hephaestos a écrit :
N'es-tu donc pas d'accord avec Dennett qui affirme que l'on pourrait définir objectifement et précisément (aussi précisément qu'on le souhaite, c'est à dire parfaitement) la couleur, à condition de connaitre la mécanique du cerveau ?
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Une philosophie de la cognition, implicitement ou explicitement, pose la reconstruction comme principe régulateur. Comprendre signifie moins montrer que re-créer, renaître avec ce que nous cherchons à comprendre. A ce compte, nous sommes tous d'accord. Mais le problème est autre : il est d'ordre méthodologique. Comment décrire pour reconstruire ? Et dans ce cas précis : comment engendrer les structures à l'oeuvre dans la perception ?
D'abord, Dennett va parler de "mécanique du cerveau", et cela montre de suite une méthode que j'estime insuffisante. Pourquoi s'obstiner à parler de "cerveau", alors qu'il n'y a de cerveau que par un corps, fût-il seulement motile des globes oculaires, et il n'y a de corps que dans un milieu. Il n'est pas pertinent de parler de "cerveau" en rompant la solidarité perception-action par ex. Et il est encore moins pertinent de parler de "mécanique" (terme par ailleurs peu adapté) sans parler de la motricité, de la proprioception, de la préhension, etc. Par exemple, on montre expérimentalement que la carte motrice est aussi condition de discrimination des couleurs. Il faut donc thématiser proprement ces aptitudes corporelles pour comprendre l'ontogenèse du système nerveux.
Ensuite, qu'entendre par "objectivité" ? Si on qualifie d'objectifs le savoir et l'entité qu'on aura engendrés, et puisque y arriver signifie la saisie des structures à l'oeuvre en passant par un support physique, pour le coup "à la vue de tout le monde", alors il y a aura bien une objectivité. Mais une fois de plus, le question est surtout celle de l'objectivité de la méthode. Quel genre d'activité humaine est apte à cette saisie ? Quelle formation ? Quel genre de méthode est capable de "coller" au circuit de la perception ? Y a-t-il seulement une méthode ? ...
Je ne peux pas dire cela avec assurance. Il n'y pas l'Homme d'un côté et le monde de l'autre. La conscience perceptive n'est pas une intériorité. Les structures de la perception sont solidaires de l'espace vital d'un corps, et en cela, il y a déjà une certaine communauté de ces structures par partage de cet espace, qui à son tour se construit lui-même par ce partage. Bien sûr, une variabilité existe assurément, mais dans l'idéal, il ne s'agit pas d'îlots insondables, mais d'une "richesse structurelle", des émergences plutôt que des "secrets". Si on maintient la cohérence d'une position non-dualiste, il suffit de remarquer qu'un nouveau-né naît au monde, grandit, et enfant, sans convoquer un esprit descendu dans la machine, il deviendra probablement capable de discriminer les deux couleurs plus haut, pourtant spectralement identiques. Cela signifie que la couleur n'est pas ce qu'on mesure classiquement, mais elle est le mode de rencontre de cet enfant avec le monde visible, et ce mode de rencontre, dont il convient de méditer la beauté, est une alternative viable. Et cependant, il n'y a que cette image et ressemblantes qui motivent l'alternative, et ces images sont pour nous tous, et c'est comme cela que la communauté se construit.
Message édité par Ache le 12-07-2006 à 04:46:08