?un mois qu?elle ne s?était pas lavée, hormis une toilette rapide lorsqu?ils avaient campé près d?un cours d?eau. Elle faisait réellement peine à voir, avec ses cheveux encrassés et sa peau terne.
Avec soin, elle passa la lourde brosse sur tout son corps, grognant alors que les pointes aiguës lui frottaient la peau pour en débarrasser la crasse. Elle eut un regard scrutateur vers ses seins. Avaient-ils grossi ? Pas vraiment. Ils avaient toujours l?air de deux petits oiseaux roulés en boule. Elle ne s?attendait pas à ce qu?un mois change réellement quelque chose, mais elle soupira cependant tristement.
L?eau brûlante chassait doucement la fatigue de son voyage alors qu?elle se laissait aller en arrière, dodelinant de la tête. C?était tellement agréable de se reposer dans les volutes de vapeur, sans plus avoir à penser à rien d?autre qu?au moment présent.
Plus d?assassin et de chasseur de primes à sa poursuite, plus de danger, plus de sommeil agité en se demandant à quel moment le fou furieux avec lequel on voyageait allait l?égorger. C?était si bon, finalement, de se laisser aller à rêver que rien ne s?était passé, que rien ne se passerait plus jamais. L?aventure, c?était fini pour elle.
 
Il allait falloir attendre que les choses se calment un peu du côte de l?Académie, probablement, qui devaient toujours se demander où elle était passée. Mais avec la protection de Malek, tout devrait bien finir par s'arranger. Elle pourrait retrouver sa cuisine, et ses légumes à éplucher, et les carrelages à récurer. Bizarrement, la perspective ne l'enchantait plus autant qu'auparavant. C'était étrange. Elle ferma les yeux, et essaya de s'imaginer de nouveau à l'Académie. Mais la simple perspective de devoir accepter des ordres de la part de tous ces nobles arrogants la fit soudain frémir. Elle s'était habituée à la liberté que lui accordait Malek. Ce serait difficile de revenir à la normale.
"Je vais peut-être profiter de cette vie, après tout. Ce serait dommage?" murmura-t-elle finalement, plongeant la tête sous l'eau.
C?était bien agréable, après tout, de passer pour l?écuyère de Rekk ? pardon, du Baron FroidVal. Il y avait des avantages incontestables, comme ces chambres au sein même du palais, là où l?Empereur pouvait avoir un regard sur eux. Des grandes baignoires, avec de nombreux baquets d?eau chaude. Des serviettes parfumées, des miroirs sur la plupart des murs. Un lit confortable, ni trop dur ni trop moelleux. Shareen sortit la tête de l?eau, secouant les cheveux, et prit une grande goulée d?air. Oui, elle pouvait bien se permettre de rester un peu, et de?
"Shareen, tu es prête ? Il va falloir que nous? Déesse du Destin, qu'est-ce que c'est que cette fumée ?"
 
Malek s?engouffra dans la pièce, agitant les mains pour écarter les volutes de fumée. Il était déjà totalement habillé pour la soirée. Il portait un magnifique pourpoint vert, brodé d?une licorne de gueules sur fond de sable. Son pantalon était vert, lui aussi, d?un vert plus sombre et plus profond ; il avait gardé les mêmes bottes que celles qu?il avait porté durant tout le voyage, mais il avait probablement passé beaucoup de temps à les cirer, pour qu?elles brillent ainsi. Il avait abandonné son épée dans la chambre, les armes n?étant pas autorisées en présence de l?Empereur ? mais il arborait au côté un sabre protocolaire à lame inversée, dans un fourreau au rouge profond. Tout cela, Shareen le vit en quelques secondes, le temps de réaliser ce qu?il se passait. Puis elle hurla.
"Qu'est-ce que? oh !" fit Malek, réalisant enfin son erreur. Le rouge lui monta aux joues, alors qu?il battait précipitamment en retraite sous les injures de la jeune fille. Il ne s?arrêta pas avant d?être sorti de la pièce. Refermant la porte, il parvint à retrouver assez de contenance pour dire ce qu?il avait à dire. "Tu devrais sortir du bain, Shareen. Nous n'avons plus beaucoup de temps, le repas va être servi dans une vingtaine de minutes. Il y a probablement des vêtements propres dans ton armoire, c?est là que j?ai trouvé les miens."
"Je sais !" glapit la jeune fille. "Va-t-en !"
"Je m'en vais, je m'en vais" fit Malek. L'amusement avait remplacé la gêne, chez lui. Même sans le voir, Shareen pouvait deviner qu'il souriait jusqu'aux oreilles. "Je n'ai pas vu grand-chose avec toute cette fumée, mais je suis sûr que tu es très belle, Shareen, quand tu prends la peine de te laver. "
 
Il esquiva le savon qu'elle lui jetait, éclata de rire, puis battit en retraite sous les insultes. Shareen se renfonça jusqu'au menton dans son baquet. Elle avait les joues brûlantes. Ce devait être dû à la température. L'eau était bien trop chaude ! Ca devait être ça?
Pensive, elle regarda dans la direction où elle avait lancé le savon. Impossible de le voir dans toute cette fumée, et il avait probablement glissé sous un meuble, de toute façon. Incrédule, elle repensa au geste qu'elle avait fait. Se comporter ainsi avec un noble ? Lui lancer des injures ? Non, elle ne pourrait jamais revenir à l'Académie.
Troublée, elle sortit de l?eau et entreprit de se sécher rapidement. Si Malek avait dit vrai ? Maudit Malek, à rentrer comme ça sans frapper ? elle n?avait plus beaucoup de temps pour se préparer. Avec une hâte incongrue, elle souleva la robe qu?on lui avait amenée.
Cela semblait faire une éternité qu'elle n'avait pas porté de vêtements féminins. Plus de deux mois, en fait, depuis qu'ils avaient pris la route. De tels habits ne permettaient pas de monter à cheval, et elle avait dû se résoudre à porter des braies de toile lâche et des bliauts informes qui la laissaient libre de ses mouvements. Elle avait toujours pesté contre Deria pour sa tenue, mais elle avait bien été obligée de reconnaître que les vêtements masculins étaient plus pratiques, lorsqu'on chevauchait en pleine nature.
La robe était délicieusement bleue, brodée de fils d?or sur sa longueur. Ce serait dommage de ne pas la porter. Elle était aussi très près du corps, les fines étoles de soie et de brocard épousant les contours du corps de la jeune fille pour en rehausser la splendeur. Qu?est-ce que c?était beau ! Shareen se mordit la lèvre. Elle la mettait, juste pour voir. Elle l'enlèverait, après.
Shareen s'étira comme une chatte sur le lit qu'on lui avait donné, et eut un sourire voluptueux. C'était facile, d'avoir un sourire voluptueux lorsqu'on vivait dans le luxe, finalement. Elle se leva, se dirigea vers le miroir, et tenta de minauder. L'impression était saisissante.
 
Lorsque Shareen sortit de la chambre, Malek resta un instant bouche bée.
Après bien des hésitations, elle avait laissé ses cheveux libres, cascadant sur ses épaules nues. Elle portait la robe, bien sûr, et la couleur azur se mariait parfaitement avec ses yeux. Le décolleté pigeonnant mettait en valeur sa poitrine alors que la fine soie lui collait à la peau. Un collier de pierres précieuses brillait sur sa gorge exposée, et un bracelet doré se balançait à son poignet. Elle n'avait jamais été très belle, et les garçons n'avaient jamais eu le même désir dans leurs yeux que lorsqu'ils regardaient Deria ? ou n'importe quelle autre fille, à bien y réfléchir. Pourtant, elle pouvait difficilement se tromper sur la lueur d'admiration qui brillait dans les yeux de Malek.
"Tu es?" fit le jeune homme, hésitant.
"Superbe" confirma Rekk.
La jeune fille pivota en entendant sa voix.
Lui aussi s?était changé. On lui avait demandé de ressembler au baron qu?il était, et il avait visiblement pris sa tâche très à c?ur. Il était rasé de près, ses cheveux brossés et peignés. Son pourpoint était noir, ses chausses noires. Noires ses bottes, et noir son ceinturon. Il avait une cape noire, et des gants noirs étaient passés à sa ceinture. Comme pour Shareen, la coupe était très proche du corps et mettait en valeur sa puissante musculature. Lui aussi portait un sabre de cérémonie, au fourreau damasquiné d?or et au pommeau taillé d?ivoire. Il avait l?air d?un véritable héros de légende, ainsi. Shareen réalisa qu?elle restait ainsi à le regarder, et elle se détourna avec un effort manifeste.
 
"M? merci" balbutia-t-elle. Les mots la touchaient plus qu'elle ne l'aurait cru.
"Bien. Nous sommes tous prêts ? Allons-y, alors" fit Malek froidement, s'engageant dans le couloir. "Le repas doit être servi. Nous ne devons pas les attendre."
Un léger sourire effleura les lèvres de Rekk.
"Eh bien, quelle assurance tout d'un coup."
Malek ne se dérida pas.
"Vous ne connaissez pas les gens ici. Moi, oui. Je peux vous assurer que nous allons rentrer sur un champ de bataille. Moins sanglant que celui que vous connaissez, mais plus traître."
"Peu importe le champ de bataille. Si c'est une guerre, je suis dans mon élément. Je couperai en deux la première personne qui essaiera de me manipuler."
"Non !" hurlèrent Shareen et Malek en même temps.
Rekk les regarda.
"Je plaisantais" fit-il.

n°2033689
taftonf
Posté le 11-02-2004 à 21:31:47  profilanswer
 

bon je poste pas après chaque chapitre, mais mon compte est bon, je suis bien accroché. :)
au fait, petite question qui me trote en tête : 1 pièces d'or = cb d'argent ?


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Méfies-toi des dragons, choisis bien tes ennemis et trouve ta vérité !
mood
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Posté le   profilanswer
 

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